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Cadernos de Estudos Africanos

versão impressa ISSN 1645-3794

Cadernos de Estudos Africanos  no.42 Lisboa dez. 2021  Epub 27-Jun-2022

https://doi.org/10.4000/cea.6725 

ARTIGO ORIGINAL

LE CONFLIT POLITICO-MILITAIRE EN CASAMANCE, UN FACTEUR DETERMINANT DANS LA MISE EN VALEUR DES TERRES DE LA COMMUNE DE NIAGUIS (ZIGUINCHOR - SENEGAL)

O CONFLITO POLÍTICO-MILITAR EM CASAMANSA, UM FACTOR DETERMINANTE NA VALORIZAÇÃO DAS TERRAS DO MUNICÍPIO DE NIAGUIS (ZIGUINCHOR - SENEGAL).

Victor Mendy1 

Mamadou Thior2 
http://orcid.org/0000-0003-1976-6957

Oumar Sy3 

1Département d’Histoire et Civilisations, Laboratoire de Géomatique et d’Environnement, Université Assane Seck de Ziguinchor, BP 523, Ziguinchor, Sénégal, victormendy97@yahoo.fr

2Unité de Recherche en Ingénierie Culturelle, et en Anthropologie, Université Cheikh Anta Diop (IFAN/UCAD), 33, route de la corniche Ouest, Dakar, Sénégal, thioryaz@yahoo.fr

3Département de Géographie, Laboratoire de Géomatique et d’Environnement, Université Assane Seck de Ziguinchor, BP 523, Ziguinchor, Sénégal, oumarsy@univ-zig.sn


Resumé

La Casamance, de façon générale, tient sa particularité à l’égard du reste du Sénégal à son milieu physique surtout. Certaines formations végétales comme la palmeraie sont presque une spécificité de la région et d’autres comme la mangrove y sont en abondance. Les conditions climatiques ont favorisé le développement de l’agriculture dans cette région, qui s’est épanouie depuis des siècles. Cependant, depuis 1982, le conflit armé a occasionné l’abandon de zones de cultures, ce qui a accentué la précarité socioéconomique des populations. Cette contribution a pour objectif de décrire la situation agricole dans la commune de Niaguis avant, pendant et après la période de hautes tensions. L’approche adoptée est une combinaison de méthodes : les enquêtes de terrains et l’usage des Systèmes d’Information Géographique (SIG).

Mots-clés : conflit; terres agricoles; Vallée de Guidel; commune de Niaguis

Resumo

A Casamansa deve a sua particularidade em relação ao resto do Senegal sobretudo ao seu meio físico. Algumas formações vegetais, como a palmeira, são quase uma especificidade da região, e outras, como a manga, são abundantes. As condições climáticas favoreceram o desenvolvimento da agricultura nesta região, que floresceu há séculos. No entanto, desde 1982, o conflito armado provocou o abandono de zonas de culturas, o que acentuou a precariedade socioeconómica das populações. Esta contribuição tem por objetivo descrever a situação agrícola no município de Niaguis antes, durante e após o período de altas tensões. A abordagem adotada é uma combinação de métodos: inquéritos e utilização de Sistemas de Informação Geográfica (SIG).

