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Revista Diacrítica

versão impressa ISSN 0807-8967

Diacrítica vol.27 no.3 Braga  2013

 

Notes pour une lecture du roman graphique Île Bourbon 1730 de Appollo & Trondheim sous le prisme de son Indiaocéanéité

Para uma leitura do romance gráfico Île Bourbon 1730 de Appollo & Trondheim à luz do paradigma do Índico

Reading the graphic novel Île Bourbon 1730 by Appollo & Trondheim through an Indian ocean studies paradigm

Marie-Manuelle da Silva*

*Département d’Études Romanes de l’Université du Minho, Braga, Portugal. Elle est également chercheuse au CEHUM [Centro de Estudos Humanísticos da Universidade do Minho] et au DILTEC [Laboratoire de recherche en didactique des textes des langues et des cultures de l’Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3]. Ses travaux portent essentiellement sur l’enseignement du français au sein des ‘nouvelles’ humanités dans le contexte de la mondialisation (thèse de doctorat), sur les représentations et leur (re)configurations contemporaines dans les contextes dits postcoloniaux et transnationaux.

mmcsilva@ilch.uminho.pt

 

RÉSUMÉ

Cet article rend compte d’une étude de cas menée dans le cadre d’un recherche plus ample sur les récits et les lieux de mémoire (Nora, 1984) liés à l’histoire coloniale et à la rupture post-coloniale (Blanchard et al., 2005). J’y examine la BD Île Bourbon 1730 parmi les récits cruciaux pour la compréhension de la configuration historico-culturelle actuelle que je me propose de cartographier depuis l’espace francophone, entendu comme espace géopolitique, géoculturel et géoesthétique hétérogène et discontinu. Je tâcherai de montrer l’opérationnalité et la productivité d’une lecture indiaocéaniqueÎle Bourbon 1730 pour expliquer les dynamiques de « zones de contact » (Pratt, 1991) et de négociation et leurs liens particuliers avec le « centre » français, à son tour « provincialisé » (Chakrabarty, 2000) et confronté aux défis de la postcolonialité et aux phénomènes esthético-critiques qui bouleversent les hiérarchies et les canons culturels établis.

Mots-clés: Post-colonialité; Francophonie; Bande dessinée; Études sur l’Océan Indien; Indiaocéanité.

 

RESUMO

Este artigo apresenta um estudo de caso integrado a uma investigação mais ampla sobre narrativas e lugares de memória (Nora, 1984), relacionados com a história colonial e a “ruptura” pós-colonial (Blanchard et al., 2005). Proponho examinar a BD Île Bourbon 1730, entre outras narrativas cruciais para a compreensão da configuração histórico-política atual, que tentarei cartografar desde o espaço francófono, pensado como espaço geopolítico, geocultural e geoestético heterogéneo e descontínuo. Pretende-se mostrar a operacionalidade e a produtividade de uma leitura indo-oceânica de Île Bourbon 1730 para ilustrar as dinâmicas de “zonas de contato” (Pratt, 1991) e de negociação, assim como os seus laços singulares com o “centro” francês, por sua vez “provincializado” (Chakrabarty, 2000) e confrontado com os desafios da pós-colonialidade.

Palavras chave: Pós-colonialidade; Francofonia; Banda desenhada; Estudos do Índico; Indiaocéanité.

 

ABSTRACT

This article presents a case study that is part of a wider project on narrative and situated memory (Nora, 1984), within the frame of research on colonial history and postcolonial ruptures (Blanchard et al., 2005). I analyse the graphic novel Île Bourbon 1730 as a revealing example to understand contemporary historical and political configurations inside the francophone space, conceived as a geo-political, geo-cultural and geo-aesthetic space, defined as heterogeneous and fragmented. The aim of this analysis is to display the productivity of an approach determined by Indian Ocean Studies to Île Bourbon 1730, illustrating the dynamics of “contact zones” (Pratt, 1991) and their processes of negotiation. Secondly, this analysis will expose the relation between contact zones and their French “centre”, which is simultaneously “provincialized”, confronted and challenged by postcoloniality.

Keywords: postcoloniality; Francophone universes; graphic novel; Indian Ocean Studies.

 

En France, le traitement de la question coloniale a longtemps renvoyé à un autre espace et à un autre temps ou « à un outre-temps et à outre-mer » (Mbembe, 2006: 120), comme si elle n’avait rien à voir avec notre modernité ni notre démocratie.[1] Une grande partie de la réflexion contemporaine française semble peiner à parler de l’Autre, ou à l’Autre, préférant parler à la place de l’Autre, comme l’ont montré, à différents niveaux, les débats suscités par la loi Taubira[2], en 2001, reconnaissant officiellement l’esclavage comme crime contre l’humanité ou la loi Mékachéra[3] datant de 2005, construite sur le même modèle, mais mettant en avant le rôle ‘positif’ de la présence française outre-mer, autrement dit de la colonisation.[4]

En effet, la loi Taubira, à qui l’actuelle Ministre de la Justice et députée de la Guyane française, Christiane Taubira, a donné son nom, déclare dans son article premier :

La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité.

