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Revista Diacrítica

Print version ISSN 0807-8967

Diacrítica vol.27 no.1 Braga  2013

 

Se faire + vinf: un outil au service de la construction d’une diathèse ‘maléfactive’ de l’objet (in)direct

Sílvia Lima Gonçalves Araújo*

*Universidade do Minho, Departamento de Estudos Românicos, Braga, Portugal.

saraujo@ilch.uminho.pt

 

RÉSUMÉ

Nous entendons proposer ici une réflexion sur l’utilité d’un corpus monolingue dans le domaine touchant à l’étude du langage sur la base d’un exemple concret, celui des constructions en se faire+Vinf. À partir d’un corpus littéraire et journalistique que nous examinons dans le sens de déterminer les types de verbes préférentiellement sélectionnés par se faire, nous cherchons essentiellement à rendre compte du mode de fonctionnement de ce marqueur diathétique dans des contextes où le sujet est construit avec une absence de télicité sur ce qui lui arrive. Comme nous le verrons, se faire s’associe bien volontiers à des verbes détrimentaux appartenant à différents registres de langue (notamment non standard) pour construire une diathèse maléfactive dérivée d’un accusatif ou d’un datif.

Mots-clés: diathèse (maléfactive); se faire, argot; passif; objet (direct ou indirect).

 

ABSTRACT

This paper is intended to establish a space for reflection on the usefulness of a monolingual corpus in fields concerning the study of language, using for that purpose a concrete example, i.e. that of se faire+Vinf constructions. Based on a literary and journalistic corpus, which we queried to determine the types of verbs more often selected by se faire, we essentially aim to describe the linguistic mechanics behind this diathetic marker in contexts where the subject lacks telicity over the events that overcome him. As we will attempt to demonstrate, se faire willingly associates with negative verbs belonging to different language registers (particularly non-standard) in order to build a detrimental diathesis derived from the direct or indirect object.

Keywords: (malefactive) diathesis; se faire; slang; passive; (direct or indirect) object.

 

1. L’introduction

La plupart des études signalent que la signification de se faire-Inf «semble aller aussi bien du côté de l’actif que du côté du passif, au gré des contextes, ce qui paraît à la fois étonnant et agaçant» (Blanche-Benveniste, 2007: 155). Comme le note, à juste titre, Blanche-Benveniste (2007: 164) à qui nous empruntons les quatre exemples qui suivent, les effets d’activité ou de passivité que l’on peut obtenir par le biais de se faire n’ont rien à voir avec la syntaxe de se faire mais dépendent entièrement du lexique mis en jeu et du contexte socio-culturel. «La tendance naturelle est de prendre pour actifs les exemples dans lesquels l’action semble bénéfique au sujet [exs. je me suis fait ouvrir la porte; elle s’est fait teindre les cheveux] et de prendre pour passifs ceux dont l’action lui est néfaste et pour laquelle il est peu probable qu’il ait mis en œuvre sa volonté [je me suis fait fermer la porte au nez; elle s’est fait griffer le visage]» (Blanche-Benveniste, 2007: 164).

C’est très certainement cette richesse diathétique (Kokutani, 2005) qui amène les linguistes à définir de manière aussi variée cette construction. Comme le remarque, à juste titre, Novakova (2009), pour certains auteurs (Spang-Hanssen, 1967; Roggero, 1984; Riegel et al., 1993, Labelle, 2002, entre autres), il s’agit d’une forme de passif. D’autres (Tasmowski & Van Oevelen, 1987) proposent un traitement unitaire: malgré des valeurs très similaires à la construction passive, le tour reste causatif (le passif est un sous-cas du causatif pronominal). D’autres encore (Kupferman, 1995) renoncent au traitement unitaire au profit d’une analyse binaire[1] puisqu’ils divisent la construction, selon que l’action est positive (volontaire) ou négative (involontaire) pour le sujet, en deux interprétations: l’une qui relève de la construction causative, «où le sujet est un ‘instigateur’, c’est-à-dire un agent» (Kupferman, 1995: 60) et l’autre qui porte un sens passif «où le sujet est seulement un patient dans un procès dont l’agent peut être explicite ou non» (idem). Selon la valeur des verbes auxquels s’associe se faire, les exemples semblent donc se diviser en deux catégories principales: les actions bénéfactives et les actions maléfactives, dont les dernières correspondent à ce que les linguistes nomment couramment «actions désagréables ou violentes» (cf. Spang-Hanssen, 1967; Gaatone, 1983).

Dans les pages qui suivent, nous nous occuperons davantage des exemples qui décrivent un acte désavantageux pour le sujet car c’est précisément cet emploi détrimental de se faire qui distingue le plus nettement se faire de son homologue portugais (fazer-se Inf) ou espagnol (hacerse Inf). En effet, ces derniers ne semblent pas avoir développé de sens non agentif. Ils révèlent donc peu d’affinités avec les verbes d’appréciation négative (Araújo, 2008), car il n’est pas du tout logique d’être responsable d’une action néfaste qui retombe sur soi-même:

(1a) En novembre 2008, le rugbyman Shane Geoghegan s’est fait descendre devant sa maison. Une des quinze balles tirées par l’assassin l’a touché mortellement à la tête.

(1b) Em Novembro de 2008, Shane Geoghegan, jogador de rugby, foi assassinadoà porta de sua casa. Uma das quinze balas disparadas pelo assassino atingiu-o mortalmente na cabeça.

(1c) En noviembre del 2008, el jugador de rugby Shane Geoghegan fue abatido a balazos a las puertas de su casa. Una de las quince balas que disparó el asesino le dio en la cabeza.

Ce qu’il faut retenir, en effet, c’est que les exemples avec se faire qui désignent des actions négatives pour le sujet ont tendance à être traduites par le passif périphrastique en portugais et en espagnol. Parmi les 88 exemples (puisés dans le corpus Europarl – Opus[2]) qui sont négatifs pour le sujet, 56 d’entre eux sont traduits, en portugais, par le passif (soit en 63,6% des cas). En espagnol, dans ce même corpus, sur ces 88 exemples, 33 d’entre eux ont été, eux aussi, traduits par le passif classique, soit 37,5%. Ces traductions suivent la division en deux interprétations faite ci-dessus, où les actions négatives ont un sens passif. Dans les exemples suivants, le verbe hacerse volar ou fazer-se ir pelos ares qui décrit un attentat suicide appartient au domaine du désagréable, et pourtant l’emploi de hacerse/fazer-se inf est de mise:

(2a) Notre ville a vu des auteurs d’attentat-suicide, des gens prêts à se faire sauter eux-mêmes, à semer la destruction par des attentats terroristes.

(2b) Hemos tenido terroristas suicidas en nuestra ciudad, gente dispuesta a hacerse volar a sí misma, para destruir mediante actos terroristas.

(2c) Tivemos bombistas suicidas à solta na nossa cidade, gente pronta a fazer-se ir pelos ares e a espalhar a destruição com ataques terroristas.

S’il est vrai que la lecture intentionnelle de hacerse/fazer-se est plus probable avec les procès bénéfactifs, elle n’en est pour autant exclue avec les procès détrimentaux à condition que le cotexte l’explicite. En effet, des exemples du type de (2a)-(2b) montrent que le détrimental n’implique pas nécessairement l’antitéléonomie. Nous n’arrivons pas à imaginer un plus haut degré d’intentionnalité et de contrôle que lorsque le sujet se force, comme ici, à faire quelque chose qui porte si brutalement atteinte à son intégrité physique.

2. Conditions d’emploi de se faire INF

Le corpus littéraire (CL dans le tableau 1 qui suit) auquel nous avons fait appel pour le français correspond à la base de données textuelles disponible en ligne: FRANTEXT. Quant au corpus représentant le registre journalistique (CJ dans le tableau 1), il a été construit grâce aux archives du journal Le Monde Diplomatique[3] (ci-après, LMD) disponible sur CD-Rom[4].

2.1. Classement des occurrences de se faire INF dans la base textuelle FRANTEXT et celle de LMD

La recherche de toutes les occurrences de [N1 se *faire* INF (N2) (par N3][5] dans la partie catégorisée de la base FRANTEXT entre 1985 et 2006 délivre 519 occurrences. Cette même recherche effectuée sur le corpus journalistique entre 1980 et 2000 en délivre 1279[6].

