Introduction
La Communauté des Pays de Langue Portugaise (ou CPLP) est une organisation internationale récente, fondée dans la seconde moitié des années 1990, et qui ne commencera à fonctionner effectivement qu’au début des années 2000 (en ce qui concerne l’Institut international de la langue portugaise tout au moins). L’organisation regroupe au départ seulement sept États membres. En 2002, Timor-Est1, un territoire occupé depuis 1976 par l’Indonésie, nouvellement créé après une phase d’administration internationale, adhère à l’organisation. En 2014, au milieu de polémiques liées à sa situation politique ainsi qu’à une introduction timide de la langue portugaise comme langue officielle, c’est le tour de la Guinée Équatoriale.
Ainsi, et hormis le cas spécifique de Macao2, tous les États ayant adopté le Portugais en tant qu’au moins l’une de ses langues officielles sont des États membres de la CPLP. Il s’agit aujourd’hui de neufs États: l’Angola, le Brésil, le Cap Vert, la Guinée-Bissau, la Guinée Équatoriale, le Mozambique, le Portugal, Sao Tomé-et-Principe, Timor-Est3. Tous ces pays, à l’exception du Portugal, ont des populations jeunes, même parfois très jeunes. C’est le cas du Timor-Est, ayant un taux de fécondité record - 4,90 enfants par femme (en 2016) (PopulationData.net, 2020).
Même si le fait d’être composé d’anciennes colonies ou de pays liés politiquement au Portugal réunit ces États autour d’une histoire commune, ainsi que d’une langue, cette organisation internationale relativement jeune affronte d’emblée plusieurs défis: elle est composée d’États membres dont l’un est un véritable continent (le Brésil), un autre est un État encore tout jeune et trouve avec peine ses marques (Timor-Est), un autre est un État dit “manqué” ou tout au moins chroniquement instable (Guinée-Bissau) (UPKONG, 2018, p. 3), et enfin le dernier venu est tout bonnement considéré comme une “kleptocratie” (NORRIS, 2015, p. 52). Par ailleurs, le produit intérieur brut moyen de ces États est moyen ou plutôt bas (INE, 2015).
La question se pose donc de la façon dont les droits de l’enfant, dans un contexte de démocraties fragiles et de pauvreté réelle ou latente, sont effectivement protégés, au plan juridique. Aux facteurs de vulnérabilité déjà évoqués, il faut ajouter que certains de ces États membres ont non seulement des problèmes internes, mais aussi des tensions plus ou moins légères avec, notamment, le Portugal, un État vu à travers un rapport amour-haine, comme l’ancienne puissance colonisatrice devenu une espèce de nouveau beau-père après un divorce.
Comment cette organisation internationale, au demeurant assez modeste, a-t-elle pris repris à son compte (ou pas) la question des droits de l’enfant? Comment ses États membres encadrent-ils ces droits, et surtout comment se positionnent-ils face aux défis nouveaux du droit international en la matière, avec notamment l’entrée en vigueur en avril 2014 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications? Pour répondre à ces différentes questions, cet article optera pour une perspective qui est triple: institutionnelle, constitutionnelle, et internationale.
D’abord, on s’interrogera sur l’organisation internationale CPLP elle-même, en puisant à ses sources et en évaluant les mesures qu’elle a adopté. Ensuite, on clarifiera le contexte constitutionnel de chacun des neufs États membres de la CPLP, non seulement d’en saisir les dispositions essentielles sur les droits de l’enfant, mais aussi pour tenter d’évaluer si, comme l’affirmait le doyen Carbonnier, il s’agit-là d’un “droit vivant” (CARBONNIER, 2004). Enfin, on se penchera sur le plan juridique international, et plus spécifiquement sur les normes conventionnelles de droit international public ayant trait à l’enfant. L’objectif est de faire toute la lumière sur la façon dont, en pratique, et au delà des affirmations de l’organisation internationale et des cadres constitutionnels des États membres, ces derniers se compromettent à mettre en oeuvre les normes les plus essentielles en ce domaine.
1. Perspective institutionnelle
La CPLP n’est pas, a priori, une organisation ayant vocation à la défense des droits de l’Homme. Ses buts, pragmatiques, même si ses statuts sont assez vagues et utilisent un style emphatique, sont:
les consultations politiques et diplomatiques entre ses membres sur les relations internationales, en particulier pour le renforcement de leur présence dans les sorties internationales;
la coopération dans tous les domaines, y compris l’éducation, la santé, la science et la technologie, la défense, l’agriculture, l’administration publique, les communications, la justice, la sécurité publique, la culture, le sport et les médias;
La matérialisation des projets de promotion et de diffusion de la langue portugaise, en particulier par l’intermédiaire de l’Institut international de langue portugaise. (Article 3 des Statuts de la CPLP) (CPLP, 2020a).
Il est vrai que l’article 5 des Statuts de l’organisation (Principes directeurs) dispose en son premier paragraphe que “La CPLP est régie par les principes suivants: [...] e) primauté de la paix, de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et de la justice sociale”4. Cependant, cette référence, au surplus récente, faite aux droits de l’Homme, est pour ainsi dire noyée dans un ensemble hétéroclite de principes: la paix, la justice sociale, etc. Toutefois, le même article des Statuts de la CPLP contient un second paragraphe, plus spécifique, qui prévoit que “[l]a CPLP encourage la coopération entre ses membres dans le but de promouvoir les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme”5. Même si l’on retrouve, là encore, un ensemble assez disparate de principes, les buts de la coopération entre les États membres dans ce domaine sont explicites: elle encouragera (ce qui est différent de “devoir inclure”, cependant) le respect des droits de l’Homme.
Par ailleurs, une dernière référence est faite aux droits de l’Homme dans les Statuts de la CPLP. Il s’agit de la question des membres observateurs, un statut existant depuis 1998 mais opérationnalisé seulement en 2005, et qui permet aux États associés de prendre part aux réunions des organes de l’organisation, y compris ses réunions spécialisées. L’article 7 des Statuts de la CPLP, intitulé “Observateurs”, indique que:
La Communauté des pays lusophones peut admettre des observateurs dans la catégorie d’associés ou dans la catégorie de consultatifs. La catégorie d’observateur associé peut être attribuée: 1. [aux] États qui, bien qu’ils ne remplissent pas les conditions nécessaires pour être membres à part entière de la CPLP, partagent ses principes directeurs, notamment en ce qui concerne la promotion des pratiques démocratiques, de la bonne gouvernance et du respect des droits de l’homme, et poursuivent à travers leurs objectifs des programmes gouvernementaux identiques à ceux de l’Organisation.
