Introduction
Près de trente ans après la création de la Communauté des pays de langue portugaise (ou CPLP) en 1996, et un peu plus de quarante ans après la publication du statut d’autonomie de la Galice, la question se pose du rapprochement entre la communauté autonome espagnole et l’espace lusophone. La CPLP comptait au départ sept États membres et en regroupe aujourd’hui neufs1, constituant un espace de coopération dont la langue dominante est le portugais. C’est une organisation internationale qui s’affirme d’emblée délibérément fonctionnaliste (Mitrany, 1943) ou, plus rigoureusement, « semi-fonctionnaliste » (Devin, 2008): en effet, l’objectif de la CPLP est une coopération tous azimuts entre ses États membres, en faisant de l’organisation un instrument ou une structure relativement ouverte pour aborder tous les thèmes utiles au bien-être, à la sécurité, et au développement des États membres et de leurs populations respectives. Pour ce faire, la CPLP s’est progressivement ouverte à de nombreux nouveaux partenaires, qui sont non seulement des États (lusophones ou pas), mais aussi à diverses organisations publiques, semi-publiques, ou purement privées, qu’il s’agisse d’organisations non gouvernementales aux formes multiples, d’associations nationales, de réseaux ou encore de structures internationales.
Or, par une loi de 2014 (la loi dite « Paz-Andrade »), approuvée à l’unanimité par son parlement, la Galice fait un pas important en direction de l’espace lusophone, voire vers la CPLP dont elle a tenté sans succès de se rapprocher par le passé, en promouvant par voie de norme l’enseignement de la langue portugaise à l’école aussi bien que dans les médias. A l’heure où une réflexion est en cours sur le rôle croissant des entités infranationales (Pollard & Prat, 2012; Conseil de l’Europe, 2016), on est conduit à s’interroger sur la possibilité de lier la Galice à la CPLP à travers une collaboration sur les questions juridiques. À cet égard, la problématique de la relation juridique entre les pays lusophones n’est pas tout à fait nouvelle, même si le contexte actuel la rend plus pertinente. C’est le juriste allemand d’origine québécoise Erik Jayme qui fut l’un des premiers à évoquer un « droit lusophone » (Jayme, 2000), sans être trop suivi sur ce point par les juristes lusophones d’ailleurs.
Mais l’hypothèse, sans doute pas d’un droit commun mais plutôt d’échanges juridiques transformateurs de la réalité, requière d’abord de s’interroger sur la nature même de la CPLP. Cette institution est-elle un espace de promotion du droit? Ses structures, sa dynamique, son évolution, montrent-t-elles qu’elle a pour projet d’aborder les questions juridiques? Enfin, cette éventuelle ouverture aux aspects juridiques est-elle une voie d’accès pour une collaboration entre la CPLP et les entités qui, comme la Galice, se sont pas des États mais n’en sont pas moins des productrices de normes juridiques?
1. La CPLP : une communauté fondée sur le droit?
Lors de sa fondation2, la CPLP visait une coopération juridique entre ses États membres. À l’époque, l’article 3 de ses statuts étaient on ne peut plus clair, en incluant cet aspect parmi les objectifs de la CPLP:
Article 3. Objectifs
Les objectifs généraux de la CPLP sont:
(…)
b) la coopération, notamment dans les domaines économique, social, culturel, juridique et technico-scientifique3;
Cet objectif de coopération juridique va disparaître, en tant que tel, dès 2001, soit cinq ans après la création de l’organisation internationale, lors de la première révision de ses statuts4. Il sera remplacé par les termes: “b) la coopération dans tous les domaines, y compris l'éducation, la santé, la science et la technologie, la défense, l'agriculture, l'administration publique, les communications, la justice, la sécurité publique, la culture, le sport et les médias.”5
Nonobstant cette modification, qui renvoie à une coopération plus limitée dans le domaine judiciaire, une autre référence au droit est faite à l’alinéa e) de l’article 5 des statuts de la CPLP, à propos des principes régissant ou orientant l’organisation, lorsqu’il est question d’inclure dans ces principes “l’État de droit” et “les droits humains”. Cette référence à l’État de droit fait encore partie des statuts de la CPLP. Cette référence à l’importance de la promotion de l’État de droit pour l’organisation et pour ses membres est renforcée lors de deuxième révision des statuts de la CPLP, en 20026. Lors de cette révision, un second paragraphe est ajouté à l’article 5, qui explicite que: “2. La CPLP encouragera la coopération entre ses membres dans le but de promouvoir les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et le respect des droits de l'homme.”7
On pourrait donc s’attendre à ce que la CPLP soit une organisation non seulement fondée sur le droit, mais aussi de promotion d’une coopération juridique, et même d’une coopération judiciaire. L’organisation lusophone, au-delà ses deux autres buts centraux que sont la “consultation politico-diplomatique entre ses membres en matière de relations internationales (...)”, d’une part, et la “(…) la promotion et la diffusion de la langue portugaise”8, affirme bien être une organisation de coopération en matière juridique, et plus particulièrement de droits humains.
