Quel est le rôle d’une princesse étrangère, une fois mariée à l’héritier d’un royaume? Si les mariages des princes et princesses ont été perçus comme des objets d’étude en soi, par le biais des négociations qui y amènent et de l’événement constitué par le mariage, les liens établis par ce mariage après sa tenue sont souvent oubliés des travaux sur le sujet1. C’est d’autant plus le cas lorsque l’alliance à l’origine de ce mariage s’éteint dans les mois qui le suivent: à quoi sert alors la princesse mariée chez l’allié d’hier? Comment maintient-elle les liens avec sa famille d’origine? Quel est son rôle diplomatique jusqu’à son avènement lorsqu’elle est en position d’héritière?
Le cas de Catherine de Médicis, mariée en 1533 à Henri de Valois, futur Henri II, témoigne de façon exemplaire de ces questions essentielles de l’histoire de la diplomatie, mais aussi des milieux de cour, des élites politiques et du genre. L’Italie est alors rongée par une série de guerres qui voient la France, l’Empire et l’Espagne jouer des tensions entre les principaux États composant la péninsule dans le but d’y asseoir leur puissance. En 1530, les Médicis acceptent de prêter allégeance au roi d’Espagne et empereur, Charles Quint, à condition que celui-ci reprenne Florence, tombée aux mains des anti-Médicis2. En 1533, le mariage de Catherine avait été négocié entre François Ier et le pape Médicis Clément VII, qui l’avait vu comme un moyen de contrebalancer l’allégeance à l’empereur3. Mais, après le décès de Clément VII l’année suivante, le duc Alexandre de Médicis, puis son successeur, Côme Ier, renforcent plutôt l’entrée de Florence au sein l’ “Italie de l’Empereur”4. Catherine de Médicis, qui renonce à toute prétention sur Florence lors de son mariage, deviendrait dès lors le symbole d’une alliance tuée dans l’œuf5.
Alors que le rôle des princesses mariées à l’étranger est justement de fabriquer du lien entre les cours et en leur sein6, la place de Catherine de Médicis pendant ses années delphinales, jusqu’à l’avènement d’Henri II en 1547, a été résumée à une période de marginalité, du fait de ces éléments politiques comme d’une relative infertilité, rompue en 15447. Mais ses liens avec Florence et les autres membres de la famille Médicis sont-ils rompus pour autant? Poser la question ainsi peut sembler provocateur, dans la mesure où ces relations n’ont pas été niés par l’historiographie, dont le livre classique d’Eletto Palandri, ou, plus récemment, les biographies de Catherine de Médicis par Thierry Wanegffelen puis Marcello Simonetta8. Toutefois, ces liens ont été dépolitisés, ou, pour Marcello Simonetta, résumés à une politisation par l’entourage masculin et anti-médicéen de la dauphine9. Le rapport de la dauphine, puis reine, aux Médicis, serait aussi celui d’une concurrente, dont l’héritage aurait été spolié par son cousin Côme, issu d’une branche collatérale de la famille10. Ainsi, Catherine de Médicis “dauphine" serait marginale à la cour de France; jugée trop proche des exilés et désireuse d’exercer une plus grande influence sur le destin de la cité, on se méfierait d’elle à Florence.
C’est dans ce contexte de marginalité relative que Catherine de Médicis construit sa relation avec son cousin, Côme Ier de Médicis11. Elle entame avec lui une correspondance régulière, multiplie les lettres de recommandation et de réquisition. Ces lettres sont à l’origine de la présente recherche sur l’implication diplomatique de Catherine de Médicis avant son avènement comme reine. La ligne ainsi tissée, à partir de la fin des années 1530, est celle du couple héritier, par le biais de la dauphine plutôt que du dauphin. Les tensions entre le roi de France et le duc font de cette relation familiale le seul point stable entre la France et Florence. Dans un contexte de tensions entre la France et Florence, l’existence de ces relations conduites par Catherine de Médicis permettent d’abord de nuancer l’idée qu’elle n’ait été qu’une opposante à Côme Ier. Ensuite, au-delà de ce seul cas d’étude, elle montre comment la dauphine, princesse héritière et étrangère, établit son action aux marges de la diplomatie royale, tant du point de vue de ses orientations que des fondements juridiques sur lesquels évoluent les agents qui la font vivre.
Créer son espace au sein de la société des princes
Un corpus épistolaire renouvelé
La correspondance de Catherine de Médicis est l’une des plus travaillées de l’histoire de France au XVIe siècle. Éditée au XIXe siècle, elle a depuis fait l’objet de nombreux ajouts et modifications12. Les périodes delphinale (1533-1547) et réginale (1547-1559) y sont particulièrement tronquées. Parmi les 935 lettres proposées pour la période 1533-1563, seules 257 concernent la période antérieure à la mort d’Henri II; 40 datent des périodes orléanaise et delphinale13. Sont aussi mentionnées les lettres “qui n’ont pas paru devoir être imprimées”14: 54 sont antérieures à 1559, dont 37 adressées à Côme de Médicis. Au dernier volume s’ajoutent 41 lettres antérieures à 1559, dont 2 seulement pour la période 1533-1547, et aucune adressée à Côme15. Les lettres à Côme, conservées aux Archives d’État de Florence16, sont ainsi les perdantes de cette édition.