On pourrait difficilement mieux dire afin de souligner le caractère essentiel, implicitement si ce n’est explicitement, du paragraphe second de l’article 5 des Statuts de la CPLP. En effet, c’est si et seulement si un État respecte les droits de l’Homme, qu’il pourra prétendre à intégrer la CPLP en tant qu’observateur associé6.
Même si la CPLP exige des États candidats au statut d’observateur le respect des droits de l’Homme, et même si l’article 5 §2 des Statuts de la CPLP indique que cette organisation internationale, ayant pour but la coopération entre ses États membres, encouragera à ce titre le respect des droits de l’Homme, une constatation s’impose: les thèmes abordés par la coopération internationale depuis la fondation de la CPLP ne concernent pas de façon prononcée la question du respect des droits de l’Homme7. Ainsi, sur le site web principal de la CPLP (www.cplp.org), quatre domaines sont présentés pour étayer les activités de l’organisation: “Concertation”, “Coopération”, “Langue, culture et éducation”, et “Coopération économique”. On pourrait s’attendre à trouver une mention de la coopération en matière de droits de l’Homme sous le chapitre Coopération. Cependant, aucune mention n’y est faite.
Les seules sous-domaines présents sont les suivants : la coopération en matière statistique, la gouvernance électronique, la jeunesse et le sport, les océans, la santé, le tourisme, et la sécurité alimentaire. Toutefois, deux points sont mentionnés, qui ont une conséquence en matière de droits de l’Homme, et plus spécifiquement en ce qui concerne les droits de l’enfant. En effet, la page web indique parmi les domaines de coopération: le travail des enfants, d’une part, et les Objectifs de développement durable, d’autre part.
D’un côté, la question du travail des enfants touche directement les droits de l’enfant, et il semble s’agir d’un axe central de la coopération au sein de la CPLP. Qu’en est-il en réalité? En fait, l’objectif de lutte contre l’exploitation du travail des enfants date du 2006, et fait suite à la conférence des ministres du Travail des États membres de la CPLP qui se sont réunis en mai à Lisbonne, sur le thème du “Combat à l’exploitation du travail des enfants dans le monde de langue portugaise”. Cette initiative s’est surtout étoffée après l’accompagnement que l’Organisation internationale du travail (OIT) a voulu donner à ce projet, à la suite de la première réunion des “points focaux8 sur le Travail des enfants” s’étant tenue au Portugal en mars 2007, puis de la deuxième réunion ayant eu lieu au Mozambique en octobre 2010. Fruit de ces initiatives, distantes il est vrai, l’OIT va appuyer le projet “Eliminating child labour in Lusophone countries”, financé à hauteur de 500,000 USD par le gouvernement américain entre décembre 2010 et décembre 2012 (ILO, s/d). Ce projet est restreint, cependant, et concerne seulement les pays africains de la CPLP que sont l’Angola, le Cap Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique, et Sao Tomé-et-Principe.
En outre, il est légitime de douter que ce projet soit véritablement lié à l’action proactive de la CPLP. Il s’agit bien plutôt d’une initiative triangulaire entre les États-Unis, le Brésil, et l’OIT. Enfin, les réunions des “points focaux sur le travail des enfants” auront lieu de façon de plus en plus espacées: en tout et pour tout quatre réunions, regroupées sur deux années. Deux réunions en 2012, suivies de deux autres en 2016. Le bilan est, somme toute, assez maigre. L’un des points qui explique ce résultat en forme de peau de chagrin est l’absence récurrente de méthodologies de travail communes, en particulier dans le domaine statistique. La dernière réunion des Points Focaux (VI Réunion des Points Focaux sur le Travail des enfants, du 20 août 2016), réalisée au siège du Secrétariat exécutif de la CPLP à Lisbonne, montre bien cette limitation matérielle de la CPLP. Le fait d’avoir élargie la coopération à l’OIT n’aura pas porté de fruits, alors même que la réunion de 2016 fixait la date de janvier 2017 comme date limite pour trouver des méthodes statistiques communes, en coopération avec l’OIT (CPLP, 2016, p. 7).
Qu’en est-il des perspectives futures de développement stratégique de la coopération au sein de la CPLP? Le thème des droits de l’Homme, et en son sein le thème des droits de l’enfant, sont-ils présents dans les documents de l’organisation internationale? Le document de référence à cet égard est le Document stratégique pour la coopération de la CPLP 2020-2026. Au point 3 de ce document, intitulé “Domaines et secteurs d’intervention de la coopération de la CPLP”, le document remarque que Les dernières années de coopération du CPLP sont marquées (...) par le renforcement et la visibilité de thèmes tels que: santé; sécurité alimentaire et nutritionnelle; environnement, dans la composante des ressources en eau; la communication, entre autres, l’agenda numérique et la gouvernance électronique, et les affaires sociales, mettant en évidence les composantes de la lutte contre le travail des enfants et le dialogue social tripartite.
Le document souligne par ailleurs que:
Des progrès significatifs ont également été réalisés dans les domaines suivants: jeunesse et sports; le genre et l’empowerment des femmes; l’enseignement supérieur, les sciences et les technologies; la culture; l’éducation; la bonne gouvernance et les droits de l’homme; la défense; les océans; l’énergie; l’environnement; le tourisme et l’éducation pour le développement9 (CPLP, 2019, p. 5-6).
On retrouve en somme un pot-pourri de thèmes, et des affirmations plus rhétoriques que réelles de succès passés et de lignes de force futures, notamment dans les domaines les plus sensibles (la bonne gouvernance; les droits de l’Homme). L’impression que laisse l’analyse des positions de la CPLP sur les droits de l’enfant, ainsi que sur les droits de l’Homme en générale, est celle de l’absence d’une réelle stratégie. En ses lieux et place, on note l’existence d’une séries d’initiatives bien trop diverses pour être contrôlables, voire applicables. Reste à savoir, à travers une perspective constitutionnelle, si les normes fondamentales des États membres de la CPLP assurent une plus grande garantie des droits en matière d’enfance que l’activité, manifestement réduite, de l’organisation internationale elle-même dans ce domaine.
