Serviços Personalizados
Journal
Artigo
Indicadores
- Citado por SciELO
- Acessos
Links relacionados
- Similares em SciELO
Compartilhar
Etnográfica
versão impressa ISSN 0873-6561
Etnográfica vol.16 no.2 Lisboa jun. 2012
Devenir père homosexuel en France : la construction sociale du désir denfant
Flávio Luiz Tarnovski
Universidade Federal de Mato Grosso, Cuiabá, Brasil, flaviolt@gmail.com
RÉSUMÉ
À partir dune enquête avec des pères homosexuels français membres de lAssociation des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), cet article analyse les contextes sociaux démergence du désir denfant et certains enjeux liés à lélaboration du projet parental. Lunivers associatif est ici considéré non seulement comme un lieu de visibilité, mais aussi comme un espace de création de nouvelles formes familiales. Ainsi, le désir denfant est analysé comme un fait social dont lexpression et la genèse peuvent être situées dans des contextes socioculturels particuliers.
MOTS-CLÉS: désir denfant, projet parental, homosexualité, paternité, homoparentalité, famille
Tornar-se pai homossexual em França : a construção social do desejo de ter filhos
RESUMO
A partir de uma pesquisa com pais homossexuais franceses membros da Associação de Pais e Futuros Pais Gays e Lésbicas (APGL), este artigo analisa os contextos sociais de surgimento do desejo de ter filhos e algumas questões relacionadas com a elaboração do projeto parental. O universo associativo é aqui considerado não apenas como um lugar de visibilidade, mas também como um espaço de criação de novas formas familiares. Neste sentido, o desejo de ter filhos é analisado como um facto social do qual não apenas a expressão mas também a origem podem ser situadas em contextos socioculturais particulares.
PALAVRAS-CHAVE: desejo de ter filhos, projeto parental, homossexualidade, paternidade, homoparentalidade, família
Les familles constituées par les gays et les lesbiennes font désormais partie du paysage familial contemporain de la plupart des pays occidentaux. Leur reconnaissance juridique fait encore lobjet de controverses et de disputes politiques, mais leur existence est déjà un fait social décrit et analysé par plusieurs enquêtes (Lewin 1993, 2009 ; Fournier 2003 ; Gross 2005 ; Cadoret 2002 ; Cadoret et al. 2006 ; Gratton 2006 ; Grossi et al. 2007 ; Descoutures 2008 ; Herbrand 2009). Limportance sociale de ces configurations familiales nétant plus en question, il sagit avant tout délargir notre compréhension de cette nouvelle réalité ethnographique constituée par les multiples parentalités homosexuelles (Schneider 1997 ; Favret-Saada 1999 ; Almeida 2010). Dans le contexte social précis de la société française, cet article étudie la construction du désir denfant et du projet parental chez des hommes qui sassument comme homosexuels et sont membres de lAssociation des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).
A partir dobservations participantes et dentretiens réalisés avec 23 pères homosexuels à Paris et à Toulouse dans le cadre dune thèse de doctorat en anthropologie sociale (Tarnovski 2010), janalyse les contextes sociaux démergence du désir denfant et les modalités de sa réalisation à travers un projet parental.[1] En France, la visibilité des familles homoparentales[2] est indissociable de laction de lAPGL, fondée en 1986, forte, aujourdhui, de plus de 1600 adhérents répartis entre différentes configurations familiales créées à partir de la recomposition homoparentale, de ladoption, de la coparentalité, de linsémination avec donneur ou de la gestation pour autrui.
Le désir denfant comme norme sociale
Avoir un enfant aujourdhui na pas le même sens quil y a trente ou cinquante ans. Progressivement, une nouvelle norme sest imposée, celle du désir denfant. Selon Delaisi de Parseval (2008 : 43) : Lexpression même de désir denfant est très récente, précisément liée à lère contraceptive . Selon cette auteure, avant lapparition et la diffusion des méthodes contraceptives ce désir navait pas besoin dêtre exprimé, car cétait une évidence que davoir des enfants et, donc, pour les générations précédentes, il nexistait aucune nécessité de le déclarer publiquement. De nos jours, la fécondité est pensée comme un projet personnel qui exige constamment des choix de la part du sujet (Bozon 2002 ; Tain 2005). Avoir un enfant nest plus une étape de la trajectoire du couple qui va de soi : il faut dabord y réfléchir, penser au meilleur moment pour en avoir, combien en avoir, avec qui Cela ne veut pas dire quavoir une descendance soit devenu un enjeu moins central pour les couples. En réalité, moins que de devoir assurer un descendant à la lignée, cest lenfant en lui-même qui compte le plus aujourdhui, ce qui impose de réfléchir à son arrivée, à la place quil va occuper, aux conditions matérielles nécessaires pour bien laccueillir. Par ailleurs, le nombre croissant dunions libres a fait que, désormais, la naissance dun enfant marque lentrée en famille du couple, passage auparavant assuré par linstitution du mariage (Théry 1998).
On peut choisir de ne pas avoir denfants soit parce que les bonnes conditions ne sont pas réunies, soit parce que le bon partenaire na pas été trouvé. Mais ce choix doit encore être justifié socialement. Dans ce contexte, et différemment de ce qui est habituellement le cas des couples hétérosexuels, pour les homosexuels, cest lexistence du désir qui est considérée comme problématique et non pas son absence. On nattend pas deux (même si cela peut devenir de moins en moins vrai actuellement) quils aient des enfants (surtout par les voies dites naturelles ). Létrangeté que suscite le désir denfant manifesté par des gays et des lesbiennes, surtout lorsquil sagit du premier, révèle que tous ne sont pas égaux face à ce désir, même si, comme le souligne Godelier (2004), lévolution historique de la valeur de lenfant peut expliquer son expression chez les homosexuels.
Pour interroger le désir denfant des gays et des lesbiennes, il ne faut en aucun cas souscrire à une vision selon laquelle lhomosexualité y serait demblée contradictoire ou incompatible, car tout désir denfant doit être examiné à partir dun point de vue anthropologique. Par ailleurs, il ne sagit pas non plus de naturaliser ce désir en affirmant que les homosexuels qui ne lexpriment pas renonceraient ou auraient pendant longtemps renoncé à lidée davoir denfants.[3] La compréhension des conditions sociales de manifestation et dexpression du désir denfant chez les homosexuels exige une analyse qui ne senferme pas dans les termes de cette dichotomie selon laquelle ce désir serait soit artificiel , soit naturel chez eux.
Les questions que soulève le désir denfant manifesté par des hommes sassumant comme homosexuels sont les mêmes que pourrait susciter le désir denfant exprimé par nimporte quelle personne. Quelle est sa signification ? Pourquoi a-t-on des enfants et à quel moment de sa trajectoire de vie ? Quelles conditions doivent être réunies pour que le désir denfant puisse sexprimer et se réaliser ? Faut-il toujours que la naissance dun enfant soit précédée dun désir ?
Lune des spécificités du désir denfant homosexuel, par rapport à son homologue hétérosexuel, réside dans le degré de réflexivité que suscite le premier. Sandrine Fournier, dans son analyse sur les familles homoparentales de San Francisco, affirme : Le choix de créer une famille, contre toute attente, se vit [ ] comme lexpression par excellence dun choix personnel (2003 : 63). Ce choix nest néanmoins possible quà partir du moment où il soffre comme une éventualité plausible, cest-à-dire lorsque lidée de fonder une famille peut être envisagée comme une alternative réalisable par des homosexuels, quils soient en couple ou célibataires. Dans le contexte actuel, vouloir devenir père lorsquon sassume comme homosexuel exige un travail réflexif, parfois intense, sur le désir denfant. La clarté du contenu quon lui attribue est dautant plus grande et nécessaire quun tel désir nest pas conforté par des modèles socialement cristallisés.