Son article second prescrit par ailleurs l’étude de la traite et l’esclavage dans les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines.

Quant à la loi Mékachéra qui porte, quant à elle, « sur la reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », elle stipule, dans son article 4, que les programmes de recherche universitaires accordent « à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite », et dans son article 1, que les programmes scolaires français « reconnaissent (...) et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Cette loi a d’ailleurs donné lieu à l’« Appel des indigènes de la république pour la tenue d’assises de l’anticolonialisme » en 2005, qui a fait connaitre le mouvement, devenu depuis un parti politique (PIR). Elle est également à l’origine de la pétition « Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle » signée par un collectif d’historiens, puis par des chercheurs et des enseignants, contre le « mensonge officiel sur des ignominies, sur le travail forcé, sur le racisme inhérent au fait colonial, sur des crimes qui purent aller jusqu’au massacre de masse, toutes vérités qui pèsent encore lourd sur le présent »[5].

Pourtant, comme l’affirme Achille Mbembe :

depuis la Traite des esclaves et la colonisation, il n’y a pas d’identité française ou de lieux français de mémoire qui n’englobent simultanément l’ailleurs et l’ici. En d’autres termes, l’ailleurs est constitutif de l’ici et vice versa. Il n’y a plus de dedans qui serait coupé d’un dehors, d’un passé qui serait coupé du présent. Il y a un temps, celui de la rencontre avec l’Autre, qui se dédouble constamment et qui consiste, non dans la scission, mais dans la contradiction, l’enroulement, la jonction. Voilà, en tout cas, une géographie et une carte du sujet qui permettrait de poser d’une autre manière les questions brûlantes de la banlieue, de la nation, de la citoyenneté, voire de l’immigration. (Mbembe, 2006 : 132)

Aussi, dans un contexte où la lutte pour la mémoire ainsi que sa gestion politique, intimement liées au présent et à l’idée de francité ou de souchité[6], vocables qui désigneraient une identité française ‘pure’ par opposition aux configurations identitaires françaises ‘impures’, il apparaît urgent d’ordonner les récits de mémoire au service d’un en-commun[7] problématisé dans sa complexité, sans complaisance ni glorifications simplificatrices. Car, les relations ambiguës entre mémoire collective, mémoire nationale et mémoire transnationale ont acquis une visibilité accrue, les récits les concernant ayant transgressé leur ‘clandestinité’ pour se hisser sur la place publique et les scènes médiatiques et culturelles où ils circulent parmi les configurations esthétiques et les représentations culturelles contemporaines, manifestant une variété d’écarts et de détours et provoquant un certain nombre de décentrements.

Ces récits, qui interrogent l’histoire officielle et se déclinent selon diverses modalités, spatialités et temporalités, affectent à leur manière les cultures, au double sens d’identité et de création artistique et bousculent les cultures dites hégémoniques confrontées à des identités qui se font, se défont et se refont, dans leur complexité et leur hybridité (Bhabha, 2007: 83). La France à longtemps entretenu – et entretient encore – avec les pays et leurs cultures ‘francophones’, des relations centripètes et donc inégales, que se soit en Europe ou avec ‘la francophonie Sud’ avant et après la décolonisation et les indépendances, ou avec ceux qui sont devenus ses Départements et ses Territoires d’outre-mer (DOM-TOM).

Cette « interruption généalogique » (Mongin, 2002: 319) correspond également au passage d’un contexte culturel marqué par l’acculturation ou l’assimilation, à un contexte postcolonial qui interroge la place de la France comme centre, et voit se recomposer l’identité française, notamment avec les descendants des populations immigrées provenant des anciennes colonies, mais aussi avec la nouvelle globalisation que connaissent actuellement ses départements d’Outremer devenus des lieux aux enjeux géopolitiques, culturels et économiques considérables. Cette transformation est doublée par le bouleversement de l’ordre des représentations culturelles, marquées par les ruptures anthropologiques liées à la société de consommation amorcée au début des années 1970, qui ont conduit à un fossé de plus en plus profond séparant les élites et les masses.