2. Perspective constitutionnelle
Dans une perspective constitutionnelle et de droit comparé, la comparaison des Constitutions des États membres de la CPLP fait ressortir avant toute chose deux points: En premier lieu, l’affirmation de la spécificité identitaire au sein des textes constitutionnels. Cela est particulièrement tranché dans le cas des constitutions des pays africains, qui expriment clairement leur souveraineté, et la volonté d’éviter un empiètement sur les attributions étatiques par un quelconque État étranger, ou par une quelconque autorité (on se demandera si cela inclue les organisations internationales, à cet égard). La mémoire du colonialisme est bien présente dans ces dispositions. En second lieu, on note des divergences considérables dans le style, voire dans la langue juridique et constitutionnelle des différentes Constitutions des États membres de la CPLP.
On remarque que certains termes de langue portugaise sont utilisés dans des sens différents. Cela est clair en ce qui concerne le Brésil, qui fait usage d’une langue portugaise propre, avec un vocabulaire juridique contenant des différences ou des expressions spécifiques, ce qui peut être rapproché des contrastes qui existent, à certains égards, entre le France et le Québec par exemple. Mais cela est également vrai en ce qui concerne les différences de vocabulaire juridique entre le Portugal et les pays africains de langue portugaise. On n’évoquera aussi la question de Timor-Est, qui bien que l’État maintienne la langue portugaise comme langue officielle (c’était la langue de la résistance à l’Indonésie, d’où son caractère symbolique pour l’État), a une langue dominante, le Tétum, langue austronésienne bien éloignée de la langue portugaise, qui est parlé par la majorité de la population (ce n’est pas le cas du Portugais). Enfin, une référence à la Guinée Équatoriale qui n’utilise nullement la langue portugaise, en réalité, mais bien plutôt l’Espagnol - langue à cet égard parlée par son chef de l’État, par les membres du gouvernement, et utilisée aussi dans ses textes normatifs, dont la Constitution. D’ailleurs, un rapide teste confirme que la Constitution de cet État n’est même pas disponible en langue portugaise sur les sites officiels de la Guinée Équatoriale (Guiné Equatorial, 2020).
Ces différents éléments, et surtout la question postcoloniale et les différences dans l’usage de la langue portugaise, peuvent rendre plus difficile une comparaison des termes, des normes aussi, en ce qui concerne les droits de l’enfant. Les Constitutions des différents États membres sont analysées suivant un ordre qui tend à les regrouper en fonction de leurs contenus, ainsi que de la densité des textes ayant trait à l’enfance. On commencera l’étude par la Constitution du Portugal, qui est l’État “point de départ” ou standpoint de l’auteur de l’article.
La Constitution du Portugal (WIPO, s/d(i)), dont la dernière révision date de 2005, contient trois dispositions sur les droits de l’enfant. D’abord, l’article 36 de la Constitution portugaise (intitulé “La famille, le mariage et la filiation”), dispose que: 5. “Les parents ont le droit et le devoir d’éducation et d’entretien de leurs enfants”. Le paragraphe 6 du même article indique quant à lui que “[l]es enfants ne peuvent être séparés de leurs parents que par une décision de justice lorsqu’ils ne remplissent pas leurs obligations envers eux”, ce qui correspond à la terminologie utilisée internationalement dans la Convention de l’Organisation des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
L’article 68 de la Constitution portugaise (sur la “La paternité et la maternité”) prévoit par ailleurs que: “1. Les pères et les mères ont droit à la protection de la société et de l’État dans leur rôle irremplaçable auprès de leurs enfants, notamment quant à leur éducation, afin de garantir leur réalisation professionnelle et leur participation à la vie civique du pays”.
Enfin, la Constitution du Portugal intègre un article spécifique sur les droits de l’enfant, intitulé “L’enfance”:
Article 69 (L’enfance) 1. Les enfants ont droit à la protection de la société et de l'Etat en vue de leur plein épanouissement, en particulier contre toute forme d'abandon, de discrimination et d'oppression et contre les abus d'autorité dans la famille et au sein des autres institutions. 2. Les orphelins, les enfants abandonnés et les enfants privés pour une raison quelconque d'un environnement familial normal ont droit à une protection spéciale de l'Etat.
La Constitution de l’Angola (WIPO, s/d(ii)), dont la dernière révision date de 2010, contient quant à elle un article spécifique sur l’enfance (article 80). Cette disposition prévoit un éventail assez large de secteurs de protection des droits de l’enfant.
Article 80 (L'enfance) 1. L'enfant a droit à l'attention particulière de la famille, de la société et de l'État, lesquels, en collaboration étroite, doivent assurer une vaste protection contre toutes les formes d'abandon, de discrimination, d'oppression, d'exploitation, et contre l'exercice abusif de l'autorité, dans la famille et autres institutions.
On note immédiatement la familiarité entre cette disposition et l’article 69 de la Constitution portugaise. Il est pourtant significatif de noter que le terme “Protection”, présent dans la Constitution portugaise, soit ici remplacé par le terme “attention particulière”, qui renvoie un degré inférieur de garantie de tutelle juridique.
Par ailleurs, l’article 21 de la Constitution de l’Angola (intitulé “Les missions fondamentales de l'État”), indique que:
Les missions fondamentales de l'État consistent à: i) réaliser des investissements stratégiques, massifs et permanents dans le capital humain, surtout pour le développement intégral des enfants et des jeunes, mais également dans l'éducation, la santé, les secteurs primaire et secondaire de l'économie et les autres secteurs structurants du développement auto-entretenu.
Enfin, l’article 35 de la Constitution angolaise (sur le thème “La famille, le mariage et la filiation”) proclame l’égalité des enfants devant la loi, d’où il découle l’interdiction de la discrimination et de “l'emploi de termes discriminatoires concernant leur filiation”, sans qu’il soit précisé de quels types de filiation il s’agit ici (Article 35 §5). La norme fondamentale de l’Angola indique également que “[l]a protection des droits de l'enfant, notamment, son éducation intégrale et harmonieuse, la protection de sa santé, ses conditions de vie et son enseignement constituent une priorité absolue de la famille, de l'État et de la société” (Article 35 §6). Cette terminologie - “priorité absolue” - laisse planer un doute sur la nature juridique de l’obligation prévue. S’agit-il d’un droit ? Qui en est le titulaire? S’agit-il d’une obligation de l’État? On peut en douter, car on se trouve ici hors du champ, contenu à l’article 21, des ”missions fondamentales de l’État”. Cette “priorité absolue”, pour aussi absolue qu’elle soit, ne semble pas entrer dans le champ de la “mission fondamentale de l’État”.
