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CIDADES, Comunidades e Territórios
versão On-line ISSN 2182-3030
CIDADES no.30 Lisboa jun. 2015
https://doi.org/10.7749/citiescommunitiesterritories.jun2015.030.art03
ARTIGO ORIGINAL
La participation citoyenne à lépreuve du vieillissement territorial. Quatre études de cas de modèles dintégration des aînés dans le Grand-Est français
A participação dos cidadãos no caso de o envelhecimento territorial. Quatro estudos de caso de modelos de integração de idosos no Grand-Est francês
Marion ScheiderI; Thibauld MoulaertII
[I]REIACTIS - Réseau détude international sur lâge, la citoyenneté et lintégration socio-économique, France. e-mail: marion.scheider@gmail.com.
[II]REIACTIS - Réseau d’étude international sur l’âge, la citoyenneté et l’intégration socio-économique, France. e-mail: tmoulaert@gmail.com.
RÉSUMÉ
Cet article propose dapporter un éclairage nouveau sur la manière dont les aînés sinscrivent aujourdhui dans la redéfinition de leurs territoires de vie en croisant les apports des travaux sur la démocratie participative et sur le vieillissement au prisme des Villes et Communautés amies des aînés. En sappuyant sur lanalyse de quatre études de cas dintégration citoyenne des aînés dans le Grand-Est français, il met en résonance les cadres de référence de la participation citoyenne des aînés et leurs applications locales. Pour cela, il commence par replacer le contexte de lobjet détude, à savoir la place des aînés dans les débats et prises de décisions publics. Ensuite, il pose quelques balises des débats scientifiques portant sur les principes de démocratie participative et dune de ses traductions territoriales possible, à savoir la perspective en faveur des Villes et Communautés amies des aînés. Dans une troisième section, le portrait des quatre études de cas est présenté avant que la dernière partie nexpose les premiers résultats danalyse. Finalement, larticle revient sur les limites de létude et ouvre une série de perspectives de recherche.
Mots clés: Participation citoyenne des aînés, territoire, Villes-amies des aînés ; communautés amies des aînés.
Introduction: une transition demographique en cours, des territoires a repenser
En 2014, le gouvernement français a décidé dadopter un projet de loi relatif à « Ladaptation de la société au vieillissement ». Celui-ci entrera en vigueur au cours de lannée 2015, avec pour ambition danticiper le vieillissement de la société, dadapter celle-ci aux besoins de sa population et de tenir compte de lévolution de ces besoins. Comme dautres pays, la France souhaite adapter ses institutions et ses pratiques à la transition démographique qui voit la part de la population vieillissante (les personnes âgées de 60 ans et plus) augmenter par rapport au reste de la population. Les projections démographiques indiquent que ces classes dâges représenteront le tiers de la population française à lhorizon 2060.
Cette loi nest certes pas la première en France à vouloir apporter une réponse politique et sociétale aux phénomènes liés à lavancée en âge. Ainsi, en 1962, le rapport Laroque propose une vision nouvelle de la vieillesse et promeut notamment une politique de lactivité en direction du « 3ème âge » et le soutien du « maintien à domicile » (Ennuyer, 2007) ; ce rapport demeure une balise centrale des analyses historiques des politiques publiques de la vieillesse en France (Guillemard, 1986), si bien quil devrait être prochainement réédité par une série dacteurs du champ gérontologique français.[3] Si le rapport Laroque fut le fruit dun comité dexperts, la démarche de la présente Loi sur « Ladaptation de la société au vieillissement » se distingue en ce quelle sappuie sur un large processus de concertation. En effet, durant deux mois, il a réuni près de 300 acteurs uvrant dans tous les domaines dintervention en lien avec le vieillissement (urbanisme, action médico-sociale, transport, etc.) au-delà des acteurs plus traditionnels du domaine gérontologique (fruit du rapport Laroque) ou médical. Cette recherche de transversalité, affichée dès le départ de la « commande » du rapport Broussy via lappel à la consultation interministérielle et mise en uvre à travers une méthode de consultation large, peut se rapprocher de lexpérience britannique qui a récemment dépassé lapproche du vieillissement sous le seul angle médical (Ogg, Renaut, Hillcoat-Nallétamby, & Bonvalet, 2010). Sans pour autant prédire la transversalité des mises en uvre [4], cette méthode rappelle aussi la démarche initiale de consultation des acteurs au Québec qui fut initiée en 2007 par la Ministre alors en charge des aînés. En France, malgré ces consultations larges, le regard médical reste prégnant puisque sur les quatre axes du projet de loi, trois interprètent le vieillissement à laune de lautonomie (lanticipation de la perte dautonomie, laccompagnement de la perte dautonomie et la réorganisation de la gouvernance des politiques de lautonomie). Seul un thème présente une perspective véritablement transversale (au-delà dune priorité à la vision médicalisée du vieillissement), en sattelant à ladaptation de la société au vieillissement.
Dans cette approche, la notion de territoire devient ou redevient [5] un enjeu au cur des débats sociaux et scientifiques (Viriot Durandal, Pihet, Chapon, 2012). Parmi ceux-ci, la rencontre des publics âgés ou de leurs représentants, premiers experts de leur propre vécu, intervient comme un défi majeur pour une redéfinition adaptée des territoires et qui prend au sérieux la « parole des vieux » (Argoud et Puijalon, 1999, 2003). Scientifiquement, ce thème vise à aller au-delà des travaux contrebalançant la vision médicalisée de la société par une prise de distance forgée par les sciences sociales en général et la sociologie en particulier, non seulement parce quils sont suffisamment balisés (voir la récente livraison de Retraite et société sur ce thème : Le Bihan & Mallon (2014)), mais surtout parce quils empêchent de souvrir à de nouveaux domaines de recherche comme lenvironmental gerontology (Phillipson, 2004) et ce alors même quils avaient pourtant déjà été identifiés (Caradec, 2010). Létude des « Villes et Communautés amies des aînés » (VADA ou AFC pour Age Friendly Cities ou Communities), lancée par lOrganisation Mondiale de la Santé (OMS, 2007), est ainsi devenue une opportunité internationale autour des réflexions en termes de age-friendliness (Fitzgerald et Caro, 2014; Garon, Paris, Beaulieu, Veil, Laliberté, 2014; Lui, Everingham, Warburton, Cuthill, Bartlett, 2009; Menec, Means, Keating, Parkhurst, Eales, 2011; Phillipson, 2011; Scharlach et Lehning, 2013), tandis quen France les travaux restent plus discrets (Paris, Garon, Chapon, Laliberté, Veil, 2013).