Palavras-chave: conflito; terras agrícolas; Vale Guidel; município de Niaguis

La Casamance connait depuis plus de trois décennies un conflit politico-militaire qui a fortement remodelé le monde rural de la région (Marut, 2010, p. 24). Dans certaines parties comme le sud et le sud-est de la région, la mise en valeur des terres est devenue, à un certain moment, impossible, et dans d’autres comme la partie est où se situe la commune de Niaguis, elle connait une réorientation de la riziculture et des cultures de plateau (arachide, mil maïs, haricot, etc.) vers l’arboriculture, particulièrement l’anacarde (Mendy, 2018, p. 50 ; Thior et al., 2019, p. 2). La commune de Niaguis a expérimenté les deux, d’abord un abandon de la mise en valeur, ensuite une importante réorientation de celles-ci qui se poursuit aujourd’hui. Cette situation met en évidence des enjeux de la mise en valeur des terres. En effet, la commune de Niaguis partage sa frontière sud avec celle de Boutoupa Camaracounda qui se trouve à la lisière de la frontière sud du Sénégal avec la République de la Guinée-Bissau. Cette proximité de frontières engendre des jeux d’influence aussi bien du point de vue social, culturel qu’économique (GRDR, 2017, p. 38). De ce fait, depuis quelques décennies, l’influence de la culture anacardière qui a traversé la frontière bissau-guinéenne, y marque davantage son empreinte avec toutes les conséquences qui en découlent. Cela a été principalement facilité par deux facteurs. D’abord, l’accueil de populations qui fuyaient la guerre de libération des années 1960 et 1970 de la Guinée-Bissau, ensuite une longue absence des populations dans les villages, forcées à l’exil par le conflit armé de la Casamance. Cette absence a défavorisé la riziculture des vallées qui sont restées longtemps abandonnées, et le retour des populations n’a fait qu’accélérer le développement de l’anacarde aux dépens de la riziculture à cause de l’influence de la Guinée-Bissau qui en est un pays producteur et où une partie des populations déplacées se sont réfugiées. Le retour de ces populations accompagné de l’immigration des Bissau-guinéens dans cette partie a favorisé l’expansion rapide de l’anacarde. La conséquence directe de la réorientation des mises en valeur des terres suite au retour des populations dans leurs villages respectifs est la multiplication des conflits fonciers.

Méthode et données

La méthode adoptée pour ce travail est une combinaison de démarches. D’une part, des enquêtes ont été faites auprès des paysans et un guide d’entretien a été élaboré avec des thématiques beaucoup plus générales sur l’évolution des mises en valeur (abandons de terres, reconversions, de la diversification des cultures à la monoculture d’anacarde, etc.). Pour se faire, des enquêtes ont été faites à l’échelle de la commune afin de mieux analyser la situation agricole actuelle et la dynamique sociale de Niaguis. Ce travail a été complété par une cartographie de l’occupation du sol après des décennies de conflit, et pour cela des entretiens ont été réalisés, avec le Centre National d’Action Anti-Mines du Sénégal (CNAMS) et avec le premier adjoint au maire de la Commune de Niaguis, M. Cissé, pour mieux faire ressortir ses conséquences sur l’agriculture. L’accent est mis sur la relation de causalité entre le conflit, la riziculture et la colonisation des terres par l’anacarde, après le mouvement de retour. Le retour des populations dans leurs localités respectives s’étale dans le temps car il se poursuit jusqu’aujourd’hui. D’autre part, les SIG nous ont permis de réaliser des cartes qui ont révélé une importante dynamique sociale et une dynamique environnementale. La première s’exprime à travers les mouvements des populations dans le temps et dans l’espace en relation avec la crise armée de la Casamance, mais aussi l’interaction des populations le long de la frontière entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. La seconde s’exprime à travers les types de mises en valeur des terres agricoles de la commune dans le temps et dans l’espace. Nous signalons que pour la réalisation de certaines cartes, nous n’avons pas tenu compte des limites communales mais plutôt de celles du terroir qui englobe la vallée de Guidel.

Pour les données climatiques, seules les données de pluviométrie ont été prises en compte dans ce travail. En effet, nous avons utilisé la normale 1981-2010, car elle est plus récente que les deux dernières (1961-1990 et 1971-1980) et cela, afin de minimiser l’hypothèse selon laquelle l’insuffisance de la pluviométrie serait, jusqu’ici, la principale cause de la déprise rizicole. Pour ce faire, nous avons utilisé les écarts en pourcentage par rapport à la normale avec une série qui s’étale sur 63 ans : 1951 à 2014. Les données de la station synoptique de Ziguinchor ont été retenues à cause de leur ancienneté et de la proximité de la station de Ziguinchor par rapport à la commune de Niaguis.