C’est pour toutes ces raisons que la bande dessinée « postcoloniale francophone », comme l’a désignée par exemple Anne Miller (2007), me semble un lieu en quelque sorte paradigmatique depuis lequel procéder à une première tentative de cartographie, établie à partir d’une constellation de points de vue et de représentations Autres et des Autres,fonctionnant comme contrepoints à une histoire ‘officielle’, ‘traditionnelle’ ou même ‘coloniale’ au service du grand récit de la construction nationale française comme « communauté imaginée » (Anderson, 1996), selon les contextes politiques et idéologiques du moment. D’autant plus que la bande dessinée francophone franco-belge[8] notamment, a souvent servi sinon d’instrument de propagande, tout du moins de relais à l’idéologie coloniale, Tintin au Congo de Hergé, destinée à la promotion de la ‘mission civilisatrice’ de la colonisation belge au Congo au moment de l’apogée du projet colonial en Europe, en offrant l’exemple sans doute le plus connu.

Par ailleurs, le média a récemment été étudié par Éric Maigret comme un cas emblématique du virage ‘post-légitime’ que vivent les société dites occidentales. Selon l’auteur, les nouveaux arts , dont fait partie le bande dessinée, seraient dans une situation pour partie assimilable à la condition postcoloniale, en ceci qu’ils ont connu une émancipation effective dans des mondes où a longtemps régné la légitimité culturelle au sens où l’entendait Pierre Bourdieu (distinction entre culture consacrée et culture de masse) ; la culture légitime patrimoniale ayant perdu de sa centralité, en partie sous l’influence de l’affirmation des dites contres cultures subalternes qui contestent la norme distinctive ou canonique, sans pour autant que cette norme, en constante recomposition, ne se dissolve ou ne se subvertisse complètement. Selon ses mots :

[à] la façon dont le spectacle des relations de « nations » ou de « races » incite à évoquer l’existence d’un monde non pas simplement décolonisé (c’est arrivé, c’est fini), ni a-colonial (ce n’est jamais arrivé), ou encore demeuré strictement colonial (ce n’est jamais fini), mais bien postcolonial, il faut probablement parler de culture postlégitime, intégrant les dimensions contradictoires de l’émancipation d’une norme qui ne veut pas pour autant mourir. (Maigret, 2012: 136)

J’ai choisi d’aborder ici certains de ces décentrements à partir de l’exemple de la bande dessinée dite postcoloniale Île Bourbon 1730, scénarisée par Olivier Appollodorus, alias Appollo et Laurent Chabosy, alias Lewis Trondheim qui en est également le dessinateur.[9]

Ayant pour cadre l’île Bourbon au XVIIIe siècle, en pleine période du trafic négrier et de l’esclavage, cette bande dessinée participe de la construction d’un discours sur l’île de La Réunion qui permet de problématiser ce qui serait un devoir d’histoire plutôt que de mémoire, tout en échappant à une pensée binaire et simplificatrice à laquelle pourrait conduire une défiance aveugle à l’égard des positions centralisatrices ou des tropismes trop exclusivement occidentaux. Les aspects formels de la bande dessinée, ses lieux, ses instances et ses modalités d’énonciation, sont utilisés pour amener le lecteur à se décentrer de l’histoire traditionnelle telle qu’elle est enseignée dans le système éducatif français, de façon à ce que le lecteur s’en fasse sa propre opinion. On y interroge les lieux et les manières de s’y situer, tout en ouvrant l’espace et le temps. Car la petite histoire du jeune héros, Raphael Pommery, sert de fil conducteur à un réseau d’autres histoires peuplées d’autres héros, qui constituent une relecture de l’Histoire de l’île indiaocéanique mais aussi du département français de La Réunion et, par conséquent, de l’Histoire française.

Située dans l’Océan Indien, « espace sans supranationalité ni territorialisation précise (…) espace culturel à plusieurs espaces-temps qui se chevauchent, où les temporalités et les territoires se construisent et se déconstruisent » (Marimoutou, 2006: 131), l’île de La Réunion a été affectée, comme l’ensemble du monde indiaocéanique, par l’arrivée des Européens, selon différents « fuseaux historiques » (Marimoutou, 2006: 132). La circulation des biens et des marchandises dont le commerce d’esclaves, a emprunté des itinéraires déjà tracés, les Européens y ayant « introduit le monopole commercial dans un monde fondé sur l’échange libre, (…) accéléré, intensifié la traite des esclaves » (Marimoutou, 2006: 133).

Les imaginaires produits par la globalisation liée à la traite et à l’esclavage dans l’Océan Indien connaissent d’abondantes études qui, comme l’évoque Isabel Hofmeyr (2007) ont fréquemment considéré les îles comme le centre de l’expérience de l’esclavage, comme des espaces de créolisation où vivent des peuples sans nation, « a kind of ultra-Caribbean model of European, African and Asian traditions being violently brought together » (Hofmeyr, 2007: 9). Il existe cependant des singularités dans cet espace non homogène dont les îles font partie, les îles indiaocéaniques se définissant « chacune, par une hybridité originelle, une hétérogénéité constitutive, fondement même de leur unité ou de leur identité » (Marimoutou, 2006: 133).

