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Etnográfica
versión impresa ISSN 0873-6561
Etnográfica vol.18 no.1 Lisboa feb. 2014
Des hommes en fêtes et en armes : analogies guerrières et formes datténuation
Homens em festa e em armas: analogias guerreiras e formas de atenuação
Danièle Dossetto*
*Laboratoire d’Anthropologie et de Psychologie Cognitives et Sociales (LASMIC/LAPCOS), Université de Nice-Sophia Antipolis, France. E-mail: daniele.dossetto@unice.fr
RÉSUMÉ
Les fêtes armées, sans adopter forcément lallure de batailles, font usage de tirs à blanc ; tandis que, dans la péninsule ibérique et dans le nouveau monde, ce sont les fêtes de Maures et chrétiens, en Provence-Alpes-Côte dAzur, ce sont les bravades . En procédant à quelques rapprochements entre ces deux formules localisées, le propos est dapporter des éléments de réflexion sur les conditions de représentation de la guerre. Quels liens ces fêtes entretiennent-elles avec de réels et plus ou moins récents conflits armés ? Quels usages métaphoriques peut-il leur être donné ? Comment surtout mettre en uvre des armes à feu dans une fête aujourdhui ? Le burlesque carnavalesque, des attitudes paradoxales chez les hommes en armes, lexploitation dun certain parallélisme avec la chasse, le vêtement, le recours à la candeur enfantine sont autant de formules attestées ici ou là pour aménager ce qui apparaît comme un fait de tradition en porte-à-faux.
Mots-clefs : bravade et fêtes armées, poudre festive, armes à feu, genre et âge, tradition, Provence-Alpes-Côte dAzur.
RESUMO
As festas armadas, sem adotar forçosamente o aspeto de batalhas, recorrem a tiros de pólvora seca; na Península Ibérica e no novo mundo há as festas de mouros e cristãos e, na região de Provence-Alpes-Côte dAzur, as bravades. Graças a algumas aproximações entre estas duas fórmulas localizadas, propõem-se elementos de reflexão acerca das condições de representação da guerra. Que elos existem entre estas festas e conflitos armados reais e mais ou menos recentes? Que usos metafóricos podem ter? Como, sobretudo, recorrer a armas de fogo numa festa hoje? O burlesco carnavalesco, algumas atitudes paradoxais dos homens em armas, a exploração de um certo paralelismo com a caça, o traje, o recurso à candura infantil, constituem fórmulas, testemunhadas em ambos os contextos, destinadas a ajustar o que parece ser um facto de tradição em equilíbrio instável.
Palavras-chave: bravade e festas armadas, pólvora festiva, armas de fogo, género e idade, tradição, Provence-Alpes-Côte dAzur.
Nombreuses sont les régions à sillustrer par des fêtes armées. Un colloque récent a étudié des fêtes de Maures et chrétiens, Morescas, Morismas ou Soldatescas en Espagne, au Portugal ou en Italie (Albert-Llorca et González-Alcantud 2003) ; on sait par ailleurs que, dEurope, elles se sont exportées en Amérique du sud (Carrasco 1976). Entre péninsule ibérique et Italie, la Provence-Alpes-Côte dAzur connaît aussi la pratique festive des armes, cela sous le terme de bravade . Dautres exemples sont les alardes du pays Basque ou les marches de lEntre-Sambre-et-Meuse belge. La grande extension des fêtes armées et leur vivacité actuelle appellent une question : comment peut-on aujourdhui exhiber des armes, a fortiori figurer la guerre, pour en faire une pratique festive ? Concrètement, larme à feu fondant la bravade qui va nous occuper,[1] notre question initiale peut se reformuler ainsi : a quelles manipulations le syndrome fusil en fête donne-t-il lieu ? Comment des acteurs décideurs accommodent-ils des réjouissances aux allures guerrières ? Quels exemples a-t-on de compromis avec ce fait de tradition ?
La matière disponible est encore limitée sur ces divers points. En ce qui concerne les fêtes de Maures et chrétiens, en tout cas pour les lecteurs français, la région dAlicante est la plus connue sous langle ethnologique (Albert-Llorca 1995, 2004 ; Albert-Llorca et Albert 1995 ; Albert-Llorca et Blanc 2001) ; cest là que je trouverai des observations utiles.[2] Pour les bravades , peu de chercheurs se sont intéressés à leurs modalités présentes ; je recourrai donc surtout à des enquêtes personnelles dans le Var. Une telle comparaison est favorisée par certaines données. La forte adhésion des habitants est un point commun entre la Provence varoise et la province dAlicante. A Saint-Tropez qui fournit la bravade la plus célèbre , ceux qui manipulent la poudre représentent 3,2% de la population et les 250 bravadeurs (ici au sens dhommes en armes ou musiciens en uniforme), 4,5% ; cette dernière proportion est en augmentation depuis un demi-siècle, où elle était de 3,4% ; 7% des résidents de Villajoyosa sont festers Maures ou chrétiens . Mais le nombre des membres de lassociation soutenant la Bravade correspond à 27% de la population tropézienne sans réunir pour autant tous les fidèles de la fête ; quun tiers des habitants soit impliqué, voilà qui est exactement la proportion relevée à Villena. Autres signes de ferveur, dans les deux régions, la participation à une fête armée exige une contribution financière individuelle parfois lourde (Albert-Llorca 1995 ; Buyret 1954). Un intérêt local massif rejoint ainsi les affinités formelles pour justifier un parallèle. Dautres investigations nourriraient le dossier ; tel quel pourtant, il est assez consistant pour être proposé à lattention collective ; le lecteur voudra bien voir dans ces pages les prémices dun défrichage et le repérage dune direction interprétative qui pourrait être éprouvée sur dautres terrains.[3]
Une pratique en expansion
A léchelle de la Provence-Alpes-Côte dAzur, le phénomène bravade se présente comme le legs de milices assurant la sécurité des lieux, mais aussi, les coups de feu étant associés à des processions, comme celui dun clergé soucieux, au XVIIe siècle, de ranimer la ferveur de ses ouailles ; une carte pour les années 1780 (Vovelle 1976 : 43) montre combien la pratique a été répandue. Souvent, lemploi des armes est articulé à un récit étiologique légendaire religieux ou autre , dont la formation tardive et tâtonnante a par exemple été mise au jour pour Saint-Tropez et Fréjus (Var) (Février 1966). Il est évidemment des manifestations de type bravade en toute saison, mais cet usage, qui sest mieux maintenu dans la région orientale Var, Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes , entretient un rapport étroit avec la variante cavalcade de la Saint-Eloi dété, fête équine aux antécédents agricoles (Dossetto 2004a). Parmi mes exemples varois, Saint-Tropez représentera une bravade aux allures militaires, Signes une Saint-Eloi et Barjols une fête patronale où la mitraille, assez importante dun point de vue objectif, perd de limportance par rapport à dautres descripteurs.[4] On laura compris, selon les cas, le terme de bravade désigne soit la fête soit une séquence ou un élément de celle-ci ; de même sont bravadeurs (ou bravadiers ,[5] selon les localités) les seuls hommes en armes (cas dominant) ou tous les figurants (comme à Saint-Tropez).