1) Cest précisément dans cette voie que souhaite sinscrire cet article. En effet il vise à contribuer à une connaissance fragmentaire des logiques locales dintégration citoyenne des aînés en France (Argoud et Chazelle, 2011) en proposant une approche ancrée sur les territoires des modèles institutionnels de participation des aînés et de dispositifs innovants à linstar de la démarche VADA ou AFC. Il pose la question des déterminants qui influencent, au niveau des territoires, la volonté plus ou moins importante des pouvoirs publics et des professionnels de laction territoriale de mettre en place des dispositifs de consultation des aînés et daction en faveur dune action transversale dans le domaine gérontologique. Pour y répondre, il sarticule autour de trois parties. La première contextualise la participation citoyenne des aînés en France à travers son architecture institutionnelle du pouvoir central (Comité national des retraités et personnes âgées : CNRPA) au niveau local (Conseil des sages), en passant par le niveau départemental (Comité départemental des retraités et personnes âgées : CODERPA). La deuxième pose les balises du débat scientifique en distinguant dune part les travaux sur la démocratie participative et dautre part ceux portant sur les méthodes VADA/AFC et leurs applications locales. Les troisième et quatrième sections dressent le portrait de quatre études de cas de modèles dintégration citoyenne des aînés dans le Grand-Est français et présentent les premiers résultats de nos analyses [6]. Enfin, en conclusion, il présente les limites et les perspectives de ce travail.
1. Quand la parole des aînes sinstitutionnalise
La « parole des vieux » sest institutionnalisée sur le territoire national français depuis 1982, à travers le Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) notamment. Cette instance administrative consultative est placée directement auprès du ministre chargé des personnes âgées et présidée par celui-ci. Rassemblant des décideurs et financeurs, les associations nationales de retraités et des professionnels du milieu gérontologique, sa consultation par le gouvernement est obligatoire depuis 2006 pour lensemble des dossiers concernant les personnes âgées. Afin de garantir une remontée des besoins des publics quelle représente, ont été créés également en 1982, de véritables déclinaisons locales de cette instance nationale, à savoir les Comités départementaux des retraités et personnes âgées (CODERPA). Les CODERPA prennent la forme dinstances consultatives obligatoires placées depuis 2004 auprès des présidents des Conseils généraux, qui en sont également les présidents. Leur composition et leurs modalités de fonctionnement sont déterminées par délibération des Conseils généraux et sont donc tributaires du niveau dinfluence qui leur est donné (ou permis) par ces collectivités locales. Toutefois, malgré leur caractère obligatoire, la souplesse laissée à leurs modalités dinstallation et de fonctionnement, engendre des niveaux dinfluence et daction extrêmement variables selon les départements (Viriot Durandal, 2003).
Comme dans dautres pays, la France a également vu se développer, au niveau local, des dispositifs de type Senior citizen advisory councils (Walker et Naegele, 1999). On pense ici aux Conseils des sages qui sont des instances consultatives composées de citoyens aînés et dont le niveau daction est municipal. Leur composition est variable, mais regroupe généralement des élus locaux, des retraités et des techniciens ou administratifs des services municipaux. Animés par les services de la ville, leurs membres se répartissent en commissions de travail qui se saisissent de thématiques liées au vieillissement ou non sur lesquelles porteront les réflexions des membres et dans certains cas plus rares, leurs actions (Vincent, 2007).
2. Renouveler les analyses de la figure citoyenne des aines
Pour repenser la figure citoyenne des aînés, deux domaines de recherche sont mobilisés ; le premier, essentiellement français, traite de la montée de la démocratie participative depuis les années 1970 ; la seconde, plus internationale, renvoie au développement des « villes et communautés amies des aînés » comme lexpression pratique dun référentiel international daction publique, le « vieillissement actif ».
Les principes de la démocratie participative se sont organisés en France dès les années 1970. Si leur apparition repose en premier lieu sur des mobilisations spontanées de citoyens pour la défense de causes sociales et environnementales (Gaudin, 2007), ils se formalisent peu à peu au cours des années suivantes. Ainsi, la décennie 1990 pose les bases dune « professionnalisation et dune normalisation de la participation » (Blondiaux, 2008, p.23), à travers lémergence de spécialistes de la participation qui investissent des rôles de médiateur ou de facilitateur entre les citoyens et les experts dans les scènes de débat public. En outre, le milieu des années 1990 verra naître la Commission nationale du débat public (CNDP), organisme offrant un droit de regard et dintervention aux représentants de la société civile dans les débats portant sur lélaboration de grands projets daménagement. Cest au cours des années 2000 quune consécration des principes de la participation citoyenne aura lieu, à travers la loi Vaillant (2002) relative à la démocratie de proximité. Celle-ci instaure les Conseils de quartier, et les rend obligatoire pour les villes de plus de 80 000 habitants. Dans le même temps, elle dégage la CNDP de tout lien direct avec les autorités administratives, rendant ainsi son indépendance à cette institution.
Un des intérêts de la mobilisation des travaux sur la démocratie participative pour traiter la question de la citoyenneté des aînés est que si les organismes consultatifs qui sont apparus à travers les territoires grâce à la formalisation des principes de démocratie participative sont ouverts à tous les citoyens, il semblerait que les aînés y prennent une place prépondérante. Bien que surreprésentés dans les scènes de débat, ces publics ne se reconnaissent pourtant pas en tant que « personnes âgées », mais davantage en tant que « citoyens », « habitants », ou « usagers » selon Loïc Blondiaux (entretien exploratoire). Il apparait alors opportun de relier cette littérature, qui ne problématise pas la question des publics aînés, avec un autre domaine, celui des « villes et communautés amies des aînés » dont lun des principes consiste précisément à soutenir la « participation sociale » des aînés.