Le travail de Matthieu Gellard sur l’activité épistolaire et diplomatique de Catherine de Médicis après 1559 permet de mieux saisir les enjeux diplomatiques autour de cette correspondance. Il y restitue la reine mère dans la société des princes. Elle adresse une part importante de ses lettres à l’étranger (40 %), que ce soit aux agents français déployés à l’étranger (55 % de ces lettres) ou aux princes et princesses européens (45 %)17. L’Italie est en tête des destinations étrangères (38,6 % des lettres extérieures). Si Florence représente moins de 10 % du corpus, les princes et princesses italiennes reçoivent toutefois 65 % des lettres adressées à des membres de la société des princes18. Notamment parce qu’ils n’accueillent pas d’agent résident français, les ducs de Florence, puis grands-ducs de Toscane, tiennent une bonne place dans ce dispositif épistolaire. Le cumul des lettres adressées à Côme, François et Ferdinand de Médicis (toujours sur la période 1559-1589) fait du grand-duc le premier destinataire de Catherine, devant le roi d’Espagne et le duc de Savoie (147 lettres, contre 112 et 139)19. Les grands-ducs sont aussi parmi ses destinataires les plus fréquents: elle s’adresse à Côme tous les deux mois en moyenne entre 1559 et 157420.
L’examen de la correspondance entre Catherine et Côme de Médicis entre 1537 et 1559 confirme les résultats de Matthieu Gellard et les replace dans une dynamique au long cours. À ce jour, pour la période 1537-1559, 109 lettres de Catherine à Côme de Médicis et 33 lettres de Côme à Catherine de Médicis ont été retrouvées. S’ajoutent les lettres adressées par Catherine de Médicis à la duchesse Éléonore (7), par Côme au dauphin Henri puis roi Henri II (10) et par Henri à Côme de Médicis (14)21. Des indices, comme des lettres mentionnées mais non retrouvées, montrent une sous-évaluation du corpus par rapport au nombre de lettres qui furent échangées. Ainsi, aucune lettre de Côme à sa cousine ne figure dans les registres avant 1544. Malgré ces lacunes, la comparaison avec les résultats de Matthieu Gellard (82 lettres-missives de Catherine à Côme entre 1559 et 1574) permet de penser que la conservation des lettres est homogène à l’échelle du règne. De plus, leurs relations ne souffrent que d’une seule période d’interruption, de l’éclatement du conflit ouvert entre Français et Florentins dans le cadre de la guerre de Sienne à la paix du Cateau-Cambrésis (1554-1559), alors qu’elles avaient tenu à la montée des tensions dans le cadre de cette même guerre (1552-1554). Cette vacance permet de ramener les deux périodes (1537-1554, 1559-1574) à des arcs comparables de 17 et 15 ans. Enfin, ces chiffres confirment que Catherine de Médicis n’attend pas son accession au trône pour écrire au duc de Florence: 51 lettres (47 %) sont écrites avant le mois d’avril 1547.
Ainsi, la correspondance entre Catherine et Côme de Médicis laisse envisager qu’une “diplomatie des héritiers” est possible. De plus, elle se construit dans un contexte de rupture du dialogue entre Côme de Médicis et François Ier. Il s’agit d’un canal alternatif, qu’il soit concurrent ou qu’il pallie les carences d’une ligne rompue entre les souverains.
Une correspondance apolitique?
L’analyse quantitative globale de cette correspondance est insuffisante pour en faire l’outil d’une “diplomatie des héritiers”. La plupart de ces lettres ont d’ailleurs fait l’objet de coupes lors d’éditions, ou, à défaut, d’une forme de disqualification, sous prétexte qu’elles n’étaient pas d’ordre politique22. En effet, pour la période delphinale, elles visent soit à donner des nouvelles (lettres d’état), soit à recommander des individus dans le cadre de demandes individuelles (recommandation/réquisition), soit à donner créance à un agent diplomatique (tableau 1)23.
Côme de Médicis | Éléonore de Tolède | Total | |||
---|---|---|---|---|---|
Périodes concernées | 1533-1547 | 1548-1559 | 1533-1547 | 1548-1559 | 1533-1559 |
Recommandations | 19 | 34 | 1 | 1 | 55 |
Réquisitions | 20 | 15 | 1 | 0 | 36 |
Créances | 2 | 2 | 0 | 0 | 4 |
Remerciements | 0 | 2 | 0 | 0 | 2 |
Lettres d’état | 7 | 0 | 0 | 0 | 7 |
Proposition d’aide | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 |
Demande d’intercession | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 |
Suivi d’une affaire | 0 | 2 | 0 | 0 | 2 |
Données non disponibles | 1 | 0 | 0 | 0 | 1 |
Total | 49 | 57 | 2 | 1 | 109 |
Ces formats épistolaires répondent à des codes de la société nobiliaire de la fin du Moyen Âge. Les femmes sont très investies dans la gestion des maisons et des clientèles, ce qui explique la surreprésentation des demandes d’intercessions dans leurs lettres24. Les exclure du champ politique ne va pas de soi. D’une part, la distinction entre sphère publique et sphère privée serait moindre à la Renaissance qu’elle ne l’est aujourd’hui25. D’autre part, la position des deux correspondants oblige ici à considérer, sauf exception, que l’ensemble de leurs activités revêt une dimension politique26. La faible proportion de lettres autographes le confirme d’ailleurs: la mise en forme d’un secrétaire formalise le document27. Aussi, la forme stéréotypée des lettres ne signifie pas que ces dernières soient dénuées de fond. Elle affiche au contraire le respect de codes dont l’application détermine l’appartenance à un groupe donné: en l’espèce, l’intégration dans la société des princes28.