Pour ce qui est de la période qui nous est contemporaine, après quelques décennies dhésitation, le genre bravade a connu un important regain.[6] Dans les Alpes-de-Haute-Provence, par exemple, des années 1940 ou 1950, à 1978, la désuétude du phénomène sest renversée de telle sorte quà cette dernière date une enquête a mis au jour une demi-douzaine de manifestations armées : à Gréoux ou à Annot (dans ce département), des restaurations ont eu lieu en 1953 ou 1958-1960 (puis 1973). Cependant de telles réactivations ne sont pas concentrées dans larrière région ; sur la côte varoise, par exemple, les bravades de Fréjus, Sainte-Maxime, Cogolin ou Lagarde-Freinet ont repris en 1952, 1968, 1969 et 1983.
Un autre indicateur de dynamisme est le spectaculaire développement de bravades établies. A Saint-Tropez par exemple, au milieu des années 1950 cest-à-dire plus de trente ans après une réactivation réussie et déjà sur une courbe ascendante, on décompte une centaine de fusils et tromblons et 20-25.000 tirs en trois jours, soit 200-250 kg de poudre. Aujourdhui, avec presque 180 armes et à raison de 2 à 4 kg de consommation moyenne selon les catégories dhommes en armes ( marins , mousquetaires , garde-saint ), on parvient au total de 400 à 500 kg de poudre pour environ 220 saluts (tirs groupés devant une personne honorée ou son succédané, comme une statue).[7] Entre nos deux repères temporels, laccroissement concerne donc aussi bien le nombre dhommes en armes que la consommation individuelle moyenne de poudre.
De plus, il faut noter lélasticité actuelle des pratiques. La valorisation comme provençal du fait bravade fonde des phénomènes de diffusion ou dintégration dans des fêtes nouvelles. A Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), dans une fête de la transhumance qui, comme ses homologues, est une innovation du XXe siècle finissant, un bravadeur intervient aux côtés du troupeau qui rappelle les départs pédestres vers les pâturages alpins. A Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), une Bravade avec offrande aux élus intègre désormais les festivités de fin dannée. En même temps, la prise dimportance des fêtes armées dans le blason local produit des physionomies caractérisées de manière croissante. Par exemple, par le choix des armes, le répertoire musical ou le vêtement, les bravades de Saint-Tropez, de Barjols et dAix se sont personnalisées sur la base de modèles formels et dindividus circulant de lune à lautre.
Une telle effervescence ouvre largement léventail des situations.
Des musulmans : ennemis ou figures de soi ?
Commençons lexamen par ce qui assure le lien le plus net avec les fêtes ibériques, à savoir les cas prenant lallure de confrontations interreligieuses ou procédant au traitement festif dune caractérisation musulmane ; leur rareté en Provence-Alpes-Côte dAzur nous oblige à une incursion dans le passé.
Essentiel dans les fêtes de Maures et chrétiens, lassaut dun château a ici complètement disparu. Quelques équivalents se concentraient dans les Alpes-de-Haute-Provence actuelles,[8] où le mieux documenté est celui de Riez. Les attaques dun fort provisoire y ont énormément fluctué, avec toutefois pour constante de ne pas inverser la position des deux camps, loccupation alternative du bastion semblant au contraire une règle en Espagne. En 1808, un voyageur antiquaire définit ce guet (sic) se déployant sur plusieurs jours comme une bravade entre les Chrétiens et les Sarrasins . Le bipartisme religieux est alors assuré. Il est en revanche inconnu dun témoin ayant pratiqué la fête quelques décennies après et consignant ses souvenirs encore un peu plus tard, en 1907, après une disparition définitive. A len croire, la bravade des derniers temps se réduisait à une exhibition intéressant peu le public, un spectacle au temps mesuré et sans enjeux manifestes. Attaques raccourcies (un jour), fond musical, déroulement du combat en même temps quune foire affaiblissaient encore lanalogie guerrière. Alors quil se consommait tout de même des quintaux de poudre , les ennemis festifs navaient plus de caractère net bien que le combat pût sans doute évoquer les grandes batailles napoléoniennes puisque le nom dune grande victoire de nos armées figurait au fronton du fort et que lon utilisait toutes les défroques militaires disponibles. Le thème dun conflit religieux était en tout cas oublié et la disparition de la fête à la fin du XIXe siècle sanctionne peut-être un déficit de sens.
A défaut déchauffourées autour dune citadelle, lactualité festive simule toujours des Sarrasins ou Turcs dans la Stacada de Breil (Alpes-Maritimes). La forme de conflit que prend cette fête (Lebaudy 1998) suggère dailleurs une évolution intéressante pour notre propos. En 1914, daprès une affiche, l estaquade représente la révolte des serfs contre les Seigneurs du pays ; en 1947, dernier sursaut avant une interruption, sont créés les personnages dun seigneur et dune mariée , en vérité un homme travesti car nous sommes en période de Carnaval ; en 1960, date de réactivation en juillet, intervient une menace de droit de cuissage sur la mariée et, au cours de la révolte populaire qui sensuit, le bailli qui a prétendu en user encourt la décapitation. Le durcissement des seigneurs donne un motif plausible à une émeute sociale. Les Turcs y participent au côté de la plèbe si bien que la raison de leur exotisme napparaît pas. Cela donne à penser à un rôle douteux changeant sur la durée : les Turcs , par le passé, ont peut-être été la cible des dragons (soldats) qui interviennent dans la fête. Moyennant probablement une évolution des confrontations et des alliances entre groupes singularisés, ce qui est significatif pour nous est que la Stacada, in fine, évite la représentation dun conflit religieux. Elle résorbe en outre la tension qui existe entre respect dune tradition guerrière et pacifisme ambiant en immergeant lusage des armes dans un complexe festif bon enfant (permanence déléments carnavalesques malgré une célébration désormais estivale) et en en fournissant une interprétation moderniste, des notables ayant succédé aux seigneurs comme contraires aux intérêts du peuple .
