SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
vol.10 issueESPECIALEspacio público, desacuerdos y desigualdades: la expresión pública de los activistas en internetQuels médias pour se ré-approprier une voix? L'investissement d'internet par le mouvement dalit author indexsubject indexarticles search
Home Pagealphabetic serial listing  

Services on Demand

Journal

Article

Indicators

Related links

  • Have no similar articlesSimilars in SciELO

Share


Observatorio (OBS*)

On-line version ISSN 1646-5954

OBS* vol.10 no.Especial Lisboa June 2016

 

Violence expressive, e-participation et mouvements sociaux : le caractère identitaire des revendications politiques

 

Nathalie Paton*

* CADIS (UMR 8039, CNRS-EHESS) Progedo (UMS 3558, CNRS-EHESS), 190 Avenue de France, 75013 Paris - FRANCE(nathalie.paton@msh-paris.fr)

 

RÉSUMÉ

Alors que la violence expressive en tant qu’événement perturbateur est un outil des mouvements sociaux, l’évolution du paysage médiatique a renouvelé les modalités de cette forme d’action ainsi que les possibilités d’investigation de ses ressorts sociologiques. Cette évolution est ici saisie : l'article examine comment les médias participatifs co-déterminent les messages à caractère politique au travers des e-participations, puis il considère les ressorts sociologiques du développement de cette forme d’action grâce aux e-participations des acteurs. Le phénomène des school shootings sert d’étude de cas. La démonstration s'appuie sur le suivi ethnographique, réalisé sur une période de trois ans sur YouTube, des e-participations des auteurs des fusillades scolaires et de leurs fans. L'article démontre alors que le caractère individuant de ces usages médiatiques prévaut sur leurs dimensions politiques. La violence expressive, employée par certains acteurs contemporains au sein des mouvements sociaux, n’est pas tant employée pour promouvoir des idéaux ou des aspirations politiques mais plutôt en vue de glorifier l’individualité, parfois à titre posthume, et d’adresser un message de revanche identitaire à un ennemi imaginaire. Cet exercice doit est indissociable des dernières avancées technologiques.

Mots clés: mouvements sociaux, médias participatifs, violence expressive, individuation, e-participation, school shooting.

 

ABSTRACT

While expressive violence as a disruptive event is an instrument used in social movements, the changing media landscape has renewed the methods linked to this form of action and the investigation possibilities of its sociological origins. This double evolution is grasped here: the article observes how participatory media co-determine political messages when expressive violence serves as a vector for social movements and then considers the sociological roots from which this form of action stemmed and developed. The phenomenon of school shootings serves as a case study. A three-year ethnographic study of the e-participations published by authors of expressive violence and their public on YouTube serves to show how participatory media renew forms of adherence and social protest. It also unveils the reasons for this type of action. The author demonstrates how these media usages are exploited as a means of individuation, this use prevailing over their political dimensions. The expressive violence is actually used by some social movements not to promote ideals or political aspirations but rather to glorify individuality, sometimes posthumously, and to send a message of vengeance, demanding recognition as an individual from an imaginary enemy.

Keywords: social movements, participatory media, expressive violence, individuation, e-participation, school shooting.

 

Étudier le renouvèlement des stratégies de communication. La violence expressive, une stratégie médiatique des mouvements sociaux

L’une des modalités d’action à la disposition des mouvements sociaux pour mettre en visibilité leurs revendications est la violence. Dès les années 70, Lester et Molotch suggèrent de saisir cette forme d'action comme un moyen de provoquer un « événement perturbateur » susceptible de semer un désordre suffisant pour capter l'intérêt des entreprises de presse, et ainsi attirer l'attention du grand public sur des revendications politiques (1974). Les acteurs des mouvements sociaux, en accédant au cœur de la géographie de l’attention collective, sont alors en mesure de générer un débat public d’une intensité telle que l'agenda politique en est affecté. Sous ces auspices, la violence n'est alors qu'une modalité d'action parmi d'autres, favorisée au profit d'actes plus pacifiques comme un sit-in ou une manifestation de rue par exemple, relevant d'une stratégie visant à une transformation politique. En tant que telle, la violence est expressive (Wolton, Wieviorka 1994) : elle représente un moyen pour une fin.

Mais alors que la violence expressive est un événement perturbateur à la disposition des mouvements sociaux, son analyse s’effectue le plus souvent indépendamment de conceptualisations saisissant la violence en tant qu'objet d'analyse (McAdam et al. 2005). A l'instar de ce que montre l’exemple de l’étude du mouvement pour la reconnaissance des droits civiques aux États-Unis, l'approche principale consiste à mettre en miroir différents excès : les sit-in pacifiques et autres protestations civiques sont rapportés aux exactions policières d’une part et à la brutalité des branches les plus radicales du mouvement comme celles des Black Panthers d’autre part (della Porta 2008). En cela, la littérature tend à traiter de la violence à partir du phénomène étudié dans un espace situé (Demetriou 2013), la plaçant sous le signe de rapports sociaux asymétriques et conflictuels. Bien que la violence doive être entendue comme le produit des relations sociales, elle gagne à être saisie en tant que modalité d’action singulière. C'est ce que cet article entend faire. Il va s'intéresser aux modalités de la production de cette forme d'action, comprise comme une stratégie politique et médiatique.

S'intéresser spécifiquement aux ressorts de l'engagement dans la violence spectaculaire gagne en urgence à une époque où l’on assiste à une radicalisation progressive des positions, des opinions et des actes. Depuis près d’une décennie, l’Europe semble être le témoin privilégié d’une montée graduelle des extrêmes avec l’arrivée au pouvoir de plusieurs partis d’extrême droite (Wieviorka 2013), et le développement du soutien au djihad islamique en Syrie de personnes nées et ayant grandi en Europe (Khosrokhavar 2014). En arrière-plan de ce contexte, la violence expressive est actuellement utilisée comme une façon de prendre en otage la sphère publique et faire entendre des revendications à caractère politique, comme les récents exemples des mouvements djihadistes l’ont mis en avant en France au travers d’une série d’attentats en janvier et novembre 2015.

 

Médias participatifs, entre ressource démocratique et moyen d’investigation des chercheurs

Dans le cas des événements perturbateurs réalisés sur le modèle des attaques terroristes, les médias de masse sont une composante essentielle de la réussite de l'entreprise publicitaire ; ils sont en mesure d'apporter de la visibilité aux revendications défendues. La conscience des acteurs politiques de la fonction de gate keeper des médias fait d'ailleurs dire à Thornton et McRobbie que stratégie politique et stratégie médiatique sont dorénavant indissociables ; le politique serait médiatique (1995). Mais alors que la collusion entre politique et médiatique relève d’une tendance bien établie, l’évolution du paysage médiatique a renouvelé la marge de manœuvre dont les mouvements sociaux disposent pour publiciser leurs points de vue.

La convergence des usages des médias traditionnels aux médias participatifs  – c’est-à-dire les technologies de l’information et de la communication qui autorisent la création, la diffusion et la consommation de produits culturels – facilite la fabrication et la distribution de contenus autoproduits (Jenkins 2006 ; Livingstone 2013). Les acteurs sociaux peuvent en outre mettre en scène leurs revendications sans avoir à passer par l’intermédiaire des institutions, comme les entreprises de presse, voire publiciser leurs points de vue hors de leur contrôle. L’exemple emblématique des mouvements terroristes dit islamiques édifie comment des événements perturbateurs peuvent servir à propulser à la Une des paquets multimédias comprenant des vidéos autoproduites, parfois un manifeste ou des photographies, sous-tendus par un message à caractère politique. Ces messages à destination du grand public sont parfois directement déposés sur Internet, et ainsi accessibles par tous, en libre circulation. Outre cet exemple particulier, que ce soit les soulèvements arabes, le mouvement des Indignés en Espagne ou le mouvement Occupy Wall Street aux Etats-Unis, tous associent des événements perturbateurs à l'usage des réseaux de communication sans fil, connectés à Internet, pour faire valoir leurs causes (Castells 2012). Il est devenu commun de recourir aux médias participatifs pour décupler l'impact des événements perturbateurs, alors même que ces faits divers sont soutenus par les médias de masse. Nous entendons examiner cette transformation du paysage médiatique pour déterminer comment les médias participatifs, qu’il s’agisse d’Internet, des Smartphones ou des ordinateurs portables, co-déterminent les messages à caractère politique dès lors que la violence expressive sert de porte-parole aux acteurs sociaux.