Toutefois, le bilan de ces presque trois dernières décennies d’existence est loin de démontrer que la CPLP ait véritablement promu une coopération en matière juridique. Cette coopération juridique est plutôt l’apanage des relations bilatérales entre ses États membres. Un exemple paradigmatique dans ce domaine est celui des juges portugais ayant collaborés, à la demande du gouvernement du Timor oriental, à la formation des magistrats, et participant même aux décisions des tribunaux nationaux de cet État asiatique (Shaila, 2023). Cependant, il est vrai qu’entre 2013 et 2015, lors du mandat comme Secrétaire Exécutif de la CPLP de Murade Murargy (CPLP, 2012), un juriste et diplomate de carrière mozambicain ayant été ambassadeur en France, deux importantes initiatives ont vu le jour dans le domaine de la promotion du droit au sein de la CPLP. C’est d’abord le cas, sous l’égide du Défenseur des droits portugais, de la Ière Rencontre des Institutions Nationales des Droits de l'Homme (INDH) de la CPLP, ayant eu lieu les 27 et 28 mai 2013, au siège de la CPLP à Lisbonne, et dont l’un des résultats a été la création d’un Réseau des Institutions Nationales des Droits de l'Homme. Deux ans plus tard, le 22 avril 2015, aura lieu également au Portugal (dans les installations du Défenseur des droits portugais9), la première réunion du “Réseau des Défenseurs des droits, des Commissions nationales des droits de l’Homme et autres institutions similaires au sein de la CPLP”.
Mais ce sont, en somme, des initiatives relativement isolées, car aucune “Rencontre des Institutions Nationales des Droits de l'Homme” n’aura plus lieu depuis lors. La seule autre réunion du Réseau des Défenseurs des droits, des Commissions nationales des droits de l’Homme et autres institutions similaires au sein de la CPLP qui ait été rendue publique par cette organisation date de 2022 (CPLP, 2022), ce qui peut être un indicateur du renouveau de l’intérêt porté à la collaboration entre institutions juridiques.
Que s’est-il passé entre 2014 (ou 2015) et 2022? La réponse se trouve sans doute dans l’admission, en 2014, de la Guinée équatoriale en tant qu’État membre de plein droit de la CPLP. Cet État, considéré par la quasi totalité de la communauté internationale comme un régime autoritaire (Perspective Monde, 2023), est dirigé pratiquement depuis sont indépendance en 1968 par une famille oligarchique monopolisant l’exploitation pétrolière. Le malaise que l’adhésion de la Guinée équatoriale a créé, au regard des objectifs de promotion d’une communauté liée aux questions juridiques et à un espace de promotion de l’État de droit en particulier, est visible dans le fait que la Guinée équatoriale soit le seul État membre de l’organisation à ne pas intégrer le Réseau des Institutions Nationales des Droits de l'Homme de la CPLP (CPLP, s.d.). Certes, nombre d’auteurs rappellent avec justesse que la CPLP n’est pas, stricto sensu, une institution de promotion des droits de l’Homme, et que toute analogie entre l’intégration à l’européenne (Union européenne) et l’organisation lusophone serait erronée (Jerónimo, 2019). Notre propos n’est pas de remettre en cause cette réalité. Il s’agit plutôt ici de savoir si la CPLP est tout au moins en train de se construire sur la base d’une coopération juridique, quel que soit par ailleurs le contenu du droit ainsi établi.
Depuis, 2014 ou 2015, de la CPLP a-t-elle abandonné l’idée de se concevoir comme communauté juridique ? Sans doute serait-il injuste de refermer le bilan trop tôt. Trois éléments montrent qu’une communauté de droit est peut-être bien présente, malgré l’existence d’un État qui, en somme, a toutes les caractéristiques d’un intrus dans la CPLP. D’abord, il faut rappeler que la CPLP a déjà montré par le passé qu’un consensus autour de principes juridiques, et notamment des principes du droit international, existe entre ses membres. C’est le cas, de façon paradigmatique, lors de la défense de droit à l’autodétermination du Timor oriental, qui deviendra en 2002 le premier État à adhérer à la CPLP depuis la création de l’organisation.
En outre, diverses initiatives, dispersées, bien que sans cohérence d’ensemble, montrent que la CPLP joue la carte du droit. Sa collaboration avec d’autres organisations internationales, dans des secteurs techniques de nature juridique, est réelle. C’est notamment le cas avec l’Organisation internationale du Travail dès 2005, ou avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, le HCDH, en 2006 (CPLP, 2023a). Ces collaborations montrent que la recherche commune d’amélioration des systèmes juridiques nationaux des États membres n’a pas cessé, même si cette réalité ne prouve pas en soi l’existence d’un véritable rapprochement des droits des États membres. Enfin, observons que la CPLP est un espace de paix. En effet, bien qu’initialement suspectée d’être un espace postcolonial, voire une entité inutile, peu sont ceux qui doutent aujourd’hui qu’il s’agisse bien d’une organisation internationale à part entière, respectueuse des droits de ses États membres, et surtout promotrice d’une vision pacifiée du monde. C’est sans aucun doute cet élément qui a servi de facteur d’attraction pour les différents acteurs non-lusophones souhaitant engager des relations avec la CPLP. La Galice est l’un d’entre eux, mais il est loin d’être le seul.