Pauvre en combats festifs, dotée de bravades moins que jamais rapportées à une irréductible altérité ethnico-religieuse sarrasine, la Provence-Alpes-Côte dAzur offre en contrepartie aux représentations un terreau cultuel plus varié que la région dAlicante puisque le schéma de lappartenance religieuse ou confessionnelle figurée y est (ou y a été) tripolaire. La référence au protestantisme singularise en effet certaines bravades . Dans le Var, celle de Barjols, selon une plume du XIXe siècle, rappelle les guerres de religion auxquelles le village a fourni un cadre avéré. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, à Castellane, létiologie confessionnelle sest maintenue dans la commémoration dun combat remontant au XVIe siècle (Duret 1981). Mais les temps ont changé. A Barjols, le thème narratif ancien sest oublié et les organisateurs actuels ne confèrent plus dorigine à lemploi festif des armes. Pour Castellane, par manque denquête apte à révéler des ajustements dans la mise en scène des huguenots ,[9] je marrêterai à une hypothèse. Le traitement festif de laltérité religieuse doit aller régulièrement dans le même sens, que les oppositions campées aient un caractère intra ou interreligieux. Une observation directe mettrait sans doute plus généralement en évidence que lusage des armes se maintient toujours en contrant la priori de l ennemi héréditaire . Pour ce qui est sûr, les exemples de Riez et de Breil convergent en ce que les figurants sarrasins se sont dissous, soit tout à fait, soit comme ennemis.
Au-delà de cette différence formelle majeure avec lEspagne, une convergence est remarquable. De même que dans la région dAlicante, les Maures sont ressortis à lenquête comme des personnages somme toute positifs, de même, à Breil, ils emportent la sympathie générale et, selon une pseudo-généalogie largement attestée en Provence-Alpes-Côte dAzur, beaucoup d originaires se perçoivent comme des descendants de Sarrasins.[10] Dans les deux situations, la mise en représentation de soi à travers la fête exprime la possibilité dune coexistence religieuse paisible. Le renversement dune interprétation stéréotypée qui ferait d autres religieux des ennemis obligés constitue de la sorte une première forme dintervention sur les apparences belliqueuses.
Bravade , genre et chasse[11]
Avant de repérer dautres ressources que lévacuation dadversaires religieux potentiels ou le retraçage de silhouettes symboliques, il convient dapprocher le fait bravade à partir dun trait fondateur, autrement dit des aspects de la virilité quil met à luvre.
Du côté des femmes
Ce nest pas que les femmes soient absentes des manifestations, mais les formes de leur présence les situent globalement à la marge du maniement des armes. Autrefois, à Barjols, dont la fête célèbre saint Marcel évêque de Die, certaines des prénommées Marcelle tiraient un coup de feu de leur fenêtre ; ce geste ne les assimilait pourtant pas aux bravadeurs du cortège. A Saint-Tropez, des épouses ont touché à la poudre, mais il sagissait de fournir leur mari au gré de ses besoins. Aujourdhui (enquête en 1998), à côté du président des Bravades ou cepoun, il y existe une cépoune [12] aux fonctions créées sur mesure car cest sa compagne ; en haute Provence ou à Signes, des prieuresses ont de même existé en retrait du capitaine régisseur de bravade . Les aubades (séquences musicales avec tirs au domicile du destinataire) sorganisent en une tournée de lhonneur masculine ; les femmes qui y apparaissent sont encore une fois définies par leur statut conjugal, plus rarement filial, ou bien elles sont absorbées par leur métier quand l aubade à un service public neutralise le genre des fonctionnaires. Même ce qui peut paraître une exception confirme cet effacement structurel. Quand par exemple un important renouvellement des costumes festifs vaut une aubade à des femmes (Barjols, 2000), son exécution dépersonnalise chacune des couturières puisque lhommage est adressé en plein air ; il ne sagit aucunement comme cest la façon habituelle de procéder de se rendre à chaque domicile ou au lieu de travail. Par ailleurs, si les femmes sont admises à tirer en fin de fête devant leffigie qui représente le saint célébré on dit faire les honneurs au saint , quen est-il concrètement ? A Barjols, intervenant lune après lautre, elles sont rares, jeunes et parmi les plus ferventes de saint Marcel, et des approbations souriantes se font entendre. A Saint-Tropez, où ces tirs sont pratiqués à plusieurs en même temps selon la disponibilité darmes plus nombreuses, où donc davantage de femmes y accèdent en étant moins individualisées, elles sont en contrepartie plus dépendantes (infra) pour le maniement de celle qui leur est prêtée. Enfin, les quelques cantinières figures militaires sans armes qui ont place dans la Bravade de Saint-Tropez natteignent quenviron 1% de leffectif ; encore ce rôle ne leur est-il accordé que si un homme de leur famille est bravadeur . Et, à Castellane, si une jeune fille est pleine actrice dans la Fête du pétardier en 1978, elle y est vêtue en homme.
Le plein rôle des femmes réside ailleurs que dans la manipulation de la poudre. A Saint-Tropez, où nest pas bravadeur qui veut, lascendance locale de laquelle elles participent peut aider leurs fils à le devenir. Des fonctions féminines classiques sont très sensibles au moment des aubades , cela dans lagencement de décors domestiques autour de bustes du saint en réduction ; dans la préparation de buffets à base daliments aux couleurs rouges et blanches de la localité (saucisson, radis, fraises à la Chantilly ) ; dans le soin pris pour une toilette qui combine volontiers des vêtements de ces deux teintes, de sorte que, lorsque les épouses se tiendront auprès de leur mari bravadeur , elles lépauleront de leur propre allégeance tropézienne. La fête sétendant sur trois jours, le tour le plus apparent des femmes ou plutôt celui des familles sera en fait le dernier grâce à une excursion et un repas champêtres dont la date dapparition ne mest pas connue. Avec sa caractéristique bucolique et détendue, cette journée apparaît comme un décentrement géographique et thématique. Au mois de mai où se situe la Bravade, cette séquence opère un glissement, du vacarme des armes vers le délassement collectif fréquent (Bromberger 2008) des collations printanières en plein air.