La Constitution brésilienne (WIPO, s/d(iii)), qui est aussi désignée sous le terme de “Constitution citoyenne” (datant de 1988, et dont la version traduite et commentée est de 1998), consacre un chapitre entier (chapitre VII) non pas à l’enfant seulement, mais également à son environnement social. Ce chapitre s’intitule “De la famille, de l’enfant, de l’adolescent et de la personne âgée”. L’article 226 dispose que “[l]a famille, base de la société, bénéficie d'une protection spéciale de l'Etat”. Cette disposition est completée par un ensemble dense de normes. L’article 227 de la Constitution brésilienne, en particulier, utilise des expressions proche de celle mentionnées dans les Constitutions angolaise et portugaise, et avance ce qui semble configurer un programme normatif complet de protection de l’enfance:
Art. 227. Il est du devoir de la famille, de la société et de l'Etat d'assurer à l'enfant et à l'adolescent, en priorité absolue, le droit à la vie, à la santé, à l'alimentation, à l'éducation, aux loisirs, à la formation professionnelle, à la culture, à la dignité, au respect, à la liberté et à la coexistence familiale et communautaire; ils doivent également les défendre contre toute forme de négligence, de discrimination, d'exploitation, de violence, de cruauté et d'oppression.
Même si la Constitution brésilienne co-responsabilise la famille, la société et l’État pour les garanties des droits dont doit jouir l’enfant, il n’en reste pas moins que c’est à ce dernier acteur que revient la charge financière de l’aide sociale dans ce domaine, et ce de façon tout à fait explicite. En effet, l’article 227 §7 de la Constitution brésilienne renvoie à l’article 204 de cette même norme (sur le financement sur le budget de l’État de l’aide sociale), dont les dispositions devront “être prises en considération” en matière de droits de l'enfant et de l'adolescent.
De fait, la Constitution brésilienne va loin dans le détail, et insiste sur la question non pas tant du développement integral de l’enfant, comme le feront des Constitutions plus récentes, mais sur la question de la santé, en sélectionnant les institutions qui pourront collaborer avec les pouvoirs publics dans ce domaine:
Art. 227. Paragraphe premier. L'Etat établit des programmes d'assistance intégrale à la santé de l'enfant et de l'adolescent, auxquels peuvent participer les entités non gouvernementales et qui obéissent aux principes suivants:I - affectation d'un pourcentage des ressources publiques à l'assistance à la mère et à l'enfant (...)VI - l'encouragement de la puissance publique à l'accueil, sous forme de placement de l'enfant ou de l'adolescent orphelin ou abandonné, au moyen de l'assistance juridique, d'avantages fiscaux ou de subventions, selon les formes de la loi;VII - des programmes de prévention et d'accueil spécialisé pour l'enfant et l'adolescent dépendants de stupéfiants ou de drogues similaires.
Enfin, confirmant le caractère complet de son dispositif, la Constitution brésilienne prévoit, sans spécifier ses limites exactes, que “La loi punit sévèrement l'abus, la violence et l'exploitation sexuelle exercés sur l'enfant et sur l'adolescent” (art. 227 §4).
La Constitution du Mozambique (CPLP, s/d), qui étonnement a pas ou peu de traductions en langue française, et dont la dernière révision de 1990 a modifié en profondeur certains aspects de cette norme fondamentale, contient deux articles spécifiquement consacré aux “droits de l’enfant” (art. 47) et à “l’enfance” (art. 120), respectivement.
Le premier de ces articles reprend, à peu de choses près, les termes de la Convention international relative aux droits de l’enfant (cf. infra, partie 3):
Article 47 (Droits de l’enfant)1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être.2. Les enfants peuvent exprimer librement leur opinion sur les questions les concernant, en fonction de leur âge et de leur maturité.3. Tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient commis par des entités publiques ou par des institutions privées, tiennent principalement compte de l’intérêt supérieur de l’enfant10.
Le second article utilise quant à lui les formules déjà employées dans les autres Constitutions des États membres de la CPLP évoquées ci-dessus, affirmant cependant non pas les devoirs “de la famille, de la société et de l’État en vue de leur développement intégral” de l’enfant, mais le “droit” qu’à l’enfant à la protection de la famille, de la société et de l’État. L’idéal serait bien entendu que l’État soit aussi obligé, en vertu des dispositions constitutionnelles, à protéger l’enfance, sans que les intéressés n’aient à réclamer leur droit éventuels.
Article 121 (Enfance)1. Tous les enfants ont droit à la protection de la famille, de la société et de l’État en vue de leur développement intégral.
Le même article de la Constitution du Mozambique prévoit, également tout comme les autres Constitutions déjà analysées, la protection des orphelins, mais aussi des “personnes [sous-entendu des enfants?] handicapées” et des “personnes [sous-entendu des enfants?] abandonnées” contre les discriminations, mauvais traitement et abus de l’autorité, que ce soit au sein “de la famille ou d’autres institutions”. La Constitution du Mozambique explicite bien le “devoir” qu’ont ces institutions de protection de l’enfant, mais seulement dans ces situations spécifiques et pas de façon générale.
Article 121 (Enfance)2. Les enfants, en particulier les orphelins, les personnes handicapées et les personnes abandonnées, doivent être protégés par la famille, la société et l’État contre toute forme de discrimination, de mauvais traitements et d’exercice abusif de l’autorité dans la famille et dans d’autres institutions.
Ce second article de la Constitution du Mozambique mérite qu’on s’y attarde. En effet, après cette liste de norme déjà assez explicite, le paragraphe 3 de l’article 121 affirme:
Article 121 (Enfance) L’enfant ne peut être victime de discrimination, notamment en raison de sa naissance ou de mauvais traitements.
On s’interrogera sur le caractère lacunaire de cette disposition. Certes, la question de la naissance constitue sans aucun doute une cause potentielle de discrimination. Mais il serait essentiel de spécifier les conditions de la naissance en question qui peuvent être à l’origine de cette discrimination, comme c’est le cas de façon paradigmatique de la naissance hors mariage. C’est certainement en ce sens qu’il faut interpréter cette disposition, compte tenu en particulier de la substance de l’article 120 de la Constitution mozambicaine (intitulé “Maternité et paternité”), dont le paragraphe 4 précise: “Les pères et les mères aident les enfants nés dans et hors mariage”. En revanche, affirmer que “l’enfant ne peut être victime de discrimination, notamment en raison (..) de mauvais traitements” est plus étonnant. Le problème des mauvais traitements est en effet, en soit, une forme d’arbitraire.