Toutes ces informations ont été complétées par des visites de terrain qui ont permis d’avoir une vue globale de la situation actuelle afin de la comparer avec celle décrite dans la littérature scientifique et ressortie dans les différentes entrevues avec les acteurs, mais aussi de recueillir des informations qui n’ont pas été prises en compte lors de l’élaboration des outils de collecte de données. Toute cette démarche a permis d’avoir les résultats de la répercussion des conséquences du conflit sur l’agriculture. Spécifiquement sur la riziculture, à travers l’évolution de la mise en valeur des terres et de l’occupation du sol. Elle s’est effectuée en trois phases : la phase d’avant conflit, la phase des deux premières décennies de conflit et la phase de la troisième décennie du conflit qui coïncide avec l’accalmie.

Les résultats de cette démarche ont montré une dynamique socioéconomique et environnementale difficile à saisir ces dernières années.

Position géographique de la commune de Niaguis et ses implications historiques et sociologiques

Du point de vue géographique, la commune de Niaguis occupe une position stratégique qui fait apparaître les imbrications des relations entre les deux frontières (Sénégal et Guinée-Bissau) de par sa proximité avec la Guinée-Bissau (fig. 1).

Figure 1 : Carte de localisation de la commune de Niaguis  

Ces jeux de frontières se traduisent par des relations et une mobilité des populations très complexes et difficilement maîtrisables dans le temps et dans l’espace. Cela est d’autant plus vrai que pendant la guerre de libération de la Guinée-Bissau, plusieurs flux de personnes ont convergé vers la commune de Niaguis, et, pendant des moments de forte tension du conflit armé de la Casamance, certaines populations de la commune de Niaguis se sont réfugiées en Guinée-Bissau. La commune de Niaguis se trouve dans la région de Ziguinchor, avec une population de 10550 habitants au recensement de 2013 (ANSD, 2013). Le brassage des groupes ethniques y est très fort, au point qu’il est difficile d’en déterminer le groupe majoritaire. On y trouve des Diola, des Mandingue, des Manjacque, des Mancagne, des Balante, des Baïnounk, des Peul, des Sérère et des Wolof. D’ailleurs, nous avons qualifié cette partie de la région, qui va au-delà des limites de Niaguis, de zone mixte à cause de son fort brassage culturel. La proximité de la Guinée-Bissau outre la diversité des groupes ethniques en Casamance, en est un facteur déterminant et qui finira par avoir des influences remarquables jusque dans les pratiques agricoles dans la commune de Niaguis et ses environs. Elle a aussi facilité l’accueil des populations qui fuient la guerre de part et d’autre de la frontière.

Le climat de la commune de Niaguis, à l’image de la Basse Casamance, est de type sud-soudanien côtier (Sagna, 2005, p. 684). Sa limite nord longe le fleuve Casamance, qui pénètre l’intérieur du territoire de la commune par des ramifications (les « bolons »), dont une partie constitue des vallées rizicoles. C’est sur l’un de ces bras que le barrage de Guidel a été érigé et mis en service en 1983 pour lutter contre les impacts de la salinisation des terres amplifiée par les sécheresses des années 1970 et 1980.

Résultats et discussion

Les déterminants de la mise en valeur des terres à Niaguis ne sont pas exclusivement liés au seul conflit. Certains paramètres environnementaux comme la pluviométrie et ses conséquences entrent d’abord en jeu.

Une pluviométrie fluctuante qui rend difficile la mise en valeur après un long abandon des terres

La pluviométrie de Ziguinchor, à l’image de la région ouest-africaine, connaît une instabilité dans le temps. Cette fluctuation a constitué un des facteurs de blocage qui ont contribué à la réorientation des pratiques agricoles dans la commune de Niaguis, après un long abandon des terres à cause de l’insécurité qui sévissait dans les villages (fig. 2).

Figure 2 : Écarts en pourcentages des totaux annuels de la pluviométrie à Ziguinchor de 1951 à 2014  

Néanmoins, la figure montre une pluviométrie relativement favorable à l’épanouissement des activités agricoles dans la commune durant la période 1951-2014, même si des années déficitaires ont été enregistrées au cours des décennies 1970 et 1980 qui, respectivement, précèdent et suivent la naissance du conflit. Cette remarque révèle que la pluviométrie, à elle seule, ne suffit pas pour être la cause de la crise rizicole actuelle. Mais, le véritable facteur de perturbation récente de la mise en valeur réside dans le conflit armé lui-même.