Au fond, à travers le détail, se dessine une dominante sexuée de divers lieux festifs : masculinité des places ou des voies publiques où retentit la poudre ainsi que de lOustau (en provençal maison , ici siège associatif) de la Bravade, point de rencontre à divers moments de la fête et rappel peut-être, toutes proportions gardées, des chambrées ou chambrettes , qualifiées par Lucienne Roubin (1970a ou, sous forme dextrait accessible en ligne, 1970b) de maisons des hommes ; mixité organisée de la procession, ouverte par des femmes et des hommes en vêtement local, et continuée par les bravadeurs se succédant par corps en uniformes militaires (mixité au contraire totale de la salle dévolue aux discours et au vermouth dhonneur, ou de la colline du pique-nique) ; féminité affichée de lespace domestique, manifestant en bordure des rues lengagement personnel de la maîtresse de maison. Lapaisement ne vient pas comme à Breil dune alliance plutôt inattendue entre peuple local et Sarrasins mais dune succession de séquences qui, cumulant des oppositions hommes / familles, centre urbain / campagne, poudre et évolutions militaires / commensalité et détente , ne font plus de la Bravade une unique affaire darmes et de parade pseudo-militaire. Inscrits dans une série de contrastes, les épisodes de tirs sont coupés par des temps de répit.
Des hommes entre chasse et bravade
Affaire de genre, le plein maniement de la poudre renvoie aussi, on pourrait dire par conséquent , à la chasse. Si les bravades ont une longue histoire cest en effet en raison de la large et précoce diffusion des armes à feu ; dans la Provence davant la Révolution déjà, elles sont attestées à tous les échelons sociaux en liaison avec une pratique de la chasse bien ancrée. Des générations durant, lusage festif de la poudre a reposé sur une activité cynégétique généralisée et, au présent, lappartenance à la société locale de chasse est quasi automatique, la réglementation exigeant le permis de chasse pour participer à une bravade .
Accéder à son premier fusil de chasseur ou à son tromblon festif sont, pour les jeunes Provençaux intéressés, des étapes assez semblables sur le chemin qui conduit vers une pratique cynégétique ou festive adulte. De même que le parcours dun chasseur commence par le piégeage avant quun âge suffisant lui acquière lusage des cartouches, de même, un petit Barjolais par exemple figurera dans la fête en Provençal ou en marmiton tout en rêvant des pétards interdits ou en se les accordant furtivement ; puis il sacheminera vers une image plus batailleuse en revêtant une cotte de maille et un casque, et en portant une hallebarde ; enfin, il pourra passer dans le groupe des jeunes gens en armes à feu. Les liens entre les domaines festifs et cynégétiques sont si réels quun acteur à qui je demandai un jour sil avait eu la charge dun tromblon me répondit négativement en sexpliquant par son unique et désastreuse chasse au fusil.
Poursuivant la comparaison, on pourrait noter que les métaphores érotiques que des chercheurs ont mises en évidence avec les fusils de chasse (Bromberger et al. 1980, 1981) parcourent aussi les bravades . Revoyons la scène de tir devant leffigie de saint Tropez. Plusieurs personnes sy adonnant en même temps, il existe une indéniable contrainte de sécurité ; toujours est-il quune femme peut y être rendue presque complètement passive par un bravadeur qui se tient derrière elle pour contrôler larme, ce qui lamène à passer les deux bras autour de sa protégée. Ce moment est bien sûr fugitif, encore que rien ninterdit de renouveler lexpérience, mais il laisse la possibilité dun rapprochement entre personnes de sexe opposé et notamment entre jeunes personnes. Les réactions suscitées à la terrasse dun café par une femme qui, répondant à une question à ce sujet, disait avoir tiré un coup avec X mont dailleurs semblé révélatrices, que cette formule malencontreuse ait entraîné, dans le petit groupe attablé, des rires en coin ou des marques de confusion.
Le nouveau porteur darme, en amont de son changement demploi dans le cortège, aura par ailleurs acquis la capacité à bien supporter lalcool. Cest là une qualité si nécessaire à un homme quelle a été une condition dentrée dans des chambrettes . De nos jours (Dufour 1989), la tournée entre habitués dun café reste un élément de base de la sociabilité masculine, soumis à laptitude à absorber sans dommage plusieurs verres de pastis (alcool anisé détendu à leau). Dans lexercice festif, le savoir boire permettra de garder la totale maîtrise de son arme malgré les nombreux pastis servis au cours d aubades senchaînant parfois toute une journée. Un bravadeur ou un autre se plaira sans doute à faire sursauter le public par un tir isolé ou chargera de temps en temps son arme avec une application ostensible et menaçante ; des tirs dans les bassins de fontaine ou sur le mur délabré dun bâtiment ancien pour faire tomber encore un peu de crépi signalent plus nettement des aubades bien avancées ; mais ce sont là des façons joyeuses et sans risque, autorisées par lambiance festive.
Homme dun statut particulier, le curé peut être plaisanté. Des bravadeurs rient de son jus de fruit qui les rendrait malades (il en offre, au moment de l aubade , à la place de pastis) et certains samusent à garantir leur arme de leau bénite dont il asperge leur groupe comme si elle risquait de mouiller la poudre. Un gentil chahut intervient le cas échéant. Au moment des saluts au saint , assuré quil ne sen rendra pas compte, un bravadeur tend par exemple au curé une arme conservant sa baguette, son but étant de larrêter avant quil ne tire cest-à-dire ne commette cette erreur de débutant de lexpulser au loin et de la perdre ; le prêtre évidemment rit de la farce qui démontre son incompétence.
Devenir bravadeur (en armes) ou bravadier signe au total lâge viril et ses performances. Selon les lieux, les hommes resteront plus ou moins longtemps actifs. A Saint-Tropez, où lattachement à la Bravade est très profond, on voit des vieillards ne pas se lasser dy participer, et beaucoup souhaitent être inhumés dans leur uniforme de bravadeur . Dans dautres localités, la pratique des tirs festifs est plutôt une affaire de jeunes gens et il est notable à ce sujet quun récent dictionnaire de la France rurale (Lachiver 1997) associe la bravade à une catégorie dâge.[13] De manière courante toutefois, les pratiques distinguent hommes mariés et célibataires ; à Signes par exemple, le nombre des uns et des autres semble désormais fixé à douze.
Certains des aspects qui viennent dêtre évoqués ont leur pendant dans les fêtes de Maures et chrétiens, où le goût juvénile pour lalcool (Albert-Llorca 1995 : 10) et les armes à feu (Albert-Llorca 2004 : 46) est aussi récurrent. Laissons pourtant en suspens la question de lâge afin de nous arrêter sur une donnée plus fondamentale du point de vue que nous avons adopté. Chasseurs de fait dans la vie ordinaire, les hommes en armes cultivent parfois cette apparence dans la fête.