2. La place des entités non-étatiques au sein de la CPLP: Quid de la Galice ?
La CPLP ne prévoyait pas, dans sa Déclaration constitutive et dans ses Statuts fondateurs d’origine, une quelconque ouverture à d’autres États membres, si ce n’est à des États ayant officiellement pour langue la langue portugaise10. Mais il s’agissait d’une clause plus théorique que pratique car, en somme, l’ensemble des États indépendants de langue portugaise intégraient déjà l’organisation.
En revanche, la CPLP ne prévoyait nullement de s’étendre à des organisations autres que des États, que ce soient des organisations non-gouvernementales ou des entités régionales ou infra-étatiques, ou encore à des organisations internationales, même si elle reconnaissait son « désir d'élargir les collaborations extracommunautaires évident » (CPLP, 2023b). Pour cet élargissement collaboratif, la catégorie d’ « observateur » est créée lors du deuxième sommet des chefs d'État et de gouvernement, en juillet 1998.
Le “statut d’observateur” indique d’emblée que l’organisation a l’intention de “promouvoir la dialogue permanent et d’intensifier la coopération avec d’autres États, régions, territoires, communautés et organisations qui utilisent le portugais comme instrument de communication et de travail ou qui promeuvent des politiques en harmonie avec les objectifs de la CPLP” (CPLP, 2023b)11. L’objectif est bien large, mais il est restreint par la procédure qui implique une proposition concrète d’adhésion à soumettre au Conseil des Ministres et à la Conférence des Chefs d’États et de gouvernement de la CPLP, et au statut d’observateur, qui établit deux catégories d’observateurs.
D’une part, le statut prévoit l’existence d’observateurs associés. Ce sont les États qui ne peuvent pas adhérer à la CPLP “pour des raisons constitutionnelles”, mais aussi des entités non-étatiques. Ces entités sont “les régions administratives spéciales et les territoires ayant une administration autonome où l’on parle le portugais (...)”.12Une expression singulière accompagne la fin de la phrase, en faisant référence au fait que ces États, régions ou territoires peuvent devenir observateurs associés, “sous réserve de leurs dispositions constitutionnelles”. En effet, si cette disposition vise des États, régions ou territoires étrangers, ce qui ne semble pas être le cas, on verrait mal comment les organes de la CPLP pourraient vouloir faire référence à leurs dispositions constitutionnelles.
Ensuite, les observateurs permanents, qui incluent les “organisations internationales”.
Enfin, une dernière catégorie comprend les observateurs invités. Cette catégorie comprend un groupe tout à fait surprenant d’entité non-étatiques: “les représentants des organisations et mouvements politiques non autonomes où l’on parle le portugais, sans restrictions de quelconques courants de pensée politique” (CPLP, s.d.).
En 2005, lors de la 10e réunion du Conseil des Ministres de la CPLP à Luanda, le statut d’observateur est revu. Seules subsistent les catégories d’observateur associé et d’observateur consultatif. Le statut d’observateur associé intègre encore les États qui ne peuvent pas adhérer à la CPLP (notamment du fait que la langue portugaise n’est pas leur langue officielle), mais qui “poursuivent (à travers leur programmes de gouvernement) des objectifs qui coïncident avec ceux de la [CPLP]”. Il intègre aussi les “organisations internationales, universelles ou régionales, les organismes intergouvernementaux et les entités territoriales dotées d'organes administratifs autonomes qui partagent les principes directeurs et les objectifs de la CPLP”.
Quant au statut d’observateur consultatif, il vise pour sa part “les organisations de la société civile intéressées par les objectifs poursuivis par la CPLP (...), notamment par leur participation à des initiatives liées à des actions spécifiques relevant du champ d'action de [la CPLP]” (CPLP, 2005).
En ce qui concerne le rôle et la participation des observateurs au sein de la CPLP, il faut noter que c’est seulement le statut d’observateur associé qui permet de “participer, sans droit de vote, aux conférences des chefs d'État et de gouvernement, ainsi qu'au Conseil des ministres”, et d’avoir “accès à la documentation non confidentielle” de celles-ci, mais également d’y “présenter des communications à condition d'y être dûment autorisés”. Les observateurs associés peuvent par ailleurs “être invités à des réunions techniques”.
Les observateurs consultatifs peuvent également “être invités à des réunions à caractère technique”, et c’est surtout dans ce but qu’ils sont admis. Il peuvent aussi avoir accès aux “décisions prises” par les conférences des chefs d'État et de gouvernement (l’article 7 modifiant le statut d’observateur ne parle pas d’accès aux documents non confidentiels, même si cet accès semble logique). En revanche, les observateurs consultatifs n’ont pas la possibilité de présenter des communications aux réunions de la CPLP.
Depuis 2009, la CPLP a approuvé une résolution régulant l’admission et le statut des « observateurs consultatifs » de la CPLP13. La procédure devient, à partir de la dernière décennie, de plus en plus axée sur la contribution, éventuellement financière, que les « observateurs » peuvent apporter à la CPLP. En somme, la CPLP acquière, à travers cette procédure, de nouveaux bailleurs de fonds, intéressés par le financement de ses projets. Cette tendance à mettre l’accent sur le financement de projets est visible dans les déclarations de la CPLP elle-même, qui souligne qu’ « afin d'élargir la dimension liée à la mise en œuvre de projets au sein de la CPLP, au cofinancement de programmes, de projets et d'actions et à la participation financière des OC [observateurs consultatifs] de la CPLP à des initiatives autour des objectifs de la CPLP, l'organisation a entamé un exercice en 2013, dans le cadre de la VIIe réunion du SE [Secrétaire exécutif] de la CPLP avec les OC de la CPLP, qui a abouti à la mise en place de comités thématiques »14. On peut légitimement se demander si cette évolution relègue les aspects de coopération juridique au second plan, en donnant la primeur ou tout au moins beaucoup plus axée sur une logique de collaboration économique ou financière15.