Il faut dabord constater quà côté de linstitutionnalisation de la « voix des seniors » à différents niveaux de pouvoir, la France néchappe pas à linfluence des instances internationales. Si Moulaert et Viriot Durandal (2013) ont montré quil sy développait une compréhension du « vieillissement actif » essentiellement en termes de soutien à « lemploi des seniors » en raison dun biais de la recherche en sciences sociales et en sociologie en particulier envers cette déclinaison, ils rappellent pourtant quailleurs, comme au Canada, le « vieillissement actif » peut avoir une autre signification, plus transversale. Défendue théoriquement dès la fin des années 1990 en Europe (Walker, 2002), cette version a aussi été développée au même moment par lOMS (2002). Surtout, en 2007, lOMS décide de lappliquer à lespace urbain (OMS, 2007), puis progressivement à lensemble des espaces à travers une méthode en faveur des « villes et communautés amies des aînés » ou VADA. Ce modèle sappuie sur une démarche structurée, partant dun diagnostic des besoins des aînés et des ressources à leur disposition, pour développer ensuite, à travers des « plans daction », des villes véritablement inclusives à légard de ces publics. Bien que ce référentiel commun soit largement véhiculé, notamment par le Réseau mondial OMS des villes et communautés amies des aînés, les déclinaisons locales restent extrêmement variées. Lintérêt du modèle est quil ne se limite donc pas à enregistrer ou légitimer la « parole des vieux », mais quil larticule à une démarche de transformation du territoire (physique et sociale) à travers la négociation et la promotion de plans dactions, supervisés par un « comité daccompagnement » incluant des aînés, et évoluant en fonction dune démarche dévaluation continue (Garon et al., 2014).
Bref, si la législation et les cadres de référence comme VADA portant la participation citoyenne des aînés semblent être nécessaires afin den assurer sa promotion sur les territoires, au vu des échos multiples quelle rencontre localement, il semble opportun de létudier en pratique. En effet, une question majeure émerge : quels déterminants entrent en jeu, au plus près des territoires, et conduisent à une volonté plus ou moins importante de la part des pouvoirs publics, des professionnels, voire également des aînés eux-mêmes, à porter leurs besoins dans les consultations et débats liés à lévolution des milieux de vie ?
Face à cette question, apparait une hypothèse de recherche, hypothèse sur laquelle repose la méthodologie denquête mise en uvre dans le cadre du PEIV. Selon nous, il existerait des disparités fortes entre les modèles de participation citoyenne impulsés par les cadres de référence et leurs réalités dapplication territoriale. Celles-ci prendraient source au cur des négociations qui se jouent entre les différents acteurs concernés par laction gérontologique et en présence sur un même territoire. Ces jeux dacteurs (ou, par extension, jeux de pouvoirs) peuvent alors être lus comme lexpression dinterfaces qui sapparentent à des lieux (matériels ou non) où les différents acteurs qui sont amenés à dialoguer et à débattre sur un projet ou sur une politique commune se rencontrent et sappliquent à défendre leurs propres logiques et à composer avec celles des autres. Ces interfaces, bien plus que de désigner un simple espace physique, intègrent à la fois les dispositifs, les politiques, les interrelations entre lensemble des acteurs concernés par une même thématique, leur histoire, les tensions et coopérations qui peuvent exister entre eux, tout ceci conduisant à lémergence dobjets hybrides, objets hybrides qui sont la traduction territoriale des politiques publiques ou projets négociés.
Ainsi, lémergence de ces interfaces au cur du principe de participation citoyenne des aînés impose de sinterroger sur la manière dont les publics âgés sont impliqués dans la redéfinition de leurs territoires. Puisque les cadres de référence sont soumis à des modulations qui se jouent au sein des interfaces, comment les modèles dintégration citoyenne insufflés par la législation ou dautres référentiels se déclinent-ils sur les territoires ? Pour apporter des réponses à ce questionnement, nous avons mis en place une enquête qualitative visant à collecter la parole représentée des aînés sur le thème de la participation citoyenne des aînés au plus près des pratiques et des territoires.
The remaining surrounding areas of Lisbon (in the Northern area) are mainly composed by lower social classes, essentially employees. It should be noted that Lisbon, aside from its mainly individualistic family structure strongly marked by an accentuated ageing of the population, reproduces in a certain way that social division of space between the west and the east that characterizes several European cities: a division that shows impoverishment as we move from the west to the east. In turn, the southern metropolitan area presents a general social structure mark ed by the lower classes in comparison with the north. It is worth mentioning the relevance of the proletariat. On the other hand, it has a territorial settlement more disperse and a greater weight of detached housing, two features that make a superior difference in relation to the northern area and essentially to the city of Lisbon: a city dominated by apartments, and the only part of the metropolitan area where we still have some equilibrium between ownership and renting.
3. Présentation des études de cas
Afin daborder notre objet détude, nous avons développé une méthodologie qualitative de collecte de données. Nous avons posé ce choix en raison de la rareté des travaux existant, en France, sur le thème de la participation citoyenne des aînés aux territoires, et, a fortiori, ceux concernant le modèle VADA. En effet, une revue de littérature internationale a permis didentifier les travaux importants et les thèmes centraux de la participation citoyenne des aînés. Il nous est aussi rapidement apparu que cette littérature, notamment en France, était assez peu développée et quelle se situait aux marges de la sociologie ou de la science politique. Linexistence dune « critical gerontology » francophone vient renforcer ce constat, là où les analyses anglo-saxonnes développent un ensemble de travaux sensibles aux intérêts des acteurs dune part, tout en étant capables dinterrogation critique sur les approches dominantes du vieillissement dautre part.[7] On retrouve dailleurs certains tenants de la critical gerontology, comme Chris Phillipson ou Thomas Scharf, au cur dune série de travaux de lenvironmental gerontology, creuset théorique à lintersection de la réflexion et de laction et auquel salimentent de nombreux chercheurs.
Notre méthode qualitative a également été influencée par trois entretiens exploratoires dexperts des questions de la participation sociale. Ceux-ci ont été menés auprès de Dominique Argoud, expert du vieillissement et des territoires et de Loïc Blondiaux et Marie-Hélène Bacqué, experts de la démocratie et de la participation citoyenne.