Lutilisation dune arme de chasse dans une bravade répète une habitude ancienne, mais elle est ambivalente. Portons-nous par exemple à Signes. Les bravadiers y utilisent aujourdhui le fusil avec lequel ils chassent. Or ils ont recouru à des tromblons, attestés par exemple dans les années 1960. Tout en les délaissant pour leur arme courante, ils ont conservé redingote et chapeau haut-de-forme quils portaient alors. Si lon considère de plus que la poudre risque dendommager les fusils modernes,[14] il ressort quau contraire de ce quon aurait pu croire à première vue, la facilité ne détermine pas léquipement actuel.
Linventaire des localités utilisant encore ou à nouveau le fusil de chasse reste à faire, néanmoins ce dernier est assez caractéristique des Saint-Eloi. Par ailleurs, des formules plus originales existent. Le bravadeur qui, à Salon, figure dans la fête de la transhumance aux côtés de personnes en costume local est lui-même vêtu comme un groupe folklorique représenterait un chasseur. A Tarascon, la bravade est réhabilitée autour du personnage de Tartarin, type littéraire et héros de roman (1872), incompétent cynégétique notoire mais chasseur prétendu de lions ; dans la fête, en fusil comme il se doit, il est entouré de quelques traqueurs de fauves en casque colonial, eux aussi dûment équipés. Régulièrement, un jeu de correspondances entre la chasse et la bravade permet de moduler lusage festif de la poudre, et certains enfants confirment le parallèle à leur façon quand, observant lorientation au ciel des fusils, ils sinquiètent de ces bravadeurs ( bravadiers ) cherchant à tuer les oiseaux .
Le fait que, selon les localités, les acteurs festifs sont propriétaires ou non de leur arme peut évidemment avoir son incidence. Pourtant, si nette que soit la coïncidence avec un certain passé, il apparaît que lusage même du fusil de chasse ne relève pas dun comportement routinier ou à moindre coût, mais, au moins dans certains cas, dune option authentique quil faudrait étudier sur quelques décennies. A cette échelle, lalternance éventuelle des armes amène à penser que les connotations de chacune pourraient plus ou moins compter au nombre des facteurs de changement. Ainsi, le recul, comme à Signes, du tromblon au fusil a-t-il produit un déplacement vers lévocation dun loisir ordinaire, au point quil est possible de se demander si, succédant à lemploi darmes spécifiques, la référence actuelle à la chasse ne tirerait pas la bravade hors delle-même en brouillant la donne. La question est justifiée, mais leffet de cette permutation darmes ne doit pas être exagéré. Il nest pas assimilable à celui du pique-nique familial tropézien. Ce dernier produit une rupture évidente dans les pratiques (renouvellement du programme, fête annexe emboîtée dans la fête principale). Il en va tout autrement avec une bravade en cours de Saint-Eloi. Cette fête se présentant avant tout comme une concentration de chevaux de trait certains secteurs géographiques la pratiquent dailleurs sans bravade , le voisinage animal happerait tout type darmes dans une sphère plus agreste que guerrière. Un fusil de chasse est certes plus anodin quun tromblon, mais il sinscrit aussi dans une continuité presque logique avec la rusticité de la fête. En somme, la nature de larme perd de son importance au profit du contexte ou, pour dire autrement les choses et cette observation est extensible à mes autres exemples , une modification, ici le passage du tromblon au fusil, nest évidemment pas univoque. Plus que sur de pseudo-chasseurs, notre attention est en conséquence appelée à se centrer sur des porteurs darmes à lallure de miliciens.
Célébrer une fête aux allures militaires
Sans poursuivre la revue des cas de figure, il est clair désormais que les réactivations ou autres seuils festifs peuvent saccompagner de modifications diverses, calmant métaphoriquement le bruit des armes ou poliçant les combats. En reprenant autrement notre interrogation de départ, il sagit de sintéresser maintenant à des moments particuliers. Quen est-il des fêtes en armes à des dates où une guerre authentique mobilise les acteurs ou renvoie à leur expérience immédiate ?
Bravade(s) et guerres effectives
Les fêtes de Maures et chrétiens ont pu connaître un regain ou une inflexion dans des périodes dexaltation du sentiment national ; ce fut le cas après lépopée napoléonienne (Carrasco 1976 : 112), sous le régime franquiste ou après la guerre civile, quand, loin dêtre célébrée avec des combats, la fête a comporté un acte de réconciliation (Albert-Llorca 1995 : 7, 2004 : 42 et 46). En Provence-Alpes-Côte dAzur, la guerre de 1914-1918 asséna un coup qui semblait devoir être fatal aux fêtes armées, même là où, juste auparavant, la bravade pouvait être conduite par un vétéran de 1870 (Durbec 1952 : 261 et 254). Nous avons assez longtemps été soldats de vrai, pour ne pas nous déguiser en semble-militaires , résume un érudit (Joannon-Provence 1942 : ix, soulignement de lauteur).
Pourtant, à y regarder de plus près, le dégoût des armes est antérieur. Dune part, des bravades associées à des processions avaient auparavant souffert, de manière indirecte, dune vague danticléricalisme. Des décisions municipales interdisant les démonstrations religieuses dans lespace public comme, en 1903, à Gréoux dans les anciennes Basses-Alpes (Bertrand 1992) ont parfois empêché une démonstration de poudre (processionnelle) impossible à huis-clos. Dans ce cas, la guerre a plutôt détourné dune réactivation quelle na décidé dune disparition. Dautre part, la pratique sessoufflait certainement delle-même. Ainsi, à Fréjus (Var), la bravade disparut-elle en 1906 à cause dun accident qui paraît navoir été quun prétexte (Février 1966 : 180) et lexemple de Saint-Tropez est encore plus net. Vingt hussards participant à la Bravade en 1899 sévaporent en 1903 et la restauration dun petit corps dartilleurs, aussi attesté en 1899, se solde au même moment par un échec. Quant à la liste des capitaines de ville qui sont à la tête de la mitraille, elle montre quà la charnière du XIXe et du XXe siècles peu dhommes restent intéressés. Les mêmes individus réapparaissent régulièrement, lun en 1885, 1896, 1902 et 1914, lautre en 1899, 1905 et 1921. Avec néanmoins ici une autre dimension que celle, habituelle, de repère temporel, la grande guerre ne fit que parachever un déclin déjà installé, même si quelques manifestations se maintinrent jusquau repère équivalent formé par le conflit de 1939-1945 (Durbec 1952 : 260).