Dans sa thèse sur la paternité gay en France, Emmanuel Gratton (2006) propose une analyse approfondie du désir denfant chez des hommes homosexuels déclarés dans ses dimensions psychologiques et sociologiques. Selon lui, si le désir denfant nétait pas, jusquà une date récente, exprimé par des homosexuels, cest que la société y faisait obstacle, et les homosexuels eux-mêmes, ne trouvant que des barrières à la réalisation de ce désir, se résignaient à une vie sans enfants. Gratton (2006 : 23) ajoute : Saffirmer homosexuel procède souvent dune forme de renoncement anticipé à la parentalité . Daprès lui, les homosexuels qui veulent être parents devraient saffranchir dun ensemble de normes qui les assujettissent en tant quhomosexuels et qui font barrage à la manifestation dun désir denfant.
Lanalyse de Gratton montre que le désir denfant exprimé par des homosexuels peut avoir des motivations très variées, mais, finalement, il ne met sa dimension sociale en valeur que dans ses aspects négatifs, comme dans lidée selon laquelle les homosexuels devraient saffranchir des normes sociales pour devenir parents, en surmontant les obstacles imposés par la société à la réalisation de leur désir denfant. Le modèle analytique construit par Gratton permet effectivement de comprendre les difficultés affrontées par les homosexuels voulant devenir pères. Cependant, luniversalité du désir denfant y apparaît comme une donnée précédant les analyses. Son existence nest pas interrogée.
Dans les analyses qui suivront, je propose une autre approche pour comprendre le désir denfant exprimé par mes interlocuteurs. Au lieu de le considérer comme un fait universel, dont seules les modalités de réalisation seraient socialement déterminées, je suggère que ce désir est inséparable des contextes socioculturels qui linvestissent dun sens subjectif et politique.
Cela a été une révélation : vouloir (et pouvoir) être père en tant quhomosexuel
Christophe, 66 ans, enseignant retraité, a trois enfants, une fille de 32 ans et deux fils de 11 et 12 ans.[4] Sa trajectoire a été marquée par les transformations récentes dans le domaine de la sexualité et de la famille. Tout en se sachant homosexuel, Christophe sest marié à lâge de 32 ans dans le seul but davoir un enfant. A lépoque, lui et son épouse faisaient des études de troisième cycle et cest dans ce cadre quils se sont rencontrés. Ils ont vécu ensemble pendant deux ans, jusquà ce quelle tombe enceinte et demande le divorce. Après la naissance de lenfant, elle lui a demandé de renoncer à ses droits en tant que père, mais il a refusé tout accord dans ce sens. Même si leurs rapports sont tendus, Christophe arrive à voir sa fille régulièrement. Quelques années plus tard, il a entretenu une relation avec une autre femme qui est aussi tombée enceinte mais, sans le consulter, a décidé de ne pas garder lenfant. Christophe est passé par une phase de dépression profonde et a renoué avec un ancien amant, Charles, avec qui il est en couple depuis plus de vingt ans. En raison des difficultés rencontrées en tant que père homosexuel divorcé, Christophe a adhéré à lAPGL peu de temps après sa fondation à Paris. Des réunions conviviales étaient organisées chez lui et cest là quil a connu les femmes avec lesquelles il allait avoir deux fils à travers des projets de coparentalité.[5] La mère de laîné vit dans le Sud de la France et il voit son fils régulièrement. Avec la mère de son deuxième fils les choses ne se passent pas aussi bien et il a dû entamer une procédure judiciaire pour pouvoir voir son enfant. Il a eu gain de cause, mais ne peut le rencontrer quen visite surveillée.
André, 31 ans, enseignant, considère quil a toujours voulu fonder une famille et avoir des enfants, dès son jeune âge. Au fil des années, cette perspective serait progressivement devenue une certitude, jusquà ce quil découvre quil était homosexuel . La prise de conscience de lattirance homosexuelle laurait perturbé par rapport à la volonté davoir des enfants, mais ne la jamais remise en cause . A lépoque, cest-à-dire pendant son adolescence, lidée de faire un enfant avec une femme lesbienne ne se posait pas comme une possibilité. La seule solution quil pouvait imaginer, cétait de se marier avec une femme tout en se sachant homosexuel. Après un séjour à létranger pour terminer ses études, André a trouvé un poste dans une ville de province où il sest installé. Vers lâge de 26 ans, un des ses amis lui parle de la coparentalité entre gays et lesbiennes et lui apprend lexistence de lAPGL. Sans plus attendre, André y adhère pour connaître la réalité des familles ainsi constituées. Un garçon est né, quatre ans après, fruit dune coparentalité avec un couple de femmes.
Par rapport à celui dautres hommes plus âgés, lexemple dAndré est révélateur des changements récents concernant laccès à la paternité par des homosexuels. La fille aînée de Christophe, par exemple, a été conçue à une époque où lhomosexualité ne pouvait être vécue au grand jour, comme cela peut être le cas aujourdhui, ou en tout cas moins facilement, et où la parentalité ne se dissociait pas de la conjugalité, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des coparentalités entre gays et lesbiennes ayant commencé à se constituer à une époque plus récente. Le parcours de Christophe témoigne dune époque où, pour pouvoir devenir père, même en sassumant plus ou moins ouvertement comme homosexuel, il était moins facile quaujourdhui de passer outre une période de fréquentation hétérosexuelle avec la mère, cest-à-dire de dissocier la parentalité de la conjugalité. Même quand lidée dun accord était implicite, comme cela semble avoir été le cas pour le mariage de Christophe, ses termes nétaient pas discutés de façon explicite, donnant lieu à des situations difficilement gérables par la suite.
Ce qui distingue lépoque actuelle de celle dil y a trente ou quarante ans nest pas tant une évolution des pratiques ayant conduit à la disparition des plus anciennes et dépassées , quun élargissement du champ des choix possibles qui soffrent aux hommes voulant devenir pères tout en sassumant homosexuels. Il y a dun côté la visibilité croissante de la notion même d homoparentalité , notamment à travers laction dassociations de parents homosexuels, et de lautre, un changement plus général dans le domaine du mariage et de la famille. Les unions libres nont cessé daugmenter ces dernières décennies, et les lois concernant létablissement de la filiation hors mariage, la reconnaissance paternelle et le partage de lautorité parentale se sont adaptées à cette nouvelle réalité. Dans le contexte français, lAPGL a joué et joue encore un rôle important non seulement en rendant visibles les parentalités homosexuelles, mais aussi, et de façon plus importante, en devenant un lieu de production de ces mêmes formes familiales. En tant quespace de rassemblement, rencontre, échange, réflexion, et grâce à la synergie des individus qui en font partie et au concours de différentes compétences et expériences, cette association sest constituée en un lieu de création darrangements familiaux, délaboration et de mise en pratique de projets parentaux. Christophe, par exemple, fait partie de ceux qui, en expérimentant de nouvelles formes familiales comme la coparentalité, ont élargi le champ des possibilités de la désormais nommée homoparentalité . On pourrait affirmer quen France, comme dans dautres pays du monde occidental, ne pas avoir denfants parce quon est homosexuel, est de moins en moins considéré comme un destin et devient progressivement, bien que parfois abruptement, un choix .[6] Cela ressort clairement du récit de certains pères lorsquils décrivent les circonstances qui les ont sensibilisés à un désir denfant possible.