Quant à la Guinée-Bissau, sa Constitution (Ambassade de France en Guinée-Bissau, 2020), dont la dernière version date de 1996, ne fait quasiment pas référence à l’enfant ou à ses droits. Au terme “enfant”, elle préfère le terme “citoyen” (notamment en ce qui concerne le droit à l’éducation. Cf. Article 49 de la Constitution de la Guinée-Bissau). Exception notable à cette absence de référence explicite à l’enfant, l’article 5 §2 de la Constitution de Guinée-Bissau affirme: “2. La République de Guinée-Bissau considère qu’il est de son honneur et de son devoir (…) c) d’assister les parents, les enfants et les veuves des combattants de la liberté de la Patrie”. L’alinéa antérieur avait déjà prévu que une garantie étatique quant à “(…) l'éducation des orphelins des combattants de la liberté de la patrie”. On retrouve ici la référence, évoquée en introduction, au colonialisme. Mais on pourra s’interroger aussi sur l’absence de mention de l’aide de l’État aux autres enfant, orphelins également. Ce point n’est pas le seul qui mérite d’être discuté. La Constitution de Guinée-Bissau contient un autre article faisant référence à l’enfant qui, à y regarder de plus près, contient une disposition tout à fait paradoxale. Il s’agit de l’article 26, où la norme constitutionnelle prévoit: “2. Les enfants sont égaux devant la loi, indépendamment de l'état-civil des géniteurs”. Toutefois, le paragraphe suivant indique que “3. Les époux ont des droits et des devoirs égaux en ce qui concerne la capacité civile et politique ainsi que l'entretien et l'éducation des enfants”. Or, la référence exclusive aux “époux”, et non aux “parents”, en ce qui concerne les “droits et devoirs” visant “l'entretien et l'éducation des enfants”, peut avoir pour conséquence une différence de traitement entre les enfants nés dans et hors mariage.
La Constitution du Cap Vert (Francophonie, s/d), dont la dernière version date de 2010, contient quant à elle de nombreuses dispositions sur les droits de l’enfant. Non seulement ces dispositions sont des dispositions constitutionnelles classiques (relative notamment à la protection de l’État à l’aide à l’enfance ou à la famille), mais cette Constitution contient également des normes que l’on qualifiera de plus avancées sur l’enfance, et touchant aux droits de la personnalité, ce qui est beaucoup plus rare dans les Constitutions des États membres de la CPLP.
Tout d’abord, on notera des dispositions classiques. C’est le cas de l’article 85, sur les “Obligations de l'Etat”. La Constitution du Cap Vert est explicite sur le devoir de coopération étatique de protection de la famille et aux parents: “1. Il incombe à l'Etat, en vue de protéger la famille, notamment les obligations suivantes: (…) c) coopérer avec les parents dans l'éducation des enfants”.
Il est cependant plus surprenant de trouver dans le même article de la Constitution du Cap Vert une disposition qui lie la promotion des droits des femmes et lutte contre la discrimination à leur égard, à la protection des droits de l’enfant. La formule utilisée est la suivante: “2. L'Etat a également le devoir de veiller à l'élimination des conditions qui entrainent la discrimination des femmes et d'assurer la protection de leurs droits ainsi que des droits des enfants”.
La Constitution du Cap Vert semble donc lier intrinsèquement la situation des droits de la femme et celle des droits de l’enfant, ce qui n’est pas sans dénoter une vision réductrice de la femme (et de l’enfant), selon laquelle la femme a la charge et le soin exclusif de l’enfant. Il ne s’agit pourtant pas là d’une référence à la protection de la maternité, thème qui fait l’objet de l’article suivant de la Constitution du Cap Vert (Article 86. “Paternité et maternité”). L’article 86 indique, en particulier: “2. Les pères et les mères ont droit à la protection de la société et de l'Etat dans l'exécution de la mission irremplaçable qu'ils remplissent vis-à-vis de leurs enfants”.
Nous en venons finalement à l’article principal de la Constitution du Cap Vert, en ce qui concerne “L’enfance”. Il s’agit de l’article 87, qui prévoit:
Article 87 (Enfance) 1. Tous les enfants ont droit à la protection spéciale de la famille, de la société et de l'Etat qui doit leur garantir les conditions nécessaires au plein développement de leurs capacités physiques et intellectuelles et des soins appropriés en cas de maladie, d'abandon ou de carence affective. 2. La famille, la société et l'Etat ont le devoir d'assurer la protection des enfants contre toute forme de discrimination et d'oppression ainsi que contre les abus d'autorité au sein de la famille ou des institutions publiques ou privées auxquelles ils sont confiés, et contre leur exploitation par le travail.
Comme on peut le constater, la Constitution du Cap Vert utilise la même formule que la Constitution de la Guinée-Bissau, renvoyant au droit à une protection “spéciale” de l’enfance, venant “de la famille, de la société et de l'Etat”. Ces acteurs doivent leur garantir un développement intégral, mais aussi “des soins appropriés en cas de maladie, d'abandon ou de carence affective”.
On retrouve aussi l’expression selon laquelle les enfants doivent être protégés contre “toute forme de discrimination et d'oppression ainsi que contre les abus d'autorité au sein de la famille ou des institutions publiques ou privées auxquelles ils sont confiés, et contre leur exploitation par le travail”. Ce qui est plus étonnant, c’est que les titulaires de cette protection soient “La famille, la société et l'Etat”. On se demandera à juste titre si cette tutelle des droits n’est pas trop diffuse. Par exemple, en théorie, selon la Constitution du Cap Vert, c’est donc bien la famille qui a le devoir d’assurer la protection contre les abus d'autorité au sein de la...famille. La combinaison de cette disposition avec l’article 44 §4 de la Constitution (intitulé “Mariage et filiation”) souligne à cet égard que “[l]es enfants ne peuvent être séparés de leurs parents qu'en vertu d'une décision judiciaire si ces derniers ne respectent pas leurs devoirs fondamentaux à leur égard, et seulement dans les cas prévus par la loi”.