Inhabitée jusqu’au XVIIe siècle, l’île de La Réunion fait partie de l’archipel des Mascareignes (avec l’île Maurice et Rodrigues) à qui Pedro Mascarenhas, y ayant débarqué alors qu’il se trouvait sur la route de Goa, a donné son nom. Elle devient française en 1638 et prend le nom de Bourbon (nom de la famille royale). Des mutins, des colons et des Malgaches s’y installent en 1663, avant que l’île ne soit gérée par la Compagnie des Indes Orientales en 1665, qui en fera une base de ravitaillement. En 1715 avec l’exploitation du café, puis plus tard de la canne à sucre, le système de l’esclavage se met en place. En 1792, l’île prend le nom de Réunion (en mémoire de la rencontre des troupes révolutionnaires à Paris en 1790) puis reprend brièvement le nom de Bourbon sous le contrôle anglais entre 1810-1815. L’esclavage n’y sera aboli qu’en 1848, et non en 1794 quand la Convention proclame son abolition, remplacé par le « travail sous contrats » en provenance principalement du Sud de l’Inde. C’est au XIXe siècle qu’arrivent de nouvelles vagues d’immigration en provenance de la Chine et de l’actuel Pakistan. La Réunion comme Département français depuis 1946, s’est construit sur cet héritage, sans combat ni massacre, ni subordination des peuples autochtones, mais par l’adaptation des nouveaux venus, de grès ou de force, à une société souvent oppressive dont ils ont contribué à la construction. C’est sans doute ce qui explique que, selon Peter Hawkins, les réunionnais aient fait l’objet d’une « dé-colonisation par assimilation » (2003: 311) pour devenir français et que « le discours sur cette île ne cesse, d’une part, d’affirmer l’altérité irréductible des Réunionnais, et de l’autre, de prôner la réussite de l’intégration » (Vergès, 2001: 218). Car si l’esclavage a bien été aboli en 1848, le statut colonial s’est maintenu, construisant une citoyenneté paradoxale jusqu’à ce que les habitants de l’île ne deviennent citoyens français avec la départementalisation de 1946.

Dans cette île, la colonisation produit des textes de lois qui programment la différence entre les Blancs et Noirs, qui aura des conséquences, notamment sur l’imaginaire. L’esclave est pensé comme Noir, même si l’île colonisée a vu arriver des esclaves acquis en Inde, en Malaisie ou à Madagascar et sur les ports de traite des côtes africaines (Vergès, 2001: 220). L’abolition est à l’origine d’une autre hiérarchisation, née d’une volonté de ceux qui ne sont pas descendants d’esclaves de se démarquer d’une filiation considérée comme humiliante. Une nouvelle typologie – qui ne tient pas compte ni de la créolisation des groupes, ni des reconfigurations historiques – s’instaure :

En haut de l’échelle les Gros Blancs, grands propriétaires qui tiennent à leur ‘blanchitude’ ; ensuite les Petits Blancs Patates (Yab ou Pat jone), pauvres ou démunis, mais dont la couleur blanche leur assure une place au plus près des puissants ; puis les asiatiques – Chinois (Sinwa) et Indiens (Malbars) (…) ‘travailleurs sous contrats’, cette différence les sauvant de la marque infamante de l’esclavage ; et enfin les descendant d’esclaves (Kaf). (Vergès, 2001: 220)

France de l’Océan Indien, l’identité de La Réunion épouse ‘l’identité française’, la plongeant dans une fiction (Vergès, 2001: 225) détachée de l’Océan Indien et des mondes africain, asiatique et arabo-islamiques qui s’y croisent.

Si la dimension historique d’Île Bourbon 1730 est déclarée en ouverture du volume, elle est simultanément objet d’une distanciation marquée par l’annonce des auteurs : « Île Bourbon 1730 n’a pas pour vocation d’être un ouvrage historique. C’est une œuvre de fiction qui s’inspire librement de faits historiques » (Appollo & Trondheim, 2011: 2). L’enchevêtrement entre l’histoire du domaine de la fiction et l’Histoire s’expose à travers les notes détaillées qui figurent dans les dernières pages (Idem, 280-287). Elles informent des réalités propres à La Réunion dans un contexte historique et idéologique particulier. On pense à la note nº 208, par exemple, qui s’attarde sur le code noir en vigueur à l’époque (Idem, 285).

Ainsi l’histoire quelque peu anodine et strictement individuelle du héros recoupe la grande Histoire, celle de l’île Bourbon des années 1700, qui est elle-même faite des H(h)istoires collectives de l’esclavage et de la piraterie, H(h)istoires ‘clandestines’, l’une pour des raison politiques, l’autre parce qu’elle renvoie à une culture jugée populaire et infantile.