2.1.1. Les verbes communs les plus fréquents dans les deux corpora

Les verbes les plus fréquents qui se recoupent dans les deux corpora sont regroupés dans le tableau qui suit:

 

Tableau 1: verbes dont le nombre d’occurrences est supérieur ou égal à l0 dans CJ et CL

CJ

(901 occurrences de se faire INF)

CL

(341 occurrences de se faire INF)

Corpus

(verbes communs)

(1242 occurrences de se faire INF)

SE FAIRE INF

Nombre d’occurrences

Pourcentage

%

Nombre d’occurrences

Pourcentage

%

Nombre d’occurrences

Pourcentage

%

entendre

165

18,31%

28

8,21%

193

15,53%

sentir

188

20,87%

13

3,81%

201

16,18%

remarquer

22

2,44%

12

3,52%

34

2,73%

passer

20

2,22%

11

3,23%

31

2,49%

tuer

14

1,55%

23

6,74%

37

2,98%

appeler

13

1,44%

10

2,93%

23

1,85%

Total

422

46,83%

97

28,44%

519

41,76%

 

Les données ont révélé que les fréquences les plus élevées de se faire+Vinf dans les deux corpus correspondent à des expressions plus ou moins lexicalisées, qui fonctionnent comme une unité lexicale: se faire entendre (193 occurrences dans le CJ et CL), se faire sentir (201 occurrences), se faire remarquer (34), se faire passer (31), etc. Il est intéressant de constater que les verbes les plus fréquents dans les deux bases de données appartiennent à la classe des verbes de perception, bien qu’ils se répartissent très variablement au sein des deux corpora.

2.1.2. Se faire-Inf et les verbes de perception

Le verbe sentir est davantage représenté dans le CJ avec 188 occurrences (comparativement à 165 occurrences de entendre). À l’inverse, le CL utilise deux fois plus le verbe entendre avec 28 occurrences (comparativement à 13 occurrences de sentir). Bien que ces deux verbes de perception (indiquant soit une faculté olfactive ou tactile soit une faculté auditive) soient nettement plus représentés dans le CJ que dans le CL, il est bien clair que les deux corpora montrent le même attrait pour la correspondance entre la construction se faire INF et ces deux verbes décrivant une situation de nature sensorielle ou perceptive.

Les linguistes semblent d’accord pour dire que la construction en se faire-Inf exige un sujet animé, exception faite pour les infinitifs entendre, sentir (et attendre), qui acceptent un sujet inanimé. Il suffit pour s’en convaincre de consulter ces deux entrées verbales dans le Trésor de la Langue Française Informatisé[7](TLFi) disponible en ligne:

 

Tableau 2: se faire entendre/sentir dans le TLFi

SENTIR, verbe trans.

ENTENDRE, verbe trans.

Empl. factitif. Se faire sentir. Se manifester, devenir sensible.

Se faire entendre. (Quasi-)synon. de être entendu (mais plus expressif, avec insistance sur l’effort ou sur l’événement qui se produit).

citations proposées dans le TLFi

La douleur, la faim, la soif se fait sentir; action, nécessité qui se fait sentir. Le découragement commençait à se faire sentir dans toutes les sphères de l’armée et même au grand quartier général (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 319).

Enfin, un mouvement de pas se fit entendre en dehors du cachot (Hugo, Han d’Isl., 1823, p. 546).

Mais vient un moment où un chant trop uniforme ne se fait plus entendre et où il faut un cri pour attirer l’attention (Mounier, Traité caract., 1946, p. 732).

En partic. [Le suj. désigne un agent atmosphérique]

Citations proposées dans le TLFi

Le froid se fait sentir. La bonne chaleur du soleil (...) avait commencé à se faire sentir dès le mois de mars (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 14).

Malgré l’approche du mauvais temps dont les premiers effets se faisaient déjà violemment sentir au débouquer, matelots et marchands faisaient cercle autour de l’unique mât (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 11).

 

Se faire sentir est associé à des sujets qui peuvent décrire: soit une sensation (de soif ou de douleur) qui se manifeste, soit à un élément naturel/atmosphérique qui est présenté dans le TLFi comme une cause intervenant directement dans la survenue du stimulus perceptif:

(3) A partir de l’année 1065, les eaux du Nil ne s’étant pas élevées à une hauteur suffisante, la famine commença à se faire sentir. (LMD, août 1988, page 6)

Quant à se faire entendre, il est intéressant de voir qu’il est mis en parallèle avec la construction passive canonique être entendu (cf. supra, tableau 2), ce qui montre bien la valeur passive sous-jacente à ces constructions en se faire qui requièrent l’accompagnement de deux arguments (un expérienceur non spécifié dans l’énoncé et un stimulus de type sonore en position de sujet syntaxique): les citations proposées à titre d’exemple montrent que l’objet (= la cause) de la perception est un bruit dont on identifie plus ou moins bien l’origine (ex. en dehors du cachot) et la nature (ex. un chant, ...). On notera, tout de même, qu’il s’agit souvent de SN inanimés (un mouvement de pas, un cri, une voix ...), qui, par un emploi métaphorique ou métonymique, visent quand même des animés, ce qui semble corroborer la préférence de se faire pour les sujets à référent humain:

(4) Le déclic se fit entendre et je raccrochai. (FRANTEXT, Aventin C./Le cœur en poche/1988, page 202)

Il est d’ailleurs étonnant que le TLFi n’ait proposé aucun exemple où se faire entendre est clairement associé à un sujet animé humain. Dans nos corpora, cette combinaison est, nous le verrons, fort fréquente:

(5) Nicolas, assis à l’arrière, trouvait difficile de se faire entendre à cause du bruit de la soufflerie, poussée au maximum pour désembuer les vitres (FRANTEXT, Carrère, E./La classe de neige/1995, Page 7)

Outre les verbes entendre et sentir, on trouve, dans le CJ et le CL, d’autres verbes de perception. Le verbe voir qui relève, quant à lui, du domaine de la visionsurgit, en effet, dans nos deux corpora mais il y est nettement moins représenté (avec 4 occurrences dans le CJ et 8 occurrences dans le CL) que les deux autres verbes de perception mentionnés plus haut. Selon Willems (2000: 172), il est possible de ranger tous les autres verbes de perception visuelle soit dans le sous-champ de voir, soit dans celui de regarder:

 

 

Dans les deux corpora monolingues que nous avons consultés, il n’y a aucune attestation de verbes placés sous la tutelle de regarder. En revanche, se faire semble montrer une préférence assez marquée pour certains verbes appartenant au domaine de voir: le verbe reconnaître est davantage représenté dans le CJ avec 38 occurrences (comparativement à 22 occurrences de remarquer). À l’inverse, le CL utilise presque trois fois plus le verbe remarquer avec 12 occurrences (comparativement à 3 occurrences de reconnaître). Reconnaître apparaît ainsi au cinquième rang des verbes les plus employés dans le CJ, alors que dans le CL, le quatrième rang est occupé par le verbe remarquer que le TLFi présente comme suit:

 

Tableau 3: se faire remarquer dans le TLFi

REMARQUER, verbe trans.

Se faire remarquer. Se distinguer, attirer l’attention sur soi, en bien ou en mal.

Exemples proposés dans le TLFi

Se faire remarquer par son courage, son dévouement, ses excentricités; le désir de se faire remarquer. Ces deux voitures à roues avant motrices, se sont fait remarquer notamment par leur carrosserie (Tinard, Automob., 1951, p. 369)

À l’école préparatoire, je m’étais fait remarquer surtout par une expression perpétuelle de surprise, qui ne passe pas, à tort ou à raison, pour une marque de grande intelligence et me faisait juger un peu simple... A. France, Pt Pierre, 1918, p. 267

 

En fait, on s’aperçoit que se faire remarquer est interprété comme indéterminé du point de vue de l’assignation d’intentionnalité. Seul le contexte nous permet d’interpréter le procès décrit comme intentionnel (s’il y a réellement le désir de se faire remarquer) ou comme non intentionnel (tel est visiblement le cas dans le deuxième exemple (cf. supra, tableau 3) qui met en scène un enfant qui attire involontairement l’attention sur lui). On notera, d’ores et déjà, que ce verbe semble parfaitement compatible avec des sujets à référent inanimé (ex. ces deux voitures à roues avant motrice) qui, de par leurs caractéristiques plus ou moins spéciales (ex. par leur carrosserie), parviennent à attirer le regard d’un observateur attentif. Nous n’avons trouvé qu’une seule occurrence de ce type dans le CJ:

(6a) Ce dernier film s’est fait remarquer par l’intensité de son style réaliste. (LMD, mars 1985, page 24)

Dans nos deux corpora, se faire remarquer est majoritairement associé à des sujets humains:

(6b) Voilà longtemps que Bourbougne essayait de se faire remarquer. (FRANTEXT, Ormesson, J. D’/Le bonheur à San Miniato/1987, page 94)

(6c) ... La porte qui claque: il est à la traîne - quel con - et il trouve moyen de se faire encore remarquer en trébuchant à l’entrée! (FRANTEXT, Bayon/Le lycéen/1987, page 209)

La distinction humain/non humain distingue l’agent de la cause mais on observe un continnum dans la force d’agentivité exercée par l’humain selon qu’il déclenche plus ou moins volontairement le processus: l’exemple (6b) prend une valeur clairement active (car le sujet agit intentionnellement pour attirer le regard de son entourage), l’ exemple (6c) semble, au contraire, proche d’un passif: le fait que le référent du sujet, déjà très en retard, trébuche (involontairement) à l’entrée fait qu’il est remarqué par le professeur et ses camarades de classe.