Ce premier changement empirique entraine avec lui un second, de taille pour le scientifique : par l'intermédiaire du web 2.0, les chercheurs ont maintenant accès à des contenus autoproduits par les acteurs. Ces données du web ne sont pas la réponse aux questions d'un investigateur ou le pur produit de protocoles de recherche. Le chercheur peut observer les participations des différents publics, sans interférer dans le déroulement des échanges, et enregistrer leurs activités afin de garder les traces des communications numériques. Il peut examiner les discours des acteurs, voire identifier leurs justifications à l'action. En laissant de côté les médias comme objet pour s’en saisir comme méthode, cet article identifiera dans un second temps les raisons pour lesquelles la violence expressive est une forme d’action actuellement empruntée par les mouvements sociaux.

Dans cet article, il va donc s'agir de profiter de ces évolutions pour saisir la violence expressive à ces deux niveaux complémentaires en interrogeant les ressorts communicationnels et sociologiques de cette modalité d'action particulière. En premier lieu, nous regarderons comment les dispositifs de communication connectés à Internet transforment-ils les manières dont les acteurs sociaux font part de leurs revendications ? Quelles sont les ressources à leur disposition pour partager leurs idéologies ? En quoi les outils numériques offrent-ils de nouvelles opportunités pour faire converger une même volonté politique ? Puis, nous complèterons notre démarche en prenant en compte les contenus fabriqués via les médias participatifs. En prêtant attention au matériel que les acteurs des mouvements sociaux autoproduisent via leurs e-participations – i.e. leurs participations médiatiques, liées aux conversations en ligne, profils d’utilisateurs, vidéo – nous discernerons ce que les leaders d’opinions au sein de mouvements sociaux comme leurs supporters cherchent à faire entendre. En second lieu, il s'agira donc de comprendre les ressorts sociologiques du recours à la violence expressive, d'après les principaux intéressés.

 

Luttes symboliques et rapports de pouvoir : pour une articulation entre mouvement social et subculture

En vue d’étudier les ressorts communicationnels de l’utilisation des médias participatifs en relation aux événements perturbateurs auxquels les mouvements sociaux ont parfois recours pour publiciser leurs revendications politiques, puis de mettre en compréhension les ressorts sociologiques de la violence expressive, le phénomène des school shootings va servir d’étude de cas.

Les school shootings, telles que la tuerie du lycée de Columbine de 1999, celle du lycée de Jokela en Finlande en 2007 et celle d’une école primaire de Rio de Janeiro en 2011, renvoient à une forme de violence expressive rare mais spectaculaire. Ces fusillades sont spectaculaires dans la mesure où elles fomentent des événements médiatiques disruptifs globaux. Leur médiatisation transmédia articule diffusion par les journalistes des entreprises de presse et les utilisateurs des TIC. Elles sont également spectaculaires au regard de la forme de violence : un élève, après avoir prémédité son projet de fusillade, se rend à son école en vue d’assassiner des personnes à l’aide d’armes à feu, prenant de surcroît ses cibles au hasard. Par ce biais, le jeune meurtrier se garantit une publicité à grande échelle.

Tant les actions radicales de groupuscules terroristes dits islamiques ont pu être théorisées dans l’univers des mouvements sociaux (della Porta 2008), tant les fusillades scolaires sont plus « exotiques » dans ce paysage théorique. Pourtant, les deux phénomènes comportent plusieurs similarités au niveau des procédés communicationnels lors du passage à l’acte : un style reconnaissable et un même mode opératoire lié à la création et la diffusion de messages par les médias participatifs. Tous deux sont par ailleurs alimentés par de vastes réseaux socionumériques. Loin de la visibilité et de l'impact médiatique de la violence spectaculaire des fusillades scolaires, des groupuscules en ligne, suspectés d'abriter de futurs tueurs, usent d'Internet pour défendre leurs opinions et porter les fusillades au rang d'action politique. Leurs perceptions du phénomène des tueries dans les écoles, leurs consommations culturelles, leurs imaginaires de violence et leurs prises de position idéologiques les placent dans une position marginale. Ils revêtent les caractéristiques typiques d'une "subculture juvénile" (Hebdige 1979) par l’adoption d’une posture alternative, transgressive, signe d’une résistance aux points de vue des institutions et des mouvements sociaux hégémoniques. Ces réseaux socionumériques d’admirateurs ont effectivement formé une (sub)culture aux références communes, orientées vers le même intérêt pour les tueurs et/ou à leurs actes meurtriers. Or, à considérer que l'on se retrouve face à des attributs similaires entre djihadisme et fusillades scolaires, il est pertinent d'utiliser les fusillades scolaires comme étude de cas pour mieux comprendre les événements perturbateurs qui versent dans la violence.

Pour étudier les ressorts communicationnels et sociologiques de la violence expressive, nous proposons donc nous intéresser à une approche peu exploitée pour conceptualiser les mouvements sociaux. Cela consiste à rapprocher les mouvements sociaux des subcultures juvéniles. Bien que marginale, la mise en miroir des mouvements sociaux et des subcultures a été tentée à plusieurs reprises avant de devenir l’objet d’élaborations plus soutenues ces dernières années (Martin 2002). On doit à Pfautz les premières amorces de rapprochement entre ces deux espaces conceptuels lorsque ce dernier portraie les gangs à l’aune des mouvements sociaux et des théories des comportements collectifs (1961). Les théories qui se réclamant des "nouveaux mouvements sociaux" font un pas de plus en intégrant aux analyses des mouvements sociaux des qualités classiques des approches des subcultures ; les chercheurs prêtent en effet davantage attention aux conflits symboliques, à l’identité collective et les dimensions politiques de la culture (Melucci 1985 ; Johnston, Klandermans 1995). Ces mêmes théoriciens réactualisent des interrogations portées initialement par les pionniers des Centre for Contemporary Cultural Studies concernant l’efficience du pouvoir symbolique de la résistance et de l’insubordination (Hall et al. 1976), creusant davantage la brèche épistémique entre ces deux familles de travaux. Mais alors que les mouvances subculturelles résolvent magiquement les contradictions de leurs aînés au travers de la transgression (Clarke 1976) en s’y soustrayant, ces mouvances oppositionnelles ne résolvent pourtant rien des problèmes matériels qu’ils entendent dénoncer. Les subcultures sont en effet incapables de pénétrer les arènes de débat public et modifier la politique en faveur de qu’elles dénoncent. Or, ces impossibilités marquent la « limite tragique » de ces groupuscules pour Willis (1978 : 175). Suivant des échelles distinctes, subculture et mouvement sociaux constituent donc des façons différenciés de désigner des collectifs où le pouvoir de la culture est interrogé. La culture, entendue au sens anthropologique du terme, est ici comprise en tant qu’objet du quotidien (Hoggart 1957 ; Williams 1958 ; De Certeau 1980), objet d’auto-détermination et d’expression de soi (Fiske, 1989), comme le site de luttes symboliques et de rapports de pouvoir hégémoniques et contre-hégémoniques (Fraser 2005 ; Macé 2006).

Naturellement les subcultures revêtent les habits de la marginalité, faisant d’eux des mouvements sociaux contre-hégémoniques, et sont limitées à des conflits intergénérationnels. Greg Martin fait remarquer à juste titre que les concepts de mouvements sociaux et de subcultures juvéniles participent d’une même logique en s’appuyant sur l’opposition et à la soustraction à des logiques dominantes pour venir proposer d’autres modalités du vivre ensemble (2013). En rapprochant subculture et mouvement social, nous souhaitons donc prolonger le constat de Martin. Nous faisons le pari que les subcultures juvéniles sont un objet en mesure d'apporter une meilleure compréhension aux ressources symboliques et matérielles disponibles pour l’engagement dans la violence expressive au sein des mouvements sociaux.

 

Une ethnographie en ligne des fusillades dans les écoles

Pour éliciter le phénomène,  nous nous appuierons sur une ethnographie en ligne de trois ans de la participation médiatique des publics des school shootings a été entreprise sur la plateforme d’échange de vidéos YouTube.