Le héros de la bande dessinée, Raphaël, est le second d’un ornithologue expérimenté, le « Chevalier Despentes de l’Académie des Sciences de Paris », qu’il suit sur l’île Bourbon en 1730 dans l’objectif d’examiner les oiseaux, et parmi ceux-ci, le dernier Dodo qu’ils ont pour mission de capturer avant la disparation de l’espèce. L’initiation de Raphaël à la science des oiseaux est cependant perturbée par son intérêt pour les histoires de pirates qu’il tentera ensuite d’approcher.

L’histoire chronologique et linéaire portée par le héros, est fissurée par un réseau de récits en rhizome destinés à créer une tension narrative propre au récit d’aventures, savamment exploitée au niveau graphique.

Le Dodo et les pirates, par exemple, qui motivent la quête de Despentes et de Raphaël se dérobent au regard des personnages dont l’œil est ironiquement trompé : où le héros, et le lecteur avec lui, pense avoir trouver un Dodo, apparaît Virginie, fille de Robert, un ancien pirate blanc pardonné et assimilé. L’exotisme cédant le pas à la réalité coloniale, ou l’Histoire et le progrès, souvent imposés à l’Autre par la civilisation dite occidentale, prenant le tour d’une vaine investigation scientifique[10], le Dodo, n’ayant sans doute jamais existé sur l’île Bourbon. Remarquons que le Dodo est un des symboles de ces îles de l’Océan indien et qu’il est devenu, dans une période plus récente, celui de la résistance ou la représentation des pratiques éradicatrices de la colonisation.

Comme le Dodo, La Buse, figure historique réelle d’Île Bourbon 1730, pirate d’origine inconnue mais ‘française’ dont le vrai nom aurait été Olivier Levasseur, n’est pas non plus montré. Le fil narratif qui en préparait l’apparition débouche en réalité sur la représentation de son absence, constatée par le gouverneur esclavagiste qui en avait fait son prisonnier. Comme le décrit la note nº 90 (Idem, 283), La Buse est connu avoir pris des pirates noirs parmi les membres de son équipage, comme Ferraille, un ancien pirate d’origine africaine ayant servi sous ses ordres et vivant maintenant sur l’île avec les marrons.[11] La Buse est le garant de la ‘liberté’ des esclaves en fuite, les marrons, et des pirates et un enjeu pour le général Dumas : s’il disparaissait, celui-ci aurait le champ libre pour éliminer le marronnage et, du même coup, les conséquences négatives pour les propriétaires esclavagistes, qui non seulement perdaient des esclaves mais craignaient également les représailles de ces mêmes esclaves devenus marrons.

Si l’incursion dans l’authentique monde des pirates s’avère une désillusion pour Raphaël, qui pressent que les histoires qu’ils racontent ne sont que des légendes, elle inaugure une série d’autres rencontres, elles aussi décevantes, après son retour vers son maître. Le chemin du héros-narrateur croise le chemin d’une série de personnages habitant l’île, tels que, comme nous l’avons vu, les colonisateurs blancs, dont le gouverneur Dumas, inflexible, cynique, cruel, inspiré du personnage historique du même nom, père de Dumas-Père et grand-père de Dumas-Fils. Il côtoie également les anciens pirates blancs repentis, pardonnés et assimilés dont Robert, détesté par le gouverneur, et sa fille, Virginie, naïve et rebelle qui cherche à rejoindre le groupe des marrons. Divers types d’esclaves, dont la ‘gouvernante’ de Virginie (dite Evangéline ou Nénène), qui est également espionne-informatrice travaillant pour les esclaves marrons dont Ferraille, leader plein de haine qui cherche à inciter les autres à la rébellion ouverte ou encore Laverdure, plus sceptique quant à la nécessité de la révolte.

La diversité de cette galerie de personnages mise en scène dans la première de couverture des éditions Delcourt est une représentation de la complexité des situations anthropologiques, des formes et des modalités des présences de la mémoire dans l’espace contemporain de l’énonciation qu’est la bande dessinée.

Comme le montre la couverture de Île Bourbon 1730 (figure 1), la dimension des personnages est inversement proportionnelle à leur importance historique officielle. Ferraille, le pirate noir, est celui qui occupe le plus de place à l’image, sans doute parce qu’il condense l’injustice la plus flagrante : il ne peut être amnistié comme les autres pirates parce qu’il est noir. A l’opposé Dumas, représentant officiel blanc, est le plus discrètement figuré.

 

 

Ce dessin inaugural, le seul en couleur dans l’original et où l’on peut distinguer les différences de peau, se (dé)compose de deux groupes, celui des blancs dans lequel figure Despentes, représenté en noir, et celui des noirs qui inclut une blanche, Virginie, dont le rêve est de rejoindre les marrons. L’animalisation des personnages, sans aucune correspondance avec des caractéristiques qui les représenteraient, comme c’était le cas des chats et les souris dans Maus d’Art Spiegelman[12] ajoute à ce trouble et rend ténue la frontière entre les animaux, les animaux-personnages et la végétation envahissante où les marrons se dissimulent.

