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Cadernos do Arquivo Municipal

versão On-line ISSN 2183-3176

Cadernos do Arquivo Municipal vol.ser2 no.22 Lisboa dez. 2024  Epub 30-Set-2024

https://doi.org/10.48751/cam-2024-22355 

Dossier

Arnaques, crimes et politique législative. Deux figures criminelles saisies par le droit pénal français au xixe siècle : L’escroc à l’assurance et le banqueroutier frauduleux

Lock, stock and two smoking crimes. Two criminal figures captured by French criminal law in the 19th century: The insurance swindler and the fraudulent bankrupt

Fraudes, criminalidade e política legislativa. Duas figuras criminosas capturadas pelo direito penal francês no século XIX: O vigarista de seguros e a bancarrota fraudulenta

i Université de Limoges, Centre de recherches sur l’entreprise, les organisations et le patrimoine, 87031 Limoges, France. eva_becquet@yahoo.fr

ii Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l’Hospital, 63001 Clermont-Ferrand, France. louis.terracol@wanadoo.fr


Résumé

Au xixe siècle, pour protéger la propriété privée, le législateur doit parfois se méfier du propriétaire, lorsqu’il est malhonnête. Face à la recrudescence de certains crimes financiers, escroqueries et autres fraudes, la politique législative oscille entre une répression rigoureuse, se voulant dissuasive mais jugée excessive, et une détermination des peines plus souples, afin de faire en sorte que le droit pénal soit plus efficace. Le législateur s’emploie surtout à cerner les contours des figures criminelles qui se développent à la faveur des mutations économiques et sociales du siècle. Parmi elles, deux attirent son attention : l’escroc à l’assurance, propriétaire qui incendie son propre bien pour arnaquer son assureur, et le banqueroutier frauduleux, qui fait un profit indu d’une mauvaise gestion. En s’efforçant de les saisir, il essaie, avec plus ou moins de succès, de répondre au besoin de la société d’identifier et de punir avec justesse les arnaques criminelles.

Mots-clés: Droit pénal; Crimes financiers; Incendie; Banqueroute; Politique législative

Abstract

In the 19th century, to protect private property, the legislator sometimes had to be wary of dishonest owners. Faced with the resurgence of certain financial crimes, swindles and other frauds, legislative policy oscillated between rigorous repression, intended as a deterrent but deemed excessive, and more flexible sentencing, to make criminal law more effective. The legislator’s main concern was to define the contours of the criminal figures that were developing as a result of the century’s economic and social changes. Among these, two stand out: the insurance swindler, an owner who sets fire to his own property in order to defraud his insurer, and the fraudulent banker, who makes undue profit from mismanagement. In trying to catch them, French law tries, with varying degrees of success, to meet society’s need to identify and punish criminal scams fairly.

Keywords: Criminal law; Financial crimes; Fire; Fraudulent bankruptcy; Legislative policy

Resumo

No século XIX, para proteger a propriedade privada, o legislador teve por vezes de se precaver contra os proprietários desonestos. Perante o recrudescimento de certos crimes financeiros, burlas e outras fraudes, a política legislativa oscilou entre uma repressão rigorosa, destinada a dissuadir, mas considerada excessiva, e uma flexibilização das penas, para tornar o direito penal mais eficaz. Acima de tudo, o legislador procurou definir os contornos das figuras criminosas que se desenvolviam com as mudanças económicas e sociais do século. Entre elas, duas chamaram a sua atenção: o estelionatário de seguros, um proprietário que incen-deia a sua propriedade para roubar a sua seguradora, e o banqueiro fraudulento, que obtém um lucro indevido através de uma má gestão. Ao tentar combatê-los, o legislador tentou, com diferentes graus de sucesso, responder à necessidade da sociedade em identificar e punir de forma justa as fraudes criminosas.

Palavras-chave: Direito penal; Crimes financeiros; Incêndio; Bancarrota; Política legislativa

Introduction

Lorsqu’il est question de réprimer les crimes touchant les particuliers, le droit pénal français opère une summa divisio. Il distingue les crimes contre les personnes des crimes contre les propriétés. Les seconds forment un ensemble plutôt hétérogène. Les crimes - et les délits - contre les propriétés sont mentionnés dans le chapitre 2 du Titre II de la Partie III du Code pénal, mais certaines infractions qui en relèvent sont mentionnées dans d’autres parties du code, voire d’autres textes législatifs. Aussi, au xixe siècle, il n’est pas toujours évident de classer les crimes qui relèvent des atteintes aux propriétés. La doctrine s’est essayée de nombreuses fois à une systématisation, mais la catégorie même semble incorporer des éléments disparates1.

Cette variété des qualifications pénales concernant les atteintes à la propriété répond à une volonté du législateur de saisir des figures criminelles contrastées ainsi qu’à la prétention gouvernementale de répondre à un besoin social. C’est ce qui transparaît de la typification opérée par le code pénal en 1810, distinguant trois grandes catégories dans le chapitre relatif aux crimes contre les propriétés : le vol, la fraude et la destruction de propriété. En premier lieu, la question du voleur attire les regards tant du législateur que des commentateurs. Cette infraction fait l’objet d’une attention soutenue en raison de sa fréquence et de ses nombreuses aspérités2. L’objectif poursuivi par le législateur est, avec plus ou moins de succès, d’appréhender les transformations du crime pour que la politique pénale s’adapte au mieux aux attentes sociales. Au xixe siècle, le droit pénal évolue constamment pour cerner la figure du voleur - en dépit là encore de son caractère multiforme. L’arsenal législatif déployé peine parfois à se saisir des questions qui agitent la société, comme en témoigne la loi du 20 avril 1825 sur le sacrilège, qui punit le voleur de biens d’église de travaux forcés, voire de mort si des circonstances aggravantes s’y mêlent (ce qui alourdit considérablement la peine du vol). Si elle n’est abrogée que cinq ans plus tard, elle ne fut pour autant pratiquement pas mise en application tant la mesure paraissait disproportionnée au crime (Houte, 2020, p. 173-ss).

La figure du voleur n’est pourtant pas la seule qui occupe l’esprit des gouvernants, des parlementaires et de la doctrine, ni celle qui suscite la réprobation des citoyens. Au sein des autres crimes contre les propriétés, des infractions vont accaparer une attention certaine. Parmi celles-ci, on trouve dans le code pénal de 1810 des cas de figure qui permettent de dresser le portrait type de deux catégories de criminels qui abusent de leur propriété au point d’engendrer des troubles manifestes et graves à l’ordre public : l’individu qui détruit sa propre propriété par le feu dans le but d’en toucher indûment les fruits de l’assurance et le commerçant ou l’entrepreneur qui a échafaudé une arnaque et agi de manière frauduleuse pour échapper à ses créanciers. L’escroquerie, dans le cas d’un incendie volontaire de sa propriété, et la banqueroute frauduleuse, sont bien envisagées par le droit pénal comme des crimes et non des délits. Une certaine gravité entoure la politique législative lorsqu’elle se penche sur les escrocs et arnaqueurs. L’arsenal pénal prévu pour les réprimer est constitué de peines afflictives et infamantes : peine de mort, travaux forcés à perpétuité, déportation, travaux forcés à temps, détention, réclusion.