Dans ce contexte, qu’en est-il de la Galice ? Où se situe-t-elle au sein de la CPLP, en tant qu’entité juridique infranationale (communauté autonome), ou encore à travers ses différentes organisations de la société civile? Quelle part joue-t-elle, quelle part veut-elle jouer, et quelle part pourra-t-elle jouer dans une éventuelle collaboration juridique avec la CPLP ?
Avant toute chose, il faut noter que la Galice avait manifesté, dès les premiers jours de la naissance de la CPLP, sa volonté de s’associer à l’initiative d’une organisation lusophone. En fait, la volonté d’association entre la futur CPLP et les organisations associatives présentes en Galice anticipait la propre création de la CPLP, puisqu’elle date de mai de 1993. En effet, c’est en mai 1993 que l'ambassadeur brésilien à Lisbonne, José Aparecido de Oliveira, l’un des principaux concepteurs de la CPLP, avait "envoyé le projet de statuts de la CPLP à José Luís Fontenla Rodrigues, président des confréries des langues de Galice et du Portugal" (Cristóvão, 2021).
Au moins deux initiatives officielles de la communauté autonome de Galice auront lieu, par la suite, par l'intermédiaire du président de la Junte de Galicia, Manuel Fraga. Celui-ci formule une demande l'adhésion de la Galice à la CPLP en 2014, demande qui n’a pas été suivie d’effet. Une autre demande d’adhésion suivra, négociée sans succès avec le gouvernement central espagnol par le président de la Junte de Galicia Emílio Pérez Touriño (Cristóvão, 2017).
On remarquera toutefois, assez paradoxalement, que les premiers membres « observateurs consultatifs » de la CPLP ne comptent aucune entité galicienne, ce qui est surprenant, sachant les liens historiques qui lient la Galice au Portugal, et la proximité linguistique entre le portugais et le galicien. C’est d’autant plus surprenant que la Galice comptait déjà des institutions universitaires (e.g. Université de Saint Jacques de Compostelle), ayant des formations en Philologie portugaise (cf.Fernández Carballido, 2019). Il aurait sans doute été assez facile aux universités galicienne de rejoindre l’un des premiers observateurs consultatifs de la CPLP, l’Association des universités de langue portugaise (Associação das Universidades de Língua Portuguesa, ou AULP), qui exige comme seule condition d’adhésion que ses “membres associés [soient] les départements d'études portugaises, d'études africaines et d'études latino-américaines qui, bien que n'étant pas entièrement ou partiellement lusophones, s'identifient aux objectifs de l'association” (AULP, s.d.).
Certes, en 2012, l’Observatoire de la langue portugaise (Observatório da Língua Portuguesa) devient un observateur consultatif de la CPLP, et il intègre en son sein l’Académie galicienne de langue portugaise (Academia Galega da Língua Portuguesa) (Observatório da Língua Portuguesa, 2023). Par ailleurs, en 2014, l’Union des villes capitales de langue portugaise (União das Cidades Capitais de Língua Portuguesa - UCCLA) devient également un observateur consultatif de la CPLP. Or, cette organisation intègre, en qualité de membre observateur (mais cependant pas comme membre effectif, ni membre associé, ni même comme membre auxiliaire), deux villes espagnoles dont l’une est située en Galice: la ville de Saint Jacques de Compostelle (UCCLA, s.d.). Il est intéressant de remarquer, d’abord, que si une collaboration juridique entre la Galice et la CPLP pourrait émerger par ce biais, il s’agirait surtout d’un partage d’expériences juridiques locales, réduites dans l’espace et aussi quant à l’importance des normes juridiques locales, forcément subsidiaires par rapport aux normes de niveau supérieur (régionales ou nationales). Ensuite, la ville de Saint Jacques de Compostelle pourrait participer aux travaux de l’UCCLA au sein de la CPLP, certes, mais de forme tout à fait indirecte (observateur au sein d’une organe lui-même observateur)16.
Cependant, en 2016 et en 2017, les choses bougent véritablement. En 2016, le Conseil de Culture Galicienne (Conselho de Cultura Galega), entité publique ayant une fonction consultative auprès de la Communauté autonome de Galice et créée en 1983 dans la lancée du statut d’autonomie de la Galice, intègre la CPLP en tant qu’observateur consultatif. En 2017, c’est au tour de l’Académie galicienne de la langue portugaise (Academia Galega da Língua Portuguesa), une fondation à vocation scientifique et culturelle. Enfin, en 2021, une structure associative originale rejoint ces deux organismes : il s’agit de l’Association des enseignants de portugais en Galice (Associação de Docentes de Português na Galiza, ou DPG). Cette adhésion fait suite à l’introduction en 2014 d’une loi qui peut se révéler d’une importance historique dans le cadre de la communauté autonome de Galice. Il s’agit de la loi dite « Paz-Andrade », Loi 1/2014 du 24 mars pour la promotion de la langue portugaise et les liens avec la lusophonie (Xunta de Galicia, 2014). Toutefois, dans les trois cas de collaboration évoqués, on voit disparaître les questions juridiques derrière des considérations essentiellement linguistiques. La question de la contribution de la Galice à un droit lusophone, et plus généralement la question d’une collaboration juridique entre la CPLP et la Galice, restent donc entières.