ENCADRÉ METHODOLOGIQUE
Pour étudier les formes de participation citoyenne des aînés dans le Grand-Est français, nous avons identifié quatre communes ; le « choix » de celles-ci a été négocié avec le comité de pilotage de la recherche sur la base de deux critères clés. Dune part, il sagissait davoir des contextes urbains et ruraux ; dautre part, il sagissait didentifier des contextes incluant une démarche VADA, et dautres contextes sans cette démarche. De manière complémentaire à ce second critère, nous avons été attentifs à repartir de terrains que le REIACTIS avait déjà identifiés comme « porteurs » sur les thèmes de lanimation gérontologique. Ces quatre communes constituent alors autant détudes de cas (Yin, 2009) constituant un tout analytique.
Au total des quatre études de cas [8], la phase de collecte de données qualitatives sest appuyée sur 20 entretiens semi-directifs (entre 30 et 90 minutes chacun) réalisés auprès dacteurs qui par leurs actions, contribuent à promouvoir lintégration citoyenne des publics aînés dans la redéfinition de leurs territoires de vie. Afin détudier un échantillon diversifié, trois catégories dacteurs ont prioritairement été approchées, à savoir des décideurs politiques, des professionnels du milieu gérontologique et des représentants dassociations daînés. Nous avons opté pour des entretiens semi-directifs, cest-à-dire des entretiens qui se construisent sur la base dune attitude non dirigiste visant à favoriser la parole dans un climat de confiance et sappuyant sur un cadrage minimal, mais existant, du discours pour assurer le traitement des thématiques souhaitées (Berthier, 2010). Grâce à cette méthode, nous pouvons approcher au mieux cette « parole représentée », cest-à-dire cette parole qui sextrait du niveau individuel pour aller vers une parole collective (Argoud e Puijalon, 2003). Cette méthode doit mettre en lumière non seulement les moteurs et coopérations mais aussi les éventuelles tensions ou dérégulations qui impactent territorialement limplication citoyenne des aînés.
Une fois collectés, ces discours ont été intégralement retranscris pour pouvoir être ensuite analysés à laide de NVivo, logiciel de traitement de données qualitatives. Le traitement des données sest effectué en partie selon les thèmes majeurs dégagés lors de la création du guide dentretien, mais également par des thématiques nouvelles qui ont émergé de façon particulièrement récurrente dans les propos des interlocuteurs.
Ville A [9]: Un microcosme favorable au développement de partenariats dans le domaine de laction sociale et sanitaire
Cette ville denviron 50 000 habitants, dont plus de 20% est âgé de 60 ou plus, sinscrit dans un contexte territorial particulièrement favorable à une action gérontologique concertée. En effet, chef-lieu dun petit département, elle concentre la majorité des actions et des dispositifs en faveur des publics âgés. En outre, dans une tradition daction sociale de longue date, cette localité représente un microcosme particulièrement adéquat pour le développement dune préoccupation forte et globale à légard des aînés.
En véritable emblème de la culture partenariale et transversale en matière gérontologique, peut être présentée la Maison de lautonomie qui a vu le jour sur ce territoire en 2008. Rassemblant les services départementaux en direction des personnes âgées, la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), les services de soutien à domicile du Centre communal daction sociale (CCAS) et plus récemment la Maison pour lautonomie et lintégration des malades dAlzheimer (MAIA), cette structure offre lopportunité dobserver les besoins des publics visés de manière globale et dadapter les actions menées aux spécificités de la ville en particulier et de son département plus largement.
Ville B : Entre culture de la participation et principe dexpérimentation, la parole des aînés en écho
Ce territoire rassemble près de 120 000 habitants dont, ici aussi, plus d1/5e sont des personnes âgées de 60 ans ou plus. Sa particularité réside en son histoire sociale particulièrement mouvementée. En effet, elle a connu une crise économique et sociale majeure dans les années 1970, illustrée par un emblématique conflit horloger. Face au déclin de lentreprise horlogère, les ouvriers se sont engagés dans lune des premières expériences dautogestion en France en tentant de vivre du fruit de leur travail. Cette histoire sociale a forgé une culture de militantisme qui marque encore particulièrement les aînés daujourdhui, ouvriers dhier (Vincent, 2007). En outre, la ville B a développé très tôt une forte tradition dinnovation sociale tournée particulièrement vers les publics âgés. À la fin des années 1960, elle institue par exemple un Minimum social garanti, revenu réservé lors de sa création aux personnes âgées en difficulté. En outre, face à une demande sociale forte en matière de reconnaissance du rôle citoyen des aînés, la ville sengage au début des années 2000 dans lanimation dun Conseil des sages, actuellement toujours en fonction. Au terme de la même décennie, est créée également une Maison des seniors. Cette structure vise tout particulièrement à faire vivre la citoyenneté en-dehors du monde du travail et à faciliter laccès à linformation et aux services en matière de vieillissement.
Finalement, la présence de nombreuses ressources en matière gérontologique (Conseil des sages, Maison des seniors, évènements annuels portant sur le vieillissement, etc.) sur le territoire communal a conduit la ville B à rejoindre la démarche VADA en 2011, et à intensifier de la sorte son effort déjà largement engagé en faveur de lintégration citoyenne des aînés dans la cité.
Ville C : Un portage politique fort vers une démarche du mieux vivre ensemble, appuyée sur le vieillissement actif
La ville C compte plus de 150 000 habitants, dont plus d1/5e sont des personnes âgées de 60 ans ou plus. Lannée 2010 marque un tournant dans laction gérontologique de la commune, puisque celle-ci sengage alors dans une démarche VADA. Son adhésion à ce dispositif, fortement portée par les élus politiques locaux, sera suivie par une série dactions de grande ampleur en matière de vieillissement. En effet, des consultations et des réflexions partenariales réalisées dans le cadre de la démarche VADA, résulte, en 2012, la création dun Observatoire de lâge. Cette structure participative vise, par des échanges entre lensemble des acteurs concernés par le vieillissement, à offrir un accès plus grand à linformation, à évaluer les pratiques mises en uvre sur le territoire et à imaginer leurs développements futurs. Sil nexiste pas dévaluation de ce dispositif à ce jour, soulignons quil sappuie sur une approche globale et concertée du vieillissement en rassemblant en cinq collèges distincts, habitants de tous âges, représentants dassociations de retraités, experts (professionnels et universitaires) et élus. Lannée suivante, cest une Maison des seniors qui ouvrira ses portes au sein du territoire de la ville C. En réponse à une demande sociale de meilleure lisibilité des activités et services dispensés en direction des publics âgés, elle propose aux habitants de linformation et un accompagnement dans les démarches liées au vieillissement.