Ainsi replacées dans leur contexte d’écriture, les lettres de Catherine de Médicis à son cousin sont loin de l’image d’un ensemble inintéressant, créée par Eletto Palandri29. Elles répondent à des enjeux pratiques; elles mettent en scène et créent les conditions d’une proximité entre eux, par le dévoilement d’éléments relevant ou non de l’intime30. Les post-scripta autographes complètent le tout en marquant l’importance des demandes et en rappelant la proximité entre les deux cousins. Contrairement au corps des lettres, rédigé en français, de la main du secrétaire, ils peuvent être écrits en italien ou en français.
Au-delà de cette répartition, ces lettres sont construites selon une structure-type. L’adresse (“Mon cousin”, forme d’affranchissement de la titulature ducale) précède la demande. Une fois la demande édictée (narratio et petitio ensemble), la dauphine la justifie souvent par le registre de l’amour familial (du type “et pour l'amour de moy l'avoir pour recommandé en ce que vous pourrez”31), ce qui correspond à un exorde32. Régulièrement, elle mentionne sa capacité à rendre la pareille. Des mondanités, rares et stéréotypées, concluent les lettres. La signature, autographe, est toujours la même: “Vostre bonne cousine, Catherine”.
Cette structure-type témoigne du respect montré par la dauphine à l’égard de l’art épistolaire (ars dictaminis), mais aussi des codes de l’aristocratie florentine. Suivre ces codes est d’autant plus important qu’il s’agit de bâtir une relation à distance33. Au XVe siècle sont peu à peu abandonnés les aspects les plus stéréotypés de ces lettres, au profit d’une relative familiarité34. La trattatistica insiste sur l’adaptabilité du ton, selon le destinataire et l’objectif de la lettre. Ces pratiques visent surtout à construire son propre réseau, en faisant de l’interlocuteur son patron - que la chose soit fictive importe peu -, par le biais de demandes de faveur, si possible répétées sur le temps long35. En l’espèce, la fréquence de ces lettres augmente à partir de 1540. De plus, les requêtes placent la dauphine dans une forme de patronage. Le duc de Florence détient le pouvoir d’honorer ces recommandations et de venir en aide aux clients florentins de Catherine de Médicis. Les réponses de Côme, conservées sous forme de billets pour certaines lettres - non policés, ils reflètent directement sa pensée - montrent d’ailleurs qu’il se permet de refuser un certain nombre de demandes36. Ces refus soulignent la position dans laquelle il se trouve par rapport à sa cousine: lui est au pouvoir; elle, non. Catherine de Médicis agit en patronne lorsqu’elle tente d’intercéder en faveur de ses serviteurs; elle n’a en revanche pas le dernier mot et dépend du bon vouloir de Côme. La réciproque n’est d’ailleurs pas vraie. Les lettres de Côme félicitent, saluent, font état de sa propre santé et de celle de ses proches ou répondent, mais elles ne requièrent ni ne recommandent rien ni personne37. Leur relation se construit sur la base de ces rapports dissymétriques.
Après 1547, cette dissymétrie s’inverse en faveur de Catherine, devenue reine. Sa montée sur le trône change peu à peu la nature de sa correspondance florentine. Elle accroît la cadence de ses lettres à Côme et Éléonore entre 1548 et 1552. Aussi, la typologie change: la part des recommandations augmente (de la moitié aux deux tiers du corpus); deux nouveaux types apparaissent, à savoir une proposition spontanée d’aide et une lettre destinée au suivi d’une affaire. Les lettres d’état disparaissent. Cette croissance relative des recommandations par rapport aux réquisitions pourrait être expliquée par le changement de statut de Catherine de Médicis, davantage en mesure de “placer” des serviteurs, et/ou leurs proches, à Florence que lors de la période delphinale. L’évolution ainsi émanerait de la mutation des relations entre les deux cousins. De même, la disparition des lettres d’état, et l’abandon de toute information sur l’état de santé de la reine, dépersonnalise leurs rapports. Cette dépersonnalisation marque le passage d’une correspondance familiale à une correspondance utilitaire, politique.
Que retenir de ces premiers éléments? Les rapports entretenus par Catherine de Médicis avec Côme de Médicis évoluent au fil du temps, vers une place moindre des aspects les plus “personnels” d’une part, vers la mutation des rapports de force entre eux de l’autre. Sans que la documentation permette de dire qu’il ne l’ait pas fait avant, Côme se met lui aussi à recommander après 1547 des serviteurs à sa cousine38. Cette évolution montre combien ce type de relations internationales dépend autant du statut des interlocuteurs que de la construction de relations interpersonnelles, y compris - surtout? - au sein de la société des princes39. En somme, la diplomatie des héritiers serait subalterne, conditionnée à un état de domination.
