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Ex aequo
versão impressa ISSN 0874-5560
Ex aequo n.21 Vila Franca de Xira 2010
Emergence du féminin et démocratisation du politique
Maria de Lourdes Pintasilgo
Le pari qui soustend notre réflexion sur les femmes nest pas un pari de sauvegarde des choses telles quelles sont mais de changement radical des domaines où elles interviennent.
Nous commençons à atteindre une certaine masse critique, ce qui veut dire la capacité de libération dune nouvelle énergie.
Atteindre une masse critique capable dapporter une différence est pour moi le but au-delà de tous les efforts pour obtenir légalité dopportunités. Cétait l«hidden agenda» pendant longtemps cest le but explicite aujourdhui.
Cest pourquoi là où les femmes font défaut, là où laccès est en quelque sorte limité, il faudra toujours sinterroger sur les discriminations à loeuvre et sur les moyens nécessaires pour les éliminer et pour les compenser.
Le droit à laccès, avec les actions positives pour légalité dopportunités, nest quune étape indispensable, certes pour faire advenir les femmes à leur pleine citoyenneté.
Tant que nous restons sur ce droit-là, nous voyons les femmes en tant quobjet dune discrimination sociale dabord, en tant quobjet dune législation protectrice ensuite.
Or la présence dun nombre déjà significatif de femmes dans des centres de décision nous amène à poser dores et déjà la question essentielle de létape suivante : les femmes, devenant sujet du pouvoir de décision, quelle est/doit être leur contribution spécifique ? Ou, en dautres termes, les femmes ayant un pouvoir de décision quelle différence? pourquoi faire?
Pour répondre à ces questions, il est important de regarder le cadre des événements et des idées qui commencent à dessiner les contours des années 90. Face à un dessin qui est encore caractérisé par lincertitude, par des variables qui sont inconnues, nous sommes tous et toutes, hommes et femmes, dépourvus dinstruments et de solutions.
Cest un moment où lintervention des femmes peut devenir opportune et décisive. Elles sont dépositaires dattitudes et de valeurs requises, elles peuvent devenir productrices de réponses originales aux défis de lhistoire présente.
Légalité daccès aux fonctions de prise de décision politique est à la fois «inédite et subversive».
Elle est inédite parce que, dun côté, elle na jamais été pleinement réalisée et, dun autre côté, parce que nous ne connaissons pas encore son aboutissement.
Elle est subversive dans la mesure où elle oblige à un changement de paradigme dans le domaine le plus fondamental des rapports celui de la relation homme-femme, non seulement au niveau interpersonnel mais surtout au niveau de la distribution des fonctions dans le corps social.
Le politique, dans ses fonctions électives dont nous parlons ici, na de véritable épaisseur humaine que dans la mesure où il sexprime en cohérence profonde avec la dimension politique de tous nos actes et de toutes nos paroles.
Nous nous bornerons à attirer lattention sur ce que peut être lapport des femmes au politique pour le changer du dedans. Nous insistons sur ce mot changement : il est la loi de la vie, lexigence dune vie meilleure sur la planète lhumanité est loin dêtre arrivée à résoudre tous les problèmes qui lui sont posés par sa propre évolution. Cest pourquoi le changement demeure le critère et lhorizon dune participation réussie à la vie politique. A la limite, il ny a que cela qui compte : les femmes dans la politique, oui; mais pour que la politique réponde davantage aux vrais problèmes des personnes et des peuples.
1. La présence des femmes dans la politique
Les travaux de la Décennie des Femmes et les innombrables études qui sont parues depuis, montrent, en rendant objectif ce que chaque femme connaît subjectivement, que nous avons des expériences qui se recoupent au-delà des différences de nationalité, daire géopolitique, dâge ou de culture. De ce fait, les femmes constituent la catégorie sociale la plus internationale, qui est en train démerger dans la société contemporaine.
Ce qui veut dire que la présence des femmes dans la vie politique nest plus une question marginale. Il y va de lorientation de toute la société depuis ses fondements jusquà ses clés de voûte. Il y va du devenir même de lexercice du pouvoir politique.
En effet, laccès des femmes aux postes de prise de décision et de hautes responsabilités dans le domaine politique a une valeur sociale et culturelle décisive pour le futur. En rétablissant léquilibre et la parité des droits entre les deux groupes sociaux hommes et femmes, ce nest pas uniquement une question de justice: cest toute tentative de marginalisation de nimporte quelle catégorie sociale qui est mise en échec. La levée des interdits qui pèsent sur les occupations des femmes contribue à annuler des tabous qui les ramènent à des fonctions et rôles figés et qui ont leurs racines dans les couches profondes des différentes cultures. Ainsi sélargit aussi dans limaginaire collective et, au premier chef, dans celui des femmes elles-mêmes, léventail de possibilités qui leur sont ouvertes dans la gestion des choses publiques.