On trouve également dans les deux corpora d’autres verbes de perception appartenant au sous-champ de voir, mais en nombre beaucoup plus restreint: en effet, le verbe repérer apparaît 3 fois dans le CJ et 2 fois dans le CL; nous n’avons, en revanche, qu’une seule occurrence du verbe surprendre dans chacun des corpora.

On voit que, dans tout cela, se dessine une certaine opposition entre stativité et agentivité. Si l’on peut parler de stativité dans le cas de voir et entendre, cela est moins évident avec regarder et écouter qui sont supérieurs en agentivité. Leur caractère agentif est dominant et repérable par le fait que le sujet prête attention à un objet visible ou audible (Ozouf, 2004: 4). En effet, comme le remarque, à juste titre, Franckel (1989: 420), ces deux verbes ont pour spécificité d’impliquer une cible: impossible d’écouter ou de regarder sans détermination préalable, à travers une intentionnalité, de quelque chose à écouter/regarder. Dès lors, avec regarder par exemple, la vision nécessite un effort alors qu’avec voir, la vision apparaît avec évidence (Ozouf, 2004: 4). Regarder est donc une vision délibérée en face de laquelle voir représente une vision involontaire. Il est intéressant de voir que se faire montre une préférence très marquée pour les verbes de perception reconnus comme non-agentifs. La grande fréquence de se faire entendre dans les deux corpora ne doit donc pas surprendre. En revanche, les deux corpora font un usage beaucoup plus restreint des verbes de perception à caractère agentif. On ne trouve, en effet, qu’une seule occurrence de se faire regarder dans le CL:

(7) Quelqu’un, jadis, a construit un palais avec des balcons pour sortir, regarder, se faire regarder; (FRANTEXT, /Bianciotti, H./Sans la miséricorde du Christ/1985, page 222)

et seulement 3 occurrences de se faire écouter dans le CJ. En voici un exemple:

(8) A coup sûr, ce serait une grande et heureuse révolution si la France parvenait à faire essaimer tous les ans deux ou trois mille esprits pourvus de connaissances politiques, ayant un titre pour se faire écouter, et des arguments pour faire comprendre que toutes les questions sont difficiles et la plupart des solutions complexes (LMD, mars 1999, page 24)

La combinaison se faire entendre apparaît, on le rappelle, 165 fois au sein du CJ, ce qui révèle une grande différence en ce qui concerne la productivité de ces deux verbes relevant du domaine de l’audition. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les verbes écouter et regarder ne font pas partie de la liste de verbes communs aux deux corpora. Ils ne sont donc pas recensés dans le tableau 1. Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, se faire peut justement servir à conférer aux verbes intrinsèquement non-agentifs auxquels il s’associe une dimension agentive qui est bien visible dans des exemples du type:

(9a) Il y avait plusieurs salons aux plafonds assez hauts, avec des buffets où des serveurs en veste blanche versaient à boire aux invités, qui étaient venus en foule se faire voirles uns des autres, (…) (FRANTEXT, Ormesson, J. D’/La douane de mer/1993, page 180)

(9b) Et nous allâmes tous les deux, de conserve, côte à côte, sous le même parapluie, jusqu’à un de ces cafés de Saint-Germain-des-Prés où se retrouvaient, depuis la guerre, pour se cacher et se faire voir, les philosophes, les actrices, les éditeurs et les amoureux. (FRANTEXT; Ormesson, J. D’ /La douane de mer/1993, page 54)

Ces deux exemples, issus du CL, sont intéressants: ils montrent que le verbe voir tend justement à prendre, grâce à se faire, le sens ‘fort’ de (se faire) regarder, signe de l’importance que prend l’action d’«être vu» pour le référent du sujet grammatical. Il est bien évident que ce dernier participe activement à la survenue du procès puisqu’il fait tout pour attirer l’attention sur lui. L’intentionnalité se présente alors comme une propriété majeure. Il est important de noter que se faire est compatible avec des prédicats non agentifs et peut leur ajouter de l’agentivité. Le seul ajout de se faire est capable, en effet, de «réorienter la signification d’un verbe faisant de voir un équivalent de regarder» (Ozouf, 2004: 24).

En revanche, dans les exemples qui suivent: le verbe voir perd son sens perceptif premier et il est bien clair que la dimension agentive présente dans les exemples précédents disparaît:

(10a) Si j’ avais l’âge requis, ce n’ est pas Josette que je collerais comme une limace (elle pourrait allerse faire voir, cette greluche), c’est Josy. (FRANTEXT, Bayon/Le lycéen/1987, page 196)

(10b) Que Mister Walsh et sa machinette aillent se faire voir ailleurs, ça ne les regarde pas. (LMD, mai 1986, page 8)

Se faire voir renvoie ici à l’expression fortement lexicalisée «aller se faire voir ailleurs» qui signifie: se faire brutalement, désagréablement éconduire. Se faire voir prend, dans ce cas, une valeur fortement péjorative qui est à rapprocher d’une autre expression que l’on retrouve également dans les deux corpora:

(11a) Qu’il aille se faire foutre, rien à battre. (FRANTEXT, Bayon/Le lycéen/1987, page 341)

(11b) Dans un petit magasin, on vend une pancarte pour mettre dans son bureau: «En las horas de trabajo, las visitas al carajo» (pendant les heures de travail, que les visiteurs aillent se faire foutre). (LMD, mai 1982, page 8)

Il s’agit, on le voit, de l’expression aller se faire foutre dans laquelle le verbe transitif foutre, pris au sens figuré, vulgaire, s’emploie également pour signifier à quelqu’un qu’on ne veut plus le voir, qu’on ne veut plus entendre parler de lui. On peut donc constater que se faire peut s’associer à un même verbe pris soit dans son sens littéral, soit dans son sens figuré. Tel est le cas, on vient de le montrer, du verbe voir qui peut parfaitement se joindre à se faire sans son caractère sensoriel premier. Comme nous le verrons dans les pages qui suivent, en étudiant de plus près le vocabulaire argotique présent dans le CL, se faire semble, en effet, très friand de verbes employés dans le sens métaphorique.

2.1.3. Les verbes non communs aux deux corpora

Dans les pages qui suivent, nous nous proposons de poursuivre l’étude des restrictions sémantiques qui pèsent sur la construction en se faire, en prenant en considération les verbes non communs aux deux corpora que nous avons laissés volontairement de côté jusqu’à présent.

2.1.3.1. Verbes du CL et CJ rangés par ordre alphabétique

Dans le tableau qui suit, nous avons rangé par ordre alphabétique les 148 verbes recueillis dans le CJ:

 

Tableau 4: liste des verbes recueillis dans le corpus de LMD

(r)acheter

chasser

dénoncer

exciser

livrer

publier

respecter

titulariser

accoler

coiffer

dépasser

exempter

loger

rabrouer

ressentir

tourmenter

accuser

coloniser

désavouer

exploser

lyncher

racketter

restituer

trouer

admonester

comprimer

dispenser

exposer

manger

rafler

retirer

tutoyer

agréer

concéder

doubler

exterminer

matraquer

rançonner

retoquer

verser

agresser

condamner

duper

extorquer

menacer

recenser

retourner

vilipender

amputer

conférer

éconduire

faucher

mitrailler

recevoir

revolvériser

virer

analyser

confier

écouter

financer

nommer

reconduire

rouer

voter

anéantir

consacrer

écrire

frapper

noter

réélire

rouler

apostropher

conseiller

édifier

harponner

nourrir

réemployer

rudoyer

apprécier

considérer

éditer

héberger

obéir

régulariser

séquestrer

arnaquer

conspuer

éjecter

implanter

octroyer

rejeter

sermonner

arrêter

coopter

élever

imprimer

offrir

rembourser

shiner

assister

coter

éliminer

infiltrer

ouvrir

remettre

soulever

attraper

critiquer

embrigader

interrompre

parrainer

rémunérer

stériliser

attribuer

déborder

enfermer

jouer

plébisciter

rendre

surnommer

avaler

déboulonner

enregistrer

légaliser

prêter

représenter

taper

avancer

décimer

entretenir

leurrer

proclamer

réprimander

taxer de

blanchir

dédicacer

escroquer

licencier

projeter

réprimer

teindre

cambrioler

dégommer

étriller

ligaturer

protéger

reprocher

tester

 