Village D : La proximité géographique et relationnelle comme atout pour un vieillissement citoyen
Dans un souci dobserver la manière dont se décline la participation citoyenne des aînés en milieu rural, le village D a été approché dans le cadre du PEIV. Celui-là compte tout juste 1500 habitants, dont le tiers sont des personnes âgées de 60 ans et plus. En comparaison des trois autres études de cas, nous avons donc ici non seulement une population rurale, mais aussi une population vieillissante quantitativement plus importante.
Fortement préoccupée par la question du vieillissement, léquipe municipale du village D a développé un Conseil des sages depuis 2008. Si ce dispositif témoigne de lintérêt porté à la voix des aînés, les solidarités développées spontanément par les élus municipaux afin dintégrer ces publics aux espaces publics de débats sont dautant plus significatives. En effet, les élus se proposent de véhiculer les aînés désireux dassister aux séances du Conseil des sages et éprouvant des difficultés de mobilité. Précisons également que, dans un souci de répondre aux besoins des aînés et doptimiser leur accès aux espaces publics, la commune propose un service daccompagnement motorisé à ses retraités. Si ce service répond aux besoins (médicaux, alimentaires, sociaux, etc.) des aînés, il est avant tout lopportunité pour la municipalité de lutter contre lisolement et le repli social de ces publics au sein de son territoire.
Lexposition de ces quatre études de cas offre une première mise en lumière de la diversité des mises en uvre de la participation citoyenne des aînés sur les territoires. Dans la section suivante, nous analysons cette situation de manière systématique.
4. La participation des aînés, entre fantasme et réalite
Six enseignements peuvent être tirés de nos premières observations dans le Grand-Est français. Les trois premiers offrent un éclairage général quant aux forts décalages existant entre les cadres et modèles de référence mis en uvre en faveur de la participation citoyenne des aînés et la réalité de leurs applications territoriales : premièrement, la faible identification des aînés aux dispositifs participatifs qui leurs sont dédiés, deuxièmement les dissonances existantes entre les discours et les pratiques dintégration citoyenne des aînés et enfin lhybridation dun cadre transnational (la démarche VADA) lors de son application locale.
Ensuite, une seconde catégorie denseignements aborde des facteurs relevant des spécificités territoriales et ayant été identifiés comme exerçant une influence notable sur lémergence dune plus grande implication des aînés dans lévolution de leur territoire de vie. Trois facteurs seront présentés, à savoir le leadership comme déterminant indispensable à la promotion de la citoyenneté des aînés, limportance du portage politique pour une implication des aînés opérationnelle et linfluence indéniable de lhistoire sociale et politique des lieux dans lapparition de la figure de laîné-citoyen. Rappelons également ici que ces analyses sappuient sur les discours recueillis auprès des intermédiaires de la participation citoyenne des aînés, cest-à-dire de professionnels, de décideurs ou de représentants daînés uvrant en faveur de limplication des aînés dans la définition de leur environnement de vie. Moins que de sinterroger sur le vécu des aînés eux-mêmes en matière de participation citoyenne, cette étude questionne donc les modalités dapplications territoriales des principes des démocraties participative et sanitaire appliquées au public « aînés ».
4.1 Des décalages entre les cadres et modèles de référence pour la participation citoyenne des aînés et la réalité de leurs applications territoriales : constats généraux
A. Une faible identification des aînés aux instances participatives qui leurs sont dédiées
Premièrement, le traitement des entretiens a mis en lumière une récurrence dans lemploi de termes faisant référence à un certain nombre de dysfonctionnements au sein des dispositifs ou des instances de participation citoyenne dédiés aux aînés. En effet, près de 70 références témoignent des « difficultés », des « problèmes » ou des « limites » dans le fonctionnement ou linfluence de ces dispositifs.
Dabord, un nombre important dacteurs saccorde à mentionner que la question de la représentativité des personnes âgées au sein des dispositifs de participation nest pas résolue. En effet, la difficulté pour ces dispositifs réside en le faible sentiment dappartenance à une classe dâge homogène quéprouvent les personnes âgées. Comme lexplique très clairement Loïc Blondiaux en parlant des publics âgés : « Ils sont partout [dans les dispositifs de participation citoyenne] mais ne se reconnaissent pas en tant que tels » (Entretien exploratoire). Justine, représentante dun des CODERPA approchés confirme cette réalité : « Alors le problème cest que les personnes âgées tant quelles nont pas 85 ans, elles ne se considèrent pas âgées [rires]. Donc les ¾ des gens qui ont entre 75 et 85 ans ne sont pas dans une association de retraités » (Entretien de recherche 8). Cette faible identification des personnes âgées elles-mêmes à une catégorie dâge homogène pose des questions quant à la portée des dispositifs de participation citoyenne dédiés aux aînés. En effet, comment représenter les intérêts dune cohorte dont les membres ne se sentent pas appartenir à un même ensemble de population ? Ce questionnement nous amène également à nous interroger sur la pertinence des intitulés des dispositifs de participation dédiés aux aînés. Par exemple, les « Conseils des sages » ou encore les « Comités de retraités et personnes âgées », par les termes quils affichent sont-ils encore à même dattirer les aînés qui aujourdhui ne se reconnaissent plus dans ces qualificatifs ? Le vocable plus neutre d« aînés », permet-il déviter les pièges francophones de la catégorie « senior » qui, constituant à lorigine une cible marketing, « recouvre lensemble des personnes de plus de 50 ans ce qui constitue un marché énorme tout en se focalisant sur la partie la plus jeune et la plus aisée de cette population » (Caradec, 2001, p. 27).