Il n’est sans doute pas anodin que de telles figures criminelles attirent l’œil du législateur du xixe siècle car, dans le contexte de mutations de l’industrie et du commerce, elles sont celles d’individus qui veulent se servir de la propriété pour faire une plus-value financière indue, en profitant soit de sa propre propriété, soit de celle de tiers. Elles ont en commun d’appréhender la propriété à l’aune de son aspect financier et l’arnaque qui est fomentée s’insère particulièrement bien dans les mutations de la criminalité financière d’un siècle qui voit le net renforcement de la bourgeoisie sur la scène politique. Face au développement de la propriété privée et du capital et à la montée du libéralisme économique, ce type de criminalité en « col blanc » tend à être d’autant plus mal perçu par la société que le grand propriétaire ou l’entrepreneur ont une présence sociale qui s’accroît au fil du xixe siècle. L’appréciation, par la société, de l’immoralité de crimes financiers3 est proportionnelle à l’importance qu’acquiert la classe bourgeoise sur la scène politique4. La criminalité d’affaire, entendue comme une maximisation des profits économiques de la part de classes sociales aisées, notamment de propriétaires et d’entrepreneurs, en dépit des impératifs moraux, mais aussi en dépit des impératifs juridiques, a sans doute des ramifications lointaines dans l’histoire5. Toujours est-il qu’au xixe siècle elle prend un tour particulier et la notion de criminalité économique commence à se dessiner avec plus de précision - par le biais de l’école socialiste allemande d’abord, avec des auteurs comme Karl Marx, ou le hollandais Willem Bonger au tournant du xxe siècle -, bien que ce soit véritablement le terme « white collar criminality », ou « criminalité en col blanc », d’Edwin Sutherland, qui marque vraiment les esprits dès 19376. Ces auteurs, notamment Sutherland lorsqu’il publie son étude en 1949, insistent sur le fait que la criminalité en col blanc relève bien du crime, à la fois juridiquement, car les faits sont le plus souvent punissables par le droit pénal (l’escroquerie, la banqueroute frauduleuse par exemple), mais aussi socialement, car ils causent un dommage social et des préjudices à l’ensemble du groupe (Queloz, 2002, p. 60)7.

Au xixe siècle, le législateur est parfois embarrassé quant à la façon de punir de tels crimes. Cela est manifeste avec l’arsenal pénal déployé pour réprimer l’escroc à l’assurance et le banqueroutier frauduleux. Cette étude s’intéresse à la façon dont la politique législative en matière pénale appréhende l’arnaqueur, par le biais de deux échelles différentes, l’une de petite ampleur, à un niveau plus individuel, et l’autre de plus grande ampleur, à un niveau plus collectif. Ce terme d’« arnaqueur » ne désigne ainsi pas une catégorie pénale, mais il vise à rassembler sous une même dénomination des infractions qui ont une portée sociale prégnante et dont la logique relève de l’escroquerie. Dès lors, pour mener à bien la recherche et constater comment les réponses pénales paraissent souvent inadaptées, il est mis l’accent sur la politique législative, par l’étude de l’esprit du législateur et des mesures qu’il met en place, à travers les débats parlementaires, les textes législatifs et leur réception dans les écrits doctrinaux. Cela explique qu’il ne soit pas fait mention de l’application concrète, de la jurisprudence et des effets directs sur la société de cet arsenal pénal qui nécessiterait une étude à part entière.

L’objectif poursuivi est de comprendre comment il se dégage, de la politique pénale de lutte contre les atteintes aux propriétés, deux figures criminelles particulières qui correspondent à une criminalité financière qui semble trouver dans le xixe siècle les moyens de s’enrichir et dont le législateur entend se saisir. Le problème qui se pose à lui est d’autant plus délicat qu’il doit trouver l’équilibre entre une répression trop forte, peu efficace car faiblement appliquée et une répression trop faible, mal perçue par la société et risquant d’encourager le crime. Aussi, dans la tentative de conjuguer l’intérêt social à la répression pénale, il n’est pas évident de cerner l’approche de l’escroc à l’assurance dans la législation concernant la punition de l’incendie volontaire (I). De même, face à l’hostilité de la société envers les scandales financiers, la législation pénale s’efforce à une équation pas toujours convaincante : saisir pour mieux punir le banqueroutier frauduleux, sans pour autant nuire à la liberté économique (II).

I. Répression pénale et intérêt social : la difficile approche de de l’escroc à l’assurance dans la punition de l’incendie volontaire de propriété

Réprimer la destruction volontaire de sa propriété par le propriétaire lui-même pourrait sembler abscons. Le propriétaire n’a-t-il pas la garantie de pouvoir jouir librement de sa propriété, quitte à la détruire, puisqu’il en détient juridiquement l’usus, le fructus et l’abusus ? C’est en tout cas ce qui ressort de la conception de la propriété comme « droit inviolable et sacré » qui triomphe à la Révolution française avec l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Pourtant, le législateur a bien entendu préciser en 1810 que, serait-il absolu, l’exercice de la propriété ne pouvait engendrer de dommage à autrui sans préjudice pour la société et l’ordre public8. Aussi, le propriétaire malhonnête, celui qui entend faire un profit indu et immoral de sa propriété en la détruisant, doit être regardé avec suspicion par le droit pénal. Tributaire des considérations théoriques, politiques et sociales, le régime juridique qui va encadrer les atteintes et abus relatifs à la propriété est un précieux témoin des manières dont l’escroc est perçu par le pouvoir et par la société.

Les mesures pénales prévues par les textes sont initialement très sévères envers l’escroc qui incendie sa propriété pour arnaquer l’assurance, ce qui incite à une réforme d’ampleur du code en 1832 (A). Le contenu et la réception de cette réforme dans la doctrine montre que si une volonté d’assouplissement transparaît, elle n’en révèle pas moins un profond désaccord sur l’intention criminelle et la façon de l’appréhender (B).

A - La rigueur du code de 1810 critiquée jusqu’en 1832

Pour comprendre le sens de la réforme pénale de 1832 et saisir la figure du criminel escroc à l’assurance qui se dégage des textes, il faut en revenir au code pénal de 1810. Il prévoit à son article 434 que tout incendie volontaire de propriété serait puni de mort, qu’il en résultât un dommage pour autrui ou non ou que l’intention de nuire eût été présente ou pas. Le code est toutefois muet (ou allusif) sur la question de savoir ce qu’il doit advenir du propriétaire qui incendie lui-même son propre bien. Doit-il encourir les mêmes peines que celles prévues pour l’incendiaire ? La réponse apportée par la Cour de cassation le 21 novembre 1822, pour pallier le silence des textes, est affirmative9. Dès lors, l’application stricte de la loi conduisait les juges à devoir mener à l’échafaud tout auteur d’incendie volontaire. Or, il apparut rapidement que les impératifs sociaux entraient en conflit avec les dispositions juridiques formelles car, pour éviter une peine aussi radicale que la mort, les acquittements étaient souvent privilégiés. Cette tendance tient avant tout au contexte social. Le premier tiers du xixe siècle connaît des moments d’augmentations du nombre d’incendies, souvent causées par les ressentiments politiques (au tournant des années 1815-1816 entre bonapartistes et royalistes après les Cent-Jours, ou dans les années 1830 entre légitimistes, orléanistes et républicains avec les Trois Glorieuses)10. Un second élément n’est pas sans effet : le développement des compagnies d’assurance contre l’incendie à partir de la Restauration, et plus précisément de la création de la « Compagnie d’Assurances Mutuelles contre l’Incendie de Paris » par l’ordonnance du 4 septembre 181611. La crainte que le système de l’assurance contribue à la multiplication des escrocs, détruisant par le feu leur propre habitation pour se voir indemniser, encourage l’essor d’un combat plus pertinent contre les crimes incendiaires12. Il est attendu de la part du législateur des mesures pour mieux cerner ces crimes car, souvent, on estime que les coupables ne méritent pas la mort, pourtant seule solution qui s’offre alors à la justice.

La société est alors divisée entre ceux qui considèrent que la répression doit être menée selon le vœu du législateur et ceux qui estiment qu’elle est trop sévère13. En effet, d’un côté, l’autorité politique regrette que cette interprétation des mesures pénales ne conduise qu’à « assurer l’impunité aux coupables » et à « enhardir ceux qui seroient tentés de les imiter ». C’est le sens d’une complainte du ministre de la Justice Pierre-Denis de Peyronnet adressée au procureur général près la Cour d’appel de Paris le 25 janvier 182314. Le garde des Sceaux se désole que, depuis l’établissement des compagnies d’assurance, une multiplication des incendies de propriété visant à profiter du prix de l’assurance s’observe, sans que la répression pénale ne porte ses fruits15. D’un autre côté, beaucoup de voix font entendre que la lourdeur des mesures ne peut que nuire à leur application16. Le choix proposé à la justice apparaît trop absolu, notamment dans la détermination de l’intention criminelle. Celui qui était accusé d’avoir incendié volontairement sa propriété dans le but d’escroquer son assureur encourait ou bien la peine de mort en cas de culpabilité, ou bien la relaxe pure et simple, lorsque la peine apparaissait disproportionnée, ou si l’intention était indéterminable. Ces critiques trouvent aussi des échos au début de la Monarchie de Juillet dans la jurisprudence, qui refuse une application trop stricte des dispositions envers l’escroc à l’assurance. La Cour de cassation notamment va considérer en 1831 que dans le silence du code, il n’est pas prévu par le législateur qu’un individu ait pu mettre le feu à son propre édifice assuré ou ses propres biens17. Cette détermination incertaine de l’escroc incendiaire dans le paysage pénal rejoint les critiques plus générales du code de 1810 qui conduisent à la réforme de 1832.