Les 109 verbes du CL ont été regroupés dans le tableau suivant:

 

Tableau 5: liste des verbes recueillis dans le corpus FRANTEXT

blesser

crever

écorcher

greffer

miner

planter

rire

véhiculer

bourrer

croire

égorger

gronder

monter

poisser

rôtir

vider

branler

crucifier

embrasser

habiller

montrer

ramasser

sabrer

vomir

braquer

cueillir

enculer

happer

moucher

ramener

saloper

zigouiller

bronzer

cuire

enfoncer

hisser

mouliner

ramoner

secouer

celer

décommander

engueuler

hospitaliser

mousser

ratatiner

serrer

chatouiller

décrire

entailler

ignorer

mutiler

rattraper

siffler

chier

défoncer

essorer

indiquer

opérer

réciter

sortir

choper

dégouliner

étaler

injecter

palper

recoudre

sucer

clouer

dénuméroter

expliquer

inoculer

peindre

réduire

tartir

consoler

déposer

extraire

jouir

peloter

regarder

têter

couillonner

dérouiller

flinguer

laver

péter

réintégrer

toucher

couler

désarçonner

fourrer

lécher

pincer

remonter

tringler

couper

désintoxiquer

frictionner

manoeuvrer

piquer

rentrer

tromboner

cracher

éclater

gauler

massacrer

plaindre

répéter

tromper

 

Comme on peut le constater, le nombre des verbes recensés est considérable. On ne peut s’empêcher de constater, en survolant ces deux tableaux (les cellules en grisé), que les verbes dénotant une situation «désagréable» pour le référent du sujet occupent une part importante dans la liste des verbes qui sont associés à se faire. Les 95 verbes communs aux deux corpora montrent également la dimension détrimentale de cette construction, comme en témoigne le tableau qui suit:

 

Tableau 6: liste de verbes communs aux corpora FRANTEXT et LMD

(r)accompagner

avorter

descendre

faire

oublier

remplacer

tuer

abattre

balayer

désigner

foutre

pardonner

renverser

valoir

accepter

baptiser

désirer

hacher

passer

renvoyer

violer

acclamer

battre

dévorer

huer

payer

repérer

voir

accorder

briser

écraser

humilier

photographier

saigner

voler

admettre

casser

embaucher

incinérer

piéger

sauter

aider

chapitrer

emmener

injurier

piétiner

sentir

aimer

circoncire

engager

inscrire

porter

servir

appeler

coincer

engloutir

insulter

prendre

soigner

applaudir

comprendre

entendre

interpeller

présenter

surprendre

arracher

conduire

enterrer

inviter

prier

tabasser

assassiner

confisquer

envoyer

lire

reconnaître

tailler

attaquer

connaître

épingler

mettre

réformer

tatouer

attendre

construire

exploiter

mordre

refouler

tirer

avoir

craindre

expulser

naturaliser

remarquer

traiter

 

2.1.3.2. La dimension ‘détrimentale’ de se faire

En ce qui concerne se faire, l’étude de notre corpus nous a permis de constater que les procès associés sont, dans une écrasante majorité, valués négativement pour le sujet affecté. En être ‘affecté’ signifie que ce sujet a peu de chances d’être l’origine volontaire de ce procès. Les cases en grisé des trois tableaux donnés ci-dessus signalent, en effet, les verbes qui décrivent, selon nous, une action néfaste pour le sujet de (se) faire. On notera qu’il s’agit, le plus souvent, de verbes renvoyant à une agression de nature physique (cf. infra, ex. (12a)), verbale (cf. infra, ex. (12b))ou psychologique/interpersonnelle (cf. infra, ex. (12c)):

(12a) Mais le soir, après 20 heures, les femmes n’osent plus se promener seules. Elles prétendent qu’elles se font agresser par des bandes de jeunes tziganes. Plaisanteries douteuses, grossièretés, vols à l’arraché. (LMD, octobre 1990, page 6)

(12b) Il est riche, il a une antichambre chez sa belle-mère où il insulte les solliciteurs et une antichambre chez les ministres où il va se faire insulter. (FRANTEXT, Ormesson, J. D’/La douane de mer/1993, Pages 138-139)

(12c) La sécurité, c’est le droit de ne pas se faire voler son portefeuille, ou de ne pas trop souffrir des embouteillages. (LMD, avril 1995, page 16)

Il semble, tout d’abord, que le français ait su se procurer une expression lexico-grammaticalisée, grâce au verbe faire, pour permettre la thématisation de l’objet indirect (cf., supra, ex. (12c): [X voler Y à Z ? Z se faire voler Y par X] [8]) qui n’a pas de forme passive comme en anglais[9].

Il semble, par ailleurs, que se faire-Inf constitue un outil linguistique privilégié servant à exprimer la souffrance d’un être vivant, qui subit une action évaluée comme néfaste, inopportune ou «désagréable» et qui possède par conséquent le statut de victime. En effet, se faireapparaît fréquemment dans des contextes violents où l’on décrit une attitude destinée à nuire personnellement à une autre personne ou à soi-même. Ces verbes d’appréciation négative constituent près de 47% des verbes de l’ensemble du corpus LMD et près de 52% de la totalité des 109 types de verbes enchâssés sous se faire+Vinf relevés dans FRANTEXT).

Comme le remarque très justement Jean-Marie Muller (2002: 27) «Faire violence, c’est faire mal, c’est faire du mal. Faire violence, c’est faire souffrir. Faire violence, c’est aussi se faire du mal et se faire souffrir (…)» (souligné par nous). Se faire semble rapporter aussi bien à des violences que l’on reçoit des autres (exs: se faire insulter, se faire battre, se faire expulser, se faire giffler, etc) que celles que l’on s’inflige à soi-même (exs: se faire vomir, se faire maigrir, se faire exploser, se faire avorter, etc.). On appelle violence tout ce que l’on reçoit comme tel. Il peut s’agir d’une parole (se faire insulter, injurier, menacer, humilier), d’un mensonge ou d’une trahison (se faire arnaquer/escroquer/avoir), d’une séparation, d’une rupture (se faire plaquer/lâcher)… Il peut s’agir de coups (se faire battre/agresser), de viols (se faire violer) ou autres tortures (se faire maltraiter/torturer/étrangler).

Faire preuve de violence, c’est tenter d’atteindre un but en utilisant la force physique ou psychique pour forcer quelqu’un, contre sa volonté. Mais pour que l’on parle de violence, il faut évidemment qu’il y ait l’intention de porter atteinte à l’intégrité physique ou morale de l’autre. Blesser quelqu’un par inadvertance n’est pas un acte de violence. Le frapper volontairement, même à cause d’une perte de contrôle, constitue au contraire une manifestation de violence. On acceptera bien plus volontiers l’emploi de se fairedans le deuxième cas (celui où la violence/blessure infligée est délibérée) que dans le premier cas où la blessure reçue est accidentelle. C’est ce qui expliquerait, pour Kupferman (1995: 68), le contraste d’acceptabilité entre les deux exemples qui suivent:

(13a) Sam s’est fait blesser à la hanche par son adversaire

(13b) *Paul s’est fait blesser à la guerre

Il semblerait, pour cet auteur, que la combinaison du verbe blesser avec la locution se faire ne soit possible que dans un contexte où l’entité qui exerce l’acte violent cause volontairement du tort à celui qui subit cet acte. Il serait donc tout à fait naturel de dire que si l’on pense que la guerre est réellement faite pour tuer:

(13c) Sam s’est fait tuer à la guerre

La notion de «responsabilité» du sujetde l’énoncé (cf. par exemple l’affirmation de Tasmowski-de Ryck et alii 1987: 49)[10] est très souvent proposée dans les études consacrées à se faire, pour rendre compte de la lecture causative non intentionnelle de se faire qui émerge d’une situation dans laquelle le sujet de l’énoncé cause sans en avoir eu l’intention, mais par simple maladresse, imprudence, négligence ou inattention, une situation qui lui est néfaste:

(14) Madame Stein était inquiète et fatiguée. Elle n’avait plus de bonne. Celle qui travaillait chez elle depuis longtemps s’était fait arrêter, faute d’avoir un permis de travail valable pour Johannesburg. Elle s’était fait expulser: son passe n’avait de valeur que pour le secteur de Rustenburg (1) et, comme tant d’autres, on l’avait reconduite manu militari chez elle. (LMD, Septembre 1989, page 23)

Alors que dans un énoncé du type de (15) il s’est fait applaudir pour ses talents d’orateur, on peut reconstruire une intention du sujet syntaxique («il s’est efforcé, en parlant, de convaincre ou séduire»), même si cette intention reste implicite; en (14) l’adjonction des expressions soulignéespose le sujet comme «étant pour quelque chose»[11] dans la situation réalisée. Nous avons donc affaire à un schéma intermédiaire, où le sujet renvoie à un «responsable»[12]. Mais en (15), on a la valeur «sujet bénéficiaire» et en (14), la valeur «sujet détrimentaire».

