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Etnográfica

Print version ISSN 0873-6561

Etnográfica vol.26 no.2 Lisboa Sept. 2022  Epub Sep 19, 2022

https://doi.org/10.4000/etnografica.12009 

Artigo Original

Travail social et les rapports de classe dans la mise en œuvre du programme Bolsa Família au Brésil

Social work and class relations in the implementation of the Bolsa Família programme in Brazil

1Faculty of Arts, Université de Groningen, Pays-Bas,f.eiro@rug.nl


Résumé

Cet article analyse la relation entre les assistantes sociales et les bénéficiaires du programme de transfert conditionnel de revenus Bolsa Família au Brésil. Il vise à montrer comment les frontières de classe symboliques et matérielles structurent cette relation. Il s’appuie sur une enquête ethnographique réalisée auprès des bureaux chargés de la mise en œuvre du programme dans une municipalité de la région Nordeste du Brésil. L’article situe les assistantes sociales dans l’espace social et décrit les conditions objectives de leur travail et leurs interactions avec les bénéficiaires du programme. Il analyse également le point de vue des bénéficiaires sur le programme ainsi que celui des assistantes sociales qui le mettent en œuvre. Nos résultats montrent que les interactions bureaucratiques qui ont lieu entre assistantes sociales et bénéficiaires sont imprégnées des rapports de classe entre ces catégories d’acteurs, en particulier des représentations associées aux “pauvres” circulant dans la société brésilienne.

Mots-clés: travail social; pauvreté; Bolsa Família; Brésil

Abstract

This article analyses the relationship between social workers and beneficiaries of the Bolsa Família conditional cash transfer programme in Brazil. Its aim is to highlight how symbolic and material class boundaries structure this relationship. It is based on an ethnographic research of the offices responsible for the implementation of the programme in a municipality in the interior of Northeast Brazil. The article situates social workers in the social space and describes the objective working conditions and of the interactions with the programme’s beneficiaries. It also analyses the point of view of the latter group about the programme and the social workers responsible to its implementation. With our results we argue that the bureaucratic interactions between social workers and beneficiaries are marked by class relations between these groups of actors, and particularly by representations associated with the “poor” conveyed in Brazilian society.

Keywords: social work; poverty; Bolsa Família; Brazil

Introdution

En quittant une des grandes villes de la région Nordeste du Brésil par route, on traverse d’abord ses franges industrielles, puis on observe parfois sur le côté des bidonvilles, des favelas.1 La ville fait alors place à la végétation côtière, mélange de forêts, de palmiers dispersés, de mangroves le long des rivières ainsi que de vastes champs de canne à sucre. Il faut quelques heures de route pour découvrir enfin le paysage semi-aride caractéristique de la région du Sertão. Parfois la route traverse de petites villes, anciens villages ruraux. En suivant encore la route, on arrive enfin dans l’une des villes principales du Sertão - classifiées au Brésil comme de taille “moyenne ”, c’est-à-dire comprenant entre 100.000 et 500.000 habitants. Dans ces villes où la précarité reste visible, le développement économique récent, soutenu par l’intervention de l’Etat, a permis à une partie importante de la population “pauvre” d’accéder à un peu plus de confort matériel. Depuis les années 1990s, des politiques publiques spécifiques ont été mises en place pour leur permettre d’accéder à plus de droits sociaux. C’est le cas notamment du programme Bolsa Família (PBF) à partir 2003.

En observant les dynamiques de mise en œuvre du programme dans une ville comme celles-là de l’état du Ceará, ici nommé “Angico”, cet article vise à mettre en évidence les frontières symboliques et matérielles qui structurent et donnent du sens aux interactions entre les travailleurs sociaux et les bénéficiaires du PBF. Les frontières symboliques sont ici comprises comme “un système de règles qui guide l’interaction en affectant qui se réunit pour s’engager dans quel acte social” (Lamont et Fournier 1992: 12). Plus spécifiquement, les frontières symboliques donnent la définition de la hiérarchie de valeurs morales à travers des individus et de groupes (Small, Harding et Lamont 2010). Ce concept constitue ici le support à l’analyse des interactions entre les assistantes sociales et les allocataires, pour comprendre comment la position de classe, et de façon plus importante, l’identification de classe, structurent cette relation lors de la mise en œuvre du PBF (Bourdieu 1979). Notre approche est de mettre en évidence la façon dont les individus comprennent leurs mondes, leur conscience (consciousness) du système de classes qui leur donne un “sens de structure” (Durrenberger 2012: 10).

Nous avons réalisé un terrain ethnographique pour comprendre de quelle façon la position sociale des individus concernés légitime un traitement des “clients” qui va au-delà des règles formelles des politiques en intégrant des évaluations morales. En accord avec Serre (2010: 155), je comprends que le champ d’application d’un mandat de surveillance “se délimite au fil des interactions concrètes avec la population à contrôler et des échanges d’expériences entre professionnels”, et pour cela cet article se concentre sur ces dynamiques.

L’article suit une tradition déjà établie d’analyse du rôle des agents responsables de la mise en œuvre de politiques publiques, tradition qui observe les relations quotidiennes entre ces agents (ici les assistantes sociales) et leurs “clients” (ici les bénéficiaires du programme). Ce courant de recherche s’est développé à partir du constat que les politiques publiques ne se limitent pas à la promulgation de législations et de réglementations, mais qu’il est nécessaire d’observer les “bureaucrates du niveau de la rue” (Lipsky 2010) pour comprendre leur mise en œuvre et les résultats qu’elles produisent (Ferguson 2015; Olivier de Sardan et Piccoli 2018). Il faut reconnaître que, malgré la grande diffusion, le PBF et d’autres programmes de transferts de revenu ne sont pas des objets courants de ces études. Les dynamiques de jugement de mérite et de reproduction d’inégalités sociales au sein du travail social, qui ont été largement étudiés aussi au Brésil, ne sont devenues objet d’attention de sociologues et anthropologues que récemment. La principale raison de ce point aveugle est sans doute l’attention donnée aux effets positifs de ces programmes et comment ils ont changé le paysage des politiques sociales. C’est dans cette perspective que cet article fait sa contribution.