Reste toutefois à questionner les objectifs plus profonds de l’établissement de cette relation. Alors qu’elle n’est que dauphine, tenir correspondance revient pour Catherine de Médicis à s’affirmer sur la scène européenne comme membre à part entière de la société des princes. À la cour de France, dans un contexte d’inexistence des relations épistolaires entre le duc de Florence et le roi de France, les lettres de Catherine de Médicis pourraient aussi lui octroyer un rôle dans la structure de l’État et de la cour. La princesse écrirait parce qu’il s’agirait d’un moyen de forger et maintenir son rang40. Du point de vue du duc de Florence, si l’on tient compte des idées de Matthieu Gellard sur la construction volontaire d’une hiérarchie politique, ces lettres serait un moyen de s’arroger un rôle qui n’est pas forcément le sien, mais qu’elle afficherait comme tel: celui de correspondante privilégiée du duc de Florence puis, par extension, de ses agents sur le terrain. Ces lettres, en apparence mondaines, auraient ainsi un sens politique plus large, une fois comprises comme un ensemble cohérent et évolutif et replacées dans un contexte particulier de rupture des relations entre les deux souverains et de besoin, pour la princesse, de s’affirmer à la cour de France en se trouvant un rôle spécifique.
Domestiques et relations internationales, aux marges de la négociation
Des Florentins pour une diplomatie française
Les relations entre Côme et Catherine de Médicis, qui se construisent d’abord par l’épistolaire, ne tardent pas à être incarnées. Le texte des lettres permet d’isoler plusieurs envois d’agents à Florence. Ils ne représentent pas le roi de France, mais bien la dauphine et, par extension, le dauphin. Ces agents sont choisis au sein de la maison de Catherine et Henri. Ils sont les vecteurs d’une diplomatie para-royale, qui court le long d’un canal familial, entre deux membres des Médicis. Ils sont les vecteurs d’un dialogue parallèle à la correspondance entre les deux cousins, essentiellement oral et, par nature, en grande partie perdu. Au-delà de ce qui a pu se dire à travers ce canal, l’identité de ces agents permet de comprendre la nature et la qualité des relations avant 1547.
Ces serviteurs peuvent être choisis en fonction des circonstances, lorsqu’ils effectuent un voyage en Italie, en Toscane bien sûr, mais aussi à Rome, ce qui leur permet de passer par Florence. C’est le cas par exemple d’un certain “Antoine Melun”, dont le voyage “par-delà” vient aux oreilles de Catherine de Médicis en octobre 1541, et à qui elle confie la tâche de rencontrer Côme de Médicis pour lui “faire entendre de ses nouvelles et disposition”41. Cette pratique est courante à la Renaissance, dans la mesure où les envois postaux sont chers, lents ou peu sûrs42. Un agent peut aussi être expressément dépêché. C’est ainsi le cas lorsque Catherine de Médicis envoie à Florence un serviteur “pour de ma part vous visiter à savoir de voz bonnes nouvelles, et aussi pour vous faire entendre des myennes, qui sont très bonnes, estans monseigneur et moy en bonne santé”43. En l’espèce, elle pourrait se contenter de donner de ses nouvelles par écrit. Mais l’envoi d’un agent personnalise les rapports et leur donne de l’importance. Ces missions passent souvent inaperçues a posteriori, parce qu’elles ne donnent lieu à aucun envoi de lettres, comme ce serait le cas d’une mission d’ambassadeur.
Au sein de la correspondance entre les deux cousins sont mentionnés 7 de ces envois, pour 4 porteurs44. Tous ces envois ont lieu entre 1540 et 1544. Ces agents sont des hommes, membres de la maison de la dauphine, florentins de naissance, ayant suivi Catherine de Médicis en France. C’est ainsi le cas de Giovan Battista Seghizzo, maître d’hôtel, auparavant gouverneur de Maria Salviati, et qui s’était occupé, en ses années italiennes, du jeune Côme45. En 1544, Seghizzo est envoyé à Florence pour annoncer la naissance du premier enfant de Catherine de Médicis46. C’est aussi le cas du plus cité de ces serviteurs, Pandolfo Della Stufa. Né en 1500 dans une famille influente de la société florentine, passée au service des Médicis au temps de Laurent le Magnifique et restée fidèle lors des épisodes républicains de 1494-1512, puis de 1527-153047, Pandolfo assiste au mariage de Catherine avec Henri de Valois en 1533 puis reste en France. Il sert dans les infanteries italiennes de l’armée française lors de la guerre de Provence48. Après être repassé par Florence, où il est vu à la cour des Médicis, proche de la famille régnante, il retourne en France49. En 1540, il est fait chevalier par François Ier et obtient des lettres de naturalité: s’il est un citoyen florentin, il est aussi, dès lors, un sujet du roi de France50. Dans les années qui suivent, il effectue au moins trois missions à Florence pour Catherine de Médicis, deux dans le but de négocier le mariage de client(e)s, une autre pour donner des nouvelles de la dauphine et proposer au duc, en son nom, ses services si besoin était51.