L’enquête a porté sur trois publics :

(1) L’entrée dans l’univers des fusillades s’est faite au grand public à partir du massacre de Virginia Tech qui a eu lieu en avril 2007 aux États-Unis. Ce public, observé sur YouTube sur une période de six semaines, s’est constitué dans le sillage de la fusillade au moment de l’événement médiatique.

(2) Le second public investigué est le contre-public subalterne (Fraser 2005) des fusillades scolaires, à savoir le réseau de fans des school shootings lié à une scène subculturelle sur YouTube. À partir de remix multimédias et de profils d’utilisateurs à l’effigie de leurs héros, ces internautes publient des contenus culturels fournissant des justificatifs à la violence expressive via la promotion de contre-interprétations des faits de violence.

(3) Puis, enfin, le troisième public étudié est le contre-public des tueurs, en particulier via sept fusillades s’étant produites entre 1999 et 2011. Il s’agit de ceux qui préméditent leur passage à l’acte en scrutant la toile pour dénicher les toutes dernières techniques du passage à l’acte et qui exploitent des médias participatifs dans une stratégie de communication.

La démonstration repose sur l’analyse détaillée d’une dizaine de paquets multimédias de tueurs, deux cents profils d’utilisateurs, et près de trois cents vidéos autoproduites, en plus de l’observation directe, notamment des conversations entretenues sur les forums de discussion1.

 

Ressorts communicationnels de la violence expressive

Commençons par examiner comment et en quoi l’évolution du paysage médiatique est susceptible d’impacter les actions de revendication des mouvements sociaux et quels sont dès lors les outils à leur disposition. Les éléments de réponse qui sont apportés à la suite s’appuient sur l’examen attentif des ressources symboliques disponibles par l’intermédiaire de l’usage du numérique.

 

Vecteurs d’expression publique

À compter des années 2000, la médiatisation croissante des rapports sociaux conduit le phénomène des school shootings à être coproduit par l’usage que font les publics des médias.

A chaque nouvelle fusillade, dans le sillage du spectacle médiatique produit par les entreprises de presse, les observateurs éloignés se tournent vers la toile pour prendre part à l’événement disruptif. À l’annonce de l’attaque, des dizaines de milliers d’internautes se servent des médias participatifs pour diffuser l’information au sein de leurs réseaux personnels, partager leur ressenti auprès d’anonymes, se renseigner sur l’évolution de la situation au travers de sites d’information spécialisés, ou alors rendent hommage aux victimes de la violence expressive en prenant part aux mémoriaux éphémères crées en ligne à ces occasions. Puis dans le quotidien, loin des images d’actualité et de nouvelles des journaux télévisés, de l’urgence engendrée par le choc de la mort tragique d’innocents, des réseaux de sociabilité se forment autour de ces mêmes phénomènes sociaux. Ici, ce sont des réseaux d’admirateurs ou de supporters qui exploitent les ressources expressives de la toile pour échanger autour de leur centre d’intérêt commun et créer des réseaux transnationaux. Enfin, parmi ces utilisateurs ou les simples voyeurs de ces réseaux, les auteurs de la violence expressive, utilisent les médias participatifs. Ils l’empruntent pour parfaire leur apprentissage des bonnes raisons et des bonnes techniques du passage à l’acte, ils échangent à propos de leurs intentions macabres en consultant leurs pairs, et en particulier ils exploitent les ressources des moyens de communication modernes pour créer des paquets multimédias.

Les images ci-dessous des trois publics de l’échantillon fournissent des exemples des manières dont chaque public emprunte les médias participatifs pour coproduire le phénomène des fusillades scolaires, et ainsi co-détermine les pourtours de la violence expressive. Dans l’ordre des images introduites ci-après, nous voyons d’abord une image véhiculée dans l’une des autoproductions du grand public, puis une capture d’écran d’une vidéo du contre-public des supporters, puis une dernière image nous donne à voir l’une des réalisations face caméra d'un tueur.

 

 

La première capture d’écran d’une vidéo se veut représentative de la manière dont le grand public du massacre de Virginia Tech définit le phénomène des school shootings, c’est-à-dire en tant que tragédie. Dans le deuxième cas, l’internaute, membre du réseau d’admirateurs des tueurs entend mettre en compréhension les auteurs des fusillades et le sens de leurs actes. Quant au dernier cas de figure, Seung-Hui Cho, l’auteur de la fusillade de Virginia Tech de 2007, délivre un message sur le sens de ses actes.

Si la contribution de ces acteurs à la définition de la violence expressive peut paraître anodine de prime abord, ce faisant, la situation antérieure est altérée par l’usage des médias participatifs en ce qu’ils autorisent la représentation politique, qu’ils pourvoient un accès à la parole publique. Internet bouscule alors les recours à la légitimité dont certains acteurs pourraient se prévaloir pour s’engager auprès de mouvements sociaux. En d’autres termes si les médias participatifs modifient la situation antérieure, c’est d’abord en raison de l’évolution de l’accès à la parole publique et subséquemment de la représentation politique des personnes isolées, comme des minorités ou des marginaux. Internet offre un accès aux arènes de débat public et octroie ainsi l’opportunité de coproduire les school shootings.

L’emploi des outils numériques a une conséquence supplémentaire. Les activités communicationnelles des internautes matérialisent une forme d’opinion publique. Les pratiques communicationnelles du web 2.0 mettent en contact deux activités autrefois dissociées, en l’occurrence la production et la réception des informations (Cardon 2010). Au moment des événements médiatiques, dans le prolongement des actualités journalistiques, une partie de l’opinion publique se matérialise. Pour prendre le contre-pied de Michel Gheude, qui parlait de la réunion «invisible» des téléspectateurs regardant un même programme télévisuel, la réception des informations est maintenant « visible » (1994).  Les activités du grand public amènent une sphère publique à se matérialiser, à devenir visible, à se structurer et, enfin, à s’élargir (Katz, Dayan 1996). Cette matérialisation tangible de la sphère publique aide les individus à avoir l‘impression de faire partie d’une société (Couldry 2003).

Cette expression du collectif est ce qui permet aux membres des groupuscules contestataires ou oppositionnels d’envisager l’existence d’une totalité à laquelle il est possible de se référer et de s’y opposer. Les internautes, en contribuant massivement à rendre hommage aux victimes des fusillades au moment du massacre de Virginia Tech, légitiment le spectacle médiatique initié par les entreprises de presse et dessinent les contours d’un point de vue hégémonique auquel il devient alors possible de s’opposer. C’est aussi la possibilité même de créer ce type d’émulsion à partir d’un événement médiatique global qui peut inciter certains à s’engager auprès de mouvements contestataires pour accéder à la célébrité à laquelle la violence expressive peut potentiellement donner accès. C’est ce que ne manquent pas de faire les auteurs des fusillades, comme leurs fans.

 

La création de réseaux sociaux

Les médias participatifs, en plus d’être des outils pourvoyant un accès à un espace numérique où chacun peut rendre public son point de vue, sont une ressource d’information et de communication grâce à laquelle les acteurs prolongent leurs relations sociales habituelles et, exceptionnellement, créent de nouveaux cercles sociaux. Nous allons voir quelles sont les propriétés sociotechniques qui facilitent de telles associations. Puis nous regarderons de plus près quels sont les réseaux socionumériques qui ont pu émerger ces dernières années en relation aux fusillades grâce aux ressources du web. De cette manière, on distinguera à un second titre en quoi les médias participatifs modifient les moyens à la disposition des mouvements sociaux pour faire circuler leurs revendications.