Pour Jean, 43 ans, ingénieur, les origines de son désir denfant remontent à une date très précise, lorsquil avait 35 ans, plus exactement un samedi matin, jour de la gay pride, dans une conversation avec son compagnon dalors, Julien. Le thème du défilé était justement lhomoparentalité, et cétait la première fois quil en prenait connaissance. Il se rappelle avoir trouvé le sujet marrant , dautant plus quil ne se sentait pas concerné. En parlant avec Julien, celui-ci lui aurait avoué quil avait très envie davoir un enfant. Selon Jean : Cétait une fatalité, comme une évidence que je navais pas remise en cause et donc cette discussion avec mon copain me la fait au fond remettre en cause. [ ] Et donc, dun seul coup, je me suis senti concerné . Le fait que son compagnon ait la volonté davoir un enfant linterpelle et favorise un travail réflexif sur son propre désir. A partir du moment où la paternité devient pour lui une réalité possible, le fait de ne pas être père ne constitue plus une évidence mais un choix. Désormais, cest labsence de désir denfant qui devient problématique, dans la mesure où elle commence à être perçue comme le résultat dune forme d aveuglement et non pas comme une réalité en soi. Peu de temps après, Jean irait à une rencontre de lAPGL, quil ne connaissait pas jusqualors, pour connaître une femme qui accepterait de faire un enfant avec lui. Cinq ans après naîtrait une petite fille, dont Julien serait le parrain.[7]
Vincent, 42 ans, infirmier, a pris connaissance de lexistence des familles homoparentales au moment de la réalisation dun mémoire, préparé dans le cadre dune formation universitaire. Ce sujet a été proposé par une collègue, homosexuelle elle aussi, avec qui il a rédigé le mémoire. Jusqualors, et cela sest passé vers 1999, Vincent navait jamais entendu parler des familles homoparentales. La rencontre avec lAPGL a été pour lui une révélation : Je suis revenu à la maison et jai dit Victor, tu ne vas pas imaginer ce que je viens de voir . Pour son compagnon, âgé de 40 ans, infirmier, lidée que des homosexuels aient des enfants paraissait complètement incroyable , farfelue . Cétait la première fois que cette question était abordée dans leur couple. Vincent ne se létait jamais posée, puisque pour lui ce nétait même pas possible :
Je pense que le fait davoir vécu ma vie dhomo dès lâge de 18 ans et davoir parlé à mes parents assez tôt, de fait, ça a étouffé tout désir denfant possible. Et pour être honnête, à lépoque, je laurais vu comme une contrainte. On voyageait, on faisait des trucs, un enfant là nous aurait posé problème même. Cétait même pas évocable, on ne sest jamais posé la question. Par contre, du moment où on a vu que cétait possible, ça a été vraiment une révélation, pour moi, en tout cas .
A la suite de cette révélation , il a adhéré à lAPGL avec son compagnon, mais ce dernier est resté plus en retrait par rapport à la possibilité de réalisation dun projet parental. Vincent, de son côté, était décidé à le faire. Moins de deux ans après, il avait adopté un garçon et en a eu un deuxième dans le cadre dune coparentalité avec un couple de femmes. Confronté à la réalité de la parentalité, Victor a finalement voulu participer à lagrandissement de la famille. Actuellement, ce couple a quatre enfants, trois garçons et une fille.
Dans le récit de Vincent, comme dans dautres, ne pas avoir denfants nétait pas une source de souffrance.[8] La réponse récurrente, je ne me suis jamais posé la question , indique quêtre père en tant quhomosexuel nétait pas considéré comme une alternative possible, dans la mesure où cette conjugaison dexpériences ne relevait pas de lévidence. Comme le signale Vincent dans lextrait supra, le moment de la trajectoire de vie à partir duquel lindividu sassume comme homosexuel peut avoir une incidence sur son éventuel désir dêtre père. Son récit suggère que, jusquà une époque récente, plus on sassumerait homosexuel tôt, plus on aurait tendance à ne pas se sentir concerné par lidée davoir des enfants.
Si, pour certains, le désir denfant a été motivé suite à un contact avec la notion dhomoparentalité, pour dautres la question sest posée presque inversement. En effet, quelques-uns ont été confrontés à la possibilité concrète davoir un enfant en raison de linvitation dune amie désireuse de devenir mère. Georges et Guillaume, par exemple, se sont trouvés face à un choix à faire, qui nétait pas forcément à lordre du jour. Georges, 42 ans, cadre dans le secteur privé, navait fait aucune démarche pour devenir père jusquà ce quune amie, hétérosexuelle, lui propose une coparentalité à trois avec son compagnon, Guillaume. Le sujet le travaillait , puisquil était alors déjà adhérent à lAPGL. Guillaume, 45 ans, élu municipal, de son côté, ne sétait jamais posé la moindre question sur léventualité de devenir père : Ce nétait pas dans le champ de limaginable et puis il ny avait aucune référence . Leur amie étend sa proposition aux deux, lidée étant davoir un enfant avec chacun. Georges étant plus sensible à la question du désir denfant, cest lui qui devient père en premier.
Ce qui est particulier chez les pères interrogés cest leur capacité à pouvoir situer précisément soit le jour où ce désir est apparu comme possible, pour ceux qui ne lavaient jamais envisagé auparavant, soit le moment à partir duquel sa réalisation, en tant quhomosexuels, ne paraissait plus si étrange que jusqualors. Des événements ou des situations passées sont découpées et réorganisées à lintérieur dune trame narrative, donnant un sens nouveau à leur intention, et / ou à la possibilité de sa mise en acte, davoir un enfant et dêtre pères. Dans le récit de Jean, le jour où lidée dhomoparentalité lui est apparue comme une possibilité concrète est décrit comme un samedi matin, jour de la gay pride . Julien, son compagnon de lépoque, mentionne un dimanche matin, ensoleillé, assis devant la fenêtre . La capacité à pouvoir situer le point précis dorigine du désir denfant révèle que sa manifestation nest pas considérée comme allant de soi, ce qui est à mettre en relation avec des représentations de genre marquant ce désir du signe de la féminité (Fournier 2003).
Virginie Descoutures (2008), dans sa thèse de doctorat sur les mères lesbiennes en France, met laccent sur les difficultés de certaines femmes à envisager la maternité après sêtre assumées comme lesbiennes. Dans son analyse, Descoutures considère que la maternité chez les lesbiennes est une forme de transgression , par rapport à une norme sociale selon laquelle les homosexuel(le)s nont pas denfants, ne peuvent pas en avoir (Descoutures 2008 : 140). Il nen reste pas moins que, chez les lesbiennes, le non-désir denfant semble moins imprégné dun sentiment dévidence que chez les gays, ce qui sexplique par le rapport différencié quauraient les hommes et les femmes face à la procréation et à la parentalité. En référence à un autre ensemble de normes, celles concernant le genre, le désir dêtre mère paraît moins dépendant de lorientation sexuelle et du statut conjugal que le désir dêtre père. Ce nest que récemment quun désir denfant masculin commence à sexprimer de façon autonome, sans sassocier à un désir de maternité, et plus visiblement chez les hommes qui sassument comme homosexuels.
Mais, même si le désir denfant est, pour ainsi dire, animé par une prise de conscience parfois soudaine de lexistence de familles homoparentales, il nen est pas moins central pour lindividu et la façon dont il se projette dans lavenir. En même temps, le fait que la visibilité des familles homoparentales ait mis la paternité dans lhorizon des possibilités offertes à lindividu qui sassume comme homosexuel nest pas une raison suffisante pour que tous ceux dans cette situation veuillent avoir des enfants. La conjugaison positive de lhomosexualité avec la paternité peut, certes, rendre la volonté de fonder une famille moins conflictuelle, tant subjectivement que socialement. Néanmoins, pour que la personne se sente concernée par la question, dautres facteurs peuvent entrer en jeu, comme la relation de couple.
Et si on avait un enfant ? : désir denfant et conjugalité
Malgré le fait que les hommes membres de lAPGL soient plus souvent en couple que la moyenne de la population gay en France, ils sont moins nombreux que les femmes à affirmer que le projet davoir un enfant émane du couple. Selon Martine Gross (2006), les compagnes des mères se situeraient plus souvent que les compagnons des pères comme second parent . Dans mon enquête, certains pères ont affirmé que le désir denfant a pris forme au sein du couple.