Ces individus font partie de la domesticité de premier rang de la dauphine. En revanche, ils ne font pas partie du personnel administratif de la cour, qui se développe à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne52. Ils n’ont pas accès au conseil du roi, ni ne participent à la bureaucratie de l’État. L’un des enjeux actuels des études sur les milieux de cour est de révéler les acteurs et les actrices aux “marges” des sociétés politiques, derrière les princes, princesses et leurs conseillers53. Les agents de Catherine sont issus de ce second rang de la cour, derrière les “grands”, mais devant le reste de la domesticité. Ils évoluent à un autre niveau de la vie politique, invisible s’il n’est pas abordé par le biais d’autres sources (en l’espèce, pour Pandolfo, les archives familiales). Leur monde s’ancre dans ces marges de la décision politique. Mais leur usage par Catherine de Médicis les réintègre dans le champ des relations internationales, au-delà des suites diplomatiques, dont ils peuvent être membres54. Ils tiennent un rôle de premier plan dans des relations de seconde ligne, hors des rapports entre souverains. À quelques occasions, ils deviennent même les correspondants directs de Côme de Médicis. C’est par exemple Jacopo Torsoli, l’aumônier de la dauphine, qui prend la plume pour annoncer la première grossesse de la dauphine, en 154355. Sa lettre comble un silence de la dauphine à ce sujet. Elle dit l’imminence d’un événement clé, qui rétablit la position de la princesse à la cour de France en anéantissant les accusations de stérilité à son égard56. Surtout, l’aumônier s’y positionne à la fois en tant que serviteur de la dauphine et comme ancien serviteur de Côme de Médicis. Cet auto-positionnement touche d’abord à son parcours, serviteur de l’un, puis de l’autre des deux membres de la même famille57. Il ressort ensuite de la dimension englobante du service d’une “maison” dans son ensemble. Il n’est pas exceptionnel que les serviteurs des différents membres d’une même maison soient en contact avec d’autres serviteurs ou les autres membres de la maison58. Giovan Battista Seghizzo, le maître d’hôtel, prévient d’ailleurs le duc de Florence de la naissance du fils de Catherine, futur François II, avant d’être lui-même envoyé à Florence pour annoncer plus officiellement la nouvelle59. D’un point de vue politique, Jacopo Torsoli complète les relations entre le prince et la princesse avec une strate supplémentaire. Comme l’autre, cette strate donne des indices sur la proximité de certaines personnes à la dauphine, leur place dans l’appareil domestique (et donc politique) et leur capacité à s’y montrer “utiles”.
Des “personnes privées” au service d’une diplomatie delphinale
Une fois cet appareil domestique repéré, il devient un atout pour la projection diplomatique de Côme de Médicis à la cour de France. En 1544, après la signature de la paix de Crépy entre François Ier et Charles Quint, ce dernier donne l’autorisation à Côme de déployer un ambassadeur à la cour de France. À partir de cette date, des agents diplomatiques florentins s’y succèdent avec plus ou moins de succès et selon une continuité parfois relative. Envoyés depuis Florence, ces agents trouvent en la dauphine une interlocutrice privilégiée. Ils s’appuient également sur les domestiques de Catherine, ceux-là même qui avaient été les agents de sa diplomatie héritière. Par la suite, ces domestiques sont nommés agents de Côme de Médicis en France, pour y résider. Or, la question du statut qu’ils endossent lors de ces missions est essentielle pour comprendre les fondements juridiques sur lesquels s’appuie celle diplomatie des héritiers.
Une fois en France, les ambassadeurs florentins emploient les membres de la maison de Catherine de Médicis, révélés par la correspondance avec Côme dans les années 1540-1544. Seghizzo appuie leur action à la cour en facilitant leurs entrées et leur accès à l’information - ce qui relève de ses fonctions de maître d’hôtel -. Dès son arrivée, le premier ambassadeur, Bernardo de’ Medici, souligne l’utilité d’un tel atout pour son propre travail. En 1548, Jacopo Torsoli, l’aumônier, transmet et lit les lettres d’un ambassadeur à Catherine de Médicis, devenue reine60. Il reçoit la correspondance italienne, qu’il redistribue à l’ambassadeur61. Il gère enfin le rassemblement des paquets de lettres avant envoi par la poste62. Cette aide est d’autant plus cruciale pour ces agents qu’ils sont très marginaux à la cour: ils ne voient presque jamais le roi et peinent à obtenir des audiences avec ses conseillers. Catherine de Médicis, dans ce contexte, constitue leur seule porte d’entrée dans le monde de la cour.
À partir de 1545, des domestiques de Catherine de Médicis finissent par être utilisés par Côme de Médicis comme ses agents en France, tout en n’endossant jamais d’autre statut que celui de leur charge à la cour de France. Autrement dit, c’est en tant que courtisans français qu’ils deviennent les agents diplomatiques du duc de Florence. Cette subtilité les relègue aux marges du droit public, puisqu’ils agissent en tant que personnes privées. De même, elle les cantonne à la part des relations internationales qui n’implique aucune négociation, puisqu’ils ne sont pas accrédités à ce titre. Ils représentent, assurent une présence. Ces envois sont théorisés, voire même annoncés, comme l’est celui d’un “homme”, destiné à “commander en cas de besoin”, en 154563. Or, en 1545, c’est Pandolfo Della Stufa, l’échanson de la dauphine, qui est choisi pour la mission. Coincé à Florence depuis 1543 sur décision de Côme, alors qu’il souhaitait rentrer en France, il y fait ainsi son retour avec une double casquette, celle d’échanson et d’agent résident du duc de Florence. Il arrive en France en novembre, avec des lettres de créance de Côme pour le dauphin et la dauphine64. Quel est son statut pour autant? La réponse est donnée par Vincenzo Fedeli, un ambassadeur de la république de Venise, qui, de retour d’une mission à Florence en 1561, explique dans sa relation devant le Sénat que
Tous les princes se servent de plusieurs sortes et qualités d’hommes pour la négociation des affaires publiques: les rois [se servent] de seigneurs titrés ou de gentilshommes privés de leur cour ou de leur chambre; les autres princes, ou de prélats, ou de notables de la ville, ou de secrétaires; et ceux-ci, lorsque ce sont des personnes privées, on ne leur donne jamais le titre d’ambassadeurs, mais celui de leur prélature ou d'une autre dignité qu’ils tiennent de la cour (et il en existe de nos jours d’innombrables exemples). Et pour autant les uns ou les autres n’ont jamais agi différemment pour soutenir la personne de leur prince, et la question n’a jamais causé de difficultés65.