La loi du 28 avril 1832 s’inscrit dans le contexte d’une Monarchie de Juillet favorable au développement économique, dans un esprit libéral et entrepreneurial qui voit d’un bon œil l’essor des compagnies d’assurances. L’inspiration est aussi à puiser dans un mouvement social de combat contre un droit pénal trop répressif, particulièrement contre la peine de mort. Le gouvernement de Louis-Philippe tente d’accorder le code pénal avec son temps (Carbasse, 2014, p. 482). Il faut trouver un moyen pour que le droit pénal remplisse efficacement une fonction sociale et surtout économique : prévenir les escroqueries à l’assurance par des mesures ni trop sévères pour qu’elles ne s’appliquent pas, ni trop souples pour qu’elles demeurent dissuasives18. La réforme vise à refondre profondément la matière et notamment le régime des crimes et délits contre les propriétés. Dans ce domaine, elle procède d’une tentative d’abolition de la peine de mort - qui ne sera que partiellement menée - et d’un allégement de la répression. Pour l’incendie, son objectif est de dépasser l’alternative condamnation à mort ou relaxe, en mettant en place une gradation de peines. La mort n’est plus réservée que pour les cas les plus graves, puis les peines criminelles sont dégressives. En outre, le toilettage du code pénal opéré en 1832 prévoit aussi la disparition de peines relevant d’un autre temps : le carcan, la marque, ou l’ablation du poing disparaissent ainsi de l’arsenal répressif (Jeanclos, 2010, p. 89).

Lors de la discussion sur le projet de réforme, deux points de vue s’affrontent sur le terrain de la portée sociale du droit pénal : les uns sont d’avis qu’il faut faire preuve de dureté envers l’escroc, quand bien même c’est à sa propriété qu’il attente et non à celle d’un tiers. Il en va ainsi par exemple du rapporteur du projet de loi devant la Chambre des Pairs, le comte de Bastard d’Estang, ou encore du duc Decazes. Les autres, à l’instar du garde des Sceaux qui soutient le projet de loi, Jean-Charles Persil, ou du comte Caffarelli, estiment qu’une sévérité sans pédagogie est contreproductive19. Ces débats permettent de mieux dessiner la figure de l’escroc à l’assurance20. Ils apportent surtout une clarification sur le rapport entre le type de bien incendié par celui qui est visé par cette mesure et sa punition, en réprimant plus lourdement l’incendie de propriétés servant à l’habitation. La précision est loin d’être anodine dans l’esprit du législateur, car elle répond à un important débat entre parlementaires et membres du gouvernement à propos du contenu de cette notion de lieu servant à l’habitation21. Le projet initial du gouvernement, favorable à un assouplissement net de la sanction, prévoyait l’application d’une peine de réclusion - plus de mort - à l’encontre de celui qui incendiait sa propre chose pour en toucher le prix de l’assurance22. Lors d’une discussion, le rapporteur, Bastard d’Estang, critique justement cette mesure car il considère que le gouvernement entendait établir une distinction supplémentaire, selon que le lieu d’habitation incendié par le propriétaire était habité ou non. Dans le premier cas, en raison du risque pour la personne, peu importe que le dommage résulte d’une volonté de commettre un vol, il y a une mise en danger d’autrui qui emporterait la condamnation à la peine de mort. Mais dans le second cas, puisque le lieu d’habitation était vide, il n’y aurait qu’une tentative d’escroquerie (par fraude à l’assurance) et, dans ce cas, il encourrait simplement la réclusion. Pour le rapporteur, cette peine serait trop minime. Il réclame au moins la condamnation aux travaux forcés à temps car, que le lieu soit ou non habité, il y a par principe un attentat à un type de propriété pouvant être habité, ce qui serait par nature plus grave que pour tout autre type de bien. Au contraire, le garde des Sceaux Persil tient à réaffirmer que cette distinction du lieu habité avec le lieu non habité est essentielle et une peine trop sévère dans le second cas emporterait plus de désagréments que d’avantages car, insiste-t-il, « […] il ne peut résulter que de graves inconvéniens d’une sévérité trop grande dans les lois pénales » (Duvergier, 1842, pp. 243-244, note 2).

La nuance est d’importance : ce sont des considérations de principes pénaux qui se jouent dans ce débat. Le garde des Sceaux souhaite abaisser la peine pour permettre des condamnations plus fréquentes, quitte à ce que le crime paraisse moins grave, tandis que le rapporteur défend le principe même de punir un attentat à la propriété mettant la vie des gens en danger. Selon le rapporteur, le projet de loi tel qu’il est initialement présenté conduirait à considérer ce crime comme une escroquerie avec circonstance aggravante, ce qu’il conteste lorsqu’une habitation est en jeu :

« Celui qui met le feu à sa maison et celui qui met le feu à sa récolte, si l’on ne considère que le but direct qu’ils se sont proposés, sont des voleurs de même espèce, inspirés par les mêmes passions de cupidité et de vengeance : ils ont voulu excroquer le montant d’une assurance exagérée, ou anéantir le gage de leurs créanciers. Mais celui qui, pour satisfaire de si honteuses passions, risque la vie des hommes qui habitent la maison […]. Celui-là n’est-il pas plus corrompu et plus coupable que celui qui n’a voulu et n’a pu que compromettre que des intérêts pécuniaires ? » (Duvergier, 1842, p. 244, note 2).

Pour lui, dans cette hypothèse, la nature du bien doit prévaloir sur l’intention criminelle, et la peine de mort s’impose. On se trouve alors en présence de deux positions pour le critère de la qualification pénale : fondé sur la vie humaine par la mise en danger de la personne par l’incendie d’un lieu d’habitation (qui peut être vide), pour le rapporteur, ou fondé sur l’atteinte à la propriété et la tentative d’escroquerie pour le gouvernement (la mise en danger de la personne serait alors une circonstance aggravante). Nonobstant l’élan d’assouplissement des mesures pénales conduisant la réforme de 1832, la modification apportée au projet de loi va finalement dans le sens de la vision du rapporteur. Il en résulte des modifications sur la façon dont le crime d’incendie de propriétés est appréhendé par le droit pénal et la doctrine.

B - Les nuances apportées en 1832 et leur réception par la doctrine

La portée du débat entre le rapporteur à la Chambre des Pairs et le garde des Sceaux permet de mieux cerner la figure de l’escroc à l’assurance et la double facette qu’il peut recouvrir : l’arnaqueur, mais aussi celui qui fait courir un risque important à autrui. Puisque la gradation de la peine retenue est déterminée par le type de bien incendié, celui qui cause volontairement l’incendie d’un lieu habité ou d’un lieu servant à l’habitation23 encoure la peine de mort et celui qui cause l’incendie d’objets autres, une peine de travaux forcés à temps24. S’il y a bien une attention toute particulière accordée à la propriété privée dans cette réforme, c’est toutefois la notion de « risque », mise en avant par le rapporteur, qui prime. Celui qui met le feu à une maison, quand bien même est-ce la sienne, risque la vie de ses habitants, sa famille, ses voisins : « […] le caractère dominant de ce crime n’est pas l’escroquerie, mais le mépris brutal de la vie des hommes… » (Duvergier, 1842, p. 244, note 2).