Cela a été le cas de Bernard, 37 ans, orthophoniste. Avant de rencontrer son actuel compagnon, il avait déjà eu une relation de couple qui avait duré dix ans. Néanmoins, il ne se voyait pas avoir des enfants avec son ancien partenaire. Avec Bruno, 45 ans, médecin, il se sent plus rassuré et envisage alors den avoir un avec lui. Dans son cas, la stabilité de la vie de couple et les qualités quil perçoit chez son compagnon sont à lorigine de son désir denfant. Malgré la surprise initiale de Bruno devant la proposition de Bernard, cest finalement lui qui sera le père biologique dune petite fille conçue dans le cadre dune coparentalité. Bruno était le plus âgé, ce qui a joué un rôle dans le choix de qui serait le géniteur. Parallèlement, la rencontre avec le couple de femmes avec lequel ils ont mis en uvre la coparentalité a également influencé ce choix, en raison daffinités qui se seraient créées entre la future mère et Bruno. En tout cas, larrivée de lenfant sinscrit pour eux dans une dynamique de couple, marquée par un investissement conjoint dans le projet de coparentalité et dans lexercice de la parentalité. Lorsque nous nous sommes rencontrés, Bernard était engagé dans une deuxième coparentalité, avec un autre couple de femmes, mais les premiers essais de fécondation sétaient montrés infructueux. Dans lidée que se font Bernard et Bruno de légalité à lintérieur de leur couple, la paternité de Bernard permettrait de compenser une certaine asymétrie créée par la paternité de Bruno, dans la mesure où lun donnerait un enfant à lautre. Selon Bernard, [ ] cest plutôt Bruno qui aimerait avoir [de moi] un enfant .
Dans le cas de Sébastien, 50 ans, médecin, le désir denfant est également apparu dans un cadre conjugal, mais non sans tensions. Après quelques années de vie de couple, son compagnon a trouvé quil manquait quelque chose . Daprès celui-ci, ils avaient tous les deux une profession, un appartement, de la stabilité, mais ils nétaient pas une famille. A écouter Sébastien, pour son compagnon, un couple sans enfant nest pas une famille . Celui-ci aurait ajouté que leur vie nétait pas totalement réalisée sans enfant . Au début, Sébastien considérait inutile toute discussion sur le sujet, car avoir un enfant en tant que couple homosexuel lui paraissait un rêve impossible . Toutefois, et face à linsistance de son compagnon, il accepte daller à une réunion de lAPGL. Une fois sur place, il rencontre un des adhérents de lassociation qui lui dit quil allait bientôt être père. Cette déclaration la fortement affecté, dautant plus quun mois plus tard il croise cette même personne lors de la gay pride qui lui dit : Ça y est ! Je suis papa . En lespace de trois mois, davril à juin, un changement radical sest produit dans la façon dont Sébastien pouvait considérer la parentalité chez un couple homosexuel : Ce qui me semblait une invention de lesprit devenait une réalité que lon pouvait toucher, en trois, quatre mois. Ça a été très, très fort, ça a été un déclic important parce que ça a montré que cétait possible .
Après sêtre mis daccord sur lidée davoir des enfants, Sébastien et son compagnon ont entrepris des démarches, mais dans un premier temps ils ont, chacun de son côté, mené des projets individuels de paternité. Sébastien privilégiait lidée dune coparentalité, tandis que son compagnon sétait tourné vers une gestation pour autrui traditionnelle, aux États-Unis.[9] Mais, comme ni lun ni lautre narrivait à avancer dans la réalisation de leur projet de paternité, ils ont décidé de concentrer leurs efforts sur la GPA. Ainsi, même si le désir denfant a pris forme à lintérieur du couple, sa réalisation a été initialement envisagée à travers la mise en place des projets individualisés de paternité. Lenfant arrivé, Sébastien se considère père à cent pour cent , mais cette implication conjointe dans la parentalité semble avoir été plutôt le résultat dune construction progressive à lintérieur du couple quune donnée de départ. A cet égard, le contraste avec le couple formé par Thierry et Thomas permettra peut-être déclairer les différentes implications que peut avoir la conjugalité dans les multiples agencements de la parentalité.
Ingénieurs, tous deux âgés de 31 ans, Thierry et Thomas se sont connus à luniversité, il y a douze ans. Ils nont pas attendu longtemps pour vivre ensemble. Après trois mois de fréquentation, encore à luniversité, Thierry a loué un appartement voisin de celui de Thomas. Peu à peu les copains détudes ont été mis au courant de leur relation. Deux ans après, ils ont décidé dhabiter un seul appartement, ce qui a coïncidé avec la révélation de leur union aux familles respectives. A cette époque, en 1997, ils pensaient déjà à adopter des enfants, mais lidée leur paraissait peu crédible. Après un stage réalisé aux Pays-Bas, pendant lequel ils ont pu connaître des familles constituées par des homosexuels, ils ont réfléchi à la possibilité dy retourner pour adopter. Néanmoins, à cette époque leurs préoccupations étaient principalement tournées vers la fin des études et leur insertion professionnelle. Le projet davoir des enfants nest revenu à lordre du jour quune fois cette stabilité conquise. Pour Thierry, lidée de fonder une famille avec des enfants est apparue comme une conséquence logique de la vie de couple : Cest venu un peu dans lordre des choses, comme pour nimporte qui . Daprès lui, ce nest pas un projet qui est apparu dun seul coup , mais le résultat dune construction progressive. Contrairement à ce qui sest passé avec Sébastien et son compagnon, ici la conjugalité et la parentalité ont été pensées comme indissociables dès le début de leur réflexion sur un possible projet en vue davoir des enfants. En témoigne la façon choisie pour mettre le projet en pratique, une GPA. Le choix de celui qui allait être le géniteur des enfants et, par conséquent, le père juridiquement reconnu, a été réalisé selon des critères pratiques, et il ne répondait pas à un désir denfant plus prononcé. Tous deux ont convenu que Thierry serait le géniteur, en raison de ses connaissances de la langue anglaise, ce qui faciliterait les contacts avec les génitrices potentielles et les avocats aux États-Unis. Ils pensent, à posteriori, que ce choix a, en fin de comptes, compensé un certain déséquilibre concernant les rapports avec les familles respectives. Thierry a des rapports très limités avec sa famille, qui se résument aux contacts quil a avec sa mère et avec deux cousines, lune dentre elles étant lesbienne. Il est fils unique de parents divorcés et ne voit pas très souvent son père. Dailleurs, il croyait que la venue denfants lui aurait permis de sen rapprocher, ce qui na pas été le cas. En revanche, du côté de Thomas, la famille a été très présente et a accueilli avec joie la venue de leurs enfants, et ce indépendamment du fait que Thomas na aucun lien génétique ou légal avec les enfants. Ainsi, bien que Thierry soit le père légal des enfants, il na pas, selon ses propres mots, à qui offrir ce lien . En revanche, la réaction des parents de Thomas, qui ont commencé à simpliquer dès le troisième mois de grossesse, en demandant toujours des nouvelles, les a heureusement surpris.
Bien quil puisse prendre forme à lintérieur du couple, dans certains cas, le désir denfant na été exprimé que par lun des partenaires. Vincent, par exemple, la réalisé en adoptant un garçon et en ayant un autre dans le cadre dune coparentalité, mais sans que son compagnon soit partie prenante daucun de ces projets parentaux. Ce nest quaprès larrivée des enfants que Victor a commencé à simpliquer en tant que parent et à envisager, lui aussi, davoir des enfants. Lécart qui pouvait exister entre lun et lautre par rapport au désir denfant sest rétréci avec le temps, la présence des enfants dans le quotidien domestique ayant sans doute joué un rôle important dans ce changement progressif.