Le matériau utile à ce travail a été obtenu exclusivement par l’auteur, lors d’une enquête ethnographique, conduite en trois temps entre les années 2013 et 2015, pour un total de sept mois. Les données recueillies et analysées sont: (1) des observations directes dans deux bureaux d’assistance sociale; (2) des entretiens et des conversations informelles avec un total de 15 assistantes sociales - seules des femmes sont employées par la mairie pour cette fonction - directement impliquées dans les activités du PBF; (3) des entretiens avec 35 femmes allocataires du PBF, réalisées chez elles, sans la présence d’assistantes sociales. Pour l’observation des travaux des assistantes sociales, j’ai partagé mon temps entre deux bureaux de l’assistance sociale: le bureau municipal du PBF et un “Centre de référence de l’assistance sociale”, le CRAS,2 aussi responsable de la mise en œuvre du programme et placé dans le quartier le plus pauvre d’Angico.

Cet article est divisé en trois sections. Nous présenterons d’abord le PBF pour comprendre sa place dans les politiques nationales, ainsi que les tensions existantes dans sa mise en œuvre. La deuxième section vise à analyser la situation des assistantes sociales responsables de la mise en œuvre du PBF et à décrire les conditions matérielles de leur travail et leurs perceptions du programme. Enfin, nous verrons dans une troisième partie comment lesdits bénéficiaires perçoivent ces assistantes sociales.

Le programme Bolsa Família

Dans les années 1990, la réforme néo-libérale de l’Etat brésilien n’a pas permis la mise en place de l’ensemble des aides sociales prévues dans la Constitution de 1988. Deux programmes de protection sociale non contributifs ont été mis en place, et ils ont effectivement permis de réduire la pauvreté, notamment chez les personnes âgées et dans leurs familles. Cependant, ils touchaient peu les autres catégories vulnérables de la population, en particulier les enfants. C’est aussi pour combler cette lacune que les programmes de transferts conditionnels de revenus (PTCR) ont été créés au Brésil. Ce processus a suivi une tendance régionale qui a été façonnée dans chaque pays par des facteurs conjoncturels spécifiques.

C’est dans ce cadre que le PBF a été créé au Brésil en 2003. Ce programme est actuellement le plus grand PTCR au monde en nombre de personnes assistées: il cible environ 13 millions de familles,3 soit 50 millions de personnes (c’est-à-dire un quart de la population du pays). Le programme a comme critère d’éligibilité le revenu mensuel, ciblant les foyers vivant en dessous du seuil de pauvreté.

Malgré son succès, ce programme repose toujours sur une base légale fragile qui peut facilement être démantelée par le gouvernement fédéral. Effectivement, en octobre 2021, avant la publication de cet article, le président Bolsonaro a annoncé sa fin et le remplacement par un programme similaire, mais dont les détails ne sont pas connus. Cette fragilité participait toujours à un sentiment d’insécurité chez les bénéficiaires concernant la continuité et la stabilité du versement des allocations (Eiró 2019; Morton 2014), en raison de sa structure bureaucratique et institutionnelle, ainsi que de son utilisation potentielle à des fins électorales (Eiró et Koster 2019).

Ce sont les femmes qui perçoivent la prestation. Il s’agit d’un choix délibéré, qui repose sur l’idée que les femmes priorisent davantage que les hommes l’utilisation des ressources financières du ménage en faveur des enfants. Ce choix vise également à favoriser la prise d’autonomie des femmes au sein de la famille. Pour percevoir les allocations, les familles inscrites doivent répondre à certaines conditionnalités: examens médicaux réguliers et la scolarisation des enfants. Plusieurs études se sont concentrées sur les aspects réglementaires du PBF qui soumettraient les femmes à une pression disproportionnée. Ils ont constaté, par exemple, qu’elles expérimentent une “coercition” comportementale en tant que mères (Molyneux 2006), et une surcharge de travail non rémunéré (Georges et Santos 2016; Cookson 2018).

Même s’il s’agit d’un programme porté par l’Etat fédéral, le PBF est géré en collaboration avec les municipalités, qui mettent à disposition leurs bureaux et leur personnel pour la gestion locale du programme. L’autodéclaration est un trait constitutif du programme, ce qui veut dire que les agents locaux du PBF ne sont pas censés mettre en doute les données de revenu déclarées par les bénéficiaires. Le nombre de bénéficiaires acceptés par la municipalité est défini à travers l’estimation de quotas municipaux, construits en fonction du nombre estimé de personnes en situation de pauvreté - mais le calcul ne peut pas appréhender la complexité et la fluctuation des revenus des familles. Faute de places disponibles, des familles restent donc sur liste d’attente jusqu’à l’actualisation des quotas municipaux, à moins que des places ne soient libérées.

Dans les directrices du programme, la tâche prioritaire des assistantes sociales est la visite aux foyers: ou bien des visites de contrôle aléatoire pour mettre à jour le dossier, ou bien des visites pour corriger des problèmes signalés par l’administration centrale du programme. Par ailleurs, les agents locaux du PBF ont le pouvoir de bloquer l’allocation de la famille, s’ils estiment que la famille n’est pas admissible au programme ; la décision est alors notifiée à la famille, sans lui en donner la raison.

Travail social et régulation de la pauvreté

Pour mieux comprendre la mise en œuvre du PBF, nous allons maintenant nous intéresser au travail concret des assistantes sociales. Plusieurs études dans la tradition goffmanienne ont examiné le contrôle moral exercé par les travailleurs sociaux sur la population assistée par des politiques sociales (voir Donzelot 1977). Au Brésil, une grande partie des études sur le PBF soutient - contrairement à ce que cet article soutiendra - que les règles objectives du programme ne laissent pas de place pour des pratiques de contrôle sur les femmes assistées. De plus, ces études soulignent le potentiel d’expansion citoyenne du programme, qui serait plus grand que tout aspect négatif qu’il pourrait avoir par ailleurs (voir Hunter et Sugiyama 2014). Le principal argument contre les études qui soulignent les effets positifs sur l’autonomisation des femmes est qu’à long terme, au-delà de la stigmatisation disproportionnée des femmes, le ciblage des PTCR ne leur permettrait pas d’accéder à des services de la même qualité que le reste de la population (Nagels 2018).

Même si cet article n’est pas intéressé explicitement à la question du genre, elle en traverse: ce sont effectivement les femmes qui sont concernées par les tensions ici décrites, et toute évaluation de mérite que les bénéficiaires du PBF souffriront sera définie par les normes de genre qui vont surcharger les femmes (Piccoli 2014). Il en va de même pour la race, vu que les travailleurs sociaux étaient pour la plupart blancs, alors que les bénéficiaires étaient principalement noirs ou métis. La distance sociale qu’existe entre ces classes, et le difficile rapport entre elles, est encore renforcée par des préjugés raciaux qui ne peuvent pas être ignorés. En conséquence, les femmes noires bénéficiaires seront avant tout soumises à des préjugés de classe et d’origine, et ressentiront plus fortement la stigmatisation envers les pauvres. Le fait que cet article se concentre sur les relations de classe ne doit pas être interprété comme si race et genre ne font pas partie de l’analyse. Au contraire, en prenant les relations entre bénéficiaires et assistantes sociales et notamment comme les individus mobilisent davantage ces catégories au lieu d’autres, l’article propose un angle d’approche pour l’étude des inégalités sociales de la société brésilienne, dont les inégalités de genre et race y sont centrales.