Dans le cas de notre étude à partir de YouTube, deux propriétés du site et plus largement du web 2.0 facilitent l’émergence de liens d’affinité. La première a trait au dispositif sociotechnique. La constitution de nouveaux liens relationnels s’effectue au moyen de l’architecture du site web et de la folksonomie (Vander Wal 2007). La folksonomie renvoie à un principe d’agrégation des contenus sous-tendus par leur indexation personnelle (les tags) à partir desquels leurs vidéos sont référencées. Cette indexation personnelle des contenus crée des nœuds de connexions, fédère des contributeurs partageant les mêmes centres d’intérêts et sollicite l’expression de commentaires. Dans le même temps, la plateforme agrège les contenus, les hiérarchise et les soumet à l’attention des internautes à l’aide d’un dispositif fait d’algorithmes. Cela permet à l’observateur extérieur d’identifier les contenus, relatifs à tel ou tel sujet, les plus populaires à un moment donné. C’est de cette façon que peut apparaître par exemple un espace dédié à la commémoration et aux hommages rendus aux victimes de la violence expressive, typique des sanctuaires spontanés. La seconde propriété tient à la redéfinition de la barrière entre sphère privée et sphère publique par l’adoption d’Internet : celui-ci rend public ce qui auparavant était soigneusement dissimulé dans le domaine du privé (Cardon 2010). Cette évolution de la dialectique privé / public offre l’occasion de rencontres et de liens transnationaux.

Du fait de ces propriétés, Internet forme un tremplin à la constitution de mouvements sociaux. Les mouvements sociaux oppositionnels, typiquement contre-hégémoniques, trouvent ici une formidable ressource pour faire part de leur désaccord et se fédérer par-delà les barrières des États-nations. Les laissés-pour-compte, les groupuscules déviants, les subcultures adolescentes, les minorités de toutes sortes, désireux de trouver des compagnons de route, peuvent effectivement y parvenir au moyen d’Internet.

Deux réseaux socionumériques en particulier sont à considérer dans le cadre de toute étude sur la violence expressive des school shootings : les sanctuaires spontanés et les réseaux d’admirateurs.

En réaction à une fusillade qui fait la Une des informations, les anonymes sortent de la dispersion et se recueillent en ligne pour partager la panique morale engendrée par la violence expressive au sein d’un sanctuaire spontané numérique éphémère (Image n4).

 

 

C’est ce que nous avons constaté au sujet du public de Virginia Tech (Paton, Figeac 2015a).

 

 

La tragédie de Virginia Tech a alimenté une effervescence participative d’une telle ampleur que la publication de milliers de commémorations audiovisuelles a fini par agencer, dans cet exemple au sein de YouTube, une forme contemporaine de sanctuaire spontané numérique. Les sanctuaires spontanés font partie du répertoire culturel des expressions émotionnelles de deuil public en Occident, occasionnées par la perte traumatique de « mauvaises morts », c’est-à-dire des personnes innocentes qui n’auraient pas dû mourir dans de telles circonstances et/ou à un tel âge. D’ordinaire, ce genre de mémorial éphémère s’érige dans l’espace public sur le site du drame ; par exemple lorsque des photographies, des gerbes de fleurs ou des bougies sont déposées sur le bord d’une route pour rendre hommage à la victime d’un accident. Avec les sanctuaires spontanés numériques, les rituels médiatiques et commémoratifs s’actualisent et débordent le site du drame pour créer un lieu de recueillement en ligne dans la continuité de ceux qui sont temporairement installés dans les espaces publics.

Puis, dans le temps du quotidien, loin de la réaction à chaud de la presse, des personnes de différents coins du monde forment un réseau socionumérique, assimilable à un groupe de fans lié à une scène subculturelle sur YouTube (images des pages personnelles (n8 n9) et des pseudos (n10 n13).

 

 

 

Ce groupe résulte du processus d’étiquetage effectué par les observateurs extérieurs, essentiellement des commentateurs du débat public – tels les journalistes et les politiciens qui s’expriment à l’occasion des fusillades – mais ne s’y réduit certainement pas. Il est d’abord le fruit du travail entrepris par les membres du réseau qui ont œuvré à se distinguer d’un autrui généralisé. Subordonné là aussi à l’association sociotechnique des autoproductions, ce collectif s’érige en revanche sur la base d’un contenu contraire à celui abordé à l’instant. Ces fans partagent en effet des références culturelles spécifiques aux fusillades dans les écoles comme des bribes de journaux intimes ou des références filmographiques. Ils s’opposent sur les techniques du passage à l’acte les plus efficientes ou les causes qui prévalent. Ils s’échangent des anecdotes sur les tueurs et leurs vies ou les détails des massacres.

Ils suivent l’activité de leurs pairs à l’aide d’abonnement et de souscriptions aux comptes de ceux-ci, formant ainsi un réseau socionumérique. Ce groupe se saisit d’autant par son statut social de déviant, par des rapports sociaux caractéristiques des fans (Paton 2015b). L’élément central du dispositif communautaire du réseau de fans est l’intérêt porté aux tueurs eux-mêmes et/ou à leurs actes meurtriers. Ce sont ensuite leurs interprétations du phénomène des tueries dans les écoles, leurs goûts culturels, leurs fantasmes de violence et leurs prises de position idéologiques qui les placent dans une position marginale. Sous cet éclairage, ces fans revêtent les caractéristiques typiques d’une subculture par l’adoption d’une posture alternative.

Pour clore notre propos, soulignons simplement que l’on voit bien ici comment les médias participatifs jouent un rôle en faveur du recours à la violence expressive. Les innovations technologiques du type web 2.0 sont une ressource dans la formation de nouveaux cercles relationnels. Tandis que les dispositifs de communication participatifs fournissent les outils nécessaires à la création de réseaux sociaux numériques, les rangs des candidats aux actes les plus extrêmes au sein de la sphère publique sont garantis.

 

Ressources du passage à l’acte de l’événement perturbateur

Les médias participatifs forment enfin une composante de la phase de préméditation de l’engagement dans la violence expressive.

Les auteurs des fusillades emploient une stratégie de communication intentionnelle liée à la fabrication d’un paquet multimédia durant la phase de la préméditation. Qu’ils déposent ces paquets en ligne sur des plateformes d’échanges comme YouTube (image n14) ou RapidShare (image n15) ou qu’ils les envoient directement aux entreprises de presse (image n16), ils adressent un message dont l’objet est de détourner et privatiser l’attention publique afin de porter un coup de projecteur sur un message à connotation identitaire et/ou politique. De façon secondaire à ce propos, notons que ces messages sont souvent taxés de mimétisme dans les débats publics, sapant de la sorte la portée politique des messages et des intentions de leurs auteurs. Nous allons voir que le mimétisme des paquets multimédias n’est pas la preuve ultime de l’influence des médias sur des jeunes en rupture mais correspond plutôt à une stratégie de communication.

 

 

Dans ces paquets, les tueurs font explicitement référence les uns aux autres en se nommant ou en prétendant être des frères d’arme (cf. Wellington de Oliveira n°17). La reconnaissance des autres protagonistes des camarades martyrs fonctionne comme un jeu de miroir qui participe à délimiter l’espace d’un groupe d’appartenance. Que ce groupe ait une existence réelle au-delà de ces actes de langage ou de ces indices visuels de la présentation d’un style n’a pas d’importance car la performativité de ces signes d’appartenance n’en construit pas moins les contours d’un collectif. En agissant comme tels, les protagonistes donnent du poids à l’idée d’un mouvement politique.

 

 

Au-delà du langage, c’est au niveau des indices visuels contenus dans le paquet multimédia que le groupe est identifiable. Ci-contre, on peut relever les régularités entre les différents paquets multimédias en identifient comment les tueurs empruntent un même style : chacun réalise un autoportrait dans lequel il point l’arme en direction du spectateur. Cette répétition d’un tueur à l’auteur constitue une marque de fabrique spécifique aux fusillades scolaires, caractéristique de la subculture des school shootings. Si la répétition des mêmes procédés communicationnels d’une image à une autre fournit l’impression que les protagonistes s’imitent (cf. image n18),

 

 

ces jeunes ne se copient pas de manière gratuite. Ils font preuve de réflexivité. Les tueurs ont recours à ces stratégies médiatiques afin d’être associés à une catégorie d’actions (en l’occurrence la catégorie school shooting) à leurs yeux mélioratives, afin de bénéficier en retour de la visibilité médiatique habituellement promise à ces types d’événements disruptifs hyper-médiatisés, et d’une identité redéfinie sous le signe de l’acte meurtrier. Les photos commentées à l’instant renvoient à l’appropriation d’un style, celle de la subculture des tueries dans les écoles.