Les cas analysés montrent que même dans les situations où la conjugalité est à lorigine de la volonté davoir un enfant, les partenaires ne sinvestissent pas toujours de la même manière dans ce projet, ni ne veulent systématiquement occuper une position parentale symétrique à celle du père légal.[10] Lorsque la volonté davoir des enfants est considérée comme un symbole de lamour conjugal, différentes formes de symétrie entre les positions parentales des partenaires peuvent être mises en place par les couples, comme pour compenser les inégalités de statuts parentaux. Cette symétrie peut se traduire par une dévalorisation de limportance de la paternité génétique , comme chez Thierry et Thomas, ou par un échange de statuts, comme chez Bernard et Bruno. Dans ce dernier cas, lidée que chacun soit le géniteur et le père légal dun enfant a été la solution choisie pour produire un équilibre à lintérieur du couple concernant les statuts parentaux. Néanmoins, dans la coparentalité les enfants doivent être partagés avec la mère et sa compagne, ce qui crée une asymétrie entre les couples. Le choix de la GPA ou de ladoption, au contraire, permet une association plus étroite entre conjugalité et parentalité. Gross et Mehl (2011) identifient, dans le contexte de la GPA, une tendance de la part des couples dhommes à lexercice conjoint de la responsabilité éducative au quotidien, car les enfants ne sont pas partagés avec dautres partenaires de lenfantement .
Nous avons vu que la prise de connaissance de lexistence des familles homoparentales peut, dans un premier temps, déclencher chez lindividu qui sassume comme homosexuel le désir de devenir parent et que le fait dêtre en couple favorise, dans certains cas, lexpression de ce désir, mais sa réalisation exige dabord que son porteur puisse le transformer en projet.
Le désir réalisé ou sa métamorphose en projet : quel type de famille choisir ?
Différemment de ce qui se passe habituellement chez un couple hétérosexuel sans problème de fertilité, pour un couple ou un individu homosexuel, le temps entre le moment où lon pense plus sérieusement à avoir un enfant et le jour de son arrivée peut largement dépasser les neuf mois. Les homosexuels décidés à avoir un enfant doivent obligatoirement réfléchir aux moyens quils choisiront pour devenir parents. Le désir denfant, pour pouvoir se réaliser, doit être envisagé dans ses aspects concrets, prenant ainsi la forme dun projet parental dont le contenu et limportance dépendront du mode de procréation et de la forme familiale envisagés. Comme tout couple ou toute personne voulant avoir un enfant, ils se posent la question des conditions jugées nécessaires pour être en mesure de laccueillir. Mais à la différence de la plupart des couples, les homosexuels dans cette situation doivent non seulement réunir les moyens pour élever un enfant dans des conditions considérées comme satisfaisantes, mais être capables de mobiliser des ressources relationnelles et matérielles pour, en premier lieu, pouvoir réaliser le projet parental.[11]
Pour les sujets rencontrés, la construction du projet a dabord impliqué la considération des différentes alternatives possibles pour avoir un enfant. En France, les voies utilisées par les homosexuels voulant accéder à la paternité sont ladoption, la coparentalité et la gestation pour autrui. Ces modes daccès à la parentalité ne sont pas ceux autorisés par la loi, mais les modalités envisagées par la plupart des homosexuels français voulant devenir pères. Le recours à une mère porteuse , par exemple, reste interdit par les lois de bioéthique. En même temps, chaque modèle peut être mis en place au travers de formes variables, notamment la maternité de substitution , selon quon fait appel ou pas à une donneuse dovocytes en plus de la mère gestationnelle, et la coparentalité, qui peut varier selon lorientation sexuelle de la mère et limplication des différents partenaires, les parents légaux et leurs conjoints respectifs. Mais ces alternatives népuisent pas léventail des possibilités qui soffrent à des homosexuels voulant devenir pères. La pratique du transfert denfants, par exemple, plus répandue dans des contextes traditionnels, nest pas répertoriée par les statistiques ou les études concernant la France.[12]
Certains des pères rencontrés en France nont eu conscience de létendue du choix de modèles quen arrivant à lAPGL. Jean, par exemple, ne connaissait pas les coparentalités entre gays et lesbiennes avant dadhérer à lAPGL. Rencontrer une femme qui accepterait de faire un enfant avec lui, en dehors dune relation de conjugalité, lidée lui paraissait irréaliste , impossible . Les premiers contacts avec des mères potentielles, à lintérieur de lassociation, sont restés sans suite. Incrédule sur les possibilités de trouver la bonne personne avec qui construire un projet de coparentalité, Jean sest tourné vers ladoption. Néanmoins, il a arrêté la procédure juste avant quune décision ne soit rendue. Le psychologue qui laccompagnait lui aurait fait comprendre que ladoption nétait pas la solution la mieux adaptée. Jean sest rendu compte quil nétait pas prêt pour renoncer à ses projets de développement professionnel et quune adoption était finalement incompatible avec son rythme de vie : Javais tout pour le recevoir, les étapes psychologiques, la situation matérielle, ma situation affective, etc., enfin, je pense que jaurais fait un bon papa adoptif, mais ça maurait freiné dans la vie, ça maurait causé beaucoup de contraintes . Peu de temps avant dabandonner la procédure, Jean avait rencontré la femme qui allait être la mère de son enfant, ce qui lui a donné une raison de plus pour cesser ses efforts en vue dune adoption. Finalement, la coparentalité a été pour lui un choix motivé, et pas seulement un choix par défaut . Tout comme ladoption, la GPA ne lui convenait pas. Outre le fait quil aurait, dans un cas comme dans lautre, à soccuper tout seul et à plein temps dun enfant, la GPA lui donnait limpression de priver un enfant de sa mère. Dans ladoption, la mère biologique de lenfant nest pas non plus présente, mais ladoptant ne se sent pas responsable de la séparation. Cest, par exemple, ce que ma confié un futur père adoptif, justifiant son choix pour ladoption en même temps que son refus de la GPA. Tant ladoption que la GPA permettent la création dune famille centrée sur le couple, mais dans le premier cas les futurs parents nont pas limpression dêtre à lorigine dune rupture des liens ou dun abandon. Dans le cas de Jean, la coparentalité a permis à la fois de préserver le lien mère / enfant et davoir suffisamment de temps pour pouvoir se dédier à sa vie professionnelle, dans la mesure où la résidence principale de lenfant est sans contestation de sa part attribuée à la mère. Cette importance accordée à la figure maternelle fait écho à des représentations plus générales, selon lesquelles le lien de lenfant à sa mère serait préexistant ou concomitant à la naissance. Ainsi, si dun côté, la coparentalité peut être considérée comme la voie la plus accessible aux gays voulant être pères, de lautre ce choix familial peut répondre à une volonté de donner une double référence, paternelle et maternelle, à lenfant.