Ensuite, ce décalage entre limage véhiculée des dispositifs de participation des aînés et la perception du vieillissement par les individus nous dirige vers deux questions fondamentales. Dune part, si les aînés ne se reconnaissent pas comme étant les publics visés par ces dispositifs, à qui ces derniers sadressent-ils aujourdhui et quels sont les intérêts ou les attentes qui y sont défendus ? Paul, un acteur du vieillissement placé auprès des élus de la Ville A, évoque très justement cette idée : « Le fait de refuser quindividuellement on vieillit amène les gens à toujours causer au nom des autres, mais quels sont ces autres ? Du coup le problème est de pouvoir cerner le vrai besoin ou la vraie attente » (Entretien de recherche 16). Dautre part, ce manque didentification à ces instances pose des difficultés plusieurs fois évoquées pour recruter des participants. Sébastien, représentant dun organisme daînés au niveau national, nous fait part de ce constat : « il y a de vrais problèmes de recrutement, parce que les personnes âgées ne sont pas très Elles veulent bien sassocier pour danser, déjeuner, etc. Mais pour aller manifester ou protester, ou travailler sur des questions sociales, etc. on trouve beaucoup moins de volontaires » (Entretien de recherche 12). Comment en effet recruter des participants, dans ce rapport au vieillissement rendu aujourdhui particulièrement individuel ? Cet enjeu de représentativité peut-il véritablement trouver des réponses adaptées au sein des dispositifs de participation dédiés aux aînés ?
Ainsi, cet axe révèle les difficultés auxquelles se confronte lorganisation de la participation citoyenne des aînés sur les territoires. Il sagit notamment de la faible identification des aînés à une classe dâge homogène, limitant ainsi leur intérêt pour les dispositifs qui leurs sont directement dédiés, et apportant des enjeux complexes en matière de représentation des intérêts de ces publics.
B. Des distorsions entre lintégration théorique des aînés et sa mise en pratique territoriale
Deuxièmement, les propos des acteurs rencontrés ont dévoilé une dissonance certaine entre la volonté affichée de favoriser lintégration citoyenne des aînés dans les processus décisionnels et les moyens réellement mis à disposition dans cette visée. Ce constat se lit de façon flagrante dans lanalyse de larchitecture institutionnelle française de la participation citoyenne des aînés. En effet, précisons que si le CNRPA est souvent présenté comme la figure de proue institutionnelle de la représentation des aînés, il bénéficie de moyens (matériels et financiers) très minces, attribués par le Ministère au côté duquel il se place directement. Sébastien, déjà cité plus haut précise : « Des ressources financières ? Nous on ne sait pas ce que cest [rires]. ( ) Et alors les seuls moyens financiers, ce sont pour payer les frais de déplacements des membres qui viennent. Autrement, si je veux payer une étude à une université alsacienne, bisontine ou bretonne, je nai pas les sous ». (Entretien de recherche 12). Plus que daccuser des difficultés financières, ceci met en lumière une certaine dépendance de cette instance consultative à légard des décideurs publics financeurs et témoigne du contrôle que ceux-ci peuvent exercer sur la portée des actions et plus généralement du pouvoir du CNRPA. Ce constat vaut pour une majorité dinstances de consultation des aînés, qui en France, sont pour beaucoup placées directement sous légide dun pouvoir public ou dun décideur politique.
Mais encore, au-delà de ces considérations matérielles et financières, se pose également la question du réel pouvoir dinfluence détenu par les représentants daînés (voire les aînés eux-mêmes) qui prennent part aux espaces de débats existants. Certains propos sont révélateurs en la matière, comme ceux de Sébastien « Cest ça le problème, on na pas de soutien logistique qui viendrait nous dire que le problème cest ça, et ça. Donc au cours dune réunion on voit passer des études, et on ne sait pas très bien ce quelles représentent » (Entretien de recherche 12). La faiblesse des moyens humains ou techniques permettant de conseiller les participants aux instances consultatives représente donc un frein notable pour une pleine appropriation des enjeux qui concernent le vieillissement. La transversalité des questions liées au vieillissement suppose en effet des compétences étendues, souvent non détenues par les simples bénévoles. Ce constat saccentue encore davantage en matière gérontologique, où les questions de santé interviennent de manière récurrente et supposent une certaine expertise afin dêtre pleinement maîtrisées. Benoît, Président dune Conférence régionale de la santé et de lautonomie (CRSA) illustre cette réalité à travers ses propos qui qualifient linégalité des compétences entre les instances spécialisées dans la santé et les organes de démocratie qui y sont adossés : « Voilà, cest aussi le rapport entre une structure qui va préparer ses axes de travail [référence à lAgence régionale de santé ou ARS] et notre structure [référence à la CRSA] qui ne dispose pas toujours peut-être de toutes les ressources pour pouvoir amender suffisamment un document. Cest ça aussi les limites de la démocratie sanitaire » (Entretien de recherche 6).
Ainsi, ce second axe évoque lidée selon laquelle le principe dintégration citoyenne des aînés ne repose pas sur le seul accès physique des citoyens aux espaces de débats publics. Il sappuie également sur leur accès aux compétences et aux codes nécessaires à la compréhension des enjeux qui sy jouent. En effet, comment un acteur peut-il défendre ses intérêts sil nest pas en mesure didentifier (et danticiper) ceux des différents acteurs en présence ? Cette interrogation met en lumière limportance dune plus grande lisibilité des jeux dacteurs qui émergent et se reconfigurent continuellement au sein de ces négociations. Dans ces conditions, peut-on imaginer que des intermédiaires, qui en véritables pouvoirs neutres, pourraient investir les lieux de débats afin de réguler les négociations et garantir une meilleure appropriation des enjeux par lensemble des acteurs en présence ? Cette condition nest-elle pas finalement indispensable pour lémergence dun véritable pouvoir citoyen au cur de ces interfaces de négociation ?
C. Un cadre de référence pour des applications territoriales multiples : lexemple de VADA
Enfin, les investigations de terrain menées à léchelon local sont venues conforter notre hypothèse initiale selon laquelle les cadres de référence portant la participation citoyenne des aînés se déclinent de manières très variables au sein des territoires. Ce résultat peut être présenté en sappuyant sur les démarches VADA observées durant cette première année détude. En effet, le label VADA se présente comme lopérationnalisation, au niveau local, du référentiel du vieillissement actif de lOMS (Moulaert & Viriot Durandal, 2013). Bien que cette traduction territoriale du concept théorique repose sur un protocole commun (formalisé à travers le Guide mondial [10] de lOMS et encadré par le Réseau francophone des villes amies des aînés depuis 2012), les investigations de terrain ont montré de profondes disparités dans la mise en uvre de la démarche VADA au niveau local. En effet, pour la Ville B engagée dans une telle démarche, les fonctions de coordination sont déléguées au Centre communal daction sociale (CCAS) pour une application territoriale au plus près des acteurs de terrain. En outre, la stratégie développée repose davantage sur une reconfiguration des actions municipales pour tendre vers une approche globale du vieillissement basée sur lexistant et les ressources existantes. Pour la Ville C par contre, la mise en uvre de VADA sappuie sur un fort pilotage politique, couplé à la réalisation dactions et de structures visibles sur le territoire, permettant didentifier rapidement lengagement de la commune dans cette démarche envers les aînés.