En résumé, les auteurs de la violence expressive déploient une stratégie visant à imiter sciemment leurs prédécesseurs pour s’assurer d’atteindre leur but : être eux-mêmes perçus comme des tueurs des fusillades scolaires et des antihéros, afin d’accéder à l’échelon suprême de la hiérarchie sociale, celui de la célébrité. Ils cherchent alors moins à promouvoir la violence révolutionnaire qu’ils évoquent qu’à bénéficier du script culturel des school shootings. Par imitation, ils s’assurent que ce seront bien les bonnes significations qui seront accolées à leur acte de martyr, et ainsi ils cesseront d’être associés à des nobody – i.e. « moins-que-rien » – en étant associés aux school shootings. Leurs scénarisations sont réalisées à des fins expressives découlant de leur volonté de renégocier leur identité.

Alors que l’événement perturbateur, ici une tuerie, est en soi une stratégie de communication, l’alliage des médias participatifs et des médias de masse va permettre aux tueurs de coproduire un événement médiatique, désormais augmenté par le script des tueurs avec les paquets multimédias. Cette coproduction de l’événement va être l’occasion de défendre des causes et d’alimenter un mouvement social. La médiatisation est dès lors un élément central du passage à l’acte.

À ces différents égards, les médias participatifs modifient les ressources des mouvements sociaux, en étant autant une clé de l’expression publique qu’un vecteur à la formation et au maintien de réseaux socionumériques tout autant qu’un instrument du passage à l’acte.

 

Ressorts sociologiques de la violence expressive

Un support à l’individuation

L’analyse de ce qui fait la fascination des tueries dans les écoles pour les membres de la subculture montre ce qui est en jeu dans leur participation. L’engagement dans la subculture représente la possibilité́ de sortir de l’isolement et de partager son ressenti par rapport aux épreuves de l’existence parmi des jeunes venus de différents coins du monde. La participation médiatique subversive est un support à l’individuation, comme on va le montrer.

Quand l’on s’intéresse de plus près aux aspects de cette forme de violence qui sont susceptibles de fasciner les jeunes et de les inciter à devenir des fans, nous constatons que malgré une excellente connaissance du phénomène dans son ensemble, la tuerie de Columbine est le maître mot de la constitution de la subculture juvénile. 69 % de l’échantillon de vidéos y sont dédiés. Comme les fans le disent eux-mêmes, «Columbine, c’est l’affaire Kennedy d’une génération» (Feurfenix, M, USA). L’internaute Feurfenix souligne que :

Le 20 avril 1999 à Littleton dans l’État du Colorado Eric Harris et Dylan Klebold ont changé notre vision du monde. 13 personnes ont été tuées et 24 blessées, mais le nombre de morts ne s’est pas arrêté là. En fait... le sang continue à couler. Columbine n’était pas la première fusillade à l’école. Même pas la plus sanglante. Mais c’était la première à donner des images en direct du sang et du carnage, ainsi faisant des school shootings un phénomène culturel, un modèle de martyre pour tous ceux rejetés par la société. (...) Dans n’importe quelle ville, en Amérique, au Canada et maintenant en Europe aussi, les adolescents projettent de faire exploser leurs écoles et de « manigancer une autre Columbine ». Plusieurs se sont directement inspirés des tueurs de Columbine. Ainsi, Eric et Dylan ont laissé plus que des cadavres à Littleton. Ils ont une responsabilité dans les autres morts partout dans le monde. Pendant que vous lisez ces mots, quelqu’un quelque part est en train de planifier un massacre.

Outre le traitement médiatique exceptionnel et la mise en défaut des explications classiques de la violence, Columbine se distingue ainsi en acquérant un statut mythique dans le panthéon des subcultures auprès des élèves marginalisés. Les tueurs de Columbine sont des modèles. Comme le dit l’internaute REBVODKA4EVER : «JE N’AI JAMAIS CRU EN QUOI QUE CE SOIT JUSQU’À CE QUE JE CROIVE (sic) EN REB&VODKA » (22, USA). Or, la fascination à leur égard, et ainsi qu’à celui des autres protagonistes dans une moindre mesure, a trait autant aux expériences qu’ils ont vécues, aux épreuves qu’ils ont subies et, surtout, aux façons dont ils ont dépassé ces épreuves pour devenir des individus autonomes et émancipés, maîtres de leur propre destin, que de leurs interprétations de la réalité sociale.

Quelles sont les thématiques déployées au sein des vidéos pour caractériser les trajectoires des tueurs auxquels ces jeunes s’identifient?

L’appropriation passe tout d’abord par la construction d’une posture critique à l’égard des institutions. Au premier rang des institutions fustigées par les internautes, on trouve l’école, suivie de très près les médias en tant que système corrompu par une pensée hégémonique et instigatrice de fausses représentations concernant le phénomène. De manière anecdotique, d’autres institutions sont épinglées, comme la religion, le régime matrimonial, le capitalisme ou l’hégémonie américaine (e.g. F027). Mais, si l’école détient une place de choix dans cette remise en cause des institutions, avec notamment une concentration des productions médiatiques et des prises de position autour de la thématique du bullying, c’est-à-dire du harcèlement moral et/ou physique dont certains élèves font l’objet, c’est parce que les school shootings incarnent une croisade morale pour se révolter contre l’oppression à l’école et les injustices qu’elle abrite (e.g. F012 ; F030 ; F034). Ensuite de multiples références au sein des autoproductions, des échanges et des profils suggèrent que les school shootings sont investies en raison de la caractéristique la plus tangible du phénomène, à savoir la violence (e.g. F015 ; F018). A ce niveau, la violence est abordée en tant qu’objet de discussion quant à la légitimité des circonstances de son usage et comme moyen de considération des finalités mortifères de son action.

Mais quand bien même le contexte serait favorable à l’émergence de modèles concurrents avec l’effritement de l’assise institutionnelle, et que les fusillades autoriseraient d’aborder des sujets politiques ou existentiels à partir de la notion de violence, l’attrait pour les fusillades scolaires se rapporte avant tout aux expériences que les tueurs ont vécues et aux épreuves qu’ils ont subies. Le partage d’expériences négatives similaires, vis-à-vis de la condition humaine et de l’univers adolescent, fournit des prises qui rapprochent les fans et les prédisposent à être fascinés par les tueries. Ils disent être les proies de tourments existentiels liés à une vie psychique intense et conflictuelle, donnant lieu à la mélancolie et à la dépression, voire pavant la voie aux idées suicidaires (e.g. F08 ; F046 ; F080 ; F102). S’ajoute à cela, le sentiment d’échec sur le plan social face à une compétition adolescente à l’école. Par ricochet, ils signifient leur souffrance de faire partie des perdants dans la course à la notoriété. Auto-définis dès lors comme des faibles, de véritables losers, soumis à leurs démons intérieurs et à leur stigmate extérieur de nobody, ils vivent leur exclusion sociale comme une responsabilité personnelle (e.g. 23). Les épreuves évoquées pour alimenter leur participation médiatique nous parlent davantage de changements structuraux à l’échelle de l’individu que d’épreuves isolées (Martuccelli 2010).

La vidéo ci-contre (P085 (images n19 n20) synthètise relativement bien les thématiques que la discussion autour des school shootings permet d’aborder : l’école, les relations amicales, amoureuses et familiales, la consommation médiatique mais surtout la marginalité et la souffrance qu’elle procure, etc. L’engagement dans la subculture est bien l’occasion de mettre en commun des épreuves sociales, des épreuves individuelles liées à la condition humaine, et enfin d’énoncer des questionnements existentiels.

 

 

Mais la subculture n’est pas seulement un espace de mise en commun des épreuves. Elle est aussi une source d’auto-détermination, d’empowerment. La contribution à la subculture est une façon de renverser le stigmate dont ces jeunes se disent affectés en devenant acteur de leur marginalité plutôt que de la subir. Ils se définissent alors comme des êtres doués d’une hyper-clairvoyance d’esprit par opposition à la masse des individus qui eux sont aliénés par le conformisme. Par le biais de ce renversement de perspective, la subculture est une manière de mettre à distance les rôles sociaux et acquérir davantage d’autonomie subjective. 