Le conflit armé à l’origine des abandons de terres

Autrefois connue pour être une terre de stabilité et de forte production, si l’on excepte son hostilité à la présence coloniale, la Casamance est depuis 1982 en proie à une guerre de sécession. Celle-ci a connu dans son évolution des étapes, soit de vive tension, soit d’accalmie, comme celle que nous vivons depuis les années 2000. Mais les localités qui se situent à la lisière des frontières entre le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Gambie ont subi beaucoup plus de pression des deux parties belligérantes, au point que certaines se sont depuis longtemps vidées de leurs populations (Awenengo-Dalberto, 2008, p. 2 ; Marut, 2010, pp. 237-238). Ainsi, selon Robin et Ndione (2006, pp. 4, 6, 7 et 10), il y a eu 12% d’abandons de villages dans la région de Ziguinchor, 30 000 à 50 000 personnes déplacées en 20 ans de conflit, et 159 victimes de mines au cours de l’année 1997. « Environ 500 personnes originaires de l’arrondissement de Niaguis ont émigré principalement vers l’arrondissement de Tenghory, le long de la transgambienne, et vers le pôle Koubanao-Hathioum ». De ce fait, la mise en culture de certaines terres reste problématique malgré quelques opérations de déminage au cours des années 2000 qui ont pour objectifs la réinstallation des populations dans leurs villages respectifs et la récupération des terres abandonnées.

La commune de Niaguis fait partie des territoires qui ont payé le plus lourd tribut à la guerre. Sur treize villages, huit ont été abandonnés et deux ont été à moitié abandonnés (fig. 3).

Ainsi, pour un territoire couvert de plus d’une dizaine de villages cinq seulement étaient épargnés de l’exil et une grande partie des terres cultivées étaient restées en jachère. En effet, l’agriculture était une activité très considérée et bien développée dans les villages, selon M. Ndiaye, chef du village de Niaguis. Même si, jusqu’en 1968, la vallée de Guidel n’avait pas encore fait l’objet d’un réel aménagement moderne, une grande partie des rizières était cultivée (fig. 4).

Figure 3 : Carte de la situation des déplacés de guerre dans la commune de Niaguis  