Mais il ny a pas que des conséquences positives. Très souvent, pour fonctionner sur un pied dégalité avec les hommes, les femmes ont été contrainte dassimiler les valeurs culturelles masculines qui régissent la vie dans lespace publique. Le simple accès se fait souvent aux dépens du refoulement par les femmes elles-mêmes (dans leffort que nous faisons pour une adaptation à outrance) des valeurs et de la culture féminines.
Légalité, quand elle devient «une intégration unilatérale des femmes au monde des hommes» peut créer une nouvelle forme dinégalité. Linvisibilité et le silence qui en découlent pèsent dun poids accru sur le féminin. Ils représentent un immense gaspillage dun potentiel inédit dinnovation et de renouvellement de la vie sociale et politique.
Face à une telle situation, on peut parler des effets pervers des mécanismes qui se sont mis en marche pour légalité dans le domaine politique. Cest une vaste panoplie de nouveaux problèmes dont le moindre nest pas la triple tâche que les femmes engagées politiquement doivent porter sur leurs épaules. Labsence dune expression nette de la culture des femmes nest pas uniquement une perte pour elles-mêmes mais aussi labsence dun apport nouveau à la mise en place de structures démocratiques et politiques publiques adéquates à la société daujourdhui.
2. Les mutations en cours
Linterdépendance politique au niveau mondial;
le choix dune voie démocratique par la plupart des Etats;
luniversalitation du modèle économique occidental;
laccroissement de tous les aspects de la misère dans les pays du Sud, dans un cadre de dépendance passive à légard du Nord;
lémergence de lenvironnement en tant que nouvel acteur social.
Nous allons faire une brève référence à chacun de ces éléments pour que le pouvoir de décision des femmes apparaisse dans toute son ampleur.
2.1. Interdépendance dans tous les aspects de lactivité humaine
Une ère inédite dinterdépendance souvre pour le monde. A linterdépendance économique ressentie pendant les dernières décennies comme contrainte, à linterdépendance politique qui était le résultat de laffrontement latent de deux blocs, succède une interdépendance nouvelle qui relie les peuples les uns aux autres dans tous les aspects de la vie et de lactivité humaine.
La gestion dune telle interdépendance ne saccommode plus de diplomaties dilatoires, ni de manoeuvres habiles destinées souvent à défendre à tout prix des intérêts nationaux, en labsence de toute référence à lintérêt global de lhumanité.
En elle pointe un nouvel ordre mondial où la coopération dépassera le cadre de la négociation conduite par la loi des avantages réciproques, et deviendra un effort densemble pour faire face aux problèmes des peuples.
Cest pourquoi «la gestion de cette ère nouvelle demande de nouveaux instruments, une nouvelle définition entre intérêts nationaux et intérêts mondiaux et de nouvelles formes de direction politique».
Les objectifs à atteindre ne sont plus isolés à lintérieur des frontières mais profondément liés les uns aux autres à travers la situation économique et monétaire mondiale, à travers les saccages faits à lenvironnement global, à travers la conscience acquise au niveau des droits humains.
Ils introduisent ainsi des facteurs nouveaux dans lagencement des rapports sociaux, voire régionaux et internationaux.
La souveraineté sy trouve profondément impliquée.
Elle peut être envisagée entre deux pôles:
dun côté, celui dune souveraineté consciemment déléguée: cest, dans le cas de la CEE, tout lacquis communautaire et lévaluation systématique de la pertinence de cet acquis dans chaque situation nationale et régionale;
dun autre côté, celui dune souveraineté élargie: tel est le sens dun partage de responsabilités dans toutes les institutions communautaires.
Pour ce faire, les objectifs politiques ne peuvent plus être uniquement le fruit des délibérations à haut niveau des institutions politiques.
Il faut quils engagent les citoyens et les citoyennes, quils soient lexpression dun vouloir commun.
Ce nest quà cette condition-là que lon pourra dire de linterdépendance subie comme un fait quelle est une solidarité voulue et consentie.
2.2. Lapprofondissement et le renouveau de la démocratie
Létablissement dEtats de droits, la défense des droits humains, les élections libres et le multipartisme sont devenus les piliers dun ordre interne nouveau.
La démocratie représentative, telle quelle existe en Occident, est devenue la norme du fonctionnement politique des Etats.