Mais la question de la présence de la Galice, en tant que communauté autonome, ou plus généralement comme territoire autonome, se pose-t-elle encore après l’admission, le 17 juillet 2021, de l’Espagne en tant qu’observateur associé?17 La réponse serait plutôt négative, compte tenu de trois constatations: d’abord, l’État espagnol semble avoir fait siennes les volontés de la communauté autonome de Galice, à travers cette adhésion de l’État espagnol en tant que totalité englobant la Galice. Le gouvernement espagnol lui rend d’ailleurs hommage en déclarant que “La Communauté autonome de Galice a donné un élan important à la candidature de l'Espagne et, en fait, l'"Academía Galega da Lingua Portuguesa" et le "Consello da Cultura Galega" sont déjà des "observateurs consultatifs" de la CPLP” (Ministerio de Asuntos Exteriores, Unión Europea y Cooperación, 2021).
Ensuite, même si la Galice en tant que communauté autonome voulait devenir membre de la CPLP, le statut d’“observateur invité”, qui permettait d’inclure “les représentants des organisations et mouvements politiques non autonomes où l’on parle le Portugais (...)” a bel et bien disparu depuis 2005. En somme, et pour conclure, il semble donc que l’adhésion de l’Espagne à la CPLP referme les portes d’une adhésion éventuelle ou même d’un rapprochement entre la communauté autonome de Galice et la CPLP. Au surplus, il est peut probable que la politique de l’État espagnol vis-à-vis de la CPLP soit un facteur de promotion des relations Galice-CPLP, sachant que le programme du gouvernement espagnol semble être tout autre. En effet, la déclaration de l’exécutif espagnol fait plutôt référence, en ce qui concerne la promotion de sa politique dans la CPLP, à des objectifs propres, certains n’ayant pas grand chose à voir avec la CPLP. On voit par ailleurs, dans la note publiée par le gouvernement espagnol, que sont intention n’est nullement de promouvoir une collaboration avec la CPLP à travers des entités infranationales, mais plutôt à l’aide d’institutions centralisées et dans une logique de promotion de valeurs ou de recherche de marchés:
la promotion de la langue portugaise au niveau national et international, notamment par l'approfondissement de la coopération entre l'Institut Cervantes, l'Institut Camões et l'Institut international de la langue portugaise; la lutte contre la violence à l'égard des femmes, dans le cadre de l'engagement ferme de notre pays en faveur d'une politique étrangère féministe; la collaboration économique et commerciale, les pays de la CPLP étant essentiels à l'internationalisation de nos entreprises; la coopération politique et diplomatique, avec un engagement ferme en faveur d'un ordre multilatéral fondé sur des règles; et la contribution à l'accès universel aux vaccins en tant que meilleure politique pour enrayer la pandémie (Ministerio de Asuntos Exteriores, Unión Europea y Cooperación, 2021)18.
Toutefois, on pourrait se demander si, malgré le fait que l’État espagnol ait rejoint la CPLP, une adhésion éventuelle de la communauté de Galice comme observateur associé ne serait pas possible, mais par une voie indirecte. Notons qu’en 2018, l'Organisation des États ibéro-américains pour l'éducation, la science et la culture (OEI) est devenue membre associé (pas consultatif !) de la CPLP. En 2021, ce fut le tour de trois organisations: la Conférence ibéro-américaine, le G7+, et l’Organisation européenne de droit public (OEDP/EPLO). Cette dernière adhésion, même si son impact est limité pour la collaboration lusophone (l’organisation en question est surtout une structure grecque, ce qui est plutôt étonnant), nous ramène à la question centrale de la collaboration en matière juridique, et à la voie que la Galice pourrait suivre pour se rapprocher de la CPLP via le droit.
3. Voix et voie du droit de la Galice vers la CPLP
On pourrait commencer cette section finale en jouant sur les mots: ce qui nous occupe, ici, c’est non seulement d’identifier les rapprochements entre le droit de la Galice, la voie du droit, mais aussi de déterminer quelle voix galicienne, c’est à dire quelle langue du droit sera utilisée par la Galice. Sur ce dernier point, certains doutes demeurent, après trois observations: d’abord, la langue du droit de la communauté autonome de Galice est-elle bien, outre le galicien, la langue portugaise? Une brève observation du Diario Oficial de Galicia, le journal officiel de la Junte de Galicia, confirme que tous les documents publiés para a communauté autonome de Galice le sont simultanément en trois langues: le galicien, le portugais, et le “castillan” (l’espagnol) (Xunta de Galicia, s.d.).