En deux mots, les tueries dans les écoles représentent un support à l’individuation pour les membres de la subculture. Grâce à leur adhésion à ce type de mouvement social en ligne, ils gagnent en autonomie subjective. Mais cette rencontre s’opère uniquement parce qu’avant même le développement de tels usages médiatiques autour des fusillades scolaires, ces jeunes étaient engagés dans une quête de repères et de sens.

 

Issue à une quête d’individualité par le biais d’une individuation posthume

Lorsque l’on se tourne vers les vidéos des auteurs des fusillades, on s’aperçoit que l’engagement dans la violence a également trait au processus d’individuation. Le projet de la fusillade est ce qui permet le renversement des postures et in fine devient le garant de l’autonomie et de la libération subjective.

Ce constat peut être avancé notamment en s’intéressant à l’évolution du regard des auteurs des fusillades entre leur passé et leur avenir. C’est ce que nous avons cherché à représenter ici sous forme de tableau. Lorsqu’ils portent un regard rétrospectif sur eux-mêmes, leurs expériences et leurs motifs pour passer à l’acte, leurs définitions sont empreintes de la domination sociale qu’ils subissent. Lorsque, au contraire, ils sont tournés vers leur projet de fusillade, un renversement s’opère. Ils se positionnent toujours en rapport avec la domination mais cette fois-ci ils sont dégagés de l’emprise de la domination sociale, ils deviennent maitres de leur destin. Le projet de la fusillade autorise en définitive d’accéder à cet état d’individu autonome et libéré.

 

 

Si l’on étaye un tant soit peu nos propos nous pourrions expliciter ces deux tenants d’un même extrême comme suit. Dans le premier cas, lorsque les protagonistes sont tournés vers leur passé, la présentation de soi est fondée sur des expériences vécues et traduites en termes de faiblesse en raison de la violence subie, que celle-ci soit physique (sévices corporels par un parent ou brimades et harcèlement de la part des autres élèves par exemple (T068 ; T044) ou symbolique (via le rejet de leurs pairs, ostracisme, manque de respect (T077; T104). Oliveira, auteur d’une fusillade au Brésil, évoque le fait d’avoir subi cette violence par l’enchaînement d’une myriade de qualificatifs («humilié, fessé, abusé») et le récit d’épisodes de harcèlement (T068). Bosse, autre « célèbre » school shooter venu d’Allemagne, évoque différentes formes d’humiliation infligées par ses camarades à l’école (T044). Chez tous, la traduction de cette violence en termes de valeurs bafouées met en lumière les ressorts de l’action: le sentiment d’un manque de respect est systématiquement distingué (T007; T069). On comprend alors que leur identification au statut de marginal social repose sur une définition normative, fondée sur des idéaux démocratiques, et leurs attentes concernant la manière dont ils devraient être traités: la violence subie est injuste. En cela, leurs intentions meurtrières seraient bien apparentées à celles de la vengeance, même s’ils cherchent à étayer la légitimité de la violence en recourant à l’idée de justice, renversant de la sorte le paradigme de l’immoralité de leurs actes.

Dans le second cas, lorsque les protagonistes se projettent dans un devenir lié à leur projet de massacre, ce projet est signifié en tant que tournant entre un « avant » et un « après » dans la construction identitaire. Ce tournant peut relever d’une contrainte et non d’un choix, comme avec Cho (T104), mais dans les deux cas, l’engagement dans la violence représente une issue à l’insoutenable. Dans cette version prospective, la présentation de soi se réalise à partir de l’énonciation de ce(ux) dont ils cherchent à se distinguer et qu’ils considèrent comme responsable(s) de leurs épreuves ainsi que de leurs actes. Les objets de leur rejet sont hétéroclites, mais l’on retrouve le standard des school shootings: la majorité, l’école, les bandes juvéniles. Ils recomposent alors une nouvelle version de leur identité. Ici, à l’inverse de la première posture, les garçons apparaissent comme les acteurs de leur discrimination, se soustrayant ainsi à la posture du faible. Ils réclament du pouvoir et de l’autodétermination.

Bien que la promesse du renversement des figures soit une étape constitutive du parcours qui mène à la violence, cette perspective est en même temps insuffisante pour l’expliquer. Les ressorts de la violence, au sens des raisons justifiant le passage à l’acte, importent en un sens bien moins que ce qu’elle paraît délivrer: la possibilité de prendre les rênes du contrôle et de cesser de subir. L’action est avant tout un moyen de parvenir à se positionner en tant qu’acteur de sa destinée, de s’arracher aux rôles imposés et de se distinguer d’autrui. En ce sens, il s’agit moins pour eux de se repositionner sur l’échiquier social et de renverser les rôles sociaux que de devenir l’auteur de leur propre vie et d’éprouver leur individualité en redéfinissant leur identité en des termes valorisants.

Une autre façon d’appréhender ce processus est de considérer que nous nous trouvons dans un cas de figure où ce qui est en jeu est un lien entre sujet et violence, dont Michel Wieviorka (2005) trace la voie en parlant d’anti-sujet, où le plaisir de la violence se lit dans la figure de super prédateurs, l’annihilation des êtres dans un modèle de virilité tout puissant, mais où, malgré tout, la violence vient nous dire quelque chose de la construction de l’individualité. À la différence de la figure de l’anti-sujet, l’acteur de school shooting cherche à réussir le pari contemporain de l’individuation et ainsi se soumettre aux valeurs prescrites de l’autonomie subjective, mais en utilisant des méthodes illégitimes pour glorifier son individualité à titre posthume. D’une façon ou d’une autre, le plus important est la compréhension de ce type de processus qui conduit à cet avènement de l’individualité; processus auxquels contribuent aujourd’hui les médias participatifs.

L’engagement dans la violence autorise un processus d’individuation posthume d’anti-sujet. En empruntant le terme d’anti-sujet, comme on le comprend plus haut, notre propos porte sur le procédé de l’individuation qui en passe par la destruction, le chaos, et la mort... Du reste, nous savons grâce à leurs récits médiatiques qu’ils prévoient un “suicide by cop” (soit un suicide par l’intermédiaire d’un policier). L’individuation en passe ainsi ici par la mort, ce qui nous amène à parler d’un processus d’individuation posthume. Cela est d’autant plus vrai que la célébrité, tirée de leurs actes de violence, leur octroie de facto une immortalité, soit l’ultime assurance de l’aboutissement de leur individuation.

 

Injonction à l’individuation : impasse et paradoxe

Ce que ces deux types d’acteurs mettent en avant sont les impasses et paradoxes de l’individuation.

Alors que l’individualité est une valeur cardinale des sociétés démocratiques contemporaines et l’individuation une injonction, la différenciation est devenue la norme et ces jeunes ne manquent pas de le souligner.

Ils se confrontent alors à un paradoxe duquel ils ne peuvent pas s’extirper, un paradoxe dont ils n’ont pas composé la trame. Il relève d’injonctions où il revient à l’obligation de chacun de s’auto-définir et d’aspirer à la différence, quand bien même la distinction est normative. La subculture en elle-même devient une forme de conformisme relatif au groupe. En d’autres termes, bien que ces fans mettent en exergue l’importance de l’individualité, au point d’en faire la pierre angulaire de leur sociation, la sociation subculturelle demeure une manière de recréer du lien social autour de l’appartenance groupale. C’est le propre des subcultures: elles pallient à l’atomisation de la société et à la massification en faisant de l’individualisation des êtres le problème plutôt que la solution. Même lorsque le groupe se constitue autour d’injonctions contemporaines, quant au fait comme celle de développer et de disposer d’une autonomie, et qu’il promeut une forme de sociation basée autour de l’individuation, il ne parvient pas à échapper à ce que, précisément, il fuit. Il s’agit là de la première implication de l’injonction à l’individuation.