En soit, cette disposition reprend le contenu des normes internationales (et plus spécifiquement de la Convention relative aux droits de l’enfant). Toutefois, on notera que rien ne précise, dans le texte de la Constitution, quels sont pour les parents “leurs devoirs fondamentaux à leur égard [à l’égard de leurs enfants]”. Certes, le paragraphe 1er de l’article 86, déjà évoqué, prévoit que “1. Les pères et les mères doivent prêter assistance aux enfants nés dans le mariage ou en dehors de celui-ci, et notamment pourvoir à leur alimentation, à leur garde et à leur éducation”. Mais rien n’indique que ces devoirs soient les devoirs fondamentaux auxquels fait référence l’article 44. La terminologie “droit fondamental” aurait pu être utilisée, comme elle l’a été dans l’article 49 de la Constitution du Cap Vert, sur la “Liberté de s'instruire, d'éduquer et d'enseigner”, qui prévoit: “3. Il est reconnu à la famille le droit fondamental d'éduquer les enfants en conformité avec les principes moraux et sociaux découlant de leurs convictions philosophiques, religieuses, idéologiques, esthétiques, politiques ou autres”.
Malgré ces incertitudes interprétatives, la Constitution du Cap Vert contient une disposition fort intéressante car touchant, même si de façon non explicite, aux liens entre les droits de l’Homme de la première génération et de la “quatrième génération” des droits de l’Homme (liés à la société digitale. Cf. FALCON Y TELLA, 2007, p. 71). Il s’agit de l’article 45 de la Constitution, qui permet de limiter la liberté d’expression et d’information en vue de la protection de la jeunesse et de l’enfance:
Article 45 (Liberté d'expression et d'information) 4. La liberté d'expression et d'information est limitée par le droit dont jouit tout citoyen à l'honneur, à la bonne réputation, à son image personnelle et à la préservation de l'intimité de sa vie personnelle et familiale, ainsi que par la protection des jeunes et des enfants.
La Constitution de Sao Tomé-et-Principe11 (Assemblée Nationale de S. Tomé et Príncipe, 2020), qui est un texte très concis, contient trois articles courts concernant directement l’enfant et ses droits. Tout d’abord, l’article 52 (“Enfance”), qui prévoit que les enfants ont le “droit au respect et à la protection de la société et de l’État en vue de leur développement intégral”. Ensuite, l’article 26 (“Famille, mariage et appartenance”), qui réfère forme claire le droit-devoir des parents en ce qui concerne l’éducation des enfants: “5. Les parents ont le droit et le devoir d’éducation et d’entretien de leurs enfants”. Enfin, l’article 51 (“Famille”), indique au paragraphe 2 “qu’[i]l incombe notamment à l’État de: (...) b) promouvoir la création d’un réseau national de garde d’enfants et de soins maternels; c) Coopérer avec les parents dans l’éducation des enfants”.
Une note enfin sur la Constitution de la Guinée Équatoriale (WIPO, s/d(iv)). Celle-ci ne contient aucune disposition sur l’enfant, l’enfance ou encore la jeunesse, pas plus que sur les droits spécifiquement associés à ceux-ci, exception faite du “droit à l’éducation primaire qui est obligatoire, gratuite et garantie” à “tout citoyen” (article 23), droit qui est simultanément “un devoir primordial de l’État”. Le même article limite potentiellement son impact réel, en précisant que “[l]a portée de la gratuité de l’éducation est fixée par la loi”. En revanche, un autre article de la Constitution de la Guinée Équatoriale se rapporte à la paternité. Il s’agit de l’article 24, qui prévoit que “L’État protège la paternité responsable et l’éducation appropriée pour la promotion de la famille”. La formule utilisée dans ce dernier article est pour le moins ambiguë. L’État se présente non pas en garant de droits, mais en protecteur de la “paternité” (quid de la maternité?) et d’une “éducation appropriée” pour la “promotion” de la famille. De quoi s’agit-il? De politique familiale? Sans doute pas, et le texte laisse planer un doute sur les visées d’une disposition constitutionnelle qui devrait être plus clairement protectrice des droits, et non pas ce qui semble être le reflet d’un paternalisme d’État.
Au demeurant, et outre ces dispositions plus que contestables dans une perspective d’analyse des droits de l’Homme, la Constitution de la Guinée Équatoriale ne fait aucune mention de la famille et de la vie familiale en tant que telles, ou en tant qu’objet de droits subjectifs, même si le Préambule de la Constitution contient une référence plutôt exotique au “sentiment de l’autorité charismatique de la famille traditionnelle [qui] est la base de l’organisation de la société équatoguinéenne”.
Cette analyse se termine par une référence à la Constitution de Timor-Est12 (Gouvernement de Timor-Leste, s/d), qui prévoit un unique article se rapportant aux droits de l’enfant, intitulé “Protection de l’enfance”. Cette norme dispose:
Article 18 (Protection de l’enfance) 1. L’enfant a droit à une protection spéciale de la part de la famille, de la communauté et de l’État, en particulier contre toutes les formes d’abandon, de discrimination, de violence, d’oppression, d’abus sexuels et d’exploitation. 2. L’enfant jouit de tous les droits qui lui sont universellement reconnus, ainsi que de tous ceux qui sont inscrits dans les conventions internationales régulièrement ratifiées ou approuvées par l’État.
Un dernier paragraphe de l’article affirme aussi l’égalité devant la protection sociale des enfants nés dans et hors mariage. Il serait en fait presque inutile, compte tenu du deuxième paragraphe de l’article 18, qui fait un renvoie explicite aux conventions internationales sur les droits de l’enfant. Celles-ci affirment justement l’égalité des enfants, que leur naissance ait eu lieu au sein ou hors d’une union matrimoniale. Reste à savoir, comme l’évoque d’ailleurs cet article de la Constitution de Timor-Leste, si les États ont ratifié les conventions internationales en question. C’est ce que la perspective internationale sur les États membres de la CPLP au regard des normes en la matière nous apprendra.
3. Perspective internationale
L’Organisation des Nations-Unies (ONU), pour autant qu’elle puisse être critiquée pour certains aspects soulignant sa passivité ou sa pesanteur, a du moins un mérite qui ne peu nullement lui être retiré: dans le domaine des droits de l’Homme (ou des droits humains, terminologie alternative), l’ONU a fait avancer la réalisation de progrès juridiques gigantesques. C’est le cas, dans le domaine des droits de l’enfant. À cet égard, la Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée et ouverte à la signature, ratification et adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989, et entrée en vigueur le 2 septembre 1990, est un document matriciel.