Cette indication ne nous renseigne pas sur la langue officielle, cependant, mais sur la langue de publication des textes juridiques. On sait que de nombreuses entités publiques publient leurs documents en langue anglaise, également, sans que cela fasse de la langue anglaise une langue officielle ou qui puisse être utilisée par les opérateurs juridiques. Cependant, cette forme de publication, qui n’est à cet égard par « parfaite » au plan linguistique (quelques bizarreries de langue portugaise sautent parfois aux yeux), indique simplement que le portugais est probablement préféré à d’autres langues, et notamment à l’anglais. Ensuite, la loi Paz-Andrade de 2014, déjà citée, même si elle semble encore embryonnaire dans son application, ou tout au moins d’application limitée ou peu généralisée, a surtout des buts pédagogiques, culturels, et pas juridiques.
Cette loi a reçu et reçoit encore le soutien de personnalités politiques galiciennes et nationales (comme c’est le cas du chef actuel de l’opposition au gouvernement espagnol. Cf.TVI Notícias, 2015). Elle résulte il est vrai d’une position courageuse de la part du législateur de la communauté autonome de Galice. Mais il ne faudra pas penser que cette loi fasse de la langue portugaise une langue officielle de la Galice, et le statut d’autonomie de la Galice - qui prévoit que les deux langues officielles de la communauté autonome sont le galicien et le castillan - ne s’en trouve pas pour autant modifié19. Enfin, en allant plus loin, on peut souligner qu’un cheminement se fait quand même, au plan juridique et même judiciaire, car que les expressions de la langue portugaise pénètrent peu à peu dans le travail des institutions juridiques de Galice. Ainsi, en 2021, un procureur auprès d’un tribunal situé en Galice a été remarqué par l’utilisation dans ses décisions d’expressions de portugais du Portugal et du Brésil, tout en utilisant de façon dominante la langue galicienne (AGAL, 2021).
Le rapprochement linguistique - la voix du droit - entre la Galice et l’espace lusophone s’avère être une réalité pourtant tout à fait timide en Galice, et cela s’explique en partie par le débat interne déjà ancien, aussi bien au sein de la communauté autonome que parmi les groupes associatifs sur la façon d’écrire le galicien (Pichel et al., 2022). En outre, le problème de la voie de la Galice se pose toujours. Une voie du droit, une voie à travers un rapprochement via le droit, y compris celui exprimé en galicien, au sein de l’espace lusophone qu’est la CPLP.
La question doit d’abord être posée en ces termes : quelle est l’intention, et quel est l’intérêt pour la Galice de collaborer avec la CPLP ? Est-ce seulement parce que cette organisation est un espace linguistique ? Sans doute pas. Est-ce parce que la CPLP est un espace juridique ? Sans doute pas non plus. Nous avons vu que la place de la collaboration juridique au sein de la CPLP est réduite, et qu’est encore tout aussi réduite la possibilité de faire du portugais proprement dit une langue officielle en Galice. Est-ce, enfin, parce que la Galice partage les valeurs (y compris éthiques et juridiques) de la CPLP? La lecture du statut d’autonomie de la Galice, datant de 1981 et utilisée ici dans sa version consolidée, nous informe sur l’essence politique et juridique de la « Communauté Autonome » de Galice. Ses valeurs essentielles y sont mentionnées aux articles 4.1 et 4.2., qui disposent :
4.1. Les droits, libertés et devoirs fondamentaux du peuple galicien sont ceux établis dans la Constitution [espagnole]. 4.2. Il incombe aux pouvoirs publics de Galice de promouvoir les conditions de la liberté et de l'égalité réelles et effectives de l'individu et des groupes dont il fait partie, d'éliminer les obstacles qui empêchent ou entravent leur pleine réalisation et de faciliter la participation de tous les Galiciens à la vie politique, économique, culturelle et sociale20.
Ces articles, et les suivants, montrent que la constitution de cette communauté autonome a essentiellement un but de promotion (au sens large : politique, social, juridique aussi) de la nation historique galicienne, dans une dimension surtout endogène, c’est à dire en Espagne. À cet égard, la grande majorité des dispositions du statut d’autonomie visent la façon dont les pouvoirs publics propres s’organisent et gèrent l’essentiel de la vie publique et sociale sur le territoire que comprend la Galice (i.e. les provinces de La Coruña, Lugo, Orense et Pontevedra). Le statut d’autonomie, qui inclue tous les pouvoirs constitutionnels (législatif et exécutif, mais aussi judiciaire) affirme notamment la “préférence” du droit galicien sur les autres dispositions normatives, partant du principe qu’il s’agit d’autres dispositions normatives en vigueur en Espagne (tout en sauvegardant bien entendu les dispositions de la Constitution espagnole, norme suprême qui s’imposent à la communauté autonome dans son ensemble) (Ley Orgánica 1/1981, de 6 de abril, de Estatuto de Autonomía para Galicia).
On voit donc que la Galice n’a pas une vocation, a priori, au plan juridique, à collaborer avec d’autres États, et sans doute moins encore avec une organisation internationale inter-gouvernementale. Cependant, cette remarque voit sa portée largement atténuée par trois autres dispositions juridiques du statut d’autonomie.
D’abord, l’article 35.3, qui prévoit que :
La Communauté autonome de Galice peut demander au gouvernement de conclure et de soumettre, le cas échéant, à l'autorisation des Cortès générales des traités ou des accords permettant l'établissement de relations culturelles avec des États avec lesquels elle a des liens culturels ou linguistiques particuliers.