Devenir assistante sociale à Angico

Nous allons maintenant nous intéresser plus spécifiquement à l’origine sociale des assistantes sociales. Etant la ville la plus importante de sa région, Angico est la principale destination pour les jeunes de la région souhaitant accéder à l’enseignement supérieur. Le diplôme de premier cycle en service social peut se préparer dans l’un des divers établissements d’enseignement supérieur privés de la ville. En règle générale, les établissements publics d’enseignement supérieur au Brésil sont les plus réputés et sont gratuits; les établissements privés, payants et moins réputés, sont devenus une option très populaire chez les jeunes de classes moins élevés grâce à un programme fédéral de financement public, par lequel les étudiants peuvent rembourser l’Etat dans des conditions favorables. À Angico, cette carrière attire surtout les jeunes femmes des classes moyennes: originaires de familles ayant un capital culturel (Bourdieu 1986) limité, mais qui sont devenues propriétaires de leurs maisons et peuvent payer des études privées des enfants grâce au travail rémunéré ou comme de petits entrepreneurs autonomes. Il ne s’agit pourtant pas des allocataires de l’assistance sociale, et elles n’habitent pas des quartiers défavorisés. Elles sont majoritairement des blanches ou des métisses, que rarement des noires.4 Les jeunes assistantes sociales que j’ai rencontré cherchent encore une ascension sociale par l’emploi public dans les bureaux municipaux d’assistance sociale. Les mairies sont presque la seule source d’emploi pour les assistantes sociales, mais y être embauché implique d’accepter une situation de travail qui est loin d’être idéale. Dans le Secrétariat d’assistance sociale d’Angico en 2015, seules cinq assistantes sociales sur environ 80 avaient un contrat permanent obtenu suite à un concours public, occupant différentes positions. Pour les autres, les contrats sont très précaires.

Cependant, ce large groupe d’assistantes sociales n’est pas homogène en termes d’origines sociales, et un contrat précaire ne veut pas toujours dire une situation de vie précaire. Les contrats temporaires de travail permettent aux maires d’employer facilement des personnes directement liées à eux et à leurs réseaux, et d’étendre ces réseaux (Eiró 2017). Cela est encore plus important pour l’accès aux postes à responsabilité élevée. À Angico, les postes de coordination de bureaux ou de responsables de projets étaient occupés par des personnes ayant généralement des liens familiaux ou d’amitié avec des élus ou des hommes d’affaires liés à la vie politique; en conséquence, par des femmes issues de classes supérieures. Les classes supérieures d’une ville comme Angico ne sont pas parmi les plus riches du pays, s’agissant surtout des familles liées à la politique locale et propriétaires des établissements commerciaux d’importance régionale. Des individus qui ont fait sa fortune à travers une profession libérale (comme des avocats ou médecins) font très souvent la transition à la vie politique. Même avec cette distance matérielle importante, les élites locales s’identifient idéologiquement et esthétiquement aux élites des grandes capitales (même si l’inverse est inimaginable).

Cette configuration fait que les pratiques et l’identité des assistantes sociales soient fortement liées aux élites locales, vu que c’est à travers le capital social (des liens à la vie politique) que les individus peuvent continuer et progresser dans leur carrière. C’est dans ce contexte qu’on puisse parler d’un habitus non de cette catégorie professionnelle, mais partagé par différents acteurs d’un champ formé par la superposition entre administration publique et politique locale. Le concept d’habitus, tel que défini par Bourdieu (1979), est un système de dispositions acquises et intégrées, largement partagées à travers une classe, une catégorie ou un groupe, qui tend à reproduire les conditionnements de leur origine. Il est générateur et principe unificateur des pratiques, et il unifie un groupe d’individus partageant des conditions homogènes d’existence, à travers des pratiques similaires.

Dans le cas des assistantes sociales à Angico, il est attendu des employés qui ne sont pas issus des classes hautes qu’ils se mettent en conformité avec les codes qu’ils véhiculent, ce qui est généralement en accord avec leurs aspirations d’ascension sociale. En effet, dans les bureaux d’assistance sociale d’Angico, la ligne de démarcation la plus forte entre les individus est le fait d’avoir reçu ou non une éducation universitaire. Cette démarcation oppose ceux détenant des postes de coordination au personnel administratif. Les assistantes sociales, indépendamment de leur origine sociale, font partie du groupe le plus élevé, et doivent ainsi se différencier du personnel administratif.

Cela se traduit tout d’abord dans l’apparence vestimentaire des assistantes sociales. En effet, quelle que soit leur origine sociale, intégrer ce groupe exige de se conformer à certains codes esthétiques. Elles portent des chaussures à talons, des vêtements neufs; le maquillage est soigné et les cheveux coiffés; elles se parent d’accessoires, de grandes boucles d’oreilles et de bracelets dorés; elles ont des iphones et des sacs de marques. Les assistantes sociales, comme tous les fonctionnaires, peuvent utiliser des t-shirts fournis par le Secrétariat municipal d’assistance sociale, avec les logos institutionnels. Mais si ce vêtement est obligatoire pour le personnel administratif, ce n’est pas le cas pour les assistantes sociales et ceux détenant des postes de coordination qui s’habillent librement. Les vêtements représentent pour eux une opportunité d’exposition des signes distinctifs de leur classe sociale plus élevée. Le concept d’habitus de Bourdieu l’explique comme le produit des mécanismes qui guident les individus les mieux adaptés à ces positions, prenant la forme d’une “vocation comme adhésion anticipée” (1979: 123). Cette adaptation ou prédisposition se manifeste au niveau de l’apparence et du comportement, qui doivent correspondre à ceux des classes supérieures. Ainsi, la formulation de l’habitus du groupe reçoit l’influence directe de l’habitus d’une classe plus élevée, dans un processus de sélection ou d’exclusion des personnes et des comportements sans aucun caractère formel.