La seconde implication de cette injonction est implicite: l’individuation de chacun est de mise mais, en même temps, il ne s’agit pas d’accomplir cette individuation hors des clous de la norme, auquel cas contraire cela remettrait en question l’ordre social. Dès lors, la différenciation doit s’exprimer dans l’espace de la conformité. De toute évidence, une subculture comme celle-ci se soustrait à cet implicite. Cet effet pervers des injonctions à l’individualisme est mis en exergue avec finesse par Jeffrey Arnett:

« Les amis, les écoles, les communautés, les médias, le système juridique et le système de croyance culturelle dans la classe moyenne américaine, tous favorisent généralement l’individualisme dans la socialisation. Il en résulte une culture dans laquelle les gens sentent qu’ils ont le droit d’exprimer leurs inclinations dans une large mesure, quels que soient leurs penchants. Une telle culture est susceptible d’être colorée, comme l’est celle-ci, et créative, comme l’est celle-ci, et en constante évolution, comme l’est celle-ci. Mais si les gens sont encouragés à exprimer leurs penchants, pas tout ce qu’ils expriment n’est susceptible d’être conducteur d’ordre social. » (1996, p. 88)

L’un des implicites de l’injonction à l’individuation est que la différenciation, soit la construction de figures de l’altérité, doit s’exprimer dans l’espace de la conformité et ne pas venir menacer l’ordre social. Or ces figures de l’altérité, telles qu’elles sont projetées par les membres de ce réseau social, sont fondées sur le rejet et l’agressivité. Cela peut mener certains membres du groupe à nourrir une haine sans visage à l’égard d’un Autre relativement indifférencié, ou alors à nier la relation à l’Autre.

In fine, l’injonction à l’individuation peut ainsi venir alimenter une menace à l’encontre de l’ordre social. Mais, au-delà d’un rapport à l’Autre, c’est d’abord dans un rapport à soi que les limites à l’injonction à l’individuation s’expriment. De manière plus commune en effet, ces individus font une profession de foi de l’individualisme, qui peut se transformer en une croyance aveugle en la toute-puissance de l’individu, à la nécessité d’être acteur de sa propre vie et maître de son destin à n’importe quel prix. Cette revendication de l’individualisme peut aller jusqu’aux conceptions les plus extrêmes, quant à la puissance de chaque individu, amenant à la négation de tout déterminisme ou toute loi sociale ou morale. Cela conduit ces acteurs non seulement à nourrir des espoirs quant au pouvoir dont ils disposent pour définir leur vie mais surtout à projeter une définition de soi autoréférentielle.

 

Le prétexte du politique à des fins identitaires

En traitant des stratégies de communication employées par les auteurs de fusillades, on a noté que leurs scénarisations sont réalisées à des fins expressives découlant de leur volonté de renégocier leur identité. Nous avons complété ce pan des analyses, centré sur les procédés communicationnels, avec une analyse du contenu des vidéos où nous avons vu l’importance d’exprimer sa singularité pour ces vidéastes subversifs. Cette seconde analyse va dans le sens du contenu des vidéos autoproduites par le réseau d’admirateurs.

Ces différents niveaux d’analyse concordent pour soutenir l’idée que le recours à la violence expressive par cette subculture ou plus largement par les mouvements sociaux a moins à voir avec la défense d’un mouvement politique, investi au nom d’une justice pour les minorités qui sont victimes de harcèlement scolaire, qu’avec avec la promesse que délivre le passage à l’acte : la possibilité de regagner du pouvoir et de s’extraire d’un état de subordination. En ce sens, il s’agit moins pour les protagonistes de se repositionner sur l’échiquier social en tant que membres d’une subculture et de renverser les rôles sociaux entre des « perdants » et des « gagnants » pour reprendre leur terminologie, que d’acquérir de l’autonomie et d’éprouver leur individualité en redéfinissant leur identité en des termes valorisants.

Alors que les tueurs se réfèrent au phénomène des school shootings de façon explicite ils affirment en même temps leur individualité réductible à nul autre ainsi que leur suprématie. Pourtant, en appartenant à un groupe de jeunes révolutionnaires, ils s’éloignent de l’image de l’antihéros solitaire, image qui leur permettait de revendiquer le statut de surhommes puissants complètement autonomes. L’emprunt systématique au répertoire des school shootings affaiblit donc à leur insu la singularité des protagonistes. Comme l’écrit Éric Macé en commentant les travaux de Nick Couldry, «l’uniformisation des manières d’exprimer la différence est un trait caractéristique des sociétés contemporaines » (2005, p. 41-66). L’important ici n’est pas tant le processus révolutionnaire au secours duquel ils disent vouloir se porter. L’important est ce qu’octroie l’issue d’un tel processus sur le plan identitaire. Grâce à leur engagement dans la violence, ils ont trouvé un moyen original de s’individuer pour répondre aux injonctions sociales de l’époque. Ils n’auraient eu d’autre moyen de le faire, si l’on en croit Larkin (2009) pour qui la célébrité est l’enjeu central, car les nobodies n’ont d’autres ressources en main que de faire quelque chose d’extrême pour se démarquer et en retirer la notoriété qu’ils désirent. La violence expressive leur pourvoit la gloire éphémère de la star du petit écran. Or, il est vrai qu’en accédant au statut de star, il leur sera alloué une position sociale convoitée, une possibilité de faire l’expérience de leur différence, mais aussi une forme d’immortalité qui est l’ultime gage de leur individualité.

Cet enjeu identitaire, inscrit au fondement de l’engagement extrême dans la violence expressive, est effectivement la principale revendication qui transparaît de leurs bricolages audiovisuels et de la manière dont ils s’approprient les ressorts expressifs des médias participatifs. La préméditation de la violence est alors un processus qui fait advenir l’individualité, dès lors que les médias participatifs et les entreprises de presse s’inscrivent dans cette dynamique comme ils le font aujourd’hui.

Sous cet éclairage, l’exemple des auteurs des school shootings renvoie à une forme contemporaine de réflexivité qui vise à instrumentaliser le fonctionnement de ces médias participatifs ainsi que les médias de masse, afin de mettre en scène et de produire un événement médiatique à l’échelle internationale pour glorifier son individualité à titre posthume, sachant que la violence relève de ce travail de subjectivation dont parle Wieviorka. Si les stratégies politiques de ces acteurs sont éminemment médiatiques, dans la mesure où les médias participatifs comme les médias de masse sont pleinement intégrés à une démarche de reconnaissance, de représentation et de revendication, le politique n’est ici qu’un prétexte utilisé à des fins identitaires.

 

Conclusion

Cet article nourrit l’hypothèse selon laquelle les médias participatifs renouvèlent les ressources des formes de l’adhésion et de la contestation sociale, bien que ce qui fait la matière même de l’adhésion aux réseaux socionumériques subversifs relève du caractère individuant de ces usages médiatiques. La première partie de l’article est consacrée à la démonstration de comment les usages des médias participatifs fournissent des ressources à la publicisation de points de vue tant hégémoniques que contre-hégémoniques, à la création de très grands réseaux socionumériques (communauté cocon liée à la formation de sanctuaire spontané ; réseau subculturel) mais aussi au passage à l’acte (recours à l’imitation dans une visée stratégique). Puis l’article s’intéresse davantage aux ressorts sociologiques de la violence. C’est alors que nous illustrons en quoi la violence expressive a trait aux contradictions et dilemmes des injonctions à l’individuation.

À partir de l’exemple des fusillades dans les écoles, nous avons vu que cette modalité d’action relève d’une forme subversive de réalisation de soi, liée à la promotion de valeurs prescrites et anomiques, devenue possible avec l’essor et l’adoption des médias participatifs.

Outre ce cas singulier, l’article vise à souligner en quoi la violence expressive employée par certains mouvements sociaux ne correspond pas tant à une manière de promouvoir des idéaux ou des aspirations politiques mais renvoie plutôt une façon de glorifier l’individualité, parfois à titre posthume, et d’adresser un message de revanche identitaire à un ennemi imaginaire. Nous avons en effet montré que la violence expressive contemporaine est indissociable du processus de l’individuation. D’une façon générale, il semblerait bien que le recours aux événements perturbateurs, et ici l’usage de la violence à des fins de communication politique, coïncide avec la possibilité offerte par les médias participatifs de prendre les rênes du contrôle. Les revendications politiques, qui seraient à l’origine de l’engagement aux côtés de mouvements sociaux et en particulier de l’exécution d’actes extraordinaires en leur nom, paraissent ici secondes. L’intérêt n’est pas tant de se repositionner sur l’échiquier social et de renverser des rôles sociaux attribués. S’engager dans le processus de la violence expressive représente l’opportunité de devenir l’auteur de sa propre vie et d’éprouver son individualité en redéfinissant son identité en des termes valorisants ; processus auxquels contribuent aujourd’hui les médias participatifs.