Ce type de construction construit cette dimension détrimentale en s’alliant, le plus souvent, à des verbes aspectuels qui semblent comporter dans leur sémantisme le trait ‘désagréable’. Tel est le cas du verbe faillir que les dictionnaires définissent en utilisant les paraphrases être sur le point de ou l’adverbe presque:

(16a) […] elle était la seule qui avait failli se faire violerpour de bon. (FRANTEXT, Seguin, F./L’arme à gauche/1990, page 67)

En effet, comme le note Gaatone (1983: 163), «on serait étonné […] de lire il a failli survire ou il a failli réussir à l’examen, sauf, bien entendu, dans un sens ironique». Le verbe risquer semble avoir également de fortes affinités avec se faire:

(16b) Il risquait à chaque instant de se faire tuerpour ce qu’il détestait. (FRANTEXT, Ormesson, J. D’/Le bonheur à San Miniato/1987, page 108)

Les exemples que nous avons recueillis dans nos corpora montrent que l’emploi de se faire est possible dans ce contexte et cela perturbe bien souvent la sensibilité des locuteurs non francophones. Pour ces derniers, il est tout à fait intolérable de dire par exemple qu’une femme s’est fait violer car la violation correspond justement à une infraction qui implique l’absence de consentement de la victime. Chacun dispose, en effet, d’un droit absolu de choisir les termes qu’il juge appropriés à l’expression de sa propre pensée mais il faut bien avouer que l’expression française se faire violerest plutôt troublante, voire choquante: pour un locuteur natif du portugais ou espagnol, ce genre de construction supposerait inévitablement une intentionnalité difficilement envisageable ici. A moins de considérer, à l’instar de Sinner et alii (2005: 161), que «la différence, qui doit bien exister, entre elle s’est fait violer et elle a été violée semble ténue et tenir plus de la représentation qu’une langue donne de la réalité que de la réalité elle-même», il n’est pas simple, en effet, de comprendre ce qui peut bien amener la langue française à utiliser se faire pour décrire un acte d’une telle violence. Il semblerait que cette expression heurte tout autant les féministes françaises. Voici ce que nous avons trouvé sur l’une des pages du forum (au titre on ne peut plus révélateur) des chiennes de garde:

«Tu n’ignores pas que tu es sur le forum ouvert par une association qui pense que le langage est tissé d’idéologies, particulièrement l’idéologie machiste. Donc, à la forme employée «se faire violer», nous préférons dire et entendre «être violé-e». En fait, nous préfèrerions ne plus avoir à entendre cette expression et nous luttons activement contre.».

L‘emploi de se faire dans ce cas peut paraître inopportun car il laisse entendre qu’en cas de viol, la femme est fautive, qu’elle était consentante[13]. Aussi n’est-il pas étonnant de constater qu’une telle expression se voit souvent taxée de misogynie, de machisme primaire. Il est intéressant de voir qu’une expression aussi profondément inscrite dans la langue française suscite, en réalité, de fortes réactions de la part de certains locuteurs. Ces derniers ont très certainement compris que la violence des mots entraîne les maux de la violence et qu’il serait fort pernicieux de vouloir «trouver de l’agent dans le chef de cette personne (qui est abusée sexuellement), dans la mesure où il y aurait une portion de factitif» (Sinner et al., 2005: 163). Toute cette problématique ne se pose pas en portugais car cette langue a choisi de ne pas faire voisiner fazer-seet des mots décrivant des actes aussi abominables pour la femme.

De même, si on considère un exemple comme celui qui suit, il semble qu’il soit difficile de comprendre la sémantique de cette construction sur la base du sens propre du verbe faire car le sujet global de (17) «n’est certes pas responsable au sens normal, tant s’en faut, puisque l’événement lui arrive de manière totalement imprévue» (Kokutani, 2005: 216).

(17) ... des personnes qui n’avaient rien à voir avec la manifestation, des passants, se sont fait bousculer, pourchasser à cheval et même matraquer dans certains cas» (Kokutani, 2005: 218)

Ce sont des exemples de ce type qui amènent certains linguistes à souligner qu’il, existe, en effet, en français, un ensemble d’énoncés en se faire «qui s’interprètent dans un sens passif, et où l’idée de responsabilité, même très atténuée, ne paraît pas adéquate» (Tasmowski et Oevelen, 1987: 49). Pour rendre compte de ces énoncés où le référent du sujet est impliqué indépendamment de sa volonté dans un enchaînement causal dont il est uniquement le patient, Kokutani (2005) propose l’étiquette «PASSIF-FATALISTE», que Cottier (1985) gloserait très certainement de la manière suivante:

(i) ‘il est arrivé aux passants, malheureusement, qu’on les a bousculés, pourchassés, matraqués’

Dans ce type d’énoncés, se faire perd sa valeur causative et semble fonctionner davantage comme un simple opérateur de localisation de l’événement par rapport au sujet:

(ii) ‘il y a localisation d’une situation par rapport aux passants, ces derniers apparaissant comme détrimentaires du processus’.

Mais pour Kokutani (2005), dans ce type d’exemples, le sujet est toujours en cause parce qu’il est là, parce qu’il est «localisé dans le contexte, dans la progression des événements» (p. 216). Pour ce linguiste, la notion de «responsabilité» du sujet «parce qu’il est là» (2005: 215) lors d’un événement serait mieux expliquée par cette notion de «caractérisation causale»[14]. Nous avons bel et bien affaire à un enchaînement de cause à effet: hasard, fatalité de la rencontre, pourquoi cette victime et pas une autre, c’est la personne qui passait par là au mauvais moment. Sa seule responsabilité est d’avoir été dans un lieu à connotation négative propice à l’agression, au mauvais moment.

2.1.3.3. Le registre «familier» du tour se faire-Inf

Si l’on considère, à nouveau, les trois derniers tableaux donnés ci-dessus, on s’aperçoit que se faire s’allie aussi bien à des verbes qui désignent des actes officiels qu’à des registres que certains spécialistes (cf., par exemple, Cellard et al., 1991) regroupent sous la mention non conventionnel, c’est-à-dire ceux qu’on considère, en général, comme marginaux par rapport à la norme linguistique: il s’agit donc essentiellement des mentions fam., arg. pop. et vulg. des dictionnaires.

On ne peut s’empêcher de noter que les deux corpora se distinguent assez nettement quant au type de registre de langue adopté: alors que les verbes extraits du CJ relèvent, pour la plupart, d’un langage de spécialité lié à la politique (se faire réelire, voter, coopter, représenter, proclamer, parrainer, plébisciter, nommer, dépasser), au droit et à l’administration (se faire chasser, condamner, admonester, enregistrer, légaliser, recenser, régulariser, accuser, exempter, titulariser, retirer, concéder, octroyer, agréer, …), ou bien encore à l’économie ou au commerce (se faire financer, coter, rembourser, rémunérer, etc.), ceux du CL relèvent, dans la plupart des cas, du registre argotique qui multiplie à volonté les situations obscènes (se faire tringler, trombonner, planter, défoncer, bourrer, fourrer, sucer,…), scatologiques (se faire chier, tartir, etc,), voire criminelles (se faire massacrer, égorger, écorcher, mutiler, flinguer, révolvériser, mitrailler, zigouiller, …).

La tournure en se faire n’hésite donc pas à sortir des domaines impartis à la fonction officielle (droit, administration, …)[15] pour s’épanouir dans la rue et ses lieux de loisirs (écoles, stades, bars, restaurants, cités …). Cette construction est donc un terrain privilégié pour l’observation du passage d’un registre de langue à un autre. Ce passage d’un registre à l’autre à l’intérieur d’une même langue renvoie aux variétés de cette langue, c’est-à-dire à ses différents usages. Il semblerait que l’argot s’infiltre partout, même dans des contextes semi-officiels, comme en témoignent les verbes suivants que nous avons trouvés dans le CJ, et où l’appréciation portée est “négative”:

(18) Elle disait qu’elle avait découvert un Franz inconnu, qui ne supportait pas de perdre. Il était pâle et buté. Et soudain il attrapait la calotte de Shavel, la tendait vers les copains, Une petite aumône m’sieu-dames. Pour un pauv’ mec qui s’est fait arnaquer. (LMD, août 1990, page 18)

(19) Kitunda élabore une tactique rationnelle pour s’en emparer, mais ses milliers de soldats, emportés par une frénésie aveugle, se font faucher par le feu des mitrailleuses. (LMD, septembre 1982, page 23)