Pour comprendre les implications de cette structure sociale, considérons maintenant comment les élites brésiliennes perçoivent la pauvreté: le problème de la pauvreté est reconnu de façon beaucoup plus importante que les actions pour le combattre ne sont soutenues (Reis 2000), indiquant une forte naturalisation de la pauvreté et du racisme (Paugam et al. 2017). Je reconnais les limites des enquêtes disponibles, et qu’il est probable que les classes moyennes de l’intérieur du Nordeste, et en particulier les assistantes sociales qui travaillent dans le PBF, n’aient pas la même vision de la pauvreté que les élites du sud du pays. Cependant, comprendre ces registres argumentatifs caractéristiques des classes supérieures (Verdès-Leroux 1978) nous aide à penser les frontières symboliques construites entre les assistantes sociales et les bénéficiaires du programme, et leur potentiel effet sur la mise en œuvre de celui-ci. Cette approche se justifie par notre effort à comprendre l’apparente contradiction entre l’affinité que les assistantes sociales démontraient avec les objectifs centraux du PBF et leur constante utilisation des discours stéréotypiques et pratiques de distinction face aux bénéficiaires.

En effet, en même temps que ces individus sont très éloignés des classes hautes auxquelles ils aspirent à appartenir, leur position est également séparée par un abîme où se trouvent les bénéficiaires du PBF. Si, d’une part, atteindre les classes hautes ne se produit que rarement, d’autre part, le risque qu’ils tombent socialement au point de devenir bénéficiaires du PBF est encore moins probable. Au-delà le capital économique auquel les individus ont accès, la distance symbolique entre ces deux groupes, assistantes sociales et assistés, est basé sur la position marginale à la société occupée par le deuxième. En reprenant le terme stigmatisant “ralé”, la racaille, Souza (2012) décrit comment les classes les plus basses au Brésil s’insèrent dans la société brésilienne comme “inutiles et inadaptés” devant les normes dominantes et les institutions qui se voient comme modernes. Une classe dont son aspect fondamental est sa dépossession de capital économique et culturel (Souza 2011). Cette distance symbolique est ce qui permet aux assistantes sociales une identification plutôt automatique, ou au moins automatisée, aux classes supérieures auxquelles elles se sentent plus proches.

La contestation par les assistantes sociales de leur rôle dans le programme

Prenant la place centrale du premier gouvernement de gauche depuis la re-démocratisation (1985), le PBF représentait une rupture avec la politique clientéliste associée aux services d’assistance sociale, et pour cela il a été créé avec l’objectif de minimiser le pouvoir discrétionnaire des agents locaux dans la détermination de la nature et du montant des bénéfices fournis. Ainsi, il aurait pour ambition, au moins au niveau symbolique, d’être une “intervention sociale bureaucratique”, où les agents ne feraient qu’appliquer des règles et des normes pour identifier ceux qui ont le droit à l’assistance, au lieu d’une “intervention individualiste”, où les agents auraient le pouvoir discrétionnaire d’évaluer les cas individuels et d’établir les besoins et les interventions nécessaires (Paugam 2002). Cette ambition a été traduite en quelques mécanismes de gestion, notamment le fait que, même si les municipalités continuent à assumer la gestion locale du programme, l’allocation est déterminée par un indicateur unique (revenu familial) et versée directement aux familles. Le principal rôle des municipalités est donc de garantir la qualité de la base de données sur les bénéficiaires même si la marge de manœuvre des agents est limitée a priori par le caractère autodéclaratoire des informations de base lors de l’inscription au programme. Ainsi, les assistantes sociales ont leur travail officiellement limité à des procédures bureaucratiques, qui sont centrées sur la gestion d’un système numérique de dossiers familiaux. De plus, le cadrage de leur travail se fait au travers des formations obligatoires dispensées aux employés dans la capitale de l’Etat, et via les guides du PBF, disponibles dans tous les bureaux municipaux.

Cependant, les assistantes sociales revendiquent collectivement un rôle qui va au-delà de leurs attributions bureaucratiques, et pour cela elles s’appuient sur leur formation professionnelle. Elles revendiquent un travail complexe ne pouvant être réduit à de simples procédures préétablies, et donc ne pouvant pas être exercé par un employé sans qualification. Il s’agit donc d’un rejet du rôle de bureaucrate qui leur est attribué par le programme.

“Nous ne sommes pas des bureaucrates, il n’y a pas de sens à employer des assistantes sociales pour faire ce travail si l’on n’attend pas [de nous] une évaluation sérieuse des besoins de ces personnes. Un technicien ne pourrait pas faire notre travail, ils n’ont pas la même sensibilité que nous.” [Ana, 25 ans, assistante sociale PBF]

L’intervention bureaucratique envisagée, avec une application rigoureuse des règles par les agents pour identifier ceux qui ont droit à l’assistance (Paugam 2002) est contestée systématiquement par les assistantes sociales, car cela les priverait de ce qui leur paraît essentiel dans leur métier: la sensibilité pour évaluer les besoins au cas par cas et pour déterminer les interventions nécessaires.

“Moi, j’adore le PBF, je trouve que c’est une révolution, vraiment. La seule chose que je changerais serait de mettre en place un meilleur suivi des familles [bénéficiaires]. Si on les voyait tout le temps, on pourrait vraiment évaluer leur situation, parce que tu le sais que ça change tout le temps… parfois ils ont besoin de plus et parfois, moins. Et tu vois, ça dépasse le revenu, parce qu’il y a des gens qui n’ont pas beaucoup, mais qui peuvent compter sur des proches, qui ont déjà une petite maison, etc. Après il y en a d’autres qui n’accèdent même pas au programme, et qui ont pourtant trop de dépenses, parce qu’il faut payer le loyer, le transport, parfois aider des proches qui n’habitent pas avec eux… tout ça, on ne le voit pas dans le revenu. C’est pour ça qu’on [les assistantes sociales] ne peut pas rester qu’avec ça [le revenu], il faut regarder plus attentivement. Et après on a nos moyens pour insérer cette évaluation dans l’allocation, mais ce n’est pas facile.” [Joana, 26 ans, assistante sociale PBF/CRAS]

La façon dont Joana voit le PBF est en accord avec l’opinion majoritaire au Brésil, soutenant le programme - en l’appelant une “révolution” - et en même temps en reproduisant des stéréotypes stigmatisant sur les pauvres, comme ce que les femmes pauvres font plus d’enfants pour recevoir une allocation du PBF plus importante, ou qu’il faut obliger les bénéficiaires à travailler (IE-UFRJ 2012). Ici nous pouvons constater la contradiction qui structurent les relations entre assistantes sociales et bénéficiaires: si sa reconnaissance en tant que droit social n’est pas objet de débats, à qui il doit être versé est contesté. Si cette contradiction est renforcée dans leurs interactions, elle a ses origines dans la fragilité du statut juridique du PBF et l’existence de procédures bureaucratiques ambiguës concernant le rôle des agents locaux, comme le pouvoir de bloquer l’allocation, mentionné auparavant, s’ils estiment que la famille n’est pas admissible au programme.