En ce qui concerne lidée que, dans la GPA, les parents intentionnels [13] induiraient un abandon de lenfant par sa mère, exprimée entre autres par des pères et des futurs pères adoptifs, les récits de pères ayant effectivement fait appel à la GPA permettent de nuancer cette question. Sans vouloir entrer dans le détail de leur situation familiale et des choix quils ont faits, jaimerais juste citer quelques éléments pour montrer combien les apparences peuvent être trompeuses. Delaisi de Parseval et Collard (2007) avaient déjà montré que des couples hétérosexuels ayant fait appel à des mères porteuses pouvaient, dans certaines circonstances, garder un lien avec la gestatrice de leurs enfants. Dune façon similaire, Sébastien et son compagnon, ainsi que Thierry et Thomas, sont restés en contact avec les gestatrices de leurs enfants, sans complètement écarter léventualité dune rencontre future.[14] Dans le cas de ladoption plénière, au contraire, cette possibilité de garder un lien avec les parents dorigine de lenfant est beaucoup plus rare, malgré les initiatives dassociations en faveur de l adoption ouverte (Fine et Neirinck 2000). En tout cas, aucun des pères adoptifs interrogés, à limage de ce qui se passe dans la plupart des adoptions, na gardé de contacts avec les parents dorigine de leurs enfants. Jai même rencontré un futur père adoptif qui, dans lattente daller chercher lenfant qui lui avait été attribué par lorphelinat, craignait que sa mère veuille le reprendre avant que la procédure dadoption ne soit finalisée En contraste avec ce qui peut se passer dans une situation dabandon sachevant par une procédure dadoption, les surrogate mothers font souvent un travail réflexif leur permettant de ne pas considérer lenfant quelles portent pour un autre couple comme étant le leur (Ragone 1996 ; Delaisi de Parseval et Collard 2007). A ce sujet, Thierry et Thomas pensent que lhistoire dun enfant né au moyen dune GPA est plus claire et facile à lui expliquer. Avant de sengager dans une GPA, le couple avait lintention dadopter un enfant, mais ce projet a été abandonné en raison des nombreuses restrictions imposées aux hommes célibataires voulant adopter.[15] En même temps, ils croyaient quen adoptant, ils apporteraient des difficultés additionnelles à un enfant qui, en plus de ne pas connaître ses origines, aurait des parents homosexuels. Ils admettent, néanmoins, que ce raisonnement a été construit rétrospectivement, en contraste avec la vision idéaliste du début.
Ces différents arguments pour ou contre ladoption ou la GPA, exprimés par certains pères, ont en commun le fait de présupposer comme potentiellement problématique labsence de lien maternel. Dans un cas comme dans lautre, la mère ou la gestatrice nest pas présente dans le quotidien des enfants, qui nont que des parents masculins, situation que la plupart des homosexuels voulant devenir pères en France ne sont pas prêts à assumer (Cadoret 2001). En ce sens, Martine Gross (2006 : 158) remarque que le choix de la coparentalité [ ] apaise, chez les hommes comme chez les femmes, la culpabilité à mettre un enfant au monde dans des conditions inhabituelles . Cela sexprimerait par lidée quun enfant devrait avoir un père et une mère.[16]
Par ailleurs, la dynamique dalternance des foyers propre à la coparentalité peut également être perçue comme un avantage. Parallèlement à largument selon lequel la coparentalité répondrait à une préoccupation de donner un père et une mère à lenfant, que ce soit pour reproduire un certain modèle de normalité familiale ou en réaction au débat public sur les familles homoparentales, la garde partagée de lenfant est considérée par certains pères comme un aspect positif des arrangements coparentaux. Tous ne désirent pas un partage égalitaire en ce qui concerne le temps que les enfants passent avec chaque parent. Dune manière générale, les conflits qui peuvent apparaître entre coparents, notamment ceux en rapport avec les modalités dalternance entre les foyers, concernent plutôt les aspects organisationnels de la coparentalité que son principe, à savoir que la résidence principale de lenfant soit chez sa mère, ce qui nest pas systématiquement remis en question. De fait, je nai connu aucune coparentalité où la résidence principale ait été fixée chez le père (Tarnovski 2011).
Lanalyse des motivations permet de mieux comprendre comment les acteurs orientent leur choix. Jusquici, ce dernier a été analysé comme étant exclusif, cest-à-dire quen choisissant, on ne retient quune possibilité. Mais rien nempêche que ce choix puisse porter sur plus dune option. Cela a été le cas de Vincent et Victor, le premier ayant à la fois adopté et fait une coparentalité, et les deux enfants étant arrivés presque en même temps. Mais lidée que lon puisse faire un choix multiple na pas laissé indifférent leur entourage damis homosexuels : Cela paraissait farfelu aux yeux de certaines personnes, de mélanger coparentalité et adoption. [ ] Pour certains on ne mélange pas tout. Pour certains. Moi, ça ne me paraissait pas si incompatible [Vincent]. La réaction dautres parents homosexuels vis-à-vis de cette situation semble indiquer lexistence dune division de lunivers des familles homoparentales par des frontières internes et invisibles séparant chaque catégorie de famille comme autant dalternatives qui ne devraient pas se mélanger . Le récit dun autre père donne une indication des enjeux éventuels dun tel mélange . Bruno, en même temps quil se lançait dans une coparentalité avec son compagnon Bernard, a fait une demande dagrément dadoption. Bien que la décision lui ait été favorable, il nétait plus sûr de vouloir continuer ces démarches, car le projet dadoption ne faisait pas écho chez Bernard. Lidée de créer une asymétrie à lintérieur dune éventuelle fratrie instaurée par les différents modes darrivée des enfants le gênait. Bernard sest dit [ ] perplexe face à la perspective davoir à la fois, à la maison, un enfant adopté mais qui sera là tout le temps et un enfant, ou des enfants, qui sont en alternance et qui ne viennent que de temps en temps . Ce malaise face au mélange des modalités darrivée des enfants tient aussi aux spécificités concernant létablissement de la filiation. Ladoption sappuie sur une valorisation de la volonté et de la reconnaissance sociale comme fondements de la filiation et de lamour parental, tandis que la coparentalité peut réactiver des représentations biogénétiques de la parenté. Chaque modalité aurait ainsi des spécificités concernant le fondement de la filiation qui, du point de vue de certains parents, ne seraient pas conciliables dans une même configuration familiale.
Outre les raisons multiples pouvant orienter le sujet, le choix du mode daccès à la paternité et de la configuration familiale résulte également dun aménagement des attentes initiales et des ressources financières, de temps ou relationnelles que lon est capable de réunir. En ce sens, le choix en question peut être influencé par la situation socioprofessionnelle ou le lieu de résidence, par exemple. Ceux qui habitent à Paris ont à leur disposition un réseau dentraide, grâce à lAPGL, que nont pas ceux habitant en province. Cette association, par laction de ses membres, offre des espaces de réflexion permettant au nouvel arrivant délaborer avec plus de clarté le projet parental qui lui convient le mieux. Ceux qui choisissent ladoption ou la GPA peuvent participer à des forums de discussion favorisant léchange dinformations, parfois précieuses, pour mener à bien leurs projets.
Certaines activités de lAPGL peuvent être destinées à faciliter la réalisation du projet, comme cest le cas des annonces publiées dans le journal interne ou des réunions conviviales permettant de faire se rencontrer futurs pères et futures mères en quête de partenaires pour une coparentalité. Dans les situations où la réalisation dune coparentalité, par exemple, sest faite par des annonces publiées sur des sites Internet sans lien avec lAPGL ou à travers une rencontre non provoquée , lassociation peut apporter de laide concernant les points sur lesquels réfléchir avant de partir à laction ou même après (Gross et Peyceré 2005). Parallèlement à lAPGL, dautres réseaux se sont constitués pour aider des homosexuels voulant être parents, comme par exemple le groupe de pères adoptifs dont les membres se retrouvent au moins une fois par an et auquel jai été présenté par lun des mes interlocuteurs. Sans aucun lien direct avec lAPGL, ce groupe sest constitué sur la base dune expérience partagée, celle dhommes officiellement célibataires ayant adopté leurs enfants dans un même pays. Si, dune part, ce groupe permet aux enfants de se forger des références communes, en tant que fils et filles adoptives de parents homosexuels et par le partage dune même origine culturelle,[17] de lautre il est devenu une référence pour dautres homosexuels, en couple ou célibataires, voulant adopter des enfants et en manque de soutien pour les aider dans leurs démarches ou tout simplement cherchant un espace de convivialité et de dialogue. Certes, des associations ayant pour finalité daider des couples hétérosexuels voulant adopter ou réaliser une GPA, avant que celle-ci ne soit interdite en France, existent ou ont existé dans le contexte français. En contraste avec ces initiatives, lAPGL ou les groupes informels de parents homosexuels ne limitent pas leur champ daction aux aspects pratiques liés à la réalisation dun projet parental. Ce qui les distingue en premier lieu, mais non exclusivement, cest de rendre possibles ces projets parentaux, en conjuguant positivement homosexualité et parentalité.