Là où la bande dessinée – et la littérature – coloniale s’efforçait de construire un discours fondé essentiellement sur le stéréotype, l’essentialisation, la réification de l’autre du discours, Île Bourbon 1730 et le traitement qu’elle réserve au noir et blanc, fait écho aux ambiguïtés soulignées par Campbell quant à la race, à la liberté et à l’esclavage dans l’Océan Indien: « the boundaries between slave and free were much more blurred than in the Atlantic; and, furthermore, the association of race and slavery did not exist in any marked form » (apud Hofmeyr, 2007: 11). La complexité des sociétés post-abolitions et la particularité de l’esclavage et des abolitions dans la région est d’ailleurs soulignée par Isabel Hofmeyr

Slavery in the Indian Ocean is more complexe: the line between slave and free is constantly shifting and changing (…). The possibilities for mobility or manumission were consequently greater. Debt slavery or pawning of a lineage member were also strategies followed in times of catastrophe, such as drought or famine. The hope, however, was that these conditions were not permanent. (Hofmeyr, 2007: 14)

 

 

 

 

En attribuant à Île Bourbon 1730 des caractéristiques de ce qui serait une bande dessinée postcoloniale dont la cartographie reste à faire, je serai tentée de la situer dans une sorte de filiation à l’intérieur de l’ensemble bande dessinée et de ce qui serait son histoire coloniale. Il est évident que l’on est ici loin de ce que l’on pourrait appeler une bande dessinée sinon officielle en tout cas ‘au service de la nation’. On se souvient que Tintin guidait ses lecteurs à travers la colonisation qui servait de toile de fond à l’album Tintin au Congo, adoptant une position autant hérocentrique qu’eurocentrique qui trouvait sa justification dans l’idéologie et les genres dominants à l’époque. Le célèbre petit reporter était au centre d’un récit d’aventures et d’une hiérarchie qui commandait l’action et ses péripéties, narrées à la manière de la ligne claire, c’est-à-dire selon une conception de la bande dessinée qui privilégie la lisibilité, tant sur le plan visuel, qu’axiologique, diégétique ou narratif.

Lewis Trondheim, que l’on a volontiers qualifié d’inventeur au sein de la bande dessinée contemporaine, n’est pas un héritier de la ligne claire, basée sur des lignes graphique et narrative univoques. Au contraire, son dessin, peu soigné voire grossier ou tout juste ébauché de façon non réaliste, manipule une « archive postcoloniale [qui] est une archive des traces, des spectres, des disparus, des anonymes » (Marimoutou, 2006: 138), réhabilitant les voix et les discours des assujettis appartenant à « des terres où la culture est en grande partie immatérielle et où l’archive est essentiellement celle des colonisateurs ou des notables de la période précoloniale » (Ibidem).

Comme j’ai tenté de le démontrer, le réseau qui entrelace l’Histoire, les histoires et leur mise en intrigue dans Île Bourbon 1730 s’éloigne des oppositions binaires et s’écarte d’un récit unique, univoque et officiel des faits, au profit d’un type de relation complexe et critique, rendant compte de pratiques nées en contexte postcolonial qui ne sont pas (ou plus) réductibles aux rapports centre/périphérie. Les auteurs construisent un espace de représentation singulier qui réactive dans le présent des discours venus d’autres lieux et d’autres temps, et donne voix et vie à un peuple « ‘parlé’ par d’autres » (Vergès & Marimoutou, 2005: 34), objet de représentations dans lesquelles ils ne se reconnaissait pas. Ce sont ceux que l’espace officiel avait exclu à qui on restitue un pouvoir de lutte et de négociation, les débarrassant de leur carcan de victime.

Ces (H)histoires sont prises dans des intertextualités et des intericonicités qui se référent tantôt à l’île de La Réunion et à l’Océan Indien, tantôt à la France métropolitaine. On trouve des références à la première bande dessinée en créole de la région, l’album mauricien fondateur Repiblik Zanimo (1975), adaptée d’Animal farm de G. Orwell – et dont Furlong et Cassiau-Haurie (2009) retracent et analysent l’histoire – , ou à la revue Le Cri du Margouillat[13]qui marque le début de ce que l’on désignera par tradition de la bande dessinée réunionnaise (Lent, 2005: 464), dont Appollo est l’un des fondateurs et qui a marqué la bande dessinée de l’Océan Indien francophone, mais aussi à La tempête de Shakespeare dans sa reprise par Aimé Césaire ou encore à des bande dessinées métropolitaines comme Les Passagers du vent de François Bourgeon (tome 1/7: 1980), ou Isaac le pirate de Christophe Blain (2001) et Sept Histoires de pirates, collectif auquel Appollo a lui-même contribué.