Figure 4 : Carte d’occupation du sol du terroir villageois de Niaguis en 1968  

A l’image du reste des terroirs de la Basse Casamance, celui de Niaguis bénéficiait encore d’une main-d’œuvre abondante et stable. L’exode rural y était en effet moins fort qu’aujourd’hui, et on pouvait compter sur les saisonniers et sur les réfugiés qui venaient de Guinée-Bissau à cause de la guerre de libération qui y sévissait. Cette main-d’œuvre était disponible aussi bien pour la riziculture que pour les cultures de plateau dominées à cette époque par celle de l’arachide. C’est l’une des raisons qui expliquent la forte mise en valeur des terres de plateau. Cependant, déjà en 1968, la cartographie a montré que les rizières commençaient à se dégrader. Nous pouvons retenir que jusqu’en 1968, le terroir villageois de Niaguis était très dynamique du point de vue des pratiques agricoles, et particulièrement rizicoles. Mais beaucoup de changements sont intervenus dans ce terroir et y ont apporté de profondes modifications. Elles concernent plus la période allant de 1968 à 2003. Ces changements tiennent leur origine d’abord des sécheresses ensuite des aménagements modernes du projet International Land Development Consultants (ILACO) et enfin de la crise armée. Au demeurant, on peut retenir trois facteurs de changement. Il s’agit premièrement des aménagements qui ont été réalisés dans la vallée pendant la sécheresse mais qui n’ont pas été profitables pour les paysans, parce qu’inadaptés aux bas-fonds de la Basse Casamance (Barry et al., 1988, p. 3). Deuxièmement, beaucoup de rizières (cultivables) ont été abandonnées à cause du conflit, car des villages entiers ont eux-mêmes été abandonnés par leurs populations. En effet, depuis le déclenchement du conflit, certains villages sont victimes de leur position géographique à proximité de la frontière, de la Guinée-Bissau en l’occurrence qui, comme la Gambie, sert de base arrière à la rébellion. De ce fait, les populations subissent continuellement des menaces ou des représailles, à la fois de la part des combattants séparatistes et des militaires (Marut, 2010, pp. 243-245). Le taux de déplacés, rien que dans la région de Ziguinchor, à laquelle appartient la commune de Niaguis, a atteint 13% de la population totale en 2009 (Robin, 2009, p. 1). Ces mouvements résultent des tensions provoquées par des scissions au sein du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC). Ces scissions interviennent le plus souvent à la suite des accords de cessez-le-feu entre l’État et certaines branches du MFDC. Ainsi, le troisième accord, intervenu en décembre 1993, a provoqué une reprise des combats dans lesquels une partie de Niaguis était directement concernée. En effet, la complexité du conflit de la Casamance est que les accords n’ont jamais concernés toute la partie rebelle à cause des divisions internes mais aussi des désaccords au sein même d’une même branche. Ces désaccords à l’intérieur des mêmes branches se dévoilent plus clairement après les signatures de cessez-le-feu car certains chefs seraient accusés de collaboration avec l’État du Sénégal, ce qui est vu comme une défaillance et de telles situations débouchent fréquemment sur des affrontements. La complexité du conflit se voit aussi à travers l’insécurité presque permanente qui hante les populations malgré la multiplication des bases militaires sur l’étendue de la région et qui se matérialise par des attaques rebelles dans certains villages quelques fois à proximité des positions militaires comme c’était le cas de Djifangore et Boutoute à proximité de Ziguinchor et de Niaguis. Cette situation a obligé les populations de plusieurs villages de Niaguis (cf. fig. 3) à s’exiler.

Mais ces populations qui ont fui leurs villages respectifs pendant les moments de vive tension, ont laissé derrière elles des terres pour la plupart déjà valorisées. Aussi, avaient-elles toujours l’espoir d’un retour.

Un essoufflement de la rébellion qui favorise un retour des populations

Le conflit casamançais a connu, dans son évolution, plusieurs phases de tension et d’accalmie. Ces différentes phases dont les acteurs sont multiples (comités de paix, acteurs scientifiques, etc.) ont rythmé les mouvements des populations (Gorée Institut, 2015, p. 12 ; Sanchez, 2018, p. 3). C’est ainsi que dans le nord du département de Bignona, certains villages se vident à l’occasion des opérations de ratissage de l’armée sénégalaise qui provoquent de violents combats entre les soldats et les éléments du MFDC. Les villages de la commune de Niaguis, ont été victimes de la même situation au cours de la décennie 1990, après les accords de paix de 1993, et huit d’entre eux ont été complétement désertés (Coly, 2012, p. 36). Mais dès qu’une accalmie s’installe, certaines populations qui n’ont pas pu trouver des conditions idéales d’accueil dans les différents lieux de refuge, n’hésitent pas à revenir (Marut, 2001, p. 15 ; Robin, 2009, p. 7). Le retour des populations de ces villages se fait progressivement à la faveur de la longue accalmie notée depuis les décennies 2000 et 2010, plus précisément depuis 2012. Aujourd’hui, selon M. Cissé, tous les villages autrefois abandonnés ont connu un retour effectif de leurs populations. Mais l’abandon des terroirs villageois pour plusieurs années n’a fait qu’accentuer la dégradation des rizières, déjà entamée pendant les années de sécheresse à cause du manque d’entretien des terres. En effet, les rizières de la Basse Casamance sont dans des milieux soumis à une forte influence de l’océan, à cause de la pénétration du bras de mer qui se ramifie vers l’intérieur du continent, communément appelé fleuve Casamance. Cette situation est bien connue et maîtrisée par les exploitants locaux, dont elle conditionne des pratiques comme les types d’aménagements traditionnels réalisés en Casamance. Elle nécessite notamment l’entretien permanent des parcelles rizicoles, afin de minimiser les impacts du sel. Mais lorsqu’il y a une rupture dans l’entretien, le sel regagne du terrain et la mise en valeur devient hypothétique outre les conséquences de l’insuffisance de la pluie. De ce fait, les populations, après des années d’absence, se confrontent à une forte salinisation de leurs terres d’une part, et l’acidification d’autre part. Devant cette situation, les terres de plateau deviennent alors une deuxième option pour la survie. C’est ainsi qu’on assiste à de nouvelles formes de pratiques agricoles dans les villages, ce qui contribue fortement à la transformation des paysages agraires traditionnels dans la commune de Niaguis.