Ces disparités dans lapplication VADA au sein de ces deux villes traduisent avant tout une forte adaptabilité de la démarche aux spécificités territoriales, démographiques, et évidemment politiques. Celle-ci garantit, au niveau local, une meilleure prise en compte des besoins spécifiques des populations aînées en regard des enjeux quelles rencontrent au sein de leur territoire de vie. Toutefois, ces adaptations locales fortes montrent également les difficultés auxquelles se confrontent les dispositifs nationaux ou supranationaux, visant à favoriser (voire enjoindre) lintégration des aînés à lévolution de leurs lieux de vie, au sein des territoires de proximité (cette malléabilité locale peut engendrer dans certains cas des situations daffichage politique plus quune véritable redéfinition des politiques et pratiques, ou encore le développement dune démarche bureaucratique au bénéfice des professionnels).
4.2. Une combinaison des facteurs territorialisés pour une participation effective des aînés au niveau local
Un second pan de lanalyse des discours permet dobserver que des cadres forts visant à susciter la participation citoyenne des aînés sont une condition nécessaire, mais non suffisante pour accorder une place entière aux aînés dans les négociations portant sur leurs territoires. Ce résultat peut sillustrer à travers linfluence très variable que détiennent par exemple les CODERPA sur le territoire français, alors même quils sont institués par un cadre législatif national. Il en va de même pour les initiatives VADA observées en France, et qui bien que basées sur un référentiel et une méthodologie commune, sont largement soumises aux spécificités locales. Dans ce contexte, quels sont alors les facteurs favorisant lémergence dune figure active du citoyen âgé au cur des territoires ? Nous nous focaliserons dans ce texte sur trois points particuliers : le leadership local, le portage politique local et limportance de lhistoire territoriale locale.
Within this cohort the original metropolitan population does not reach 50%. In fact, those that are originally from the LMA are 46.2%. 45.4% of the actual residents of the LMA in this cohort came from other areas of the country, primarily from the centre of Portugal, but also from the south and to a lesser extent from the north. Around 8% came from the former colonies, and they began arriving in Portugal during the 70s at the age of 25, around the date of the decolonization (1975). So, this generation is still an important protagonist of the rural exodus. The majority of the original residents of the LMA were from the city of Lisbon (48%), followed by those from the Northern LMA (34%) and finally by those from the Southern LMA (18%). Despite this fact, as time goes by, there is a notable movement to the peripheries, essentially to the Northern LMA, which at present has 53% of the LMAs residents in this cohort (Lisbon: 20%; Southern LMA: 28%). Regarding Lisbons residents, there is some slight growth from the age 17 to the age 29, which possibly corresponds to a transitional moment: regarding some of those that came from outside the Metropolitan Area and afterwards progressively went to the periphery.
A. Le leadership local, un déterminant central
Dabord, lémergence dun leadership détenu par un individu ou un petit groupe dindividus est apparue comme une condition essentielle au développement de la participation citoyenne des aînés et à sa pérennité. Bien que cette forte appropriation individuelle des dispositifs puisse paraître antinomique à la défense de lintérêt commun des publics âgés, elle sest présentée comme étant nécessaire afin de préserver la place des organismes de représentation des aînés au sein des jeux de négociation publique. Elle passe régulièrement par des comportements dinsistance et de désobéissance volontaire dans le but de peser plus fortement sur les prises de décisions. Fabienne, membre dune instance consultative régionale en témoigne : « Parfois ils [référence aux élus et professionnels de santé] font des choix qui ne vont pas dans le sens que je souhaiterais, mais dans ce cas-là, jécris, je demande à ce quon revoit les choix. Jécris aussi au ministère pour revoir les choix » (Entretien de recherche 13). Cette importance du leadership est en partie due au caractère consultatif généralement attribué aux instances de représentation des aînés, niveau de participation qui ne garantit en rien la prise en compte effective des avis quelles formulent. Cette observation de limportance du leadership local peut alors concerner aussi bien des agents intermédiaires que des représentants dainés.[11]
B. De lutilité dun portage politique local
Ensuite, à ce nécessaire portage individuel de la participation des aînés sajoute limportance dune prise en compte politique de cet enjeu. En effet, les dispositifs de participation des aînés sinscrivent dans une relation de forte proximité avec les instances décisionnelles. Cest le cas pour le CNRPA placé auprès du Ministère des affaires sociales et de la santé. Mais aussi pour les CODERPA dépendant des Conseils généraux, ou encore pour les Conseils des sages situés aux côtés des municipalités. En outre, ceux qui némaneraient pas dune volonté institutionnelle, se voient contraints dévoluer dans un environnement fortement institutionnalisé pour accéder aux scènes de débats publics. Dans ce contexte, la place et limportance que leurs accordent les pouvoirs publics jouent un rôle majeur dans la prise en compte de leurs revendications ou propositions.
C. Lhistoire du territoire, un élément déterminant
Enfin, de lhistoire sociale et politique des territoires émanent également des prédispositions plus ou moins grandes au développement de la participation citoyenne des aînés dans les redéfinitions territoriales. Ce constat a notamment été observé au sein de la Ville B, qui marquée par des luttes sociales anciennes a vu naître une demande sociale forte en matière de reconnaissance de la citoyenneté des aînés. De cette sollicitation publique est alors né un Conseil des sages (Vincent, 2007). En outre, la Ville A témoigne quant à elle dune sensibilité de longue date pour laction sociale, comme lévoque Geoffrey, un acteur local de cette ville : « Donc il y a une offre qui est posée historiquement en direction des personnes âgées avec un engagement politique relativement fort qui provenait à lépoque entre-autre de Monsieur [Untel] qui était le personnage local clé, et qui a encore dailleurs quelques clés aujourdhui. Donc ça cétait limpulsion de départ et cest vrai que ces services ont grandi ( ) » (Entretien de recherche 7). De cette histoire politique est alors progressivement apparu un climat particulièrement propice à une culture gérontologique forte et à une structuration des réponses apportées aux problématiques du vieillissement rencontrées sur le territoire.