Par ailleurs, pour approcher avec davantage d’aspérité la question de la répression de l’escroquerie, une gradation des peines concernant l’incendie volontaire de propriété est mise en place. Concordant avec le mouvement d’assouplissement des peines voulu par le gouvernement, la réforme revient sur la sévérité des peines de 1810 concernant l’incendie de propriétés en prévoyant à l’article 434 du Code pénal un nuancier de cinq divisions (Rivière et al., 1901, p. 12) :

« 1º L’incendie de lieu habités ou servant à l’habitation, appartenant ou non à l’auteur du crime ; 2º L’incendie de lieux non habités, de bois, forets, récoltes appartenant à des tiers ; 3º L’incendie de lieux non habités, de bois, forets, récoltes appartenant à l’auteur ; 4º L’incendie d’objets appartenant ou non à l’auteur placés de manière à communiquer le feu à d’autres objets énumérés ci-dessus ; 5º L’incendie qui a occasionné, même accidentellement, la mort d’une ou plusieurs personnes ».

La gradation est assortie de peines dégressives à mesure que le crime est moins grave : peine de mort (pour les divisions 1º et 5º ci-dessus), puis travaux forcés à perpétuité, travaux forcés à temps et réclusion selon les cas (Rivière et al., 1901, p. 26). Certains pénalistes se félicitent de ces modifications, qui paraissent plus en phase avec la société. Par exemple, en 1852, pour Adolphe Chauveau et Faustin Hélie, le crime d’incendie comporte « des nuances et des degrés » que le législateur n’avait pas semblé percevoir en 1810 en entassant dans la même disposition, punie de mort, des cas très disparates :

« [p]arce que l’incendie est dans certains cas un crime odieux, il a conclu que dans tous les cas il devait être puni comme un crime odieux, parce qu’il constitue un assassinat, il a pensé qu’il devait être puni comme un assassinat, lors même qu’il ne constituait réellement qu’une dévastation, un dégât ou une escroquerie » (Chauveau & Hélie, 1852, p. 88).

À partir de 1832, l’arsenal pénal permet donc de mieux cerner la figure de l’escroc incendiaire. Pour que le crime soit caractérisé, il faut d’abord que l’escroc ait la « propriété entière et définitive » du bien (Rivière et al., 1901, p. 12)25. Il faut ensuite qu’il y ait eu un dommage causé à autrui car, par principe, le propriétaire dispose de tous les droits pour détruire sa propriété. La fraude à l’assurance est ici constitutive du dommage. Enfin, il faut une intention criminelle, c’est-à-dire la volonté de commettre l’escroquerie. Elle se puise dans le préjudice causé à autrui. Pour terminer, les commentateurs relèvent que l’escroquerie à l’assurance par l’incendie peut emporter deux crimes distincts lorsque l’escroc met le feu à sa propre maison : l’arnaque à l’assurance, sanctionnée d’une peine de travaux forcés et l’incendie d’une propriété habitée, puni de mort (Rivière et al., 1901, p. 12).

Ces modifications du régime pénal concernant les crimes contre les propriétés sont diversement reçues par la doctrine. Alphonse Bérenger se félicite des modifications apportées par la réforme de 1832. Lorsqu’il traite de ces infractions dans son ouvrage De la répression pénale (1852), il ne nie pas du tout leur caractère criminel26. Simplement, il n’est pas partisan d’une politique de sanctions trop sévères, mais d’une « répression intelligente » par l’emploi de « moyens appropriés » à la « mauvaise nature » des prévenus. Il faut s’efforcer de redresser les criminels, pas seulement les punir. Sa conclusion est sans appel : « amender, c’est transformer »27. Si les mesures répressives prévues en 1810 s’expliquaient, selon lui, par le contexte politique et social - partant de l’idée selon laquelle il avait fallu rétablir l’ordre après « l’anarchie » de la période révolutionnaire -, après 1830 il en va autrement. La révolution de Juillet ayant été faite par le peuple, légitimée par lui, « il fallut, au point de vue politique d’abord, concéder beaucoup au peuple », notamment en expurgeant du Code pénal de ce qui paraissait au temps présent « excessif » (Bérenger, 1855, t. I, p. 211).

Au-delà de l’explication politique de cette réforme, il faut aussi noter que les concessions se font avant tout au profit des propriétaires, dans la droite ligne idéologique du régime, à la faveur de la moyenne et grande bourgeoisie. Encourager l’industrie et le commerce passe, pour Louis-Philippe, par un meilleur encadrement de l’exercice de sa propriété, mais aussi des abus qu’il peut engendrer. En outre, le Roi des Français est assez peu favorable à la peine de mort qu’il souhaitait faire disparaître du Code pénal28, si bien qu’une réforme des mesures répressives visant les escrocs à l’assurance s’imposait d’autant plus afin de saisir avec plus d’acuité ce crime contre les propriétés. L’assouplissement des sanctions vise autant à punir les abus du mauvais propriétaire qu’à éviter des sanctions trop lourdes qui risqueraient de nuire à l’exercice libre du droit de propriété.

La réforme de 1832 octroie ainsi la possibilité pour le jury de déclarer l’existence de circonstances atténuantes à l’accusé29. Il pouvait alors inciter la cour à abaisser la peine d’un, voire deux, degrés, limitant les cas où la peine de mort serait prononcée, sans que cela ne conduise à l’acquittement du prévenu. Si certains auteurs, Bérenger le premier, se félicitent de cette mesure et de l’assouplissement accordé aux crimes contre les propriétés (Bérenger, 1855, t. I, p. 213), cela n’est pourtant pas du goût de tout le monde. Le baron de Gaujal, avocat général près la Cour d’appel de Paris, lors de l’audience solennelle du 3 novembre 1859, ne manque pas de fustiger cette tendance à l’assouplissement de la répression. Ses prémices sont les mêmes que celles de Bérenger : « Pour être légitime, la répression pénale doit répondre à sa destination ; pour être complète, elle doit être mesurée à l’intérêt social » (Gaujal, 1859, p. 6). Aussi, répression pénale et moralité publique sont indissociablement liées. Mais là où le premier auteur voyait une mesure plus juste - moins sévère mais plus effective - le second n’y voit qu’un délitement des mœurs et un risque pour l’ordre public. Il s’en justifie en assénant que « depuis trente ans, le nombre des méfaits et des récidives s’est constamment accru. Les malfaiteurs ne semblent pas suffisamment intimidés. La société ne paraît pas complétement protégée » (Gaujal, 1859, p. 8)30. Sur ce point, son désaccord semble entier avec Bérenger qui constate une stagnation, voire une décrue, tout du moins pour ce qui concerne les crimes contre les propriétés (Bérenger, 1855, t. II p. 165). Le baron de Gaujal se prononce clairement en faveur d’une politique pénale répressive et dure, critique « l’école politique », « qui dominait en France, lorsqu’éclata la Révolution de Juillet 1830 » et fustige « l’insuffisance de l’application qui en est faite [de la législation pénale] par le juge » (Gaujal, 1859, p. 8 et p.12 et s.).

Les crimes contre les propriétés se retrouvent donc au centre des querelles de pénalistes et l’appréciation de la justesse de leur répression est loin de faire consensus. Le cadre pénal dessiné en 1832 ne satisfait pas tout le monde mais il permet tout de même de dégager quelques catégories de crimes qui étaient bien peu visibles auparavant, telle la figure de l’escroc à l’assurance. Le législateur ne revient d’ailleurs pas dessus, sinon par une loi du 13 mai 1863, dont l’objet est essentiellement de tenir compte des évolutions des progrès techniques pour inclure dans les crimes contre les propriétés les machines à vapeur et les wagons. C’est aussi dans ce dessein, notamment face à la criminalité financière des milieux d’affaires du xixe siècle, qu’à partir de 1838, le législateur va essayer d’identifier plus clairement les contours d’une autre figure criminelle : celle du banqueroutier frauduleux.