Ce texte révèle la nature et les usages des agents sur le plan statutaire. Le substantif privati révèle leur ancrage juridique: ils dépendent du droit civil et sont envoyés avec leur statut “courtisan”, sans charge diplomatique. Il s’agit d’un contournement des règles juridiques en matière d’envois diplomatiques, qui permet un jeu sur les statuts des acteurs (parfois agents diplomatiques, d’autres fois courtisans). En somme, ces agents destinés au couple héritier se situent aux marges de la négociation, mais aussi du droit international.
Ce texte de Fedeli éclaire de récents débats sur la diversité des agents diplomatiques, en le resserrant sur la question juridique, dans la suite des travaux de Dante Fedele66. Il conforte l’idée que l’exercice de fonctions diplomatiques n’est pas forcément lié à la détention d’un statut de droit public67. La dissociation entre personnes privées (privati dans le texte italien) et le “titre d’ambassadeur” confirme que cette dissociation existe au XVIe siècle. Le cas de Pandolfo Della Stufa, qui dispose de lettres de créance et ne semble pas agir dans le secret, complète cette réalité en réfutant l’idée que ces formes de relations internationales aient pu relever d’une dimension cachée ou secrète. En l’espèce, la diplomatie des héritiers utilise ces chemins détournés de la diplomatie pour exister, sans avoir pour autant à se cacher d’exister: il s’agit d’autres voies de la diplomatie officielle plutôt que d’une diplomatie officieuse68. Il demeure alors une question: quelle est la position de cette diplomatie delphinale par rapport à la ligne dictée par le roi?
Une ligne concurrentielle?
La génération des enfants de François Ier constitue un bon poste d’observation pour étudier la place politique des héritiers en France, parce qu’elle est la première à parvenir à l’âge adulte du vivant de leur père depuis le milieu du XVe siècle. Sous Louis XI, Charles VIII, puis Louis XII, les héritiers du trône sont soit en bas-âge, soit des cousins du roi. Après eux, la mort accidentelle d’Henri II en 1559, puis les problèmes de fécondité de ses fils, empêchent de réitérer l’expérience. Ainsi, les Enfants de France sous François Ier sont les seuls, en près de deux siècles, à être simultanément adultes et héritiers.
Florence et les discordes entre François I er et ses héritiers
Durant la décennie 1530, qui correspond à l’adolescence des Enfants de France, la multiplication des rencontres princières permet d’initier les enfants de François Ier à l’activité diplomatique69. Pendant les rencontres de Marseille en 1533 (mariage d’Henri et Catherine), puis de Nice et d’Aigues-Mortes (1538) et, enfin, durant la traversée du royaume par Charles Quint (1539-1540), ils sont présents, mais sans voix aux négociations. À Nice, en 1538, les fils de François Ier sont ainsi logés hors de Villeneuve-sur-Mer70. Mais ils ne sont pas non plus ignorés des délégations. Ainsi, le cardinal Ippolito d’Este, frère du duc de Ferrare, s’entretient plusieurs fois avec eux à propos d’un don d’armes d’apparat et tente de placer ses clients à leur service71.
Catherine de Médicis est présente lors de ces rencontres72. Au quotidien, elle reçoit les envoyés étrangers. En 1537, le nonce, qui vient d’arriver et enchaîne les remises de lettres de créance, la voit après la reine et avant le roi73. Encore en novembre 1540, un Mantouan s’entretient avec Henri et Catherine, l’un après l’autre74. Cette place n’a rien d’exceptionnel: comme membre de la famille royale, la dauphine reçoit des lettres de créance des diplomates à leur arrivée. Par ailleurs, elle devient l’interlocutrice privilégiée des agents florentins à la cour de France, où, comme on l’a vu, ces agents ne bénéficient pas d’autre point d’entrée. Dans la première moitié des années 1540, son rôle à ce titre s’accélère, du fait de son volontarisme en la matière.
Cette accélération répond aussi à une dégradation des liens entre François Ier et son dauphin. Henri, emprisonné en Espagne pour être l’otage de la liberté de son père, n’aurait jamais pardonné à ce dernier ses années de captivité. Cadet, il n’était de plus pas destiné à régner75. S’ajoutent des considérations politiques76. En 1541, la disgrâce du connétable Anne de Montmorency plonge le dauphin dans une semi-opposition: il perd son mentor et ne cache pas, notamment auprès d’ambassadeurs, qu’il le ferait revenir dès que possible. En 1542, après une dispute à propos de la duchesse d’Étampes, maîtresse du roi, le dauphin va même jusqu’à imaginer avec l’ambassadeur impérial les conditions qui lui permettraient de prendre le pouvoir des mains de son père77. Or, leur opposition porte principalement sur la politique extérieure: alors que François Ier opte pour la paix, son fils veut la guerre, autant contre l’Angleterre que contre Charles Quint. Après la paix de Crépy (sept. 1544), il proteste devant notaire contre le traité. La santé déclinante de François Ier lui permet aussi de prendre plus d’espace. À l’été 1545, la reprise de la guerre contre l’Angleterre oblige les conseillers de son père, signataires de la paix de Crépy, à se concentrer sur la campagne militaire. Henri manigance alors un coup de force à la cour78.