Une réorientation des activités agricoles vers la culture de l’anacarde et un regain d’intérêt pour le foncier

À la faveur de l’accalmie vécue ces deux dernières décennies dans les campagnes de Casamance, on assiste à un retour de plus en plus massif des réfugiés de guerre. À Niaguis, pour la reprise de leurs activités agricoles, ils ont opté pour l’arboriculture, principalement la culture de l’anacardier, et accessoirement du manguier. Trois facteurs expliquent ce choix. À commencer par l’influence de la Guinée-Bissau. Profitant des liens historiques entre les peuples, certains Bissau-guinéens viennent s’installer dans les villages casamançais à cause de la saturation du foncier par l’anacardier dans leur pays. Ces populations commencent d’abord à planter dans la clôture et/ou en bordure et, progressivement, les champs destinés aux cultures de plateau telles que le mil, le sorgho et l’arachide, sont transformés en de véritables plantations d’anacardiers. A quoi s’ajoute le fait que le séjour des populations de ces villages comme réfugiés en Guinée-Bissau leur a permis de se familiariser avec de nouvelles pratiques agricoles qu’elles ont ramenées chez elles. Deuxième facteur, l’entrée d’opérateurs privés1 qui, dans une atmosphère de concurrence, font fluctuer le prix à leur guise et, qui à leur tour sont conditionnés par l’évolution des cours de la noix de cajou. La concentration de plusieurs acteurs en Basse Casamance pour la traite de l’anacarde est surtout due, d’une part, à la politique restrictive de la Guinée-Bissau qui fixe le prix du kg différemment et décrète la non circulation du produit hors de ses frontières pendant toute la période de la traite et, d’autre part, au manque d’organisation des producteurs. D’autres facteurs aussi à prendre en compte peuvent être les fortes incitations de l’État et des bailleurs de fonds extérieurs, institutionnels (États-Unis, Union Européenne, etc.) ou privés (ONG comme Shelter for Life, qui mène un ambitieux programme de développement de la filière noix de cajou dans ce secteur, financé par le ministère américain de l’agriculture), qui voient dans l’accès rapide à de nouvelles ressources monétaires un moyen d’accélérer le retour des réfugiés et déplacés, et donc de désamorcer la contestation et d’affaiblir la rébellion. Mais les producteurs, et c’est là le troisième facteur, ne perçoivent que la flambée des prix, et se précipitent en masse dans la réorientation de leurs pratiques agricoles pour un plus grand profit immédiat, sans tenir compte du risque d’un effondrement des cours de la noix de cajou, comme cela a été le cas en 2019. Un tel contexte engendre un risque de fragilisation de la société et de la paix ; sans parler du risque de fragilisation de l’environnement car l’anacardier se développe au détriment d’autres formations végétales, ce qui peut avoir des conséquences sur la biodiversité, et sur la fertilité des sols. Néanmoins, quel que soit le jugement que l’on peut en faire, le prix de l’anacarde défie toute concurrence à l’égard des autres cultures commercialisées dans le territoire de Niaguis, comme l’arachide. En outre, l’arboriculture en général, et particulièrement la culture de l’anacarde demande beaucoup moins d’efforts et moins de temps et est plus rentable que celle de l’arachide. Cette situation a fortement remodelé le paysage agraire de la commune et des terroirs environnants (fig. 5).