Si le travail des assistantes sociales favorise déjà une posture intrusive et moralisatrice dans la vie privée des familles bénéficiaires - notamment en ce qui concerne l’investigation de leurs revenus (Hespanha 2012) -, on peut s’attendre à une aggravation de ce comportement si les assistantes sociales essaient d’étendre leur pouvoir discrétionnaire. À titre d’exemple, dans l’étude de Pinto (2013) sur le PBF, des bénéficiaires se plaignaient d’être obligées de donner des explications constantes sur des absences éventuelles de leurs enfants à l’école, ou de devoir montrer leurs armoires d’aliments et d’être réprimées si les assistantes sociales y trouvaient des aliments qu’elles pensent n’être pas bons pour la santé des enfants (comme des biscuits sucrés). Ce contrôle de la consommation des classes défavorisées a été l’objet de diverses études montrant comment le travail social devient un outil d’imposition d’une hiérarchie morale des dépenses des familles pauvres (Eiró 2017; Perrin-Heredia 2013).

Comme je l’ai montré ailleurs (Eiró 2019), dans le cas des assistantes sociales du PBF, ce conflit se résout de la manière suivante: en vue d’aider les personnes dans le besoin, et étant donné qu’elles voient des familles en situation d’urgence qui ne reçoivent pas l’allocation, les assistantes sociales utilisent leur pouvoir discrétionnaire pour “faire de la place” dans le programme. En même temps, en vue d’aider les femmes méritantes, “les bonnes mères” et les “femmes travailleuses”, ce même pouvoir discrétionnaire est utilisé pour augmenter leurs chances de recevoir l’allocation, ou augmenter la valeur des prestations. En ne fournissant pas une couverture universelle des familles pauvres et en créant des mécanismes de contrôle familial, le PBF finit par piéger les assistantes sociales dans leur motivation pour bien faire leur travail en les incitant à favoriser certaines familles au détriment d’autres jugées moins méritantes.

Les relations entre assistantes sociales et bénéficiaires dans le PBF

Dans cette section nous allons nous concentrer sur les frontières symboliques et matérielles qui structurent les classifications sociales mises en œuvre dans les interactions entre les assistantes sociales et les bénéficiaires du PBF.

Frontières symboliques et distinction de classe

La relation entre les assistantes sociales et les bénéficiaires du PBF est marquée par des frontières symboliques de classe. Si ces frontières symboliques servent comme système de classification définissant une hiérarchie entre groupes (Small, Harding et Lamont 2010), voyons donc comment cela se traduit au sein du PBF. Si des signes de distinction sont prévisibles au regard des fortes différences sociales et économiques entre ces groupes, la manifestation de ces signes peut aussi être comprise comme une logique de distinction en partie intentionnelle (Bourdieu 1980: 117). Nous n’avons constaté aucun effort de leur part pour minimiser ces signes distinctifs, excepté lors de visites dans certains quartiers pauvres où l’exhibition de tels signes de richesse pouvait les mettre en danger. Au contraire, les assistantes sociales ont parfois tendance à manifester ouvertement leur position sociale supérieure, en discutant par exemple entre elles de leurs récents achats ou de leurs voyages à la capitale, en présence de bénéficiaires qui attendent dans la salle pour un rendez-vous.

Lors des rendez-vous au bureau du PBF on note les différences vestimentaires fortes entre les assistantes sociales et les bénéficiaires, qui n’ont aucun des attributs ostentatoires de richesse que l’on vient de décrire. Lors des visites des assistantes sociales dans les foyers (visites qui ne sont jamais annoncées au préalable aux familles), les bénéficiaires sont dans leur sphère domestique, et portent toujours des tongs et des vêtements très simples.

Au cours de l’entretien, l’asymétrie de pouvoir est très claire dans le ton et les formules adoptés. Les bénéficiaires prennent une posture passive, et adoptent un ton doux pour répondre aux questions posées et faire le récit des problèmes rencontrés. Dans les rares moments où les bénéficiaires expriment leur indignation par rapport à un problème rencontré avec le PBF, les assistantes sociales répondent par l’incompréhension: “Madame, ce que vous me racontez n’est pas possible, vous vous êtes trompée”, dit une des assistantes sociales à une bénéficiaire qui décrit les fluctuations constantes dans la valeur de son allocation. Si les bénéficiaires s’expriment avec plus d’intensité, les assistantes sociales leur demandent de se contrôler, en mettant en avant leur pouvoir bureaucratique: “Dans ces conditions ça je ne peux rien faire pour vous, je suis ici pour faire mon travail et vous devez me respecter”.

Pour une assistante sociale, être une employée de l’administration publique et participer à un programme fédéral est un signe de distinction. Dans le processus de formation du groupe des assistantes sociales, classe et catégorie professionnelle contribuent à la formation d’un habitus que doit être interprété par la position occupée par ces individus dans le champ de l’administration publique et la vie politique d’Angico. Cela veut dire que les pratiques et les valeurs dominantes du groupe sont contrôlées par des intérêts économiques et politiques (de classe), et non par un éthos professionnel. Cette confusion entre intérêts politiques et pratiques professionnelles fait que l’identification des individus au groupe passe par une aspiration en termes de style de vie. Parallèlement, la configuration raciale du groupe - majoritairement blanc avec quelques individus métis qui occupent des positions hiérarchiques baises correspondant à leurs origines de classe - renforce la capacité de cultiver un habitus qui renforce la distance sociale par rapport aux classes populaires, avec une majorité noire.5

Une partie importante de cet habitus ce sont des mécanismes de naturalisation des constructions sociales, tels que les représentations de la pauvreté, qui définissent aussi les rapports entre assistantes sociales et bénéficiaires, y compris les pratiques de différenciation mise en place par les premières. En conséquence, la reproduction de pratiques punitives de la pauvreté parmi les assistantes sociales doit être comprise avant tout comme conséquence d’une domination politique.

Au cours de l’enquête, les assistantes sociales n’ont jamais fait de réflexions sur les catégories de genre, de race ou de classe comme explicatives de leur rapport avec les bénéficiaires. Leur position de classe n’était simplement pas un objet de conversation. Cependant, ce qui était constamment évoqué par les assistantes sociales était l’expertise acquise qui leur permettait de “comprendre” et de juger les situations qu’elles considéraient “extrêmes”, “difficiles”, “vulnérables”.