II. La société face aux scandales financiers : le banqueroutier frauduleux appréhendé par le droit pénal

Tout au long du xixe siècle, accompagnant le développement du capitalisme, les pouvoirs publics sont confrontés à de nombreuses faillites. Certaines d’entre elles sont orchestrées par le failli lui-même pour échapper à ses créanciers. Le sujet apparaît tellement d’actualité que les écrivains s’en emparent : Honoré de Balzac décrit la faillite du parfumeur César Birotteau dans La comédie humaine (1837), Gustave Flaubert imagine l’escroc Jacques Arnoux et dépeint sa banqueroute dans l’Éducation sentimentale (1869) tandis qu’Émile Zola s’inspire du krach de l’Union générale pour son roman L’Argent (1891). Au-delà des affaires retentissantes que connaît le xixe siècle, la faillite et son versant pénal, la banqueroute, s’invitent dans le quotidien. Légiférer devient nécessaire pour encadrer la matière31. Deux textes législatifs viennent compléter l’arsenal normatif et s’appuient sur une distinction ancienne - déjà consacrée dans une ordonnance de 1673 - entre la banqueroute simple, constituant seulement un délit, et la banqueroute frauduleuse, considérée comme un crime particulièrement grave. Plus précisément, concernant banqueroutier frauduleux, une loi de 1838 contribue à renforcer la répression et l’efficacité de la législation pénale (A), avant qu’un mouvement de réhabilitation soit amorcé par une loi de 1889 (B).

A - Une volonté de durcissement pénal efficace par la loi de 1838

L’adoption de la loi du 28 mai 1838 sur les faillites et les banqueroutes fait suite à des réclamations répétées émanant des commerçants comme des juridictions judiciaires (Tribunaux de commerce, Cour d’appel et Cour de cassation) pour rénover la matière32. Jusqu’alors, le Code de commerce, adopté en 1807, encadre la banqueroute de manière extrêmement sévère, donnant lieu au résultat inverse de celui escompté : là où le législateur napoléonien espérait sanctionner fortement les banqueroutiers frauduleux, la sévérité de la sanction commande au contraire l’indulgence des tribunaux. Au sortir de la période révolutionnaire, à un moment où les bouleversements politiques s’accompagnent d’un transfert des fortunes, le milieu des affaires réclame des mesures strictes pour la sécurité des transactions. Fort de ce constat, le législateur de 1838 reconnaît que le Code de 1807 a placé tout failli « en présomption de délit ou de crime », frappant « d’une même terreur les commerçans malheureux et les hommes de mauvaise foi »33. Tout comme pour l’escroc incendiaire en 1832, la sanction prévue - la peine capitale - apparaît trop grave, en comparaison du crime commis. Plus encore, aucune nuance, aucune gradation des peines n’est prévue par la loi, tant et si bien que la juridiction est placée face à une alternative peu satisfaisante : la mort ou l’acquittement. Il n’est alors pas étonnant que, confronté à une gradation des peines manquant de subtilité, les jurés se soient souvent prononcés pour l’acquittement du débiteur, accusé de banqueroute frauduleuse34.

En 1838, l’objectif du législateur est donc de se doter d’une loi efficace35. C’est dans cet esprit qu’il tente de redéfinir le champ d’application de la banqueroute frauduleuse. Là où la législation précédente énumérait diverses situations hétérogènes, le nouvel article 591 du code de commerce définit de façon générale le banqueroutier frauduleux comme tout commerçant failli qui aura détourné ou dissimulé une partie de son actif ou de son passif36. En d’autres termes, est coupable de banqueroute frauduleuse celui qui cumule le vol et la fraude. Cette redéfinition du crime offre la possibilité d’élargir le champ d’application à des cas qui, jusqu’à présent, échappaient à la qualification de banqueroute frauduleuse. Les parlementaires ont notamment souhaité sanctionner l’individu qui détourne à son profit les biens qui lui étaient confiées à titre de mandat ou de dépôt, ce que permet l’extension de la qualification37.

La requalification de l’infraction de banqueroute frauduleuse se double d’un assouplissement ainsi que d’une gradation des peines prévues. Ainsi, ce crime est puni des travaux forcés à temps, sauf à l’égard de certains professionnels (les agents de change et les courtiers) qui encourent la peine des travaux forcés à perpétuité. Diverses circonstances atténuantes permettent éventuellement de moduler la peine. En instaurant une échelle des peines et différents degrés de culpabilité, le législateur tente de combler les insuffisances de la loi pénale.

Au-delà de cette rénovation de la législation antérieure, la loi du 28 mai 1838 offre également l’opportunité de sévir contre les complices du banqueroutier frauduleux. Est inséré un chapitre III consacré entièrement aux crimes et délits commis par d’autres que le failli. En vertu du nouvel article 593 du Code de commerce, le complice du banqueroutier frauduleux est ainsi puni des mêmes peines38. Cet ajout n’est pas anodin et répond à une politique législative claire. Cette disposition a pour but de réagir à divers scandales financiers dans lesquels un homme de paille prête son nom, moyennant rémunération, pour des entreprises hasardeuses et disparaît une fois la faillite survenue. Or, sous l’empire du Code pénal de 1810, il n’était pas possible de sanctionner le complice, dans la mesure où la loi ne le prévoyait pas. En application du principe de légalité des délits et des peines, il était donc impossible de punir l’auteur d’un crime sui generis. La loi de 1838 entend condamner le véritable coupable, à savoir le commerçant authentique qui a réalisé l’opération, mais aussi son complice, c’est-à-dire le prête-nom39.

La lecture des débats met en évidence le consensus auquel les parlementaires parviennent relativement à la question de la banqueroute frauduleuse. L’adoption des articles l’encadrant ne fait l’objet que de peu de discussions, tant ils récoltent l’assentiment des chambres des représentants. Si la maturation de la loi, depuis sa présentation pour la première fois à la Chambre des députés le 1er décembre 1834 à son adoption définitive le 14 avril 1838, s’étale sur presque quatre ans, cette durée n’est pas due à des dissensions sur le crime de banqueroute frauduleuse, mais plutôt à des désaccords concernant l’encadrement de la faillite. D’ailleurs, seuls deux points font l’objet de remarques au cours des discussions.

Le premier concerne le remboursement des frais de justice engendrés par les poursuites pour le crime de banqueroute frauduleuse. À l’initiative du gouvernement, le projet de loi précise que les frais de poursuite intentés par le ministère public demeurent dans tous les cas à la charge du Trésor public (article 592). L’exposé des motifs présenté par le garde des Sceaux Jean-Charles Persil apparaît révélateur sur les raisons sous-tendant une telle disposition :

« [C]e n’est pas en réalité le failli, c’est la masse de ses créanciers qui supporte les frais : car l’actif de la faillite que ces frais viennent absorber n’est plus que de nom la propriété du failli, il est avant tout le gage affecté au paiement de ses créanciers. L’intérêt qu’ils ont à détourner une condamnation qui doit faire retomber sur eux les frais du procès en banqueroute fausse dans un procès la situation et trop souvent aussi le langage des créanciers et de leurs syndics. D’adversaires naturels du failli, ou du moins de témoins impartiaux de sa conduite, ils deviennent ses apologistes ; et la connaissance qu’ils ont des circonstances et du caractère de la faillite est perdue pour la justice »40.

Par ces mots, le ministre de la Justice souligne la volonté du législateur de protéger les créanciers du criminel qui tente de s’approprier frauduleusement ce qui leur revient de droit. Indirectement, il met en évidence que le failli, soupçonné de banqueroute frauduleuse, n’est plus un propriétaire à part entière, en raison de sa mauvaise gestion. Désormais, ce sont déjà ses créanciers qui sont vus comme propriétaires de ses biens et protégés, à ce titre41.