Ces premiers résultats témoignent de la diversité des modèles de participation citoyenne pouvant être développés au sein des territoires. En effet, ils ont montré les nombreuses modulations que subissent les cadres de référence visant à promouvoir limplication des aînés dans la redéfinition de leur cadre de vie lors de leur application aux territoires. À ces modulations descendantes peuvent sadjoindre parfois des facteurs territorialisés, qui en association, garantissent une plus forte émergence de la figure citoyenne des aînés sur les territoires.
4. Conclusions et perspectives
Cet article présente les premières pistes dégagées après une première année détude menée dans le cadre du PEIV ; il sest avant tout focalisé sur lanalyse de la parole représentée au sein des instances et des dispositifs de participation citoyenne des aînés. Il a permis de montrer que les cadres et structures de référence en matière de participation citoyenne des aînés subissent de fortes hybridations lors de leur mise en uvre territoriale. Ces modulations sont engendrées par les négociations entre les différents acteurs présents sur les territoires qui font naître une grande diversité de formes et pratiques dintégration citoyenne des aînés au niveau local. Mais il a su également dégager les déterminants nécessaires à lémergence dune véritable prise en compte des aînés dans la redéfinition des cadres de vie au niveau local.
Toutefois, le recueil de cette parole représentée est-il suffisant pour cerner les principes de la participation citoyenne dans toute leur complexité ? Il appert que lanalyse de la parole vécue, cest-à-dire de la parole des aînés à qui sadressent les dispositifs ou instances de participation citoyenne, devrait apporter une finesse supplémentaire dans la compréhension de ce principe. Cest ce défi qui va être mis en uvre lors de la seconde année du PEIV et qui va consister en lapproche de ce nouveau type dacteurs, jusqualors écarté de lenquête. Cette approche compréhensive de la participation citoyenne des aînés sappuiera tout particulièrement sur la rencontre des « invisibles », cest-à-dire des aînés qui évoluent généralement en-dehors des scènes de débats et de consultation publics et dont les propos pourraient apporter un niveau de compréhension supplémentaire en termes de développement dune figure de laîné-citoyen plus en phase avec ses territoires. Afin détayer ces observations et dans une logique de comparatisme international, de premières investigations ont également été engagées au Québec. Celles-ci feront lobjet danalyses approfondies en deuxième année du PEIV, deuxième année qui vise louverture des frontières du programme détude actuellement mis en uvre principalement sur le territoire français.
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Liste des abréviations
AFC : Age Friendly Cities ou Communities
ARS : Agence régionale de santé
CCAS : Centre communal daction sociale
CNDP : Commission nationale du débat public
CNRPA : Comité national des retraités et personnes âgées
CODERPA : Comité départemental des retraités et personnes âgées
CRSA : Conférence régionale de la santé et de lautonomie
MAIA : Maison pour lautonomie et lintégration des malades dAlzheimer
MDPH : Maison départementale des personnes handicapée
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PEIV : Programme détude international sur le vieillissement
REIACTIS : Réseau détude international sur lâge, la citoyenneté et lintégration socio-économique
VADA : Villes amies des aînés
Notes
[3] La réédition serait le fruit dune collaboration entre la coopération EFFISCIENCE, La Documentation Française et les éditions LHarmattan. Voir : http://www.lamaisondelautonomie.com/reedition-du-rapport-laroque/, site consulté le 4 octobre 2014.
[4] Pour une critique radicale de la Loi sur ladaptation de la société au vieillissement, dès avant sa validation finale par le Sénat, voir par exemple Bernard Ennuyer ; Le projet de loi relatif à ladaptation de la société au vieillissement : un projet inutile voire discriminatoire !, Site du Syndicat National des enseignants de second degré, http://www.snes.edu/LOI-D-ADAPTATION-DE-LA-SOCIETE-AU.html, site consulté le 27 janvier 2015.
[5] En France, quelques études se sont penchées sur les rapports entre lurbain et le vieillissement : par exemple louvrage Villes et vieillir (Institut des villes, 2004), mais très peu se sont attelées jusquici à lier les questions de vieillissement et celles de la participation citoyenne.
[6] Ces études de cas ont été réalisées dans le cadre du Programme détude international sur le vieillissement (PEIV) développé par le Réseau détude international sur lâge, la citoyenneté et lintégration socio-économique (REIACTIS) depuis la fin 2013 et jusquen 2016 et lancé par Jean-Philippe Viriot Durandal. Présidé par ce dernier, le REIACTIS est une association qui a pour vocation de rassembler des chercheurs en sciences sociales travaillant sur la double thématique du vieillissement et de la citoyenneté. Il sintéresse à ce titre aux thématiques de la participation sociale et de lintégration citoyenne des personnes âgées depuis sa création en 2008..
[7] Pour une présentation des différents courants de la critical gerontology et de leurs intérêts pour le lecteur francophone, voir Moulaert (2012).
[8] Pour respecter le principe danonymat annoncé aux acteurs interrogés afin de favoriser le recueil dune parole libérée, les études de cas, ainsi que les références aux discours des acteurs, ont été rendues anonymes. Les villes prennent donc pour noms les quatre premières lettre de lalphabet, quant aux acteurs rencontrés, des prénoms aléatoires leurs ont été attribués.
[9] Un tableau synoptique présentant les quatre études de cas observées est disponible en annexe à cet article..
[10] Le Guide mondial de lOMS est disponible sur le site internet de lOMS à ladresse suivante : http://www.who.int/ageing/projects/age_friendly_cities_network/fr/
[11] Au Québec, le leadership local est inscrit au cur du modèle MADA comme un puissant moteur de la vigueur des « comités de pilotage » municipaux. Il peut sagir dun membre clé dans ladministration municipale mais aussi dune figure charismatique représentant les aînés (Garon et al., 2014).