Au moins un temps, le phénomène bravade a souffert de sa proximité formelle et conjoncturelle avec une guerre. Dans ce contexte, la revivification globalement réussie à Saint-Tropez au cours des années 1930 résulta de la rare conjonction dune multiplicité de facteurs. Quant aux aspects techniques, il faut signaler la constitution dune association (1921), lintervention dun mainteneur de traditions extérieur à la localité, homme hors du commun par le foisonnement et lefficacité de son activité (Dossetto 2004b), et le recours à des participants dautres lieux pour laccompagnement musical ; une organisation nouvelle et le changement déchelle dans le recrutement des forces vives fournirent au total les moyens de la réactivation festive. En amont, cette réactivation précoce relevait presque du défaut de choix. Une grave crise économique, le manque danimations attractives, le fait au contraire que des localités voisines jouaient avec bonheur la carte des fêtes touristiques, bref le besoin dattirer des visiteurs avaient orienté vers la Bravade les réflexions et les projets de décideurs locaux de toutes tendances idéologiques. Dans linventaire des possibles, elle sétait imposée comme ressource locale unique (Girault 1994).
Il nen reste pas moins que le regain tropézien tranche moins quon ne pourrait le penser sur la désaffection générale des bravades dans le premier tiers du XXe siècle. Que sy passe-t-il en effet ? La liste des capitaines de ville est interrompue durant la première guerre mondiale et, si elle est continue sous la seconde, la Bravade est célébrée bien entendu (lexpression est de Buyret 1954) sans armes. Après quoi, en 1945, la pseudo-identité bravade / guerre est exploitée pour clore symboliquement le conflit qui vient de sachever et qui a fait de la localité un centre de Résistance et un port de la Libération . En pleine Bravade, juste après la messe habituelle des mousquetaires , lévêque procède à la purification (sic) de lhôtel ayant abrité la Kommandantur. Des sommités militaires ou politiques sont présentes, quil sagisse dun ministre et dun maréchal ayant combattu sur les lieux ou de hauts représentants de la marine nationale et des pays alliés actifs dans la Libération (Ben 1990 [1955]). De plus, les bravadeurs ont inscrit dans leur coutumier une nouvelle cérémonie ; remarquablement exempte de poudre, cette commémoration des événements daoût 1944 se présente comme une bravade paradoxale.
Soit que dauthentiques guerres nuisent aux fêtes de type bravade , soit quelles leur confèrent une dimension exceptionnelle ou décident dune célébration supplémentaire dans le calendrier associatif, cest de toute façon la force de lanalogie qui fédère des orientations en apparence contradictoires ; il faudra en envisager des conséquences après avoir évoqué lintérêt occasionnel de cette même analogie.
Faire parler la poudre
Limage du conflit qui adhère aux fêtes armées est susceptible de leur donner une dimension spéciale dans des situations de toute sorte. Dans la région dAlicante, des rivalités de clocher trouvent dans les modalités festives une expression possible ; une ville déchue de son ancien prestige y reprend par exemple un pouvoir symbolique de quelques jours sur une rivale qui sest développée à ses dépens (Albert-Llorca et Albert 1995). A une autre échelle, la présentation festive des Maures exprimant la possibilité de coexistence religieuse désigne implicitement pour ennemi de la population locale le pouvoir castillan (Albert-Llorca 2004). En ce qui concerne lancienne Provence, Albert Giraud (1995) réunit maints exemples anciens qui mêlent pratiques festives, positions idéologiques, émeutes, etc. Les conflits entre cléricaux et anticléricaux à la charnière des XIXe et XXe siècles fournissent le cadre dune revivification éphémère de la Bravade à Saint-Tropez ; létude détaillée en a été faite (Girault 1994). En raison de lacuité de leur souvenir, de telles tensions marquent encore, en 1953, la restauration, sous forme de reconstitution historique , de la bravade pour la Saint-Sébastien à Gréoux ; la parade est bien la réoccupation de la voie publique par les solennités confessionnelles (Bertrand 1992 : 435). Au présent, Saint-Tropez fournit une des plus vives utilisations symboliques des armes.
Depuis la fin du XIXe siècle, peintres, tourisme, cinéma, néo-résidents fortunés ont distingué le village en renouvelant en même temps ses dimensions. Il suffit de feuilleter au hasard un numéro de la Revue du Golfe coïncidant avec une Bravade pour en trouver une présentation bilingue (français et anglais) voisinant avec une information sur des célébrités et les luxueux établissements quelles fréquentent. Dans un contexte qui a même entamé le nom de la localité ( Saint-Trop ) et alors que la population autochtone est devenue minoritaire, lenracinement local, au moins chez certains, sest transformé en une valeur exacerbée, réalité décelable à des indices comme un conservatisme inattendu de la langue vernaculaire, noté il y a une trentaine dannées par les dialectologues de lAtlas linguistique et ethnographique de la Provence. Dune certaine façon, la Bravade aussi est langage. Elle apparaît comme une façon de manifester son appartenance à la localité historique et de reprendre symboliquement possession de la cité. Le maire confie lautorité sur les lieux au capitaine de ville et la ville dote celui-ci dune épée en argent (Fabbri 1990). Être admis comme bravadeur et, au sommet de la hiérarchie des hommes armés, comme garde-saint est très convoité. Durant la fête, beaucoup de Tropéziens aiment à pavoiser de rouge et de blanc leurs façades etc. Alors que le fort impact sonore des tirs indispose vite ceux qui ny sont pas préparés,[15] le parcours de lespace urbain en faisant parler la poudre revient à peu près à se faire entendre comme héritiers du Saint-Tropez historique.
Que les fêtes armées se présentent éventuellement comme une ressource expressive ne lève cependant pas les aspects, pour ainsi dire trop prononcés de nos jours, dune allure guerrière ; cest laménagement de ce point délicat quil convient dexaminer maintenant.
Adoucir des troupes festives
Lanalogie entre guerre et bravade est particulièrement sensible quand les hommes en armes se produisent en uniformes comme à Saint-Tropez. Là, la fête met en présence, aujourdhui comme en 1954, de vrais militaires qui sont salués par les bravadeurs , soit devant la mairie, soit de manière plus caractéristique sur le port. Bien que de tels saluts honorent dautres personnalités comme les élus locaux, en face de représentants dune authentique armée, il sinstaure une continuité dautant plus remarquable quil y a réciprocité daction (Buyret 1954 : 29 ; Fabbri 1990). Une donnée primordiale est donc que les uniformes des bravadeurs sont assez anciens avec bicorne et autres pour ne pas court-circuiter les souvenirs familiaux ou une expérience personnelle ; le mélange de silhouettes relevant dépoques différentes est dailleurs habituel aux bravades figurant des régiments de soldats. Tel quil sest opéré à Barjols, le remplacement des uniformes signalant l état major par des costumes médiévaux creuse encore davantage lécart entre la guerre connue ou proche et la bravade .