(20) Comme celui d’envisager la mort d’un autre cadre qui a l’emploi qu’on voudrait (qu’on devrait!) avoir: «Upton Ralph Fallon avait mon boulot. Et s’il sefaisait virer, s’il tombait trop malade pour continuer à travailler et s’il mourait? Ne pouvais-je pas le tuer? Pour défendre ma famille, ma vie, mon crédit. Par autodéfense en réalité.» (LMD, mars 1999, page 30)

(21) Tailleurs béninois vendant des pagnes, toutous ghanéennes vendant leurs charmes, colporteurs dioulas vendant de tout, ce monde hétéroclite vit en bonne intelligence avec pour seule crainte celle de se faire rafler au cours des nombreuses opérations de ratissages de la gendarmerie ou de l’armée. (LMD, août 1982, page 27)

(22) Plus césarien que César, plus royaliste que le roi! Ça finissait par le fourrer dans un mauvais cas, le Poncepi, s’il n’était pas à la hauteur. Pouvait se faire dégommer. (LMD, avril 1988, page 28; 29)

(23) Dès lors, il faut trouver des boucs émissaires, à l’intérieur (les opposants sont passéistes, arriérés et froussards) et à l’extérieur. Ici, la France a été plus particulièrement dans la ligne de mire. Mais elle n’a pas été la seule, contrairement à l’idée reçue. Dans le dernier épisode, ce fut aussi à l’Europe de se faire étriller. (LMD, janvier 1994, page 14; 15)

Pour le TLFi, les verbes présentés dans les exemples ci-dessus appartiennent, en effet, à des registres de langue non standard: (se faire) arnaquer est argotique, (se faire) faucher appartient au registre populaire, (se faire) virer, (se faire) étriller et (se faire) dégommer relèvent du registre familier. Les deux derniers verbes sont à prendre, en outre, au sens figuré. Le niveau lexical est celui qui permet le plus facilement de distinguer les registres de langue par le jeu de la synonymie (ex.: se faire dérober, voler, cambrioler, escroquer, arnaquer, faucher, rouler, …). Il suffit pourtant d’ouvrir des dictionnaires pour se rendre compte assez vite que poser des frontières est problématique: on note, par exemple, qu’un même mot n’est pas forcément étiqueté de la même manière, «classé» dans le même registre: tout dépend de la politique linguistique du dictionnaire, de son discours par rapport à la norme. Si on reprend, par exemple, le verbe arnaquer mentionné ci-dessus, on s’aperçoit qu’il est «familier» pour Le Nouveau Petit Robert (2007: 140)[16], «populaire» pour le Dictionnaire de Notre Temps (1991: 87) alors que LTF le trouve «argotique». Outre les argots parlés au sein de différents groupes socio-professionnels, nous ne devons donc pas ignorer l’importance d’une variété argotique utilisée au niveau de toute la société, dont le vocabulaire finit par passer dans la langue familière, voire dans la langue courante tout en conservant une “nuance” argotique. C’est exactement ce que nous dit Cervenková (2001: 78) dans son article portant justement sur l’influence de l’argot sur la langue commune:

Il faut prendre en considération que l’argot a parcouru, pendant les siècles, un long chemin d’évolution et qu’il a considérablement influencé la langue commune, normale, et, dans certains cas, a pénétré dans les autres niveaux de la langue: par le français populaire et familier jusqu’au français littéraire.

L’ existence de pratiques argotiques apparaît comme une constante des langues (Gadet, 2002: 5). Alors que certains mots sont restés purement argotiques car ils n’ont pas franchi justement la frontière argot-langage courant et ils restent ainsi incompréhensibles pour la majorité des gens, d’autres mots ont, eux aussi, commencé leur carrière dans l’argot «fort» mais se laissent peu à peu apprivoiser en entrant, en dépit des réticences puristes, dans un domaine plus vaste, celui d’une familiarité courante. Les dictionnaires perçoivent, en général, ces nuances et c’est pourquoi ils qualifient les mots de façon soit argotique (ARG), soit familière (FAM), soit populaire (POP). À cet égard, l’entrée de ces mots dans la langue standard marque leur sortie de la sphère étroite de leur communauté d’origine. Selon Cervenková (2001: 78), «l’utilisation des éléments argotiques est parfois causée par l’état immédiat de l’usager, qui veut exprimer sa colère, son refus ou son dédain. En effet, le vocabulaire argotique est capable d’exprimer les nuances entre divers sentiments des hommes, qu’ils soient négatifs ou positifs». Il n’est pas étonnant que ce registre de langue ait ses lettres de noblesse chez certains écrivains. Comme le note, à ce propos, Sourdot (2006: 189) dans son article consacré à la problématique de «l’intégration stylistique de l’argot dans le roman contemporain», il est possible d’envisager diverses possibilités d’utilisation de l’argot à des fins stylistiques:

«Entre le texte purement argotique (et le risque d’hermétisme y afférent) et l’oeuvre parsemée çà et là de tournures argotiques, entre les ballades en argot de François Villon ou la pièce de théâtre «Matou de Pantruche» de Gérard Legrand et les romans de Darien ou de Zola, simplement parsemés de tournures argotiques, toutes les options sont ouvertes».

Selon cet auteur, c’est ce critère quantitatif qui peut servir à différencier «l’argot dans la littérature» et «la littérature en argot» (distinction reprise à François, 1975). Balzac en fait un usage assez prudent (dans le Père Goriot, les Illusions Perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, …) ainsi que Victor Hugo qui intitule l’Argot le VIIe livre de la IVe partie de son roman Les misérables, 1862. Du côté de la prose, au XXe siècle, certains auteurs en font un usage bien plus intensif: Frédéric Dard, l’auteur de San Antonio ou Albert Simonin prennent, en effet, leurs lecteurs pour de réels virtuoses de la langue verte. Chez Raymond Queneau (Zazie dans le métro, Les fleurs bleues...), les mots d’argot n’y manquent pas, et Louis Ferdinand Céline donne, lui aussi, une coloration argotique à ses romans, moins par amour du peuple, dont il est issu, que par dégoût d’une certaine société. Il semblerait que les auteurs représentés dans la base textuelle FRANTEXT n’hésitent pas non plus à combiner se faire à une multitude de verbes argotiques dont la mise en situation est, parfois, le seul moyen d’éclairer le lecteur sur leur signification. Tel est le cas du verbe torcher dans l’exemple suivant:

(24) Nous étions pour les républicains: ils se sont fait torcher. (FRANTEXT, Ormesson, J. D’/Le bonheur à San Miniato/1987, Page 221)

qui est visiblement utilisé dans le sens de «se faire battre». On notera qu’un tel usage du verbe torcher est ressenti comme FAM. et VIEILLI dans Le Nouveau Petit Robert (ci-après, LNPR) (2007: 2574), ce qui signifie que ce verbe employé dans cette acception est encore compréhensible de nos jours, mais ne s’emploie plus naturellement dans la langue parlée courante; dans le dictionnaire de l’argot français (p. 803), un tel emploi du verbe est précédé de l’abréviation Vx. (vieux), ce qui veut bien dire qu’il s’agit d’un emploi désuet, obsolète (qui n’est donc plus en service). Dans un tel contexte, on comprend pourquoi il y a un renouvellement constant des verbes argotiques qui sont rapidement usés. C’est ce qui explique l’importante polysémie et l’importante synonymie. Un verbe a très souvent plusieurs acceptions (que le contexte différencie). En français familier, (se faire) rouler par exemple signifie à la fois «se faire avoir» et dans un sens plus étroit «se faire voler» (ex. emprunté à LNPR (2007: 2275) : «c’est bien trop cher, vous vous êtes fait rouler»); le verbe (se faire) baiser sert à désigner l’action de «se faire tromper» (ex. de LNPR 2007: 209: «il s’est fait baiser») de même que le fait de «se faire posséder (sexuellement)» (ex. «les femmes, c’est juste bon à se faire baiser» (Beauvoir)). On constate, par ailleurs, qu’on dispose de plusieurs verbes pour un référent déterminé. L’argot offre, en effet, des gammes de synonymes pour désigner une même réalité. Par exemple au lieu des verbes (se faire) arrêter (cf. supra, ex. 14), (se faire) prendre ou (se faire) attraper:

(25a) Ludo faillit se faire prendreen déminant la literie piégée par Tatav. (FRANTEXT, Queffelec, Y./Les noces barbares/1985, page 86)

(25b) Implicitement, on se repose sur l’idée que ceux qui volent beaucoup finiront bien par se faire attraper: il suffirait alors de les mettre hors d’état de nuire par un emprisonnement assez long pour régler peu à peu le problème. (LMD, juin 1988, page 26; 27)

qui relèvent plutôt du registre standard, on peut employer des synonymes argotiques, comme en témoignent les exemples suivants que nous avons recueillis dans le CL:

(25c) Le jour où leur envie de se laver et de dormir dans un lit devint irrésistible, ils rentrèrent chez eux et se firent cueillir aussitôt. (FRANTEXT, Rolin, J./L’organisation/1996, Page 70)

(25d) C’est là que se fit par exemple épingler à plusieurs reprises l’un des délinquants les plus bêtes de S.., Ringo, un type au long et lourd visage criblé de pustules, qui, entre deux casses invariablement loupés et deux séjours en prison, tirait gloire de gagner sa vie en «ramonant des vioques». (FRANTEXT, Rolin, J./L’organisation/ 1996, Page 76)

(25e) Un pillage lamentable... Et en traînant dans le magasin contrairement aux directives... Ces rigolos ont failli se faire coincer au moment où ils emmagasinaient le magasin dans leurs valises. (FRANTEXT, Bayon/Le lycéen/1987, page 270)

(25f) On savait s’ y prendre de manière à ne jamaisse faire poisser. (FRANTEXT, Bayon /Le Lycéen /1987, Page 44)

(25g) Pauvre Nabokov, dit Cecilia, il a fini parse faire piquer. (FRANTEXT, Sollers, P. /Le cœur absolu/1987, page 342)

(25h) Or c’est ce que précisément, paraît-il, s’aventurait à élucubrer le dénommé Bogdanov avant de se faire ramasser par Lénine! (FRANTEXT, Kristeva, J./ Les samourais /1990, page 80)

(25i) Durant mon été de totale délinquance, j’ai vu des chats (et des fûtés pourtant) se faire choperet blesser grièvement par des pièges tendus que pour nous. (FRANTEXT, Forlani, R. /Gouttière/ 1989, Page 272)

(25j) Je décide de pas rester là, un jour on va se faire serrer, les poulets on les voit jamais mais ils sont partout. (FRANTEXT, Belloc, D. /Kepas/1989, Page 139)

(25k) Mets ta ceinture, elle a dit, on va se faire gauler par ces pourris de gendarmes... (FRANTEXT, Pouy, J-B/La clef des mensonges/1988, Page 77)

La richesse synonymique de l’argot s’explique par le caractère essentiellement émotif, affectif de ce langage; elle est aussi en fonction directe de son renouvellement rapide. Il y a de ce point de vue là une grande liberté et inventivité: le lexique argotique est, en effet, riche en jeux sur les signifiés qui ne sont autres que les tropes de la rhétorique, qu’il s’agisse de métaphores impliquant une comparaison (ex. se faire faucher pour se faire voler, se faire entuber pour se faire duper) ou de métonymies qui prennent le plus souvent l’effet pour la cause (ex. se faire descendre pour se faire tuer, se faire suer pour se faire importuner). Il est intéressant de voir qu’un verbe appartenant au registre courant prend un sens figuré en argot[17]. Tel est le cas du verbe moucher qui designe dans l’exemple ci-dessous l’action de «se faire remettre vertement à sa place, se faire réprimander» (LNPR 2007: 1643):

(26a) A chaque coup, il essaie de jouer les terreurs, mais avec les routiers, tu penses, il se fait moucher! (FRANTEXT, Thérame, V./Bastienne/1985, Page 85)

On remarquera, une fois encore, que le sens de «réprimande» est rendu, dans nos deux corpora, par une multitude de verbes qui relèvent de registres différents:

(26b) La solution est simple: désintéressez-vous de la politique ainsi comprise, cessez donc de voter et vous vous épargnerez de tels tracas... Le citoyen qui agira ainsi se fera vertement réprimander. (LMD, août 1989, page 1)

(26c) Ce qui lui a valu de se faire gronder dans la langue barbare que parlait Maria. (FRANTEXT, Forlani, R./Gouttière/1989, Page 357)

(26d) On a pu voir à la télévision un évêque du Sud se faire chapitrer par sa vieille mère du Nord, qui lui reprochait de croire au paradis, «alors qu’il existe chez nous, grâce à Kim II-sung, grand leader...» (LMD, avril 1986, page 13)

(26e) Déjà, cependant, les spectateurs, las de se faire sermonner, désertaient les salles militantes. (LMD, septembre 1982, page 25)

Alors que les 4 verbes qui précèdent relèvent du registre courant, ceux qui suivent sont classés comme FAM. dans LNPR:

(26f) ... elle a jamais dit qui c’était mon père et puis c’est pas vrai tout ça... même qu’elle a dû dire à Micho faut pas y aller même qu’elle a dit faut faire vite et qu’ils ont dû se faire engueuler... (FRANTEXT, Queffelec, Y./Les noces barbares/1985, page 193)

(26g) La plus grosse, un peu penaude, se faisait remonter les bretelles, parce qu’elle n’avait rien vu. (FRANTEXT, Brisac, G. /Week-end de chasse à la mère/1996, Page 53)

Se faire remonter les bretelles fait partie des multiples locutions verbales qui se construisent avec se faire. Pour véhiculer le sens sous-jacent à une telle locution, le français met à notre disposition d’autres expressions du type: se faire sonner les cloches, se faire secouer les puces, se faire tirer les oreilles, se faire passer un savon, se faire clouer le bec que LNPR 2007 classe dans le registre familier, bien qu’elles soient largement utilisées et bien connues par une grande partie des membres de la communauté linguistique.

3. Considérations finales

Ce qui est important est que ces exemples sont (presque) tous détrimentaires, en ce sens que les événements violent un tabou et sont donc considérés négativement.

Il est fort probable que, même avec l’appui du contexte et de la situation, le lecteur non-initié aux tournures argotiques puisse se sentir dérouté devant cette accumulation de verbes familiers, populaires et argotiques qui jalonnent notre CL et dans une bien moindre mesure notre CJ. Avec se faire, l’écrit et le parlé, le littéraire et le journalistique, le formel et l’informel, le «grossier» et le «sublime» se côtoient naturellement. C’est ce qui fait la vitalité de cette construction qui, contrairement à ses homologues ibériques (fazer-se/hacerse + Vinf), s’est spécialisée dans la construction d’une diathèse «maléfactive», «détrimentaire» renvoyant à un ‘mode participatif atélique’ (Veecock, 2008b: 18) du sujet.

Nous avons pu constater, à travers l’exploitation de nos deux corpora, que ce type de construction peut renvoyer à une interprétation réfléchie (de type: «le référent du sujet a agi sur lui-même», cf. supra, exs. (2a)-(2c)) ou préférentiellement à une relation (de type: «le sujet a été affecté, en bien ou en mal, par un processus le concernant») renvoyant à un bénéficiaire (lorsque l’action est positive pour le sujet) ou à un détrimentaire (si la situation lui est néfaste) qui peut correspondre aussi bien à un objet direct (cf. supra, exs. (25a)-(25k)) qu’à un objet indirect (cf. supra, ex. (12c)). Nous avons également montré que ce sujet détrimentaire peut, bien souvent, être tenu pour responsable de ce qui lui arrive (on obtient dans ce cas une signification du type «être par sa propre faute le patient du procès»), même lorsqu’il est impliqué dans un événement a priori indésirable (comme dans en essayant de rattraper son ballon, l’enfant s’est fait renverser par une voiture). Il semblerait donc que certaines constructions en se faire soient plus proches du pôle actif (si le sujet agit sur lui-même pour son bénéfice ou son détriment (ex. il a trouvé le moyen de se faire renvoyer)), et d’autres plus proches du pôle passif (si le sujet subit un sort funeste (ex. il se promenait tranquillement quand il s’est fait tirer dessus)).

Il est bien clair que ce n’est pas seulement la syntaxe de se faire qui provoque la domination, plus ou moins accusée, du pôle actif ou passif mais que d’autres paramètres (notamment d’ordre extra-linguistiques) jouent un rôle prépondérant. Avec se faire, «la volonté du sujet peut se manifester nettement […] ou au contraire s’effacer totalement, au point que ce sujet peut être interprété comme un patient qui subit l’action sans rien y pouvoir» (Blanche-Benveniste, 2007: 164). Le lexique semble être le véritable structurateur de l’interprétation, même s’il est vrai que des indices contextuels peuvent annuler la valeur préférentielle normalement induite par le type de procès, au profit de la valeur opposée (cf. supra, exs. (2a)-(2c), les cas de faux détrimental). Le travail du linguiste consiste alors «à démêler la proportion variable d’activité et de passivité et de dégager les facteurs lexicaux, grammaticaux ou contextuels qui influent sur l’effet de sens» (Melis, 1990: 30).