Comme j’ai démontré ailleurs (Eiró 2019), les assistantes sociales se trouvent dans un “piège de compassion” (Serre 2017) matérialisé dans des décisions arbitraires concernant la mise en œuvre du programme qui à la fois favorise ou défavorise les femmes bénéficiaires en fonction de leur relation avec les assistantes sociales. D’un côté, l’empathie et l’amitié des assistantes sociales sont réservées à un nombre restreint de bénéficiaires: celles “qui ont vraiment besoin”, “qui ont beaucoup souffert”, “qui essaient de se battre contre les aléas de la vie”. Cette empathie se traduisait constamment en actions que favorisaient telles bénéficiaires en augmentant la valeur de leurs allocations (Eiró 2019). Pour les autres, considérées comme insuffisamment “méritantes” ou même suspectées de triche, la posture coercitive de l’assistante sociale est très fréquente. De plus, celles qui ne font pas assez d’effort - aux yeux des assistantes sociales - pour “ne plus dépendre du PBF” tombent aussi dans cette catégorie. Si des normes sexistes peuvent façonner les jugements d’assistantes sociales - comme les idéaux des “bonnes mères” (Molyneux 2006) -, l’ambivalence de cette relation se manifeste aussi quand les assistés sont récompensées pour reproduire des comportements qui démontrent une “démarche d’autonomisation” (Serre 2017) dont les assistantes sociales se considèrent références par sa profession, ascension sociale, mais aussi en termes de relations affectives: plusieurs fois elles m’ont expliqué comment les bénéficiaires du PBF “ont la tendance” à rentrer dans des relations abusives. Les assistantes sociales jouent ainsi avec les procédures du programme pour y intégrer leurs jugements sur la situation des familles, contestant le rôle purement administratif qui leur est assigné dans le PBF.

Frontières spatiales et inégalités des positions

Tandis que les frontières symboliques sont un mécanisme de catégorisation sociale culturellement construite, la relation entre assistantes sociales et bénéficiaires est aussi marquée par des frontières spatiales: une configuration physique qui encadre ces rencontres. Cette configuration reflète l’asymétrie de la relation, et sert à la renforcer et à maintenir le pouvoir des assistantes sociales sur les bénéficiaires (Auyero 2012). La rencontre entre ces deux acteurs a lieu dans deux occasions: chez les bénéficiaires et au bureau du PBF. Dans les deux cas, toutes les conditions favorisent la passivité des bénéficiaires et le contrôle de l’interaction par les assistantes sociales.

Lors des visites aux foyers, les bénéficiaires ne sont jamais prévenues en avance de la venue de l’assistante. Les assistantes sociales arrivent généralement en voiture officielle (avec le logo du PBF) et avec un chauffeur qui entre parfois dans les maisons avec elles - cela est justifié par des raisons de sécurité, dans des quartiers pauvres avec un niveau élevé de violence. Dans les visites que j’ai observées, la bénéficiaire était souvent occupée à des tâches domestiques ou professionnelles, se réveillait d’une sieste, ou s’occupait de ses enfants. La visite était donc presque toujours une perturbation que la bénéficiaire n’avait pas la possibilité de refuser. Le PBF prévoit que les bénéficiaires soient disponibles pour une inspection à n’importe quel moment, comme en témoigne cet extrait d’une visite.

“[Ana (25 ans, assistante sociale du PBF) frappe à la porte, qui est partiellement ouverte, et appelle la bénéficiaire par son prénom]

Bénéficiaire: Oui, c’est moi.

Ana: Bonjour Madame, je m’appelle Ana, assistante sociale du PBF. [silence en attendant que la porte soit ouverte] Je dois vous poser quelques questions, OK?

Bénéficiaire: Mais c’est par rapport à quoi exactement?

Ana: Ne vous inquiétez pas, c’est des choses basiques, ça ne prend pas beaucoup de temps. On parle ici, ou peut-on rentrer? Lui [désignant l’enquêteur], c’est un stagiaire qui m’accompagne. Il peut rentrer aussi?”

Mises à part les visites à domicile, les rencontres entre les assistantes sociales et les bénéficiaires ont lieu dans le bureau du PBF. Ces rencontres peuvent être sollicitées par les bénéficiaires de façon spontanée, à l’accueil du bureau, ou, ce qui est plus courant, exigées par les assistantes sociales lors de leurs visites dans les foyers. Dans le premier cas, des agents d’accueil sont chargés d’éviter les rencontres inutiles avec les assistantes sociales - qui ont une lourde charge de travail - et demandent aux bénéficiaires les raisons détaillées de leur venue. La règle est d’essayer de résoudre les problèmes sans solliciter l’assistante sociale. En général la résolution du problème consiste à demander aux bénéficiaires de patienter jusqu’à ce que la situation se normalise d’elle-même, ou de leur expliquer que leur problème est effectivement déjà connu de l’administration et en cours de traitement. Dans le cas d’une demande de rendez-vous jugée recevable, les agents d’accueil doivent s’assurer que la bénéficiaire est en possession de tous les documents nécessaires. Si c’est le cas, les bénéficiaires prennent place dans la salle d’attente, prévue pour accueillir une quarantaine de personnes. C’est une salle équipée d’une télévision et d’une fontaine à eau. Le couloir qui donne accès aux autres salles est “fermé” par une chaine en plastique qui pend d’un mur à l’autre, et qui doit être décrochée puis raccrochée à chaque passage - soit plusieurs fois par minute. Les bénéficiaires ne doivent pas dépasser cette limite sans autorisation. Les salles à accès limité sont: la salle des inscriptions, celle des assistantes sociales et celle de la coordination.

La salle des assistantes sociales, également fermée, car climatisée, est une grande salle partagée entre les assistantes et les employés chargés de la numérisation les dossiers des bénéficiaires. L’espace est divisé par un mur bas, laissant aux assistantes sociales une grande table. D’un côté de la table se trouvent un ordinateur et trois chaises qui font face à la porte. Un agent d’accueil contrôle une à une les bénéficiaires qui entrent. La bénéficiaire accueillie s’assoit dos à la porte, faisant face aux assistantes sociales présentes. Pendant les rencontres, d’autres agents, des stagiaires ou d’autres invités peuvent entrer et s’asseoir pour discuter avec les assistantes sociales. Il est donc tout à fait impossible à la bénéficiaire d’espérer une rencontre privée avec une assistante sociale.