En plus de la distanciation par le renvoi vestimentaire à un passé opportunément lointain, il faut noter comme deuxième trait général une tendance au rajeunissement des troupes. Il peut être total comme à Fréjus quand, en 1952, des enfants furent requis dendosser des uniformes antérieurement portés par des hommes (Février 1966) ; mais le cas est sans doute rare car une telle formule suppose de renoncer à lemploi essentiel de la poudre. Ce sont donc les états-majors (toutes les manifestations de type bravade nen nont pas) qui, dotés dinsignes de commandement autres que des armes à feu pique, armes blanches, drapeau , se ressentent surtout de cette évolution. Le même mouvement sobserve à Barjols et à Saint-Tropez où il est plus poussé. Pour le comprendre, il faut savoir que les dignitaires des bravades représentent sur la durée, les uns les hommes mariés, les autres la jeunesse (célibataire). Malgré les connaissances historiques des organisateurs de bravades à ce sujet, il sopère un glissement de cette jeunesse adulte vers ladolescence voire la préadolescence, et ce rajeunissement affecte l enseigne et son major ou aide de camp . A Saint-Tropez, les tenants de ces fonctions sont carrément imberbes et cest vrai depuis plusieurs décennies comme le montrent les clichés de 1954 ; en 1998, leur mère les suit discrètement lors des démonstrations armées pour les soulager aussitôt que possible à force bouteilles deau et autres.
Si le rajeunissement de l état major est un trait partagé, dautres tempéraments, en létat de ma documentation, semblent propres à Saint-Tropez et, bien que jignore leur date dapparition, ils mapparaissent tous tardifs (Lally et Condroyer, en 1888, ne les signalent pas). A défaut de connaître la fleur au fusil, la Bravade recourt à de minis bouquets bénits, arborés notamment lors dune procession pour laquelle les hommes en armes délaissent leur tromblon ou autre pour une épée ; cela fait au moins un demi-siècle quils se fleurissent ainsi (Buyret 1954 : 29 et 31). Les occasions daccolades entre eux sont nombreuses et, devant le siège de lassociation, ils défilent en plus pour embrasser le cepoun et la cépoune . Le retour du pique-nique entre aussi dans la liste de ces amendements apaisants ; pendant une farandole (danse en chaîne fréquente en clôture dun banquet) tournant à la course au flanc dune colline, hommes ou femmes sont saisis par surprise par plusieurs bravadeurs unis dans un cercle impromptu, et projetés plusieurs fois en lair à lamusement général ; nimporte quel porteur duniforme peut ainsi se trouver dans une position très peu martiale.
Mais, prolongeant la puérilisation de l enseigne et de l aide de camp , cest surtout la présence de tout jeunes bravadeurs (quatre-six ans) qui est remarquable. Fait massif aussi en 1954, ils sont nombreux, vêtus comme les adultes, à accompagner les troupes en procession. Trois dentre eux, sans doute plus nouveaux que les autres, sont davantage individualisés. Un est au centre dune séquence spécifique ; il noue une écharpe au buste de Saint Tropez et après [ ] sêtre décoiffé embrasse le saint sur les deux joues (Fabbri 1990). Moment très attendu aujourdhui, ce baiser au buste reliquaire nest évoqué ni dans le compte-rendu ni dans liconographie de 1954 ; on peut raisonnablement en déduire son inexistence à cette date et la création récente de ce rôle enfantin. Un très jeune tambour-major imite scrupuleusement son aîné ; il ny a pas dhomologue photographié ou évoqué en 1954. Par son titre et son vêtement, un petit garçon est un double du capitaine de ville . Un cliché nous montre son prédécesseur dans cette fonction en 1954, mais sans que Louis Buyret sattarde à un commentaire ; la description étant par ailleurs très précise, il faut peut-être voir dans cet intérêt modéré lindice dune innovation non encore véritablement assise. Quoi quil en soit, ce petit personnage a une utilité. Comme acteur central, le capitaine de ville , en gagnant, par lenfant, un second visage, a perdu un peu de son allure terrible. Adulte, il ordonne normalement la mitraille du geste lent et grave de sa pique mais, garçonnet, il a un rôle épisodique de parade et sa petite taille en fait une figure attendrissante au milieu des hommes en armes. La candeur de lenfance tend ainsi à ébranler la correspondance entre fête armée et guerre, à blanchir en quelque sorte la poudre. Autrement dit, même les bravades en uniformes se révèlent souples à la métamorphose pour atténuer leur caractère belliqueux.
Traditionnelle, mais en porte-à-faux
Si lon procède à une récapitulation, ceci finit par simposer. Le dossier Bravade apporte dores et déjà plusieurs exemples de travail sur lanalogie milicienne. Malgré sa longueur, la série des interventions nest pas close : allures ludiques ou dimension carnavalesque ; détente résultant de linsertion de séquences sans armes, dun changement de cadre, de moments familiaux collectifs ; transposition de conflits dans le registre social ou évocation cynégétique multiforme ; jeu sur le vêtement avec la floraison de costumes historiques (Barjols, Castellane, Annot, Entrevaux ) ou plus ou moins bourgeois (Signes, Le Beausset, Nans-les-Pins ) pour les hommes en armes, et la contribution de groupes folkloriques en coiffes et autres ; adoucissement direct des hommes en soldat (accolades, bouquets bénits) ; infantilisation partielle progressive et valorisation de lextrême jeunesse. Ces amendements sont plus ou moins frappants selon que la manifestation, dite Bravade , est dallure militaire ou quelle ressortit au genre fête à bravade (cf. Dossetto 2009), dont la composition complexe est moins susceptible dêtre traversée par le spectre guerrier. Mais ce sont autant de descripteurs ou de tendances qui ont des équivalents ailleurs. A Villajoyosa, on a souligné le recours au burlesque ou la multiplication de duels se terminant en embrassades après deux coups dépée (Albert-Llorca 1995 : 8). Les marches belges méritent aussi un coup de projecteur. Les sapeurs y ont remplacé les tabliers de cuir blanc, partie prenante de leur uniforme, par des tabliers brodés ; même si elles ne les confectionnent pas toujours, les mères ou les épouses assurent leur entretien complexe etc. ; elles sont entrées de la sorte dans une fête où leurs compagnons de vie se signalent désormais par une toile ajourée à fleurs en rapport esthétique avec le linge de maison (Pop 1986). Une vingtaine dannées après cet état des lieux, des femmes en viennent cependant à contester le tablier brodé comme symbole de leur ancienne sujétion au marcheur mâle (Foulon 2009) ; elles revendiquent du même coup une participation directe aux défilés, auxquels elles apporteraient certainement un autre caractère euphémisant .