Dans ce climat, l’origine florentine de Catherine de Médicis et les relations cordiales qu’elle entretient avec son cousin sont un point d’appui idéal. La dauphine est aussi plus proche de son mari depuis que Diane de Poitiers, maîtresse d’Henri II, a été chassée de la cour sur conseil de la duchesse d’Étampes, maîtresse royale79. En juillet 1545, Henri contredit son père quant au désaveu des Florentins dans le cadre d’une querelle de préséance avec Ferrare, désaveu qui avait été à l’origine du départ de l’ambassadeur80. C’est dans ce contexte que Côme envoie Pandolfo della Stufa comme privato pour résider auprès de Catherine et Henri en lieu et place de l’ambassadeur attaché auprès de François Ier. Le couple héritier tisse alors une ligne concurrente à celle du roi, en utilisant les liens de Catherine avec son cousin. Leur diplomatie deviendrait conjugale, concurrente de celle du roi dans la mesure où elle rompt avec des décisions de ce dernier, complémentaire aussi, puisque les liens directs entre François Ier et les agents de Côme de Médicis sont alors irréguliers, voire inexistants.
Pandolfo n’est toutefois pas envoyé comme florentin mais comme courtisan français, puisqu’il retrouve son office d’échanson. Autrement dit, non seulement il ne bénéficie pas d’un statut diplomatique - et donc de l’immunité qui lui est liée -, mais il ne dépend pas non plus du droit des gens, c’est-à-dire du droit applicable aux étrangers. Ce manque de protection ne manque pas de lui nuire: en janvier 1546, il est arrêté et embastillé pour avoir transmis des informations militaires à des agents anglais et impériaux81. Or, des éléments montrent qu’il est un dommage collatéral du conflit entre le roi et le dauphin. L’arrestation a lieu alors qu’Henri tente de déstabiliser les favoris de son père et que d’autres de ses partisans sont déjà en prison pour des faits similaires82. Le manque de protection dont il souffrait en tant que privato limite les dommages liés à son arrestation, puisque ce n’est pas en tant qu’agent diplomatique qu’il est arrêté mais en tant que domestique de la dauphine. Côme lui-même qualifie cette arrestation de “chose utile”, qui évite qu’un autre de ses agents ne subisse un sort similaire83. Si Catherine de Médicis l’enjoint à renouveler l’expérience, il n’en fait rien avant l’avènement d’Henri II en avril 1547. Pandolfo, lui, reste embastillé jusqu’à sa rémission en mars 1549. Voilà l’une des leçons de cette diplomatie des héritiers: pour des raisons de manque de souveraineté, mais aussi en raison d’assises juridiques plus fragiles, ses agents sont plus sujets aux aléas de la vie politique et des conflits entre les “grands” de la cour.
Le dauphin contrôle-t-il les relations conduites par la dauphine?
Il reste à déterminer le rôle du dauphin Henri dans ces relations entre Catherine et Côme de Médicis. Dans l’historiographie récente sur Henri de Valois, la ligne concurrentielle menée par le dauphin dans les années 1540 a bien été étudiée, notamment dans les mots que le dauphin utilise pour dire son opposition à son père, sans aller jamais jusqu’à entamer des négociations qui mettraient à mal la ligne du roi (ce n’est pas une “diplomatie rebelle”84). Catherine de Médicis est elle-même à l’origine d’une ligne diplomatique parallèle; sa ligne médicéenne pourrait intéresser le dauphin, dans la mesure où Florence est un adversaire collatéral du roi de France. Les expériences liées à cette ligne, dont la mission de Pandolfo Della Stufa est un épiphénomène, vont dans ce sens, puisqu’il est bien attaché au couple delphinal, et pas uniquement à la dauphine. Alors quel est le degré d’implication du dauphin dans les relations de la dauphine avec son cousin? Le couple héritier tient-il une ligne en tant que couple, ou bien chacun dispose-t-il de son autonomie diplomatique? Et, puisque les relations directes entre François Ier et Côme de Médicis sont quasi inexistantes, leur diplomatie est-elle concurrente de celle du roi, ou bien plutôt complémentaire?
Faute de sources, il n’est pas possible d’émettre autre chose que des hypothèses. En effet, il ne reste quasiment rien de la correspondance passive de Catherine et Henri avant 1547; certaines lettres de Côme subsistent sous forme de minutes, ce qui permet d’en étudier le texte, mais pas d’en produire une analyse paléographique. Une lettre toutefois, conservée sous forme de minute, bien que trop tardive pour constituer une preuve efficace pour la période delphinale, permet d’envisager une piste. En août 1553, Catherine de Médicis, alors régente pendant la campagne militaire de son époux à Metz, demande au connétable de Montmorency de lui confirmer ce qu’elle doit répondre à une lettre de Côme, qui la félicite de la naissance d’un nouvel enfant, sans pouvoir accompagner ces réjouissances d’un agent en raison de la situation militaire tendue entre les deux pays85. Français et Florentins multiplient alors les escarmouches pour la possession de Sienne86. Ainsi, la reine demande au roi son avis sur la manière de soigner les relations avec Côme, parce que la chose est politique et que la ligne entre elle et le duc de Florence implique, de fait, la royauté française. Pourquoi ne serait-ce pas le cas pour la période delphinale?