Que ce soit lors des rencontres au foyer ou au bureau, une autre pratique atteste l’asymétrie de la relation: le contrôle absolu du dossier familial. Dans toutes les périodes de l’enquête, aucune des bénéficiaires n’a jamais eu accès à son dossier. Le dossier est tenu par les assistantes sociales de façon à cacher ce qui est écrit ou ce qu’elles regardent. Parfois, les assistantes sociales pointent une donnée spécifique pour étayer leur propos, mais gardent toujours le dossier sous leur contrôle.

Les rapports de classe perçus par les bénéficiaires

Au-delà des rapports bureaucratiques, les relations entre assistantes sociales et bénéficiaires sont vues par les derniers à travers le prisme de rapports de classe. Les bénéficiaires identifient chez les assistantes sociales les mêmes comportements que ceux qu’elles constatent chez les personnes de classe plus élevée - comportements induits par des représentations partagées de la pauvreté dans ces classes. Je montrerai dans un premier temps comment elles réagissent aux critiques émises sur le PBF, puis de façon plus spécifique comment elles vivent leurs relations avec les assistantes sociales.

La manière dont les bénéficiaires perçoivent dans leur quotidien les représentations sur la pauvreté influe sur la construction de leur propre image. Elles sont nombreuses à déclarer avoir entendu des personnes dire que le PBF “rend les gens paresseux”, ou que parmi les bénéficiaires “il n’y a que des gens qui ne veulent pas travailler”, ou encore qu’il faudrait “que le PBF se termine pour voir qu’est-ce que tous ces gens [les bénéficiaires] vont faire”.

Or les bénéficiaires interviewées étaient unanimes à affirmer qu’elles ne pensaient pas que ces critiques soient fondées. Certaines ont affirmé qu’à chaque fois qu’elles entendaient ce genre de commentaires, elles prenaient la défense du programme et de ses bénéficiaires. Dans leurs discours, toutes réaffirment l’importance de l’allocation pour les familles en situation de pauvreté. Cependant, certaines ne se sentaient pas prêtes à en discuter avec les personnes à l’origine des critiques. La honte provoquée par la stigmatisation est l’une des raisons qui inhibent ici la manifestation de leur opinion. Les extraits suivants illustrent cela.

“- Quel est votre sentiment envers le PBF?

- Je suis fière du programme. C’est une reconnaissance des droits des pauvres, enfin, n’est-ce pas? Après, c’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui ne l’aiment pas… ils pensent que le PBF rend les gens paresseux.

- Avez-vous déjà entendu ça personnellement?

- Pas à moi directement, mais oui. Parfois dans des salles d’attente des hôpitaux, ou avec des patrons…

- Et comment réagissez-vous quand les gens disent ça?

- Je n’aime pas dire que je suis bénéficiaire. Je ne pense pas que cela est vrai, les gens ne vont pas arrêter de travailler, bien sûr. Mais j’ai honte de la façon dont les personnes vont me regarder, qu’ils vont penser ça de moi.” [38 ans, bénéficiaire du PBF depuis 2006]

Le travail domestique - occupation de plusieurs des bénéficiaires rencontrées - est un des lieux de rencontre privilégiés entre les pauvres et les personnes de classes supérieures, et c’est également un lieu où elles sont confrontées aux discours critiques sur le PBF. En effet, ces critiques sont souvent ancrées dans les rapports de classe.

“- Avez-vous déjà entendu des critiques envers le PBF?

- Les gens [pauvres] ont vraiment besoin [de l’allocation] pour survivre, et on entend que les bénéficiaires ne veulent pas travailler. C’est de l’ignorance cette pensée, je pense qu’ils ne connaissent pas notre réalité. On ne peut pas vraiment entretenir une famille uniquement avec l’argent du PBF, donc comment pourrait-on arrêter de travailler?

- De qui avez-vous entendu ce genre de critique?

- Des riches, toujours. Je l’ai déjà beaucoup entendu, des dentistes, enseignants, dans la mairie. J’entends des critiques des patrons aussi, mais ne suis-je pas justement là pour travailler? C’est absurde! Ils sont en colère parce que les pauvres s’habillent comme les riches maintenant, c’est ça.” [27 ans, bénéficiaire du PBF depuis 2010]

C’est peut-être pour contrer ces représentations négatives vis-à-vis des pauvres et du PBF que la quasi-totalité des interviewées sont favorables au maintien des conditionnalités pour permettre l’accès au programme. L’étude qualitative récente de Marins (2017) montre même que certains bénéficiaires pensaient que le gouvernement devrait mieux contrôler l’usage des ressources données aux assistés à travers le PBF. Cette posture peut faire partie des stratégies de résistance à la stigmatisation de l’aide sociale.

Passons maintenant aux conséquences des préjugés sur les pauvres dans leur relation avec l’administration du PBF et en particulier avec les assistantes sociales. Certaines familles entretiennent malgré les asymétries de bonnes relations avec les assistantes sociales, marquées par une certaine intimité, lorsque par exemple les assistantes sociales demandent des nouvelles des enfants, ou accompagnent une grossesse. Ces relations positives sont souvent le résultat de procédures administratives du PBF favorables aux bénéficiaires. Cependant, j’ai surtout observé des situations ou les relations entre familles et assistantes sociales étaient tendues. Certaines femmes se sont senties mal traitées par les assistantes sociales dans le bureau du PBF. D’autres “n’aiment pas les visites aux foyers” réalisées à l’improviste, ou ont fait référence au manque d’effort fait par les assistantes sociales pour comprendre leur situation. Les erreurs produites par des “préjugés” ou des “évaluations incorrectes” des assistantes sociales sont particulièrement nocives pour leur relation avec les bénéficiaires.

“Je n’ai jamais eu une bonne relation avec [les assistantes sociales]. Depuis la première fois, ça n’a été pas sympa. Une assistante sociale est venue pour voir si mon ex-mari habitait ici. Je lui ai dit que non, mais elle est rentrée chez moi et a regardé dans chaque coin, comme s’il était caché là! C’est ridicule… Je répétais qu’elle pouvait aller voir sa maison, qui n’était pas très loin, mais elle ne me répondait même pas. Elle pensait vraiment que je mentais, comme ça. Et c’est comme ça partout, elles ne nous croient jamais.” [23 ans, bénéficiaire du PBF depuis 2011]

Une bénéficiaire va au-delà et caractérise les assistantes sociales comme “agressives”, se sentant jugée durant leurs rencontres. Elle l’explique en disant que les assistantes sociales “viennent dans nos maisons et ne nous posent pas de questions, elles tirent leurs propres conclusions selon qu’elles aiment la personne ou pas”. Pour elle, les décisions bureaucratiques prises par les assistantes sociales dépendent de leur relation personnelle avec les bénéficiaires, ou du moins de leurs “impressions” qui ne prennent pas en compte une analyse complète de la situation. La bénéficiaire a déjà eu des problèmes avec son allocation et elle regrette d’avoir perdu deux mois d’allocation à cause d’une suspension finalement reconnue comme incorrecte après plusieurs visites au bureau du PBF.