Cette disposition permet théoriquement à la Galice de conclure des accords avec les États membres de la CPLP, si ce n’est avec la CPLP elle-même (ce qui exigerait une interprétation large, mais à mon sens logique, de l’article en question). Toutefois, il faudrait à l’exécutif galicien recueillir non seulement l’aval des organes de la CPLP (y compris une décision unanime des chefs d’États et de gouvernement), mais aussi celui du parlement espagnol.
Ensuite, les articles 7.1 et 7.2 du statut d’autonomie. L’article 7.1. dispose quant à lui que :
Les communautés galiciennes établies en dehors de la Galice peuvent demander, en tant que telles, la reconnaissance de leur galicienneté, entendue comme le droit de collaborer et de participer à la vie sociale et culturelle du peuple galicien. Une loi du Parlement réglementera, sans préjudice des compétences de l'État, la portée et le contenu de la reconnaissance de ces communautés, qui n'impliquera en aucun cas l'octroi de droits politiques.
Cette disposition permet au Parlement galicien de prévoir des dispositions juridiques ne conférant pas de droits politiques, mais qui en revanche peuvent créer des droits substantiels en termes culturel, social, économique (y compris des aides financières, par exemple) aux personnes s’identifiant avec les communautés galiciennes hors de la Galice, ce qui inclue logiquement une collaboration avec d’autres États que l’Espagne. Même si la notion de « communauté » tend à disparaître, il existe bel et bien de nombreuses personnes d’origine galicienne, tant au Portugal voisin que dans d’autres pays lusophones. C’est surtout le cas au Brésil, où l’immigration galicienne et l’immigration portugaise du XIXe siècle sont allées de pair. Sixirei Paredes (2005, p. 234) estime par exemple qu’“entre 1880 et 1910 sont entrés au Brésil près de 200 000 Espagnols, dont un peu plus de la moitié étaient des Galiciens”21. On peut donc en déduire que la communauté autonome de Galice pourrait, si elle le voulait, collaborer de façon indirecte avec les représentants de la CPLP dans les pays lusophones, de façon à définir les droits (mais pas les droits politiques) des ressortissants de ces pays en Galice.
Enfin, l’article 7.2. du statut d’autonomie dispose que:
La Communauté autonome peut demander à l'État espagnol de conclure les traités ou accords appropriés avec les États où existent ces communautés afin de faciliter l'application des dispositions susmentionnées.
On se trouve ici face à une disposition qui est supplétive, et qui fait de l’État espagnol l’auxiliaire éventuel de la communauté autonome de Galice dans son entreprise de contact avec les États lusophones où se trouvent des communautés galiciennes. Il est possible, dans ce cas, que l’État espagnol collabore avec la communauté autonome de Galice dans sa politique de projection internationale, y compris au plan d’une coopération juridique avec la CPLP et ses États membres. On pourrait ainsi assister à un phénomène de double projection de la Galice: une projection vers l’intérieur (de l’Espagne), du fait de la visibilité de la mesure de l’État central, promouvant l’initiative galicienne; et une projection vers l’extérieur de la Galice, en direction des États lusophones. Ce type de coopération, si elle est théoriquement intéressante, a pourtant un grave défaut: le manque d’authenticité et le manque de proximité des citoyens concernés. Car, en définitive, la Galice pourrait seulement passer par l’État central espagnol pour arriver à ses fins; et il y a fort à parier que la langue utilisée serait non pas la galicien, moins encore le portugais, mais plutôt le castillan.
Il ne faut toutefois pas oublier que la Galice n’est pas une île isolée dans l’ensemble étatique espagnol. Outre le fait qu’elle se trouve en contact avec d’autres communautés autonomes (le statut d’autonomie prévoyant d’ailleurs que la Galice puisse conclure des accords avec celles-ci), il est essentiel de souligner la dimension européenne du territoire galicien. Au sein des institutions européennes, l’ouverture des institutions nationales des États membres de façon à renforcer une démocratie pleine et ouverte, proche des réalités des citoyens, est une priorité. L’ouverture au monde, et notamment aux contextes extra-européens, est aussi encouragée.
Ces dimensions sont visibles dans les positions des institutions de l’Union européenne, qui tendent à renforcer la question d’une citoyenneté plus riche de ses citoyens, respectueuse de leur diversité culturelle et linguistique (cf. article 3 du Traité sur l’Union européenne; article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). La Galice peut certainement entamer une collaboration avec d’autres États et territoires (dans ou hors de la CPLP) par le biais des institutions de l’Union européenne. Il est à ce titre intéressant de souligner que le Directeur général chargé des relations extérieures et européennes de la Junte de Galice, Jesús Gamallo Aller, est un membre suppléant du Comité européen des régions depuis 2000, et qu’il est intervenu en votant sur des avis concernant la politique de développement de l’Union européenne (Comité européen des régions, s.d.), et notamment dans des domaines qui sont de la compétence exclusive de la communauté autonome de Galice sur son territoire - comme c’est par exemple le cas de l’aquaculture (on note à ce titre des prises de positions et des décisions concernant la Lybie).
La Galice peut aussi promouvoir des relations juridiques avec le Conseil de l’Europe, une institution pan-européenne dont l’une des finalités centrales est la promotion de l’État de droit, du pluralisme linguistique, mais aussi des compétences juridiques des entités infranationales22. Les institutions publiques et les organisations de la société civile de Galice pourraient y avoir un rôle accru. Il existe déjà des contacts, en fait, entre la CPLP et l’OIJ - Organismo Internacional de Juventud para Iberoamérica (l’Organisme international de la jeunesse iberoaméricain) (Conseil de l’Europe, s.d.).