Considérations finales
Dans cet article, jai analysé comment le désir denfant prend forme et sexprime dans certains contextes sociaux actuels, en prenant lexemple de pères homosexuels français. La construction de ce désir, phénomène très contemporain selon certains auteurs (Godelier 2004 ; Delaisi de Parseval 2008), pourrait être analysée dans nimporte quel groupe ou catégorie sociale. Néanmoins, le discours militant sur le sujet, tout comme certaines analyses, semblent doter ce désir dune réalité universelle, voire anhistorique. A lintérieur de ce discours, ce nest pas lexistence du désir denfant qui demanderait une explication mais son absence. Dans ce raisonnement, si les familles homoparentales ne sont apparues que très récemment dans la plupart des sociétés occidentales, cest quauparavant ces mêmes sociétés sopposaient et érigeaient des obstacles à la réalisation de ce désir. Ce discours assume lhomosexualité, en tant quattribut de lindividu, comme une donnée qui nest pas discutée dans son historicité. Cette approche problématise le regard social sur lhomosexualité, mais non pas sa construction sociale et historique, de manière à mettre en perspective les particularités des familles homoparentales occidentales contemporaines. Lanalyse des récits des pères gays montre, au contraire, que ce désir prend forme collectivement, révélant ainsi que son existence subjective nest pas indépendante du contexte social dans lequel se trouve lindividu. Mon hypothèse est que les associations et les réseaux de familles homosexuelles aident les homosexuels voulant devenir parents à réaliser leurs projets parentaux, mais encore que la visibilité de lhomoparentalité quils ont contribué à produire participe à la création du désir denfant chez les homosexuels, dans la mesure où lhomoparentalité devient une réalité possible.
La possibilité contemporaine dun désir denfant exprimé par des gays et des lesbiennes, en tant que tels, est révélatrice non seulement des changements dans le domaine de la famille et de la parenté, mais aussi des processus socioculturels, historiques et politiques de construction de la sexualité, qui lont cristallisé comme une dimension fondamentale dans la définition de lindividu occidental moderne (Foucault 1994). Mais le fait de montrer leur historicité naffaiblit pas la force sociale et politique de ces constructions de la sexualité et du désir denfant et moins encore limportance de ces réalités pour le sujet.
Certes, tous les homosexuels ne veulent pas devenir parents dans ce contexte de visibilité des familles homoparentales. Cest alors que les aspirations individuelles, lhistoire personnelle et la subjectivité trouvent toute leur place pour expliquer pourquoi le désir denfant est plus fort chez certains, et inexistant chez dautres. Néanmoins, ce que jai essayé de montrer est que, dans le contexte français, et plus largement européen, les homosexuels sont de plus en plus amenés à faire des choix à propos de cette question. Progressivement, le fait de ne pas vouloir denfants cesse dêtre une évidence, pour devenir un choix. Lhomoparentalité est devenue une réalité socialement visible, permettant aux jeunes générations, mais parfois aussi aux anciennes, dexprimer un désir denfant. Cette visibilité des familles homoparentales nest pas sans déranger certains homosexuels un peu plus âgés, qui se voient confrontés aux choix quils ont faits ou non, justement, dans leurs vies. Certes, tous nont pas à leur disposition les mêmes moyens pour pouvoir réaliser un projet parental et accueillir un enfant. Pour une partie de la population homosexuelle, ne pas avoir denfant nest pas simplement le résultat dun choix conscient, mais une réalité à laquelle ils ont dû se résigner. De même, il faut évidemment considérer le rôle pionnier dune partie de la population homosexuelle qui, contre toute attente, a poursuivi sa volonté de fonder une famille en ayant ou en adoptant des enfants, ouvrant ainsi la voie pour que dautres puissent envisager des projets similaires et avoir à leur disposition des soutiens pour les réaliser. La revendication et la mise en pratique dune conjugaison positive entre paternité et homosexualité, ainsi que sa traduction en un discours social de plus en plus visible, ont participé à une reformulation de ce que être homosexuel veut dire.
BIBLIOGRAPHIE
ALMEIDA, Miguel Vale de, 2010, A Chave do Armário : Homossexualidade, Casamento, Família. Florianópolis, Ed. da UFSC. [ Links ]
BOLTANSKI, Luc, 2004, La condition ftale. Paris, Gallimard. [ Links ]
BOZON, Michel, 2002, Sociologie de la sexualité. Paris, Nathan. [ Links ]
CADORET, Anne, 2001, Etre père sans femme : la paternité gay , TSANTSA Revue de la Société Suisse dEthnologie, 6 : 83-92. [ Links ]
CADORET, Anne, 2002, Des parents comme les autres : Homosexualité et parenté. Paris, Éditions Odile Jacob. [ Links ]
CADORET, Anne, Martine GROSS, Caroline MÉCARY, et Bruno PERREAU (eds.), 2006, Homoparentalités ? Approches scientifiques et politiques. Paris, PUF. [ Links ]
DELAISI DE PARSEVAL, Geneviève, 2008, Famille à tout prix. Paris, Seuil. [ Links ]
DELAISI DE PARSEVAL, Geneviève, et Chantal COLLARD, 2007, La gestation pour autrui : un bricolage des représentations de la paternité et de la maternité euro-américaines , LHomme, 183 : 29-54. [ Links ]
DESCOUTURES, Virginie, 2008, Les mères lesbiennes : Contribution à une sociologie de la parentalité. Paris, Université René Descartes (Paris V), thèse de doctorat en sociologie. [ Links ]
FASSIN, Éric, 2008, Linversion de la question homosexuelle. Paris, Éditions Amsterdam. [ Links ]
FAVRET-SAADA, Jeanne, 1999, Enfin au-delà du PaCS , ProChoix, 12 : 15-17. [ Links ]
FINE, Agnès, et Claire NEIRINCK (eds.), 2000, Parents de sang, parents adoptifs : Approches juridiques et anthropologiques de ladoption. France, USA, Canada, Europe. Paris, LGDJ. [ Links ]
FONSECA, Claudia, 2000, La circulation des enfants pauvres au Brésil : une pratique locale dans un monde globalisé , Anthropologie et Sociétés, 24 (3) : 53-73. [ Links ]
FOUCAULT, Michel, 1994, Histoire de la sexualité : La volonté de savoir. Paris, Gallimard. [ Links ]
FOURNIER, Sandrine, 2003, Enquête sur lhomoparentalité dans la Baie de San Francisco. Toulouse, EHESS, mémoire de DEA en anthropologie sociale et historique. [ Links ]
GODELIER, Maurice, 2004, Métamorphoses de la parenté. Paris, Fayard. [ Links ]
GRATTON, Emmanuel, 2006, Lhomoparentalité, côté pères. Paris, Université Denis Diderot (Paris VII), thèse de doctorat en sociologie. [ Links ]
GROSS, Martine (ed.), 2005, Homoparentalités : État des lieux. Paris, Érès. [ Links ]
GROSS, Martine, 2006, Désir denfant chez les gays et les lesbiennes , Terrain, 46 : 151-164. [ Links ]
GROSS, Martine, et Mathieu PEYCERÉ, 2005, Fonder une famille homoparentale. Paris, Ramsay. [ Links ]
GROSS, Martine, et Dominique Mehl, 2011, Homopaternités et gestation pour autrui , Enfances, Familles, Générations, 14 : 95-112. [ Links ]
GROSSI, Miriam, Anna Paula UZIEL, et Luiz MELLO (eds.), 2007, Conjugalidades, Parentalidades e Identidades Lésbicas, Gays e Travestis. Rio de Janeiro, Garamond. [ Links ]