En guise de conclusion, une autre bénéficiaire confirme le rôle de la différence de classe dans ces relations: “les assistantes sociales sont comme tous les autres: elles nous regardent d’en haut, comme si l’on n’était pas égales”. Le manque de respect des assistantes sociales est vu par les bénéficiaires non seulement comme une caractéristique spécifique de leur travail, mais aussi comme un signe de leur position de classe transposée dans leur activité professionnelle. Le “préjugé” et l’“injustice” expérimentés par les bénéficiaires dans leurs rapports avec les assistantes sociales sont la prolongation d’un sentiment plus large qui concerne toutes les interactions avec des personnes des classes plus hautes, dont le PBF et les activités afférentes sont un lieu de manifestation.

La distance sociale entre les groupes ne doit pas être confondue avec une homogénéité d’interactions entre individus. En effet, l’origine de l’ambiguïté expérimentée par les bénéficiaires est conséquence de la multiplicité de rapports sociaux avec de différentes assistantes sociales. Dans ce contexte, la proximité sociale (y compris l’identification raciale) des assistantes sociales aux bénéficiaires peut jouer dans l’empathie et conséquente générosité démontrée dans le choix de démarches administratives.

Conclusion

Cet article avait pour objectif d’établir les représentations réciproques des assistantes sociales et des bénéficiaires du programme Bolsa Família, ainsi que leurs visions respectives du programme et de son fonctionnement. Sans prétendre établir de relations déterministes, nous avons pu faire le lien entre les conditions sociales et d’emploi des assistantes sociales et leur rapport au PBF et à ses bénéficiaires. Les assistantes sociales participent à la reproduction des représentations dominantes de la pauvreté au Brésil, qui est plus intense chez les classes supérieures. Cela s’explique en partie par l’identification de ce groupe avec les classes supérieures locales. Cette relation ne veut pas dire que les assistantes sociales partagent l’habitus de telles classes, ou qu’elles s’identifient en tant que “classes dominantes”, mais plutôt qu’elles adoptent certaines caractéristiques comportementales et certaines représentations des classes supérieures, dans un désir d’ascension sociale.

Le rapport des assistantes sociales avec les bénéficiaires est donc aussi marqué par de fortes inégalités de position sociale. Cette inégalité de position est vue par les bénéficiaires comme l’expression de l’appartenance des assistantes sociales aux classes supérieures: les bénéficiaires considèrent que leurs rapports avec les assistantes sociales sont similaires à ceux qu’elles ont avec leurs patrons. Ceci génère des tensions entre ces deux groupes, tensions qui sont apparentes, et qui ont des implications multiples, comme l’usage abusif du pouvoir discrétionnaire des assistantes sociales.

Le fait que les assistantes sociales soient vues par les bénéficiaires comme proches des classes supérieures semble résulter directement de deux facteurs. D’abord de la fonction exercée par les assistantes sociales dans le cadre du PBF, où elles contrôlent les bénéficiaires bien au-delà des demandes explicites du programme, dans une contestation du rôle purement bureaucratique qui leur est formellement attribué, en accord avec l’ambiguïté existante dans la gestion du programme que revendique une intervention bureaucratique en même temps que permet des pratiques arbitraires par les agents locaux. Ici il est important de préciser que je ne prends pas position sur l’existence même du pouvoir discrétionnaire du travail des assistantes sociales. Cependant, l’asymétrie et le manque de mécanismes effectifs de accountability dont les bénéficiaires pourraient contester les décisions des assistantes sociales méritent mention.

Deuxièmement, même si à Angico plusieurs assistantes sociales sont originaires de classes moyennes, ce groupe reste dominé par des individus de classes hautes, puisque les postes les plus hauts sont réservés dans leur majorité à des personnes ayant des liens familiaux avec des élus. Pourtant les travailleurs sociaux forment au Brésil un groupe professionnel plutôt éloigné des classes supérieures, groupe qui est à l’origine de la reconnaissance des droits sociaux des plus pauvres. Sans autonomie professionnelle, l’action des assistantes sociales d’Angico est déterminée par une économie des capitaux économique, social et culturel du champ politique, et non professionnel.

Enfin, au-delà des représentations dominantes de la pauvreté qui influencent les rapports des assistantes sociales avec les bénéficiaires, il est important de souligner que la structure même du PBF contribue à créer une relation conflictuelle. En effet le programme met des femmes de milieux sociaux différents dans une relation bureaucratique hiérarchique. Dans ce contexte, les assistantes sociales se trouvent dans un piège créé par la configuration de travail à laquelle elles sont soumises et par la position sociale inhérente à leur catégorie professionnelle.

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1 Je tiens à remercier Serge Paugam, Marcel Bursztyn, Laurent Henry et Linda Haapajärvi pour leurs précieux commentaires sur les versions antérieures de cet article, ainsi que les éditeurs de ce dossier. L’enquête et la preparation de l’article a compté avec l’appui de European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (grant agreement No. 679614); Capes Foundation, Brazilian Education Ministry (99999.001728/2013-00); The Groningen Research Institute for the Study of Culture (ICOG), University of Groningen.

2Les CRAS sont également un programme fédéral, dont le principal objectif est de faciliter l’accès aux services offerts par le système unifié d’assistance sociale (SUAS).

3Dans l’assistance sociale brésilienne, la “famille” est “l’unité nucléaire, éventuellement élargie à d’autres personnes qui ont des liens de parenté ou d’affinité avec elle, en formant un groupe domestique, vivant sous le même toit et qui se maintien avec la contribution de ses membres” (loi fédérale n.° 10.836, le 9 janvier 2004). Dans cet article, “famille” et “ménage” seront utilisés indifféremment.

4Au Brésil, la catégorie “negro” à un sens large qui inclut “pardo” (métisses) et “preto” (litéralement, noir); la première est une catégorie raciale fluide, qui prend sens dans des contextes sociaux spécifiques, tant que les individus catégorisés comme “pretos” n’échappent pas au regard racialisé.

5Je dois remercier aux éditeurs de ce dossier qui m’ont poussé dans cette réflexion que je considère essentielle pour la compréhension des dynamiques ici analysées.

Received: July 12, 2020; Revised: November 30, 2021; Accepted: January 17, 2022

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