Comme le soulignent les auteurs de référence en la matière, comme c’est le cas de Cardona Llorens (2020), il s’agit d’une norme internationale qui change le paradigme en matière de droits de l’Homme et de aussi de citoyenneté. En effet, la convention non seulement renforce les obligations des États, qui doivent prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes leurs politiques et mesures (article 3), mais encore confère à l’enfant un véritable protagonisme en tant qu’intervenant juridique, voire démocratique, car l’enfant doit être consulté par les instances publiques et privée, et doit pouvoir participer ou intervenir, en particulier quand sont en cause des mesures qui le touche (article 12).
Par ailleurs, la convention est assortie de trois protocoles facultatifs: d’abord, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, qui constitue une norme unique, faisant la jonction entre les droits de l’Homme et le droit international humanitaire; ensuite, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.
Ces deux protocoles à la Convention relative aux droits de l'enfant datent tous deux de 25 mai 2000, et sont entrés en vigueur, respectivement, le 12 février 2002 et le 18 janvier 2002. Enfin, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, adopté le 19 décembre 2011, entré en vigueur le 14 avril 2014. Ce dernier protocole est un puissant instrument juridique, qui comble une lacune jusqu’alors existante quant à que nous pouvons nommer le système juridique international des droits de l’Homme: l’absence d’un mécanisme de plainte des victimes de violations des droits de l’Homme en matière, dans ce cas précis, de droits spécifiquement destinés à l’enfance.
La question qui se pose, dans le cadre de cette perspective internationale sur la CPLP et les droits de l’enfant, est double: d’abord, quelle est la position de la CPLP sur ces instruments juridiques? Ensuite, quelle est la situation des États membres de la CPLP quant à la ratification de ces instruments normatifs internationaux?
En ce qui concerne la position de la CPLP sur ces instruments juridiques, peu se sait car les déclarations et prises de position officielles sont rares, si ce n’est peut-être dans le domaine du travail infantil. Comment expliquer ce manque de proactivité de la CPLP dans le domaine des normes internationales sur les droits de l’enfant, et notamment les plus récentes - les protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant? On a vu que la CPLP n’a pas vocation à intervenir en matière de droits de l’Homme, même si l’organisation est régie par des principes qui incluent les droits de l’Homme. Toutefois, il convient de noter qu’outre le fait d'avoir élu 2019 comme l'Année de la jeunesse (CPLP, 2020c), la CPLP dispose depuis 2018 d'un Plan d'action pour la jeunesse (2018-2020), qui comprend des mesures (dans des domaines tels que la santé, l'éducation, l'égalité des sexes, la réduction des inégalités, l'action en faveur du climat, la paix, la justice et des institutions efficaces) considérée par l’organisation internationale comme étant en “parfaite adéquation avec les objectifs de développement durable” (ou du moins certains d'entre eux, en fait) (UN News, s/d).
Un fait récent nous permet de souligner la pertinence de la question, au sein de la CPLP. En effet, le 25 février 2020, trois États membres de la CPLP, le Brésil, le Portugal et le Mozambique, étaient représentés lors de la rencontre de niveau ministériel, en marge de la 43e session du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies, à Genève, et à l'occasion du 30e anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant. C'est le représentant de l'Angola qui est intervenu à la fin de cette réunion, au nom de la CPLP, pour déclarer que les États membres de la CPLP (et la CPLP elle-même, on le suppose) ont respecté les normes qui favorisent la promotion et la protection des enfants.
Cependant, il convient de ne pas surestimer ces initiatives et déclarations. La base du respect des droits de l’Homme, et dans ce cas des droits de l’enfant, consiste surtout en l’existence d’instruments normatifs efficaces. Il faut donc vérifier la couverture normative des États membres de la CPLP, en utilisant la Collection des Traités des Nations Unies (Nations Unies - Collection des Traités, s/d), et voir quelle est leur situation exacte au regard des quatre normes internationales essentielles dans le domaine des droits de l’enfant.
État membre de la CPLP | Signataire de la convention | Ratification ou équivalent |
---|---|---|
Angola | 14 févr 1990 | 5 déc 1990 |
Brésil | 26 janv 1990 | 24 sept 1990 |
Cap Vert | - | 4 juin 1992 |
Guinée-Bissau | 26 janv 1990 | 20 août 1990 |
Mozambique | 30 sept 1990 | 26 avr 1994 |
Portugal | 26 janv 1990 | 21 sept 1990 |
Sao Tomé-et-Principe | - | 14 mai 1991 |
Timor-Est | - | 16 avr 2003 |
Guinée Équatoriale | - | 15 juin 1992 |
Source: Propre élaboration.
En ce qui concerne la Convention relative aux droits de l'enfant, les neufs États membres de la CPLP sont États parties à cette norme internationale (Tableau 1). Il est vrai que presque aucun État au monde n’a éludé ce compromis international (une notable exception étant les États Unis d’Amérique). Le dernier État devenu État partie, au sein de la liste des États membres de la CPLP, est Timor-Est (devenu indépendant en 2002). Le Mozambique quant à lui a mis du temps (presque quatre ans) à ratifier cette norme, dont l’État mozambicain avait pourtant été signataire en septembre 1990.
État membre de la CPLP | Signataire de la convention | Ratification ou équivalent |
---|---|---|
Angola | - | 11 oct 2007 |
Brésil | 6 sept 2000 | 27 janv 2004 |
Cap Vert | - | 10 mai 2002 |
Guinée-Bissau | 8 sept 2000 | 24 sept 2014 |
Mozambique | - | 19 oct 2004 |
Portugal | 6 sept 2000 | 19 août 2003 |
Sao Tomé-et-Principe | - | - |
Timor-Est | - | 2 août 2004 |
Guinée Équatoriale | - | - |
Source: Propre élaboration.
La situation change lorsque l’on considère les protocoles facultatifs. Ainsi, seuls sept des neufs États membres de la CPLP sont États parties au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés. Sao Tomé-et-Principe et la Guinée Équatoriale ne sont nullement liés par ce compromis international, dont ils ne sont pas même les signataires. Autre ombre au tableau : la Guinée-Bissau, un État qui a été ravagé par divers conflits civils depuis sont indépendance en 1974, a ratifié très tardivement cette norme, plus de 14 ans après s’être engagé à le faire (Tableau 2).