Le second, relatif aux différentes voies de recours ouvertes aux créanciers du banqueroutier frauduleux, suscite davantage de remous parmi les parlementaires. Dans son exposé des motifs, le garde des Sceaux avait mis en avant la voie pénale comme voie royale pour permettre aux créanciers d’exercer leurs recours42. En réponse à cette affirmation, une discussion s’engage à la Chambre des Pairs, au cours de laquelle le rapporteur de la commission rappelle la fragilité de ce recours. Il estime que ce dernier risque de porter préjudice aux intérêts des créanciers dans la mesure où la décision dépend de l’appréhension des jurés de l’infraction, sans prendre en compte les nécessités économiques de la partie civile. Il rappelle alors le besoin de conserver une action civile, séparément de l’action criminelle, ce que les parlementaires ne remettent pas en question. Cette difficulté soulevée au cours des débats met en lumière l’impossibilité de la législation criminelle de répondre à toutes les attentes du monde des affaires. La qualification criminelle de banqueroutier frauduleux répond davantage à un impératif d’ordre public mais ne satisfait pas entièrement les commerçants, pour qui la voie civile apparaît comme le complément indispensable de la répression pénale.

En dépit des efforts du législateur de 1838, la loi pénale demeure imparfaite, notamment en raison de la perception de la banqueroute par la société. Jean-Baptiste Duvergier (1839, p. 412, note 1) remarque, à cet égard, que :

« [Q]uoique le banqueroutier simple ne soit coupable que d’imprudence ou d’inconduite, et que le banqueroutier frauduleux soit coupable de fraude et de vol, quoique l’un soit puni de peines correctionnelles et l’autre de peines afflictives et infamantes, l’opinion les confond, trompée par la dénomination presque identique qui leur est appliquée ».

Dans le langage courant, le terme de « banqueroute » contient en lui-même l’idée de fraude, si bien que le banqueroutier simple a tendance à se voir rapprocher, dans l’opinion publique, du banqueroutier frauduleux. Il faut pourtant attendre une cinquantaine d’années avant qu’une réforme d’ampleur concernant la banqueroute ne vienne tenter une réhabilitation du premier par rapport au second.

B - Un mouvement de réhabilitation du banqueroutier par la réforme de 1889

La seconde moitié du xixe siècle est marquée par des changements économiques et politiques profonds, qui ont un retentissement sur la perception du banqueroutier par la population. La succession rapide des régimes politiques n’est pas seulement le marqueur de diverses crises politiques, elle se traduit également sur le plan économique. Ainsi, la chute de la Monarchie de Juillet (1830-1848) entraîne une vague de faillites, que la IInde République (1848-1852) tente d’endiguer en assouplissant la rigueur de la législation commerciale et pénale43. De la même façon, la guerre franco-prussienne de 1870 ainsi que la Commune de Paris l’année suivante vont de pair avec une nouvelle crise économique. En parallèle des soubresauts politiques, à compter des années 1860, l’Empire libéral amorce un mouvement législatif qui se veut favorable au commerce et se prolonge sous la IIIe République (1870-1940). Dès lors, tout au long de la seconde moitié du xixe siècle, les gouvernants cherchent à se doter de lois, atténuant progressivement la rigueur des textes en vigueur. En résulte une inflation législative en matière commerciale et pénale à laquelle, indirectement, la banqueroute frauduleuse ne fait pas exception44.

La loi du 4 mars 1889 portant modification de la législation des faillites ne traite pas spécifiquement de la banqueroute frauduleuse mais contribue, malgré tout, à compléter son encadrement législatif (Duvergier, 1889, pp. 48-ss). Ce texte est conçu pour corriger les défauts de la loi de 1838. Le législateur se propose de simplifier la procédure de faillite pour le commerçant de bonne foi, lui offrant un régime plus approprié par la création de la liquidation judiciaire.

Les innovations proposées par la loi de 1889 s’appuient directement sur les bases posées par la loi de 1838, en particulier la distinction entre banqueroute simple et banqueroute frauduleuse. À partir de l’échelle des peines fixées par la loi de 1838, le législateur de la fin du siècle affine le mécanisme, en instaurant un régime moins punitif pour le commerçant malheureux en affaires mais de bonne foi, tout en élargissant l’éventail de sanctions à l’égard du failli de mauvaise foi45. En ce sens, l’article 19 de la loi de 1889 illustre la filiation de ce texte avec la loi de 1838. Il dispose que :

« […] Le tribunal déclare la faillite à toute période de la liquidation judiciaire : 1º si, depuis la cessation de paiements ou dans les dix jours précédents, le débiteur a consenti l’un des actes mentionnés dans les articles 446, 447, 448 et 449 du Code de commerce mais dans le cas seulement où la nullité aura été prononcée par les tribunaux compétents ou reconnue par les parties ; 2º si le débiteur a dissimulé ou exagéré l’actif ou le passif, omis sciemment le nom d’un ou de plusieurs créanciers, ou commis une fraude quelconque, le tout sans préjudice des poursuites du ministère public ; 3º dans les cas d’annulation et de résolution du concordat ; 4º si le débiteur en état de liquidation judiciaire a été condamné pour banqueroute simple ou frauduleuse […] ».

Ainsi, le législateur de la fin du xixe siècle met en place une gradation plus précise des actes de mauvaise foi réalisés par le commerçant en cessation de paiement, et qui donnent lieu de jure à la déclaration de la faillite. Le plus grave d’entre eux est la condamnation pour le crime de banqueroute frauduleuse, immédiatement suivie par le délit de banqueroute simple. Les autres cas - tels que contracter une dette envers un tiers, dissimuler une partie de l’actif ou du passif ou faire échouer le concordat - ne sont pas constitutifs d’une qualification pénale ; ils conduisent néanmoins à sanctionner indirectement le commerçant de mauvaise foi en lui refusant le régime de faveur de la liquidation judiciaire. Dès lors, à partir mais au-delà de la loi pénale, une nouvelle échelle de sanctions est mise en place, plus rigoureuse et étendue que celle qui prévalait jusqu’alors. Le législateur distingue clairement l’escroc à grande échelle, passible d’une condamnation pénale et civile, du professionnel mauvais en affaires, qui répondra de son manque de diligence et de ses actes de mauvaise foi devant les tribunaux civils. À côté, se détache une dernière catégorie, le commerçant de bonne foi, qui échappe aux rigueurs tant de la loi civile que de la loi pénale.

Cette première modification instituée par la loi du 4 mars 1889 ouvre au moins deux observations. D’abord, la propriété prend de nouvelles formes. Contrairement à ce qui avait lieu au début du siècle, le leitmotiv de protection de la propriété s’est déplacé de la préservation des immeubles à la sauvegarde du capital. La loi apparaît ainsi comme le témoin des évolutions de la conception propriétaire au cours du siècle : l’obsession propriétaire ne disparaît pas mais s’étend à un nouvel objet. Ensuite, les qualifications du droit pénal apparaissent comme un pivot pour déterminer la sanction applicable au commerçant malhonnête. Ce dernier peut tomber sous le coup d’une condamnation pénale si ses actes présentent un caractère intentionnel et malveillant, ou seulement civile s’il a simplement agi de mauvaise foi. Au cours du siècle, s’adaptant au développement de l’industrie et de la société, l’image du criminel se transforme et la répression, soutenue par les professionnels, s’étend vers la punition de l’escroc en col blanc. Le droit pénal apparaît ainsi comme un outil, parmi d’autres, au service de la régulation du milieu des affaires.

Le second volet sur lequel la loi du 4 mars 1889 est venue apporter des améliorations concerne la question des incapacités - notamment l’incapacité électorale - qui pèsent sur le failli et donc, par ricochet, sur le banqueroutier suspecté. Sous l’empire de la loi de 1838 la réhabilitation des faillis condamnés étaient extrêmement rigoureuse. La loi de 1889 tend à la faciliter, en particulier pour le failli simple. Ce climat plus indulgent favorable à l’absolution du commerçant bénéficie également au banqueroutier. Ce laxisme, à l’avantage de l’escroc, a fait l’objet de débats devant le Sénat, lors de l’adoption de la loi. Certains sénateurs, à l’instar d’Agénor Bardoux, ont proposé de modifier la rédaction du Code de commerce pour interdire, par principe, la réhabilitation commerciale des banqueroutiers frauduleux et plus largement des « personnes condamnées pour vol, escroquerie et abus de confiance »46. Le Sénat, considérant que l’amendement ne concordait pas avec l’esprit de la nouvelle législation et se rangeant à l’avis du garde des Sceaux, s’est refusé à ajouter cette disposition.