Bien que la liste tirée détudes mues par leurs propres questionnements soit forcément réduite, lattestation de tempéraments comparables sur des terrains différents, et leur cumul éventuel comme à Saint-Tropez, confirme leur intérêt général et leur finalité. Très sérieux quand on laborde du point de vue loco-identitaire, le fracas festif des armes est de plus en plus lobjet dune élaboration intégrant des formes datténuation. Cette actualisation pourtant ne relève pas à proprement parler ou pas seulement du maquillage ou de lestompe la consommation de poudre augmente , mais plutôt de la mise en abyme. Elle provoque un effet de flou, comme un bougé photographique. Cest un trait fort des fêtes à lexamen, un processus partagé au-delà dune variété factuelle au contraire cultivée avec soin. Il en va comme si elle était un accommodement nécessaire ou salutaire, une mesure de légitimation que certaines des données réunies inscrivent avec certitude dans une durée relative.
Afin de mieux percevoir le travail spécifique sur la poudre festive, prenons un recul qui permette de le rapprocher de celui qui signale des fêtes malmenant symboliquement un animal. Dans un village de Croatie, le déroulement traditionnel prévoirait un abattage public ; à lorée des années 2000, la pression publique oblige à le remplacer par une imitation évocatrice (Capo-Zmegac 2004 et information directe). A Barjols et dans sa Saint-Marcel dont nous avons évoqué la bravade , pendant des décennies, un buf a paradé vivant avant dêtre exhibé embroché tête intacte ; depuis 1995, deux bufs se succèdent dans ces séquences pour laisser le premier regagner ses verts pâturages (sic) et rapprocher le second dune bête de boucherie ordinaire (Dossetto 2001). Quil sagisse de fêtes armées ou de telles démonstrations festives de la mort animale on sait par ailleurs combien la corrida mobilise de détracteurs , lusage (en cours de réactivation ou établi, peu importe) a également opposé à des mainteneurs de particularismes locaux une violence inhérente dérangeante. Les aménagements trouvés tendent à diminuer la sorte de malaise, la gêne comparable qui en résultaient. Des pratiques en apparence bien différenciées gagnent au total à être envisagées globalement comme des faits de tradition en porte-à-faux, porte-à-faux dynamique puisquil génère en quelque sorte un changement qui soit apte à le réduire.
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NOTES
[1] Tout en y intervenant quelquefois, la hallebarde et lépée ont en effet des aires de diffusion qui en sont indépendantes. La première na une visibilité réelle que dans les Alpes-Maritimes (Canestrier 1955), la seconde (Carenini 1996) dans les Hautes-Alpes ; limage de la danse armée qui est cultivée dans ce dernier cas orienterait dailleurs les comparaisons vers lEurope de lest (voir, par exemple, Capo-Zmegac 2004) plus que vers lEspagne, du côté de laquelle nous aurons à nous tourner.
[2] Jai en outre procédé au dépouillement de la Revista de dialectología y tradiciones populares (série lacunaire conservée à Aix-en-Provence, Maison méditerranéenne de sciences de lhomme).
[3] Le présent article reprend une conférence donnée au Musée de lartillerie (Draguignan, Var) en octobre 2006. Je remercie Hassan Moukhlisse (Maison méditerranéenne des sciences de lhomme) pour la numérisation des clichés. La luminosité du rendu est à peu près conforme à la réalité pour les photos 4a et 4b (belles journées de janvier), mais elle la transforme à Saint-Tropez, où il faut considérer que les clichés ont été réalisés au cours de journées quasi estivales ; les vues des séquences de tirs doivent être appréciées à partir de lassombrissement général de la série.
[4] Par exemple un buf auquel il me faudra faire allusion plus tard ; la densité des tirs est moindre quand lanimal est présent (un an sur trois aujourdhui) ; alors que la fête prend généralement plus déclat (chevaux etc.), la nomination dun capitaine de ville (infra) nintervient que ces années-là, mais cest bien le buf qui attire prioritairement les visiteurs à Barjols.
[5] Le terme provençal est bravadaire ( bravade se dit bravado ).
[6] Une analyse des phénomènes généraux de réactivation (revitalization) qui en constituent le cadre est accessible dans Dossetto (2004b), contribution à un colloque de 1999 sur cette thématique ; pour ce qui concerne le fait bravade seul, on se reportera plutôt à Dossetto (2009). Cela dit, les faits que nous aurons à examiner ne coïncident pas nécessairement avec des phénomènes de réactivation.
[7] A Barjols, on estime quil y a 150 à 250 cartouches par homme, sur la base de 22 grammes de poudre par cartouche et dix armes (appartenant à lassociation organisatrice). A Signes, chaque homme disposerait dà peu près 200 cartouches. Cest donc davantage le nombre de tireurs que la consommation de chacun qui différencie nos exemples.
[8] Exemples à Volx (Duret 1981) ou à Allos (Seignolle 1967 [1963]).
[9] Je nai pas pu éclaircir ce cas, la bravade de Castellane interférant avec le calendrier varois. Des images diffusées par Internet ne sont guère informatives que dallures générales, de même que la présentation dEvelyne Duret (1981).
[10] Sentiment qui ne rend pas moins distantes les relations quotidiennes avec une population harkie, assez importante depuis 1962 (Lebaudy 1998).
[11] Cette section correspond peu ou prou au sujet que javais inscrit au programme du colloque sans actes Fêtes et réjouissances dans lEurope Méditerranéenne, XVIe-XXe siècle (Université de Montpellier, 2002). Un tel intérêt pour le genre formait à cette époque (sans que cela me fût connu) un sujet de thèse à partir dune fête de Maures et chrétiens relativement récente. Une étude (Heuzé 1999) montre ainsi que linnovation dune présence féminine y est passée par un temps de travestissement (1962 sq.) puis par une féminisation de lapparence (à partir de 1975), cependant toujours subordonnée à la figure du sauvage . Lorientation du propos exclut en conséquence une interrogation sur limage guerrière semblable à celle qui moccupe.
[12] Cepoun est du provençal, cépoune une transposition en français.
[13] Inversement, la bravade et sa jeunesse en armes échappent à un échantillon festif international récemment produit par le Centre alpin et rhodanien dethnologie (Isnard et Lazier 2010). Sur le lien historique entre bravade et jeunesse , voir Agulhon (1984 [1966]).
[14] Information confirmée par Gilles Aubagnac, conservateur du Musée de lartillerie à Draguignan.
[15] Nombreux sont les habitués repérables au coton hydrophile dont ils se sont prémunis.