Île Bourbon 1730, participe des productions culturelles qui jettent un pont entre l’ex-métropole et ses anciennes périphéries et qui peuvent apporter des réponses à un ensemble de questionnements sur la nécessité pour ‘les Suds’ de participer au débat postcolonial. L’île de La Réunion se trouve confrontée au dilemme de la volonté d’autonomie culturelle et du compromis avec les instances de consécration des ‘Nords’, en l’occurrence de la France métropolitaine, car beaucoup des créateurs en bande dessinée réunionnais fournissent des éditeurs comme Delcourt, Glénat, ou Casterman (Lent, 2005: 463), La Réunion n’ayant pas l’industrie locale qui leur permettrait de publier dans l’île dont le marché est par ailleurs dominé par la bande dessinée franco-belge et le manga japonais[14] et par le segment mainstream. Remarquons à ce propos que la dichotomie entre bande dessinée mainstream et bande dessinée d’auteur constitue un autre des rapports binaires reprenant l’ancienne distinction entre ‘haute’ et ‘basse’ culture à laquelle Île Bourbon 1730 pourrait offrir une alternative, en éloignant la menace de la généralisation de l’Entertainment mainstream deshistoricisé perçu comme domination culturelle généralisée. Car si Île Bourbon 1730 est avant tout une bande dessinée d’aventures portées par des pirates et par leur/s (H)histoire/s, dont de grands capitaines qui ont marqué l’histoire et la culture populaire de La Réunion, elle peut se prêter à différents niveaux de lecture et à des itinéraires en dévoilant la complexité.

Au terme de ce parcours, s’il apparaît clairement qu’Île Bourbon 1730 doit être replacée dans ce contexte indiaocéanique pour être comprise pleinement, il semble tout aussi évident que le prisme de son indiaocéanéité doit s’adosser à une réflexion approfondie sur l’opérationnalité des lieux théorico-critiques et les épistémologies à convoquer. Ceux-ci oscillent entre les approches propres au Area Studies tendant à considérer ‘l’Océan Indien francophone’ au sein d’un ensemble politique et culturel ‘francophone’ plus ample, marqué par une matrice coloniale qui le rend souvent problématique, et des approches transnationales et les paradigmes qui leur sont propres et qui permettent d’appréhender l’espace indiaocéanique comme un réseau d’interconnexion entre mondes créoles, depuis des lieux d’énonciation réappropriés.

Car la contemporanéité de La Réunion ne peut être comprise qu’à partir de l’examen de ce qui l’ancre ou l’amarre (Vergès & Marimoutou, 2005) dans l’Océan Indien ; la façon dont la parole y est prise et y circule ; la minoration de sa culture ; sa relation avec les pays et les continents qui l’entourent (Magdelaine-Andrianjafitrimo, 2006: 251).

Cet ancrage suppose également que soit prise en compte l’histoire dans ce lieu privilégié de ‘créolisation’, entendue comme dynamique et en tension, et dont l’éthos

(…) travaille à préserver l’équilibre entre unité et diversité au nom du passé partagé de la violence, de la déportation et de l’exil et du présent commun et du futur à construire. D’un côté, rupture brutale avec le passé, avec un monde qui a été perdu, domination culturelle, appropriation et expropriation, un régime fondé sur le racisme et la violence institutionnalisée ; de l’autre, le métissage, une relation autre à l’histoire que celle de nations définies, des récits fondés sur l’exil, le voyage, et le traumatisme de la séparation. (Marimoutou, 2006: 136)

Une lecture formaliste, comme celles qui ont longtemps dominé le champ des études de la bande dessinée, conduirait à dire que l’œuvre d’Appollo et Trondheim ne présente pas d’intérêt particulier, la participation de Lewis Trondheim, inventeur de la nouvelle bande dessinée hexagonale, à ce projet créant sans doute des expectatives non satisfaites. Île Bourbon 1730 offre pourtant un jeu intéressant entre les points de vue qui se tissent aux niveaux narratif et diégétique et qui se sert des possibilités de la bande dessinée pour construire une poétique qui révèle une critique de l’histoire traditionnelle française dont l’histoire officielle ignorait ou minorait l’esclavage et le trafic négrier auxquels la France a pourtant participé pendant plus de deux siècles. Une approche chevillée à l’idée d’indiaocéanité me semble extrêmement productive pour penser une approche d’île Bourbon 1730 en tant que contribution à un ‘en-commun’ qui donnerait un sens à la fois à un ‘nous français’ et à un ‘nous réunionnais’ par les liens de la mémoire et par ceux de l’imaginaire, de l’histoire et de ‘loyautés culturelles’ partagées. On peut émettre l’hypothèse qu’Île Bourbon 1730 a affaire avec les pensées et les pratiques du lien (Marimautou, 2006: 134) capables de répondre à la complexité des défis contemporains dont la configuration identitaire réunionnaise est d’une certaine façon paradigmatique : comment en effet « dire en même temps et se dire en même temps, Français, Réunionnais, Créole, d’origine indienne ou africaine ou malgache ou chinoise, tout en se définissant comme métis, (…) tout cela, non pas de manière juxtaposée ou par périodes, mais en permanence et à cent pour cent ? » (Marimoutou, 2006: 135).