 

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Notes

[1] Tasmowski & van Oevelen (1987) considèrent que se faire + Vinf a une valeur propre réfléchie dont le passif est issu. Les données diachroniques semblent aller à l’encontre de cette thèse. En effet, comme l’indique Creissels (2003-2004: chap. XVII, p. 9), à partir d’une valeur causative, «on serait passé à une possibilité d’interprétation passive par l’intermédiaire d’une réflexivisation de la construction causative sans marque morphologique». Cette evolution en trois étapes est schématisée par Novakova 2009 de la façon suivante: causatif (X a fait assassiner Y) ? réflexivisation (Y s’est fait assassiner) ? passif (Y a été assassiné). Kupferman (1995: 76) postule, au contraire, l’existence de deux constructions «hétérogènes» en se faire (une «causative réfléchie» et une «passive»); selon lui (1995; 57), «la ressemblance morphologique entre deux formes syntaxiques ne signifie pas nécessairement qu’elles soient typologiquement apparentées». Ce serait, pour lui, la construction passive en se faire qui est «devenue homonyme» et «sémantiquement indépendante de la construction causative réfléchie». L’auteur précise que la phrase qui suit, par exemple, est ambiguë, en ce qu’elle contient soit la construction en se faire-Inf causative, qui se glose en anglais par (ii), soit la construction en se faire-Inf passive, qui se glose en anglais par (iii): (i) il s’est fait tuer dans la 404; (ii) he had himself killed in his car (lecture causative); (iii) he got killed in his car (lecture passive).

[2] http://opus.lingfil.uu.se/bin/opuscqp.pl?corpus=Europarl3

[3] Le Monde Diplomatique - LMD constitue, à présent, l’un des corpora du Corpus multilingue Per-Fide, partiellement financé par le projet PTDC/CLE-LLI/108948/2008 de la Fondation pour la Science et Technologie. Le corpus Per-Fide (Araújo et al., 2010) est composé d’un ensemble de sous-corpus couvrant plusieurs domaines (religieux, littéraire, juridique, jornalistique et technique), sur un total de sept langues (Português, Español, Russian, Français, Italiano, Deutsch, English). Les textes insérés jusqu’à présent dans la base de données peuvent être consultés librement à partir d’un concordancier, encore à l’état expérimental (http://www.per-fide.ilch.uminho.pt/query), qui permet d’entrer des critères de recherche non seulement pour la langue source mais aussi pour la langue cible ou bien pour les deux à la fois et de visualiser rapidement l’élément recherché dans différents corpora simultanément.

[4] Le fait d’avoir deux registres (littéraire et journalistique) permet d’obtenir une analyse à plus large couverture pour le comportement de la construction en question. Comme nous le verrons, cette analyse permettra également de contraster certains emplois d’après leur registre d’appartenance.

[5] La requête inclut toutes les formes fléchies de faire compatibles avec le pronom se.

[6] Le corpus général (littéraire et journalistique) comprend donc 1798 phrases employant se faire INF.

[7] http://atilf.atilf.fr/

[8] Il est bien évident que des verbes bitransitifs tels que voler ne peuvent pas entrer dans une construction passive avec être Vpp: *j’ai été volé mon portefeuille dans le métro à comparer avec: je me suis fait voler mon portefeuille dans le métro. Se faire permet donc de construire un passif à partir de l’objet prépositionnel, ce qui prouve bien qu’«une même langue peut avoir plusieurs passifs» (Lazard, 1994: 254), inégalement grammaticalisés.

[9] Le déséquilibre entre le portugais et l’anglais est ici patent. Il semblerait, en effet, que ce dernier ne réduise pas, contrairement au français et au portugais, la passivabilité du verbe à sa transitivité directe puisqu’il accepte, bien volontiers, outre les passives «canoniques» du type de (1a): (1) a. Mary gave a book to Peter; b. a book was given to Peter by Mary, des constructions passives associées à des compléments d’objets indirects du type de (2b): (2) a. Mary gave Peter a book; b. Peter was given a book by Mary. S’il est vrai que «la plupart des langues ont des règles très strictes qui interdisent toutes l’emploi de l’objet au datif comme sujet d’une phrase passive» (Jespersen, 1977: 222), il est vrai aussi qu’en anglais, «on a de plus en plus tendance à réserver le rôle de sujet au terme qui désigne une personne […] pour des raisons d’ordre émotionnel. C’est pourquoi on emploie facilement le passif pour dire she was promised an apple, «on lui a promis une pomme» ou he was awarded a good metal, «on lui a décerné une médaille d’or»» (idem). En revanche, on sait qu’en français, seul l’objet direct est subjectifiable au passif, d’où, par exemple, l’agrammaticalité des séquences qui suivent: (3) *Marie a été volée ses bijoux; (4) *une enquête a été procédée;(5) *cette situation a été profitée(exs de François, 1998: 17).

[10] La «responsabilité» dont Tasmowski-De Ryck & van Oevelen (1987) parlent est néanmoins réfutée par certains linguistes (cf. Labelle 2002, par exemple) avec des exemples trouvés sur Internet mettant en jeu des sujets inanimés qui échappent donc à ce critère. En effet, comme le fait remarquer Novakova (2009), les cas de sujet non animé, bien que très peu fréquents (moins de 3% des résultats), existent dans les corpora qu’elle a consultés pour rendre compte du fonctionnement de se faire. Elle cite les exemples suivants: (a) La neige se fait desirer dans certains coins de l’Europe (Le Monde); (b) Les classiques cassettes vidéo VHS sont ainsi sur le point de se faire dépasser par les DVD (Le Figaro). Pour cette linguiste, ici, ce n’est plus par le rôle sémantique du sujet (instigateur volontaire ou involontaire du procès) qu’on peut rendre compte des différentes nuances de sens entre la construction en se faire Vinf et le passif êtreVé, substituables dans ces contextes. Ce sont, à son avis, des paramètres aspectuels au service des visées discursives qui entrent en jeu. En choisissant se faire, le locuteur présente le procès comme inaccompli (se faire désirer) ou en déroulement (être sur le point), ce qui est en harmonie avec le profil aspectuel de se faire, le passif, lui, présentant le plus souvent le procès comme accompli.

[11] Ce schéma participatif de la part du sujet, c’est-à-dire son action antérieure à l’événement, Veecock (2008b) le nomme l’«avènement». Comme le signale cette linguiste, l’avènement peut aboutir à un événement ou à une suite d’événements prévus par le sujet (c’est la cas dans Paul s’est fait livrer une nouvelle machine à laver). Mais l’avènement peut également aboutir à un événement ou à une suite d’événements non prévus par le sujet (ce sont tous les cas de prédicats jugés «négatifs» tels que Paul s’est fait renverser). Pour cette linguiste (2008a: 2210), se faire + Vinf permet, en effet, d’identifier l’agentivité antécédente du sujet animé amenant ou justifiant des conséquences bénéfiques ou fâcheuses pour lui. Les notions de «cause», de «responsabilité», de «volonté» et de «faute» sont donc supplémentaires et n’accaparent pas l’agentivité primaire du sujet animé dans se faire.

[12] Le repérage posant un «responsable» est glosable par: «il n’y a pas intentionnalité consciente du S1 (= sujet syntaxique de se faire), mais la situation actualisée l’est en partie à cause du S1». Pour Cottier (1985), la notion de responsabilité pose le S1 comme «impliqué» dans le processus. Elle est grossièrement équivalente à celle de «déclencheur non-intentionnel».

[13] En effet, comme le note, très justement, Muller (2002 : 230): «Le verbe se faire permet aussi une orientation passive mais l’effet ‘passif’ est perturbé par l’interprétation plus ou moins ‘volontaire’ suggérée par faire ».

[14] Comme le précise à juste titre Veecock (2008a: 2210), «utiliser «l’instigateur» ou «cause première» (Tesnière, 1959) ainsi que «responsable» pour qualifier le rôle du sujet animé dans des événements «désagréables» est pervers dans les cas de se faire violer, se faire séquestrer, etc.». La notion de «caractérisation causale» proposée par Kokutani permet d’expliquer l’emploi de se faire dans des exemples comme (17) sans recourir à la notion de «responsabilité du sujet» qui reste difficilement démontrable dans les procès «désagréables».

[15] Après avoir observé un échantillon de données extraites d’articles de Le Monde (publiés en 1999 et 2000) pour rendre compte des conditions de réalisation de se faire et de se voir, Glawogger (2001) arrive, en effet, à la conclusion que les tours en se faire se distinguent très nettement de ceux en se voir en ce sens qu’ils apparaissent pour la plupart dans des circonstances défavorables pour le sujet gammatical et qu’ils y sont effectivement utilisés pour reproduire un français de registre parfois très familier.

[16] Mais dans l’édition bien plus ancienne de Le Petit Robert (1969: 90), se faire arnaquer est considéré comme «populaire».

[17] Dans LPR (2007: 1643), se faire moucher est considéré comme FIG. FAM. Mais on trouve cette expression dans le dictionnaire de l’argot français et ses origines (2001: 537).