En filigrane, il s’agit de voir que la revendication de l’individualisme peut amener aux conceptions les plus jusqu’au-boutistes quant à la puissance de chaque individu, amenant à la négation de tout déterminisme ou de toute loi sociale ou morale. Transparaît alors la contrepartie des discours prônant l’individualité des êtres. Cela produit, entre autres, la négation de la relation à l’Autre et la toute-puissance de l’acteur, quand bien même de telles affirmations mèneraient à des extrêmes dont l’issue fatale pourrait bien être la mort. Sous une autre forme, certains internautes se perçoivent tout puissants et s’assimilent alors à des dieux ou comme les initiateurs de la loi. Cela les conduit à nourrir des espoirs quant au pouvoir dont ils disposent pour définir leur vie et à projeter une définition de soi autoréférentielle.

 

Références Bibliographiques

Arnett J. (1996). Metalheads: Heavy Metal Music and Adolescent Alienation. Oxford: Westview Press, p. 88.         [ Links ]

Beck U. (1992). Risk Society: Towards a New Modernity. London: Sage.         [ Links ]

Bradbury M. (1993) “The “Good” Death ?” In Dickenson, D., Johnson, M., Katz J. S. (eds), Death, Dying and Bereavement. London: Sage.

Cardon D. (2010). La démocratie Internet. Promesses et limites. Paris, Seuil.         [ Links ]

Castells M. (2012) Networks of Outrage and Hope: Social Movements in the Internet Age. NY, Polity.         [ Links ]

Cohen, A.K. (1955) Delinquent Boys: The Culture of the Gang. Free Press, Glencoe, IL.         [ Links ]

Couldry N. (2003) Media Rituals: A Critical Approach. London: Routledge.         [ Links ]

Certeau de M. (1980), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Gallimard, Folio Essais, 1990.

Demetriou, C. (2013). "Violence and Social Movements". The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements.

Dubet F. (2004). Sociologie de l’expérience. Paris, Seuil.

Fraser N. (2005). "Transnationalizing the Public Sphere", March 2005.

Gheude M. (1994) « La réunion invisible ». Hermès 13-14 : 275-283.         [ Links ]

Hall, S., and Jefferson, T. (eds) (2006) Resistance through Rituals: Youth Subcultures in Post-war Britain, 2nd edn. Routledge, London. (Orig. pub. 1976.)

Hebdige, D. (1979) Subculture: The Meaning of Style. Methuen, London.         [ Links ]

Hoggart R. (1957). Uses of Literacy: Aspects of Working-Class Life with special reference to publications and entertainments. Penguin Books in association  with Chatto & Windus.

Jenkins H. (2006). Convergence Culture. Where Old and New Media Collide. New York: New York University Press.         [ Links ]

Juris J. (2005), "Violence Performed and Imagined:Militant Action, the Black Bloc and the Mass Media in Genoa", Critique of Anthropology, 25:413-432.         [ Links ]

Katz E., Dayan D. (1996) La télévision cérémonielle. Paris, PUF.         [ Links ]

Khosrokhavar F. (2014) La radicalisation, FMSH, Intervention, Paris.

Livingstone, S. (2013) The participation paradigm in audience research. Communication Review. 16: 1-2, 21-30.         [ Links ]

Macé E. (2005) « Mouvements et contre-mouvements culturels dans la sphère publique et les médiacultures ». In Maigret, É. et Macé, É. (dir), Penser les médiaculturesNouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde. Coll. Médiacultures, Paris, Armand Colin, p. 41-66.

Macé E. (2006) Les Imaginaires médiatiques : Une sociologie postcritique des médias. Paris, Amsterdam.

Martin, G. (2002) Conceptualizing cultural politics in subcultural and social movement studies. Social Movement Studies 1(1), 73–88.

Martin Greg (2013) The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements,
Edited by David A. Snow, Donatella della Porta, Bert Klandermans, and Doug McAdam.  Blackwell Publishing NY.

McAdam D. et al. (2005). "There will be fighting in the streets » : The Distorting Lense of Social Movement Theory. Mobilization 10:1, 1-18.         [ Links ]

McRobbie A., Thornton S.L. (1995). Rethinking ‘Moral Panic’ for Multi-mediated Social Worlds. British Journal of Sociology, 46(4), 559-74.

Martuccelli D. (2010). La société singulariste. Paris, Armand Colin.         [ Links ]

Molotch H., Lester M. (1974). News as Purposive Behavior : On the Strategic Use of Routine Events, Accidents, and Scandals. American Sociological Review, 39(1), 101-112.         [ Links ]

Paton N. (2012b) Media Participation of School Shooters and Their Fans. Navigating Between Self-distinction and Imitation to Achieve Individuation. In : Muschert G.W. and Sumiala J. (eds.) School Shootings: Mediatized Violence in a Global Age. UK: Emerald, pp. 203 - 229.

Paton N. (2013) Virginia Tech Massacre: When a Disruptive Media Event Triggers an Online Cocoon Community. In : Korpela M and Derwin F (eds.) Cocoon Communities : Togetherness in the 21st Century. Cambridge : Cambridge Scholars Publishing, pp. 81-104.

Paton N. (2015a) « La e-participation subversive comme mode d’individuation », Revue Française de Sciences de l’information et de la communication, n° 7, 2/105. (https://rfsic.revues.org/1681)

Paton N. (2015b) School shooting. La violence à l’ère de YouTube, Paris: FMSH. Interventions, p. 224.

Paton N., Figeac, J., (2015a) "Muddled Boundaries of Digital Shrines", Popular Communication: The International Journal of Media and Culture, Vol 13, Issue 4, p. 251-271,         [ Links ] DOI: 10.1080/15405702.2015.1019072.

Paton N., Figeac J. (2015b) “Expressive Violence : The Performative Effect of Subversive Participatory Media Uses”, ESSACHESS Journal for Communication Studies, n°8, (1)15, p. 231-256. (http://bit.ly/1SJWaDK)

Pfautz, H.W. (1961) Near-group and collective behaviour: A critical reformulation. Social Problems 9, 167–174.

Touraine A. (1984). Le retour de l’acteur. Paris, Fayard.

Vander Wal T. (2007). Folksonomy coinage and definition. Retrieved from http://vanderwal.net/folksonomy.html

Wieviorka M., Wolton D. (1987). Terrorisme à la une. Média, terrorisme et démocratie. Paris, Gallimard.         [ Links ]

Wieviorka M. (2005). Violence. Paris, Balland.         [ Links ]

Wieviorka M. (2013) Le Front national entre extrémisme populisme et démocratie, FMSH, Intervention, Paris.

Williams R. (1958) Culture and Society. London: Chatto & Windus.

Willis, P. (1978) Profane Culture. Routledge & Kegan Paul, London.         [ Links ]

 

NOTES

1 Pour héberger les données audiovisuelles utilisées dans le cadre de cette étude, un site a été créé. Dans le cours du texte, nous nous servons de cette base de données afin que le lecteur puisse aller visionner la vidéo qui est en train d’être traitée. Le site Internet peut être consulté à l’adresse suivante : http://online-school-shooting-video.com/. L’accès à ce site est protégé par ce nom d’utilisateur : « schoolshootingvideos » et par ce mot de passe : « 411_1999 ». La base de données contenue sur le site est codée selon le type d’acteur considéré : « PXX » renvoie aux Publics du massacre de Virginia Tech ; « FXX » désigne les autoproductions des Fans ; TXX correspond aux vidéos des Tueurs. Nous avons renseigné, sous les vidéos, des descriptions fournies par les internautes eux-mêmes, telles que nous les avons capturées dans YouTube sous les extraits vidéo diffusés par les internautes. Les titres sont aussi les leurs. Enfin, une mention précise si la vidéo est encore accessible en ligne et/ou si le compte de l’utilisateur a été supprimé ou censuré, un an après la fin de l’enquête.

(1) Cf. http://youtomb.mit.edu/  (accessible le 25/06/2013).

Creative Commons License All the contents of this journal, except where otherwise noted, is licensed under a Creative Commons Attribution License