Or luniversalité acquise par la démocratie a lieu à un moment de lhistoire politique où la démocratie elle-même est soumise à un profond questionnement dans le continent qui la vu naître.
Les citoyens, las dun jeu politique qui ne concerne en fait quune minorité, séloignent des institutions politiques. Un discrédit généralisé touche celles-ci. La représentation démocratique devient de plus en plus vide de véritable représentativité.
La classe politique entendons par là les nomenklatura de tous bords sinscrit dans le corps social dans une position inverse de sa raison dêtre. Elue pour représenter des courants dopinion vivante parmi les citoyens, elle finit par essayer à tout prix de «vendre son produit», dinfluencer. Une classe politique professionnelle, déjà mise en question dans les années 70, est aujourdhui acceptée avec résignation et distance.
Les média ont introduit dans le pouvoir politique des conditions nouvelles que lon na pas, jusquà présent, réussi à incorporer de façon rationnelle et raisonnable à la relation élus/électeurs. Il sagit là dune médiation qui, pour le moment, est erratique, aléatoire, déformante de la réalité sur laquelle elle est supposée informer.
2.3. Le Marché au service dun projet de société
Le nouvel ordre mondial qui se dessine est aussi caractérisé par un seul système régissant les échanges entre les groupes et les peuples : nous sommes devant léconomie de marché à léchelle mondiale.
En effet, léconomie a envahi tout lespace du réel. A un point tel que le concept économique dajustement structurel est devenu, dans de grandes instances internationales, le remplaçant du concept même de «projet de société». En se définissant comme «lensemble des transformations qui permettent le fonctionnement équilibré de léconomie», il soumet tout à léconomie.
Or le marché, dans ses lois naturelles, est aveugle à ce qui nest pas monnayable : il ne voit pas «la pauvreté» pas plus quil ne voit «lenvironnement». Bien sûr, il ne voit pas «les femmes» en dehors de leur force de travail.
Des mécanismes régulateurs du marché sont indispensables pour que léconomiesoit, à toutes ses étapes, au service des hommes.
La sauvegarde de lhumanité, la protection des plus faibles, de ceux qui se trouvent momentanément démunis devient urgente. Mais au-delà de ces aspects concrets, cest lampleur de laction politique elle-même qui est en cause. Il nous faut une nouvelle gestion.
2.4. Redressement du désordre international
A lencontre de cet ordre nouveau et des espoirs quil suscite, augmente le désordre international.
Létat de carence de lhémisphère Sud, léclatement de structures qui jusquici semblaient lui venir en aide, le découragement qui gagne des populations et des dirigeants face à un hémisphère Nord aux prises avec ses propres affaires sont des aspects de ce désordre.
Ces peuples sont trop conscients du fait quune nouvelle zone de sous-développement sest ouverte à côté dune Europe dont ils attendaient lappui pour un développement soutenu.
Nous navons pas encore suffisamment compris et travaillé à léchelle planétaire les conséquences des événements de ces dernières années.
Mais il devient chaque jour plus urgent de secouer nos institutions, tant au Sud quau Nord, tant celles qui opèrent au niveau national que celles qui ont une responsabilité internationale pour obtenir une restructuration et une adéquation de nos outils politiques à la nouvelle donne mondiale.
2.5 Lenvironnement nouvel acteur social
Un dernier élément manque à ce tableau complexe : lentrée en scène, en termes fracassants, dun nouvel acteur social, lenvironnement.
Car ne nous y trompons pas comme dailleurs ne sy sont pas trompés les 34 dans la Charte de Paris lenvironnement fait partie du politique. Il sest politisé tout seul, comme dans dautres étapes de la civilisation il sest sacralisé.
Il ne sagit nullement dun facteur «environnement» mis à côté des processus dindustrialisation et durbanisation (les deux grands saccageurs de la nature). Il sagit, au contraire, dun nouveau type déquation où la nature intervient au même titre que les matières premières pour lindustrie ou que les coûts des voies de communication dans les établissements humains. Dans une telle équation est dépassé le principe «pollueur/payeur». Non pas que les responsabilités ny soient déterminées mais parce que lattention à la variable «nature» pourra mettre en question le bien-fondé de nimporte quelle initiative.
La décision politique, face à ces enjeux, change dampleur. Elle se fait plus exigeante, à la fois plus complexe et plus orientée vers les personnes, plus portée vers lintersectorialité des enjeux, et plus dialoguante dans lexercice même de son pouvoir.
Les femmes y ont une opportunité unique.