En dépit, des tempéraments instaurés par la loi de 1889, certains commentateurs donnent à penser que la perception par l’opinion du banqueroutier frauduleux demeure sévère. L’un d’eux se demande « s’il n’y aurait pas quelque chose de vraiment exorbitant et intolérable à voir un banqueroutier frauduleux, si réhabilité qu’il soit, siéger dans un tribunal ou dans une chambre de commerce » (Duvergier, 1889, p. 66, note 1). Par ces mots, il laisse sous-entendre l’intransigeance du milieu des affaires à l’égard du banqueroutier frauduleux, qui a perdu la confiance de ses pairs. Le pragmatisme, fondateur de la législation commerciale, semble ici prendre le dessus et le législateur renonce à moraliser le capital, en dépit des doutes émis par la doctrine voire la communauté commerçante.

Conclusion

La politique législative, en matière pénale, permet de préciser les contours de deux types d’arnaques criminelles qui, si elles existaient avant le xixe siècle, paraissent alors particulièrement intéresser les pouvoirs publics et la société. Dans le contexte du développement du commerce et de l’industrie ainsi que de l’essor de la propriété privée, il n’est pas étonnant que la classe politique veuille protéger les entrepreneurs et les propriétaires. Le souci de trouver les mesures pénales qui paraissent juste du point de vue de l’opinion publique se traduit par la recherche d’un équilibre : ni trop de sévérité pour ne pas entraver l’économie ni pas assez pour éviter d’encourager des abus manifestes.

Pour aller plus loin, bien que ces développements n’aient pas pour objet de s’aventurer sur le terrain de l’opinion publique, une étude en ce sens ne manquerait toutefois pas de profit. Si l’on jette un bref regard sur la presse, on peut constater que les réformes menées par l’État ne convainquent pas toujours. À la fin du siècle, les journalistes fustigent un droit qui court après les faits plus qu’il ne les devance. Pour l’incendie volontaire, les regrets sont souvent ceux des assureurs, qui jugent que la loi ne va pas assez loin et que, malgré les chiffres, l’escroquerie à l’assurance tend à stagner, voire à augmenter47. De même, concernant la banqueroute, les journaux se montrent très critiques envers la loi de 1889, suggérant plus volontiers de s’en prendre aux racines du mal de ces arnaques financières, plus qu’à leurs conséquences48.

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1Les Pandectes françaises relèvent ainsi 13 types de crimes contre la propriété à la fin du xixe siècle (Rivière et al., 1896, p. 682) : « 1º Les vols commis avec circonstances aggravantes (art. 381 à 386 C. pén.) ; 2º L’altération des marchandises ou denrées, avec mélange de substances malfaisantes, par les individus préposés à leur transport (art. 387 C.pén. ; décret 24 mars 1852, art. 34) ; 3º Le baraterie et les vols commis à bord des navires de commerce (L. 10 avril 1825 ; décret 24 mars 1852, art. 90 à 93) ; 4º Les vols commis avec bris de scellés ou avec enlèvement de bornes (art. 253 et 389 C.pén.) ; 5º La contrefaçon ou l’altération des clefs par un serrurier (art. 399 C.pén.) ; 6º L’extorsion violente de signatures ou de pièces quelconques contenant ou opération obligation, disposition ou décharge (art. 400 C. pén.) ; 7º La banqueroute frauduleuse et la faillite des agents de change et courtiers (art. 402 à 404 C. pén.) ; 8º Les abus de confiance par les domestiques, ouvriers, etc. au préjudice de celui qui les emploie (art. 408 §2 C. pén.) ; 9º La révélation par les directeurs, commis, ouvriers d’une fabrique, des secrets de cette fabrique, à des étrangers ou à des Français résidant à l’étranger (art. 418 §1er C. pén.) ; 10º Les délits des fournisseurs qui ont fait manquer un service public, et des fonctionnaires qui les y ont aidés (art. 430 à 432 C. pén.) ; 11º L’incendie ou la destruction volontaire d’édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, habités ou non, et de ponts, digues ou chaussées appartenant à autrui (art. 434 à 437 C. pén.) ; 12º La destruction volontaire d’effets de commerce ou de banque, ou d’actes de l’autorité publique (art. 439 C. pén.) ; 13º Le pillage ou le dégât de denrées, marchandises, effets ou propriétés mobilières, commis en réunion ou en bande, et à force ouverte (art. 440 à 442 C. pén.) ».

2Sur le voleur, voir notamment : Houte (2021).

3Cette appréciation péjorative est le fait d’une grande part du peuple, y compris les bourgeois eux-mêmes qui voient l’affairisme et l’enrichissement malhonnête d’un mauvais œil (Coste, 2013, pp. 210-211).

4Sur le rôle politique nouveau de la bourgeoisie après la Révolution française, voir : Maza (2007, pp. 21-37). L’auteure y démontre comment les transformations socio-économiques de la France et le rôle accru d’une bourgeoisie triomphante en nombre et en importance ne sont pas tant le fait des Lumières au xviiie siècle que du développement de l’État français au courant du siècle suivant. À ce titre, la perception des crimes financiers par le droit pénal accompagne ce développement.

5Pour la banqueroute frauduleuse, voir : Broch (2015) ; Soula (2009).

6Sur tout cela, voir : Queloz (2002, p. 59).

7Voir aussi : Sutherland (1949), et la réédition plus complète de 1989.

8Avant même l’établissement du Code pénal en 1810, l’article 544 du Code Civil de 1804 prenait le soin de préciser que : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » (nous soulignons).

9Bulletin des arrêts de la Cour de cassation Nº 11 (Cour de cassation..., 1823, p. 489, Nº 167).

10Les querelles politiques ne sont pas les seules explications à l’augmentation des incendies, et l’on peine parfois à expliquer certains mouvements comme la grande peur de 1830. Voir les études suivantes pour davantage de précision : Farcy (1996) ; Lantier (1992).

11Bulletin des lois Nº 114 (Bulletin des Lois..., 1817, p. 225).

12Un auteur consacrant un ouvrage à l’assurance contre l’incendie se fait même l’écho de cette crainte en 1829, mais pour mieux contester la corrélation entre assurance et incitation à l’incendie. Selon lui, « c’est à la sagesse du législateur » de poser des règles évitant les abus : Boudousquié (1829, pp. 22 et s).

13Pour davantage de détails, voir : Sicard (2000, p. 967) et Perrot (1975, p. 67), dans lesquels les auteurs font état des aspérités dans les débats entre pénalistes qui agitent la société dans la première moitié du xixe siècle. Voir aussi Houte (2014, pp. 163-174) qui montre le balancement entre les moralistes, qui veulent renforcer la répression pénale et ceux qui prônent un assouplissement de cette répression.

14Journal des débats politiques et littéraires, 27/01/1823, p. 4.

15Il s’appuie d’ailleurs explicitement sur l’arrêt du 21 novembre 1822 pour inciter les tribunaux ordinaires à plus de fermeté (ibid.).

16Ces critiques sont souvent le fait d’auteurs défavorables à la peine de mort (par exemple, Guizot, 1821 ; Lucas, 1827) pour qui la lourdeur de la peine ou bien empêche son application et conduit à la relaxe pure et simple de l’accusé, ou bien apparaît manifestement disproportionnée à la société et manque son but pédagogique.

17Notamment Cour de cassation, 19 mars 1831 (Sirey, 1831, p. 115) ; voir aussi : Cour d’appel Colmar, 20 octobre 1831 (Sirey, 1832, p. 144).

18Il s’agit aussi d’éviter que la jurisprudence de 1831 ne conduise à des abus en incitant les propriétaires à incendier leurs biens pour toucher l’assurance sans aucune conséquence judiciaire (Rivière et al., 1901, p. 22).

19L’affrontement entre ces deux positions à lieu lors des débats du 20 mars à la Chambre des Pairs (Le Moniteur Universel, 22/03/1832, p. 1 et s.).