Une des rares pistes pour le démontrer tient à l’étude des secrétaires impliqués dans l’écriture des lettres du dauphin et de la dauphine au duc et à la duchesse de Florence. Il faut trouver des moments comparables, au cours desquels le secrétaire aurait pu être le même, ce qui peut être déterminé en comparant les écritures. Dans le corpus, seul le mois de septembre 1546 le permet, alors que le dauphin et la dauphine envoient chacun, depuis Argilly, une lettre au duc et une autre à la duchesse de Florence87. Mais la graphie des deux paires de lettres, y compris sur des marqueurs forts, est trop différente: le secrétaire n’est pas le même. Dans ces conditions, difficile de dire si le dauphin et la dauphine pensent leurs rapports au duc de Florence ensemble...
Conclusion. La marginalité utile du couple héritier
En conclusion, que nous apprend la diplomatie menée par Catherine de Médicis à l’encontre du duc de Florence? Qu’il s’agit pour l’un et l’autre des cousins d’assurer les conditions de leur existence sur un terrain étranger, dans lequel leur place est difficile ou remise en question. Pour Catherine de Médicis, assurer la place de ses clients à Florence est une manière d’y maintenir une influence, malgré son mariage en France et la prise de pouvoir d’une autre branche de la famille. Pour Côme de Médicis, les liens avec sa cousine sont une manière de réunir les conditions d’une projection diplomatique à la cour de France, puis de maintenir cette projection. Mais, dans ce cas-ci, cette diplomatie des héritiers se construit aussi comme une diplomatie concurrente de la ligne voulue par le roi. Intégrer le dauphin dans l’équation permet de saisir les enjeux français de cette diplomatie delphinale, à l’échelle de la cour de France. Or, ces enjeux expliquent que les agents de cette diplomatie concurrente soient nommés sans dépendre du droit international, avec ce statut de privati, qui a ses avantages - ces agents ne doivent pas appliquer le cérémonial, ce qui pose problème aux ambassadeurs en titre - mais aussi ses inconvénients - la diplomatie delphinale est beaucoup plus fragile que la diplomatie royale, parce que son existence relève du droit privé. Ainsi, le dauphin et les conflits qui l’opposent au roi achèvent le tableau de cette diplomatie concurrentielle, mais aussi, du point de vue florentin cette fois, complémentaire et palliative, ou, plus exactement, complémentaire parce que palliative.
Références bibliographiques
Sources manuscrites
Florence, Archivio di Stato di Firenze [ASFi]
Mediceo del Principato (MdP)
- 1-52: minutes de la chancellerie médicéenne (1537-1560).
- 323: registres des lettres autographes de Côme Ier de Médicis (1542-1552).
- 330 à 490a: correspondance universelle de Côme Ier de Médicis (1537-1561).
- 618: mémoires pour Côme Ier de Médicis, avec les billets autographes du duc (1540-1550)
- 4590, 4591, 4592: correspondance des ambassadeurs florentins en France (1544-1548).
- 4726: lettres des princes(ses) de France aux ducs de Florence (1537-1589).
- Mediceo Avanti il Principato (MAP)
- 140: lettres de Maria Salviati (1523-1539).
- Miscellanea Medicea (Misc. med.)
- 308, ins. 78: Lettere a Lorenzo di Galeotto de’ Medici (1530-1561).
- Guicciardini Corsi Salviati (GCS)
- Perg. 111: diplôme de chevalerie accordé par François Ier à Pandolfo Della Stufa (1540).
- 91: documents pour la gestion du patrimoine de Pandolfo Della Stufa.
Florence, Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze [BNCF].
- Poligrafo Gargani
- 2035: famille Torsoli.
Mantoue, Archivio di Stato di Mantova [ASMa].
- Archivio Gonzaga
- 639: correspondance des diplomates mantouans en France.
Paris, Archives nationales de France [AN].
- JJ//259: registres de la chancellerie du roi de France (1549).
Paris, Bibliothèque nationale de France [BnF].
- Manuscrits français (ms fr)
- 3147: recueil de lettres et pièces originales (XVIe siècle).
Sources éditées
Carteggio d’arte degli ambasciatori estensi in Francia (1536-1552). Éd. Carmelo Occhipinti. Pise: Scuola Normale Superiore di Pisa, 2001.
Correspondance des nonces de France Dandino, della Torre et Trivultio 1546-1551, avec des documents relatifs à la rupture des relations diplomatiques, 1551-1552. Éd. Jean Lestocquoy. Paris: de Boccard / Rome: Presses de l’Université grégorienne, 1966.
Correspondance des nonces en France, Carpi et Ferrerio, 1535-1540, et légations de Carpi et de Farnèse. Éd. Jean Lestocquoy. Paris: de Boccard / Rome: Presses de l’Université grégorienne, 1961.
Lettres de Catherine de Médicis. Éd. Hector de la Ferrière, Gustave Baguenault de Puchesse, André Lesort, 11 vols. Paris: Imprimerie nationale, 1880-1943.
Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato. Éd. Eugenio Albèri. 15 vols. Florence: Società editrice fiorentina, 1839-1863.