Toutefois, pour en terminer avec l’étude des voies possibles pour la Galice vers la CPLP, et en termes concrets, on peut s’interroger sur les relations effectives entre les États membres de la CPLP et la Galice. Sans nul doute, les relations entre la Galice et le Portugal sont historiques, et sont renforcées par l’appartenance à un espace et à une matrice institutionnelle commune forte (l’Union européenne). Sans doute aucun, par ailleurs, les relations entre le Brésil et la Galice sont alimentées par l’histoire des migrations galiciennes, et la contribution populationnelle galicienne au Brésil. En revanche, les relations de la Galice avec les autres pays lusophones sont moins claires. On peut même affirmer que ces relations, au plan juridique, sont assez peu recommandées avec l’un de ces États, la Guinée équatoriale, un État dont la langue officielle - le castillan - est la langue dont la Galice cherche à se distinguer (sans parler des aspects démocratiques liés à l’État en question).
En revanche, même les contacts avec des pays lusophones ne sont pas si évidents pour la Galice, il semble assez significatif que les institutions galiciennes cherchent la voie de leur développement en faisant leurs les objectifs (institutionnels et juridiques) de la CPLP en tant que forum pour le développement. On l’a vu, la CPLP tend à évoluer vers des partenariats « utiles », des financements, des opportunités commerciales ou de collaboration entre les sociétés civiles non seulement dans les neufs États membres, mais aussi avec d’autres États non-membres mais eux aussi lusophones : la Chine (avec la région autonome de Macau); l’Inde (Goa, Damão, et Diu); mais aussi avec le Japon, où de nombreux descendants d’origine nippo-brésiliennes vivent actuellement. Mais cette visée assez peu juridique, n’est-elle pas en fin de compte une visée surtout économiciste, privée peut-être d’une réelle éthique qui, on peut en émettre l’hypothèse, pourra venir à manquer à la CPLP elle-même quand la question se posera de savoir quelles sont ses valeurs, et quel est son futur.
Conclusion
Concluons sur une note juridique, mais aussi anthropologique. L’une des questions qui reste des plus essentielles en droit est la connexion entre le droit et la société. Or, cette question qui se pose dans divers États en Europe et ailleurs, se pose aussi au sein de la communauté autonome de Galice. La question de l’usage de la langue juridique, qui véhicule bien plus que la matière technique du droit une culture juridique, mérite qu’on s’y arrête. La question dépasse le cadre des frontières des États, et touche des domaines internationaux importants pour le futur des populations: d’abord, la projection internationale des institutions, de la culture et du droit des territoires autonomes. Ensuite, et de façon plus technique, les instruments procéduraux et substantiels du droit - tels que les moyens de résolution alternatifs des conflits juridiques, les formes traditionnelles de justice, ou encore les concepts propres aux contextes linguistiques.
C’est sans doute pour cela que, de façon intelligente, un juge galicien a utilisé la langue portugaise, sachant qu’elle serait utile à la compréhension profonde du droit transmis. À cet égard, il serait utile de comparer les aspects respectifs de questions specifiques, sociales ou judiciaires, telles que par exemple les modalités d’encadrement de la délinquance juvénile dans l’espace de la CPLP, en y incluant la Galice. La communauté autonome est en effet l’un des rares pays de la famille lusophones (avec la Brésil) où la majorité pénale est fixée à 18 ans et non pas à 16 ans (comme en Angola, au Cap Vert, au Mozambique, au Portugal, etc.). Que ce soit en rapport avec des questions liées à la jeunesse, aux modèles de la famille ou aux formes de séparation, ces aspects pourraient être discutés en commun. Même si les modèles familiaux sont très différents entre les continents, la proximité luso-galicienne, en particulier, est frappante. D’autres aspects liées aux traits propres des populations lusophones, et en particulier l’émigration (galicienne, portugaise, cap verdienne, etc.) méritent un encadrement juridique qui peut être pensé en commun, car des points communs mais aussi des différences peuvent être soulignées, et des comparaisons juridiques pourraient être utiles.
La question de la collaboration juridique entre la Galice et la CPLP demeure donc, malgré les limitations qui conditionnent la Galice dans ses relations externes, une question pertinente dans le contexte européen et plus spécifiquement luso-espagnol, sans laisser de côté le contexte élargi de la CPLP. Dans ce même contexte, une autre question se pose, et elle nous renvoie à la citoyenneté. Car si la création d’organisations internationales ou l’adhésion formelle à telle ou telle organisation internationale doit certainement être vue comme positive, la réalité d’un droit citoyen plus respectueux de ces mêmes citoyens nous interpelle. Elle nous questionne sur un point: Qu’en disent les citoyens? Que disent-ils de ces institutions internationales? Sont-elles seulement connues d’eux? Sont-elles selon eux utiles? Sont-elles appréciées pour leur travail, ou bien sont-elles au contraire vues comme des forums, en partie ignorés, peu utiles au plus grand nombre, et en somme peu transformateurs dans un sens positif de la vie sociale, économique, et juridique?