20Il ne fait aucun doute que le législateur entend s’attaquer aussi à l’escroc à l’assurance. La Chambre des Pairs a tenu à préciser à l’article 92 de la loi modifiant l’article 434 du Code pénal qu’est puni celui qui incendie des propriétés, qu’elles « appartiennent ou n’appartiennent pas à l’auteur du crime ». Ce point de l’appartenance ou non au criminel vise à éviter toute équivoque : l’auteur d’un incendie sur sa propre maison pour s’en faire rembourser le prix par sa compagnie d’assurance soit punit avec la même sévérité que tout pyromane (Duvergier, 1842, p. 243, n. 2).

21Le projet du gouvernement consistait à considérer comme une escroquerie, certes grave, le fait d’incendier sa propriété, tandis que pour le comte Bastard d’Estang et les Pairs qui le soutiennent, il faut rendre la peine de mort applicable à celui qui incendierait sa maison, habitée ou non, fût-ce seulement pour en toucher le montant de l’assurance.

22À l’exception du cas où l’incendie causerait un décès, toujours puni de mort. Voir: Duvergier (1842, pp. 242-243, note 1).

23Art. 434, §1 du Code pénal réformé. Sont entendus comme tels tous édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers habités ou servant à l’habitation.

24Art. 434, §3 du Code pénal réformé.

25N’entre pas dans cette qualification celui qui n’en a que l’usufruit.

26Parlant des crimes contre les propriétés, il précise : « C’est dans les plus basses régions du cœur de l’homme que se cache le mobile qui y conduit : c’est au sein de la paresse, de la débauche, des désordres de toutes sortes, que fomente et s’exerce sans relâche cette activité, ingénieuse à se créer aux dépens d’autrui des ressources ou des jouissances devenues également nécessaires » (Bérenger, 1855, t. I, p. 11).

27Ibid.

28Elle est d’ailleurs supprimée pour les crimes de fausse-monnaie, d’incendie de maison non-habitée et de vol avec les cinq circonstances aggravantes.

29Pradel (2001, p. 176). Cette faculté de déterminer des circonstances atténuantes existait depuis la loi du 24 juin 1824, mais était alors dévolue aux Cours d’assises.

30Il s’appuie sur le constat d’une augmentation du nombre de prévenus jugés en correctionnelle. Il faut toutefois noter que la réforme de 1832 vise justement à favoriser la correctionnalisation pour vider les assises.

31Sur ce constat voir également les pages consacrées par Matthieu de Oliveira à la banqueroute frauduleuse, perçue comme un crime économique et commercial auquel il faut apporter une solution pénale pour pacifier la société (Oliveira, 2007, pp. 302 et s).

32Le Moniteur Universel, 3/12/1834, p. 2152, col. 1.

33Le Moniteur Universel 31/01/1835, p. 215, col. 3.

34Devant la Chambre des députés, le député Renouard déclare, au cours de la séance du 26 janvier 1835, que : « La loi publiquement affaiblie par la facilité avec laquelle les tribunaux croyaient équitable de se prêter à son inexécution, cessait d’être efficace et de commander le respect ; les scandales restaient impunis et la vindicte publique désarmée ; enfin ce qui fait surtout souffrir la morale, c’est que la condition de ceux qui observaient la loi était rendue pire que celle des personnes qui la violaient. » (Le Moniteur Universel, 31/01/1835, p. 216, col. 1). De même, le rapporteur de la loi du 28 mai 1838 expose ce constat devant la Chambre des Pairs : « il y a eu beaucoup de procès en banqueroute frauduleuse : en est-il résulté un verdict de condamnation ? En général, les jurés sont indulgens, et surtout dans des procès de cette nature, dans lesquels ils ne voient que des intérêts civils et qu’un débiteur poursuivi par des créanciers, qu’un homme tombé souvent de haut dans un état assez misérable ; ils sont enclins naturellement à l’indulgence. Des condamnations sont fort rares. » (Le Moniteur Universel, 10/05/1837, p. 1133, col. 3).

35Voir notamment les rapports des gardes des Sceaux Jean-Charles Persil en 1836 devant la Chambre des Pairs sur ce point (Le Moniteur Universel, 27/01/1836, p. 152, col. 1) et Félix Barthe en 1838 devant la Chambre des députés (Le Moniteur Universel, 16/01/1838, p. 106, col. 1).

36L’article 591 dispose que : « Sera déclaré banqueroutier frauduleux, et puni des peines portées au Code pénal, tout commerçant failli qui aura soustrait ses livres, détourné ou dissimulé une partie de son actif, ou qui, soit dans ses écritures, soit par des actes publics ou des engagemens sous signature privée, soit par son bilan, se sera frauduleusement reconnu débiteur de sommes qu’il ne devait pas. »

37Sur ce point, voir le rapport de M. Renouard présenté le 26 janvier 1835, au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi sur les faillites et banqueroutes devant la Chambre des députés (Le Moniteur Universel, 31/01/1835, p. 222, col. 1).

38L’article 593 dispose que : « Seront condamnés aux peines de la banqueroute frauduleuse : 1º Les individus convaincus d’avoir, dans l’intérêt du failli, soustrait, recélé ou dissimulé tout ou partie de ses biens, meubles ou immeubles, le tout sans préjudice des autres cas prévus par l’article 60 du Code pénal ; 2º Les individus convaincus d’avoir frauduleusement présenté dans la faillite et affirmé, soit en leur nom, soit par interposition de personnes, des créances supposées ; 3º Les individus qui, faisant le commerce sous le nom d’autrui ou sous un nom supposé, se sont rendus coupables de faits prévus en l’article 591 ».

39En ce sens, voir l’analyse développée dans Dalloz & Dalloz (1851, p. 466-467, nº 1490-1492).

40Le Moniteur Universel, 3/12/1834, p. 2135, col. 2.

41Voir également en ce sens, Le Moniteur Universel, 10/02/1835, p. 290 et s. ; ibid., 26/02/1835, p. 424, col. 3 ; ibid., p. 648, col. 3.

42Ainsi, le garde des Sceaux Jean-Charles Persil déclare : « Que s’il a été fait une véritable fraude aux droits de la masse par la dissimulation d’une partie de l’actif, il existe un moyen d’obtenir justice, c’est de porter plainte en banqueroute frauduleuse. Il est bon, lorsque ce dol existe, qu’il ne demeure pas impuni, et que les créanciers soient placés dans la nécessité de le dénoncer à l’exercice de l’action publique » (Le Moniteur Universel, 18/01/1837, p. 122, col. 3).

43Sur cette question, voir Choffé-Harouel (2008).

44Pour un aperçu synthétique de cette inflation législative, voir Szramkiewicz & Descamps (2019, p. 368).

45Cet apport de la loi de 1838 est relevé par certains députés lors de la préparation de la loi du 4 mars 1889. Par exemple, le député de la Haute-Loire Marie-Julien de La Batie remarque que : « La loi de 1838 […] ne mérite pas toutes les critiques qui ont été dirigées contre elle, elle n’a pas traité, d’une manière uniforme, tous les commerçants en cessation de paiements, elle a distingué diverses catégories […]. Elle a distingué entre le banqueroutier simple et le banqueroutier frauduleux. Dans cette échelle de gradations il y a donc place et pour le commerçant qui est simplement malheureux et pour celui qui a pu être coupable à des degrés divers » (rapporté dans ibid., p. 49, note 1).

46Rapporté par Duvergier (1889, p. 66, note 1).

47L´Argus : journal international des assurances, 3/04/1892, pp. 209-210.

48Au mieux, ils critiquent le filet de sécurité que constitue l’État aux entreprises hasardeuses (Courrier du Puy-de-Dôme, 19/03/1891, p. 1), au pire, ils fustigent l’implication, supposée ou non, de dirigeants mouillés dans les scandales de banqueroutes frauduleuses (Le parti ouvrier, 11/01/1893, p. 1 ; La libre parole, 15/01/1893, p. 1).

Received: December 30, 2023; Accepted: July 26, 2024

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