 

Références

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[Recebido em 25 de setembro de 2013 e aceite para publicação em 7 de novembro de 2013]

 

Notes

[1] Même si la pensée de langue française a amplement contribué à la réflexion sur le fait colonial, depuis des lieux critiques dits postcoloniaux, si l’on pense à des auteurs comme Fanon, Césaire, ou Glissant par exemple, ou à l’influence des analyses de penseurs comme Foucault, Derrida ou Lacan, pour ne citer que quelques exemples.

[2] La loi nº2001-434 du 21 mai 2001 est disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005630984&dateTexte=20091103.

[3] Du nom du Ministre délégué aux anciens combattant de l’époque, Hamlaoui Mékachéra, la loi nº2005-158 date du 23 février 2005. Elle est disponible sur http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000444898.

[4] Dans leur livre / anthologie Nous sommes les indigènes de la République publié en 2012 aux éditions Amsterdam, Houria Bouteldja et Sadri Khiari reviennent sur la réinterprétation radicale par le PIR des conflits présents dans la société française, sur le racisme ou les luttes de l’immigration, à travers les catégories de « colonialité » ou de « races sociales ». Voir : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article602.

[5] Voir : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article602.

[6] Je reprends ici le néologisme souchien employé par Haria Bouteldja, du parti politique Les Indigènes de la République pour désigner les ‘français de souche’. Ce terme, interprété par le philosophe Alain Finkielkraut et le journal Marianne notamment, comme une insulte : sous-chiens, a valu à son auteure, Haria Bouteldja, une accusation pour injure raciste ‘anti-blanc’.

[7] Tel que l’entend Achille Mbembe, à la suite de Jean-Luc Nancy, l’en-commun consiste dans le partage des singularités et s’élabore, non pas par l’inclusion à ce qui est déjà constitué, mais par « la communicabilité et la partageabilité (…), un rapport de co-appartenance entre de multiples singularités» producteur d’humanité (Mbembe, 2007).

[8] L’école franco-belge, qui s’est constituée dans la période de domination européenne en Afrique, a mobilisé des stéréotypes coloniaux, notamment dans un corpus situé entre les années 1930 et les indépendances dans les années 1960 (Delisle, 2008 et 2011). Sur la bande dessinée coloniale francophone voir McKinney (2011).

[9] La bande dessinée a été publiée en 2007 et réédité en 2011 aux éditions Delcourt dans la collection Shampoing dirigée par L.Trondheim.

[10] Comme Pangloss dans Candide de Voltaire, Despentes est passif face à un système esclavagiste cruel duquel il se rend complice et Raphaël est confronté à cette cruauté, sans cependant la dénoncer, ni même la mentionner quand il devient à son tour conteur d’histoires de pirates.

[11] Comme le rappelle la note nº 41 “le mot ‘marron’ provient sans doute du mot espagnol ‘cimarron’(...) il désigne à la fois des animaux domestiques ou des plantes cultivées qui deviennent sauvages (...) et des esclaves en fuite (Idem, 281).

[12] Île Bourbon 1730 s’inscrit dans une tradition anthropomorphique occidentale qui remonte aux fables d’Esope, exploitée par l’auteur Maus, Art Spiegelman, pour raconter l’Holocauste. Pour une analyse de l’animalisation dans la bande dessinée, voir Reynschi-Chikuma, 2011.

[13] Fondé en 1986 à La Réunion par l’association Band’Décidée, le Cri du Margouillat éditera 28 numéros avant de devenir un journal satirique, Le Margouillat, entre 2000 et 2002. Le journal participe à la création du festival Cyclone BD. Le Cri du Margouillat regroupait des auteurs réunionnais (dont Téhem, Li-An, Serge Huo-Chao-Si, Appollo, Mad) malgaches (Pov, Anselme...), mauriciens (Laval NG) et mahorais (Liétard). Certains de ces auteurs collaboreront avec le journal sud-africain BitterKomix (Joe Dog et Conrad Botes sont publiés dans le Margouillat, Huo-Chao-Si, Appollo ou Hobopok dans Bitterkomix). Un label d’édition, Centre du Monde, est créé et les premiers albums sont publiés, dont la série Tiburce, de Téhem, qui connait un succès à la Réunion.

[14] Selon Serge, le succès et la popularité du manga est dû à la forte présence de l’anime japonais à la télévision (Lent, 2005: 466).