3. Lapport des femmes: réorganisation des rapports sociaux et nouveaux modes de gestion de la vie en société
Dabord la conscience dappartenir à un mouvement social qui na pas de frontières le plus international que lhumanité ait connu devrait placer les femmes dans une situation privilégiée pour renforcer linterdépendance et, surtout, pour y apporter lélément clé de sa réussite : laffirmation et le respect agissant de la dignité égale de toutes les personnes, tous les peuples, tous les pays.
Une telle défense des droits fondamentaux sera la meilleure offensive à lencontre dun nationalisme compétitif à outrance et qui, dans un monde interdépendant, continue de vivre autour de son clocher.
Deuxièmement, la présence des femmes dans la prise de décision pourra nous libérer des bureaucraties qui rongent lefficacité des décisions.
Les bureaucraties étant à la fois le règne des irresponsabilités et la conséquence du compartimentage des problèmes, ce nest pas une mince entreprise que dy faire face.
Mais est-ce que les femmes demandent toutes les mesures dont on a parlé ici et qui nous occupent depuis si longtemps pour nourrir des circuits inutiles? Faut-il mener bataille contre ce qui séloigne de la vie et de sa riche complexité?
Les femmes portent avec elles une expérience millénaire dattention à létroite relation entre toutes les fonctions de la vie. Ce qui en chacune est le résultat dun tel héritage doit être mis en oeuvre pour une autre approche de la gestion et du pouvoir de décision.
Nimporte quelle femme sait quil y a une continuelle circularité du réel, par où la prise de décision est au service des personnes et des peuples. Des priorités qui sétablissent, des urgences qui changent lédifice déjà construit, des adaptations dont il faut assumer le risque.
Par contre, les femmes se situent souvent en retrait face aux conditions de lexercice du pouvoir. En effet, leur présence dans le pouvoir décisionnel naura de sens que dans la mesure où elles contribueront à façonner un autre type de rapports sociaux informels et institutionnels, à donner une expression vivante et cohérente à la démocratie.
Il est facile de constater la capacité spontanée quont les femmes de faire entrer en rapport les gens entre eux. Quil sagisse de leur famille, dune occasion sociale, dun moment de fête ou dun moment de deuil, si nous essayons dy penser, il y a des figures de femmes qui émergent, rassemblant, attentives, tous ceux qui sont là.
Pourquoi nen serait-il pas de même dans la prise de décision à un autre niveau?
Il leur revient de découvrir les méthodes adéquates, en ôtant au pouvoir son caractère «sacré» et en le rendant accessible à tous ceux qui y ont quelque chose à dire.
Il leur revient daider à façonner une démocratie
capable de se donner des buts, qui ne sépuise pas dans la satisfaction de ses propres mécanismes,
qui définisse lhorizon vers lequel elle sachemine sans pour autant senliser dans léconomique,
qui voit le long terme comme un but et un cadre, comprenant que le court terme peut fonctionner parfois à lencontre du long terme,
une démocratie faite de plusieurs modes et lieux de représentation, aucune nétant à même dépuiser le sens du réel.
Et ainsi à la fois
une démocratie qui nait pas peur de recourir aux formes traditionnelles dexpression directe de la volonté populaire (dont le referendum local, régional, national, communautaire),
une démocratie qui sachemine vers la possibilité dutiliser à fond les nouveaux mécanismes de communication en créant des recueils instantanés dopinion des citoyens, servant comme références de pilotage décisionnel.
Aux femmes exerçant un pouvoir décisionnel la tâche dassumer, de répandre et de faciliter les échanges au-delà des frontières, dans la ferme conviction que seules les volontés des individus sont à même de bâtir des démocraties durables et modernes.
Leur présence dans la prise de décision na pas à suivre des modèles que lon reconnaît, par ailleurs, périmés. Il faut inventer vite des formes nouvelles. Il faut donner aux facteurs humains, aux buts humains, la place unique et première qui est la leur.
La préservation de toutes les formes de la vie nest pas une attitude défensive. Cest un renversement de loptique dominante, de la logique qui prévaut. Cest linauguration dune ère radicalement nouvelle dans les 200 ans dindustrialisation.
Est-ce que les femmes veulent devenir protagonistes dun tel renversement? Tout, en elles, semble les rendre aptes à une perception, de lintérieur, de la nouvelle logique.
Une condition est cependant indispensable: que les femmes laissent advenir en elles la culture dont elles sont pétries en tant que femmes. Surtout quelles accomplissent en elles le travail de transparence et de lucidité qui les rende aptes à saisir ce moment de lhistoire en tant que sujet autonome, libre et original. A cause du futur, à cause des multiples enjeux des années 90.