HERBRAND, Cathy, 2009, Déclinaisons du désir denfant dans les coparentalités homosexuelles , Revue des Sciences Sociales, 41 : 42-51. [ Links ]
LEWIN, Ellen, 1993, Lesbian Mothers : Accounts of Gender in American Culture. Ithaca / Londres, Cornell University Press. [ Links ]
LEWIN, Ellen, 2009, Gay Fatherhood : Narratives of Family and Citizenship in America. Chicago, University of Chicago Press. [ Links ]
PERREAU, Bruno, 2006, Les organismes autorisés pour ladoption : analyse dune délégation de service public , en Anne Cadoret, Martine Gross, Caroline Mecary et Bruno Perreau (eds.), Homoparentalités : Approches scientifiques et politiques. Paris, PUF, 163-173. [ Links ]
RAGONE, Helena, 1996, Chasing the blood tie : surrogate mothers, adoptive mothers and fathers, American Ethnologist, 23 (2) : 352-365. [ Links ]
SCHNEIDER, David M., 1997, The power of culture : notes on some aspects of gay and lesbian kinship in America today, Cultural Anthropology, 12 (2) : 270-274. [ Links ]
TAIN, Laurence, 2005, Um filho quando eu quiser ? O caso da França contemporânea, Revista Estudos Feministas, 13 (1) : 53-67. [ Links ]
TARNOVSKI, Flávio L., 2002, Pais Assumidos : Adoção e Paternidade Homossexual no Brasil Contemporâneo. Florianópolis, UFSC, mémoire de mestrado en anthropologie sociale. [ Links ]
TARNOVSKI, Flávio L., 2010, Être père et homosexuel dans la France contemporaine. Toulouse, EHESS, thèse de doctorat en anthropologie sociale. [ Links ]
TARNOVSKI, Flávio L., 2011, Les coparentalités entre gays et lesbiennes en France : le point de vue des pères , Vibrant, 8 (2) : 140-163. [ Links ]
TARNOVSKI, Flávio L., 2012, Paternité et sexualité dans la construction de soi , Ethnologie Française, 42 (1) : 145-153. [ Links ]
THÉRY, Irène, 1998, Couple, filiation et parenté aujourdhui. Paris, Odile Jacob. [ Links ]
NOTES
[1] Cette recherche a été financée par une bourse de la Capes / Ministère de lÉducation brésilien.
[2] La notion dhomoparentalité a été créée par lAPGL pour désigner les familles dont lun des parents au moins sassume comme homosexuel (Gross 2005).
[3] Ce raisonnement est également utilisé pour expliquer les trajectoires dhommes qui se sont assumés comme homosexuels après une période de conjugalité hétérosexuelle. Daprès ce discours, leur paternité serait le résultat dun renoncement à lhomosexualité, motivé par un fort désir denfant. Cest la même logique qui est à luvre, mais avec une inversion des termes. Pour une critique de ce discours, voir Tarnovski (2012).
[4] Les prénoms ont été changés.
[5] La coparentalité consiste à sassocier avec un partenaire de lautre sexe, selon des modalités très variées, pour faire un enfant, avec ou sans rapports sexuels, et lélever en alternance. La conjugalité et la filiation se trouvent ainsi dissociées et lenfant peut appartenir, dès sa naissance et de façon simultanée, à deux unités domestiques et familiales différentes (Cadoret 2002 ; Tarnovski 2011).
[6] Lun des pères interviewés ma raconté que certaines relations damitié ont été bouleversées après larrivée de lenfant dans la mesure où la réalité de lhomoparentalité a confronté ses amis homosexuels à des choix quils auraient pu faire dans leur trajectoire de vie.
[7] À ce moment-là, Julien et Jean nétaient plus en couple. Julien, 40 ans, graphiste, attendrait encore quelques années avant de se sentir prêt à mettre en pratique son propre projet denfant. Le fait que Jean ait réussi à le réaliser na pas été sans importance pour que Julien puisse se sentir motivé à devenir père à son tour.
[8] A ce sujet, il faut considérer le biais que comporte mon échantillon, dans la mesure où je nai pas interviewé des hommes nayant pas pu réaliser un désir de paternité. En même temps, cette souffrance peut être de deux ordres, selon le moment où elle est ressentie, avant ou après une tentative non réussie davoir un enfant, souffrance qui peut alors soit être associée à lidée de renoncement de la paternité quimpliquerait la reconnaissance de soi comme homosexuel, soit être liée à des difficultés concrètes de réalisation dun projet parental (pour cause dinfertilité ou face à des refus successifs de lagrément pour ladoption, par exemple).
[9] Daprès Delaisi de Parseval et Collard, la gestation pour autrui (GPA), appelée aussi maternité de substitution , [ ] est une pratique par laquelle une femme porte un ftus, et poursuit la grossesse jusquà la naissance de lenfant avec lintention de transférer ensuite ses droits et devoirs parentaux au(x) parent(s) dintention (2007 : 29). Elle peut avoir deux formes, lune où la gestatrice nest pas la mère génétique de lenfant, et lautre, traditionnelle, où elle est inséminée avec le sperme du père dintention. Voir aussi Gross et Mehl (2011).
[10] Gross et Mehl (2011), dans leur étude sur la paternité homosexuelle dans le contexte de la GPA, soulignent également limportance de la stabilité conjugale pour le déclenchement du désir denfant.
[11] Pour une problématisation de la notion de projet parental , voir Boltanski (2004) et Delaisi de Parseval (2008).
[12] Au Brésil, par exemple, des homosexuels peuvent devenir pères en adoptant des enfants trouvés par des réseaux dinterconnaissance, une pratique liée à la circulation denfants dans des milieux populaires (Tarnovski 2002). Bien quil sagisse dune forme dadoption, les enfants sont reconnus naturels, ce qui caractérise une pratique illégale dans le contexte brésilien (voir Fonseca 2000).
[13] Cest-à-dire, les parents à lorigine du projet denfant (voir Delaisi de Parseval et Collard 2007).
[14] Indépendamment du fait que, dans ces situations, la gestatrice doit être reconnue comme mère à létat civil français.
[15] Dans la loi française, il nest pas fait mention de lorientation sexuelle comme critère pouvant faire obstacle à ladoption par des célibataires. Les couples homosexuels, en revanche, ne peuvent pas adopter conjointement. Comme le souligne Bruno Perreau (2006), même si certains départements ne sopposent pas à la délivrance de lagrément à des candidats se déclarant homosexuels, dans la plupart des cas, ces derniers se voient obligés de cacher leur homosexualité lors des enquêtes sociales. La Cour Européenne des Droits de lHomme a déjà été saisie à cause de pratiques discriminatoires au motif de lorientation homosexuelle des candidats à ladoption. En 2009, le tribunal administratif de Besançon a ordonné au Conseil Général du Jura de délivrer lagrément à une enseignante qui ne faisait pas secret de son homosexualité.
[16] Bien que la conviction exprimée par certains gays et lesbiennes selon laquelle un enfant doit avoir un père et une mère soit sans doute marquée par le discours social français sur la différence des sexes (Fassin 2008), une idée similaire se retrouve chez certaines femmes ayant fait une IVG (interruption volontaire de grossesse), lorsque le recours à lavortement est associé à lidée quun enfant ne devrait pas naître sans père . A ce propos, voir Boltanski (2004 : 144-155).
[17] Plus encore quune même origine culturelle, certains enfants sont passés par le même orphelinat, de sorte quils se connaissaient déjà avant dêtre adoptés par des pères célibataires français.