État membre de la CPLP | Signataire de la convention | Ratification ou équivalent |
---|---|---|
Angola | - | 24 mars 2005 |
Brésil | 6 sept 2000 | 27 janv 2004 |
Cap Vert | - | 10 mai 2002 |
Guinée-Bissau | 8 sept 2000 | 1 nov 2010 |
Mozambique | - | 6 mars 2003 |
Portugal | 6 sept 2000 | 16 mai 2003 |
Sao Tomé-et-Principe | - | - |
Timor-Est | - | 16 avr 2003 |
Guinée Équatoriale | - | 7 févr 2003 |
Source: Propre élaboration.
En outre, en ce qui concerne Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, l’un des neufs États membres de la CPLP - Sao Tomé-et-Principe - n’est pas État partie à ce protocole facultatif, pourtant largement ratifié au plan mondial (actuellement 176 États parties). Là encore, la Guinée-Bissau a ratifié cette convention plus de dix ans après sa signature, ne permettant qu’elle produise ses effets juridiques sur le territoire du pays que tardivement (Tableau 3).
État membre de la CPLP | Signataire de la convention | Ratification ou équivalent |
---|---|---|
Angola | - | - |
Brésil | 28 févr 2012 | 29 sept 2017 |
Cap Vert | 24 sept 2012 | - |
Guinée-Bissau | 24 sept 2013 | - |
Mozambique | - | - |
Portugal | 28 févr 2012 | 24 sept 2013 |
Sao Tomé-et-Principe | - | - |
Timor-Est | - | - |
Guinée Équatoriale | - | - |
Source: Propre élaboration.
Enfin, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications est, visiblement, une norme négligée par les États membres de la CPLP. Bien qu’approuvée il y a déjà presque dix ans (2011), seuls deux des États membres de la CPLP se sont portés volontaires pour le ratifier (le Brésil, en 2017; et le Portugal, dès 2013). Il est vrai que deux autres États membres de la CPLP, le Cap Vert et la Guinée-Bissau, sont signataires, ce qui signifie que tôt ou tard ils sont supposés ratifier cette norme, lui assurant un effet juridique au plan national (Tableau 4).
Cependant, peut-on espérer une ratification rapide de la part des États en question, comme c’est le cas de la Guinée-Bissau, signataire depuis septembre 2013? Sans doute pas. Et que dire de la situation du Cap Vert, signataire depuis septembre 2012? Comment expliquer la passivité de ces États et l’absence d’action des autres : l’Angola, le Mozambique, Sao Tomé-et-Principe, Timor-Leste, et la Guinée Équatoriale? En 2020, le représentant de la CPLP déclarait pourtant que les États membres de la CPLP ont “respecté les normes qui favorisent la promotion et la protection des enfants”. Pour que cela soit tout à fait vérifiable, il faudrait que le Protocole qui établit une procédure de présentation de communications, c’est à dire de plainte internationale des personnes contre l’État, soit approuvé par tous les États membres. On voit pourtant que ce n’est pratiquement pas le cas au sein des États membres de la CPLP.
Conclusion
La conclusion retirée de ces analyses est en demi-teinte. Certes, la CPLP constitue un forum intéressant, où une articulation avec des organisations internationales, comme l’Organisation Internationale du Travail ou encore la Banque Mondiale, est rendue peut-être plus facile. Certes, ce forum d’États parle la même langue, et élabore des programmes et projets dans le domaine de la jeunesse. Toutefois, beaucoup reste encore à faire, pour que des initiatives que l’on peut qualifier de “soft law”, ou même de simples mesures programmatiques, dépassent réellement ce stade.
On remarque en effet, au sein de la CPLP, l’absence criante de mesures contraignantes, de procédures plus incisives, ou de contrôle des standards en matière de droits de l’Homme ou, dans le cas qui fait l’objet de cette étude, dans le domaine des droits de l’enfant. Comment expliquer ces limites? Est-ce le poids des relations coloniales passées qui ferait hésiter la Portugal, par exemple, à demander plus à cette organisation internationale? Comment expliquer l’hésitation d’autres États, comme le Brésil, qui pourrait pourtant mettre tout son poids dans la balance pour influer sur les priorités de la CPLP ?
Il est vrai que, dans le cas du Brésil comme dans celui des autres États membres, de nombreux problèmes internes, aux plans juridique et politique, accaparent déjà toutes les ressources nationales. Qui plus est, dans le domaine des droits de l’enfant, presque aucun des États membres de la CPLP ne peut présenter aux autres une situation exemplaire. Mais, tout au moins, des efforts pourraient être faits pour améliorer les normes. À cet égard, l’analyse des dispositifs constitutionnels a bien démontré les limites des cadres juridiques en présence dans les États membres de la CPLP. Les anomalies, contradictions et lacunes juridiques des Constitutions des États membres de la CPLP en matière des droits de l’enfant sont plus nombreuses qu’on pourrait s’y attendre, et ces problèmes déteignent sur les normes de niveau inférieur. Certaines de ces Constitutions véhiculent, sans doute sans le vouloir réellement, des préjugés sexistes ou un paternalisme qui est aujourd’hui dépassé.
Que dire, aussi, de la Constitution de la Guinée Équatoriale ? La totale absence de référence à l’enfant dans son texte est l’un des indicateurs confirmatif que, dans cet État, le sort réservé aux droits de l’Homme et aux droit de l’enfant devrait être réexaminé avec plus d’attention dans le futur, en espérant que la participation de cet État à la CPLP soit un facteur d’amélioration. Pour cela, encore faudrait-il que les États membres de la CPLP soient un moteur de promotion des normes internationales en matière de droits de l’enfant. Si la Convention relative aux droits de l’enfant est quant à elle largement ratifiée, tel n’est pas le cas de ses protocoles facultatifs, pourtant si essentiels dans le contexte encore instable politiquement de certains États membres de la CPLP. Par ailleurs, le protocole établissant une procédure de présentation de communications apparaît aujourd’hui comme un élément clé, en vue d’obliger les États à jouer le jeu, de façon complète, de l’État de droit, de la soumission à la règle de droit (rule of law), et de la bonne gouvernance. Plus que de déclarations et de programmes, souvent vagues et peu contrôlables, c’est d’actions et de normes effectives que les enfants des États de la CPLP auront besoin pour se voir assurés des droits qui seront la garantie de leur présent et de leur futur.