Fig. 5 : Carte d’occupation du sol du terroir villageois de Niaguis en 2016  

On peut remarquer, sur la carte, qu’en 2016, l’anacarde est devenu la principale culture des populations de Niaguis et ses environs. Elle s’est développée au détriment de la riziculture, avec l’abandon de la vallée de Guidel, malgré des efforts d’aménagement par ILACO entre 1963 et 1975. En dépit du développement rapide de l’anacardier provoquant en même temps la disparition de beaucoup de cultures vivrières, l’essentiel de la récolte est exporté à l’état brut, la transformation et donc l’essentiel du profit se font ailleurs.

La culture de l’anacardier a ainsi relancé la course au foncier dans la commune de Niaguis et ses environs. Selon l’adjoint au maire, les conflits se sont multipliés, avec en moyenne, trois conflits par mois portés à l’attention du Maire. Cela fait 36 conflits fonciers par an et 180 durant les cinq dernières années, qui surgissent pendant la période de la campagne de l’anacarde. De plus en plus des terres qui ont été abandonnées font en effet l’objet de récupération, et la question des vrais propriétaires se pose. Le plus souvent les conflits opposent les propriétaires terriens qui les mettent en location et les exploitants qui les valorisent. De ce fait, plus la terre produit, plus les propriétaires réclament leur dû, faisant fi des termes du contrat établi. En d’autres termes, plus la récolte est abondante plus on réclame sa part au-delà de ce qui a été retenu lors du contrat de location de la parcelle. Ce que les autorités de la commune qualifient de spéculations foncières ; et qu’elles considèrent comme anormal, car la loi sur le Domaine national de 1964 exclut de telles pratiques. Cette loi stipule que la terre appartient à l’État mais les populations se substituent à l’État dans la gestion lorsqu’il y a un enjeu comme l’exploitation de l’anacardier. Ainsi, les cas de conflits les plus fréquents reposent sur la réclamation des « impenses » (c’est-à-dire, l’argent investi dans la préparation de la parcelle) aux exploitations. Mais pour la gestion des conflits, l’adjoint au maire d’ajouter que presque tout se fait à l’amiable, quelqu’un finissant toujours par céder.

Ainsi, la situation agricole dans la commune de Niaguis est actuellement marquée par une monoculture consommatrice d’espace aux dépens des cultures vivrières et de la culture arachidière au point que certains s’interrogent sur l’avenir de l’anacarde. Mais les autorités de la commune voient là une opportunité de développement, avec la perspective d’implantation d’unités de transformation de la noix, du jus, de la matière dérivée de la pomme après extraction du jus et la commercialisation du produit semi-fini ou fini par des acteurs locaux.

Conclusion

Au terme de cette analyse, nous retenons que la commune de Niaguis est un terroir de tradition agricole au sein duquel d’importants changements se sont opérés. Ces changements s’expliquent par divers facteurs. D’abord la proximité de la Guinée-Bissau favorise un important brassage historique des populations. Ensuite, ce brassage a été renforcé par deux situations de guerre. La guerre d’indépendance de la Guinée-Bissau déclenchée en 1963 et qui s’est poursuivie jusqu’en 1974, et qui a fait de la Casamance une terre d’accueil. Lorsque la Casamance plonge à son tour dans un conflit armé à partir de 1982, la Guinée-Bissau constitue une terre d’accueil pour les Casamançais qui fuient la guerre mais aussi pour des combattants indépendantistes. Cela a fait que les terres cultivables de plusieurs villages de Niaguis sont restées longtemps abandonnées surtout les rizières qui se sont fortement dégradées. Le retour des habitants de ces villages est presque maintenant effectif mais avec de nouvelles pratiques agricoles. L’anacardier a pris le dessus sur le riz, l’arachide et le mil mais il engendre beaucoup de conflits fonciers qui peuvent dans l’avenir se transformer en des situations ingérables si des mesures adéquates ne sont pas prises.

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1 Il s’agit souvent de Chinois et d’Indiens.

Received: February 08, 2020; Accepted: December 03, 2021

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