SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
vol.ser2 número16Do Colégio de Santo Antão ao Alto de São João: território, obras e materiais da Quinta de Xabregas (século XVIII)O ferro como linguagem arquitetónica e urbana na cidade de Lisboa índice de autoresíndice de assuntosPesquisa de artigos
Home Pagelista alfabética de periódicos  

Serviços Personalizados

Journal

Artigo

Indicadores

Links relacionados

  • Não possue artigos similaresSimilares em SciELO

Compartilhar


Cadernos do Arquivo Municipal

versão On-line ISSN 2183-3176

Cadernos do Arquivo Municipal vol.ser2 no.16 Lisboa dez. 2021  Epub 01-Dez-2021

 

Dossier

Marqueur identitaire et vecteur de transmission : l’architecture en toub, un patrimoine en danger

Marcador de identidade e vetor de transmissão: a arquitetura em toub, um património em perigo

Identity marker and transmission vector: architecture in toub, a heritage in danger

Monia Bousninai 

i L.A.M. - Laboratoire d’Architecture Méditerranéenne, Département d’Architecture, Institut d’Architecture et des Sciences de la Terre, Université Farhat Abbés, Sétif 19000, Algérie. monia.bousnina@gmail.com


Resumo

A sociedade argelina do Saara é fundamentalmente concebida como uma sociedade tradicional, na qual a arquitetura surgiu de uma cristalização de valores sociais. Com referência ao passado, perpetua a memória e transmite conhecimentos. Esta contribuição pretende definir os fatores determinantes na conceção deste património edificado que tende a desaparecer. A partir de um estudo urbano, arquitetónico e antropológico, confirma a importância do material de construção (toub) na constituição do modelo cultural. O material dá forma à arquitetura popular feita à medida do homem, e para o homem, através da qual a cultura de um povo (de uma sociedade) é materialmente transcrita. Adaptado às exigências do clima, muitas vezes uma reprodução reduzida da ordem cósmica, o habitat tradicional do Saara estabelece o equilíbrio entre o homem, o meio ambiente e a sua cultura.

Palavras-chave: Património; Meio-ambiente; Toub; Modelo; Transmissão

Résumé

La société algérienne saharienne est conçue fondamentalement comme une société traditionnelle où l’architecture découle d’une cristallisation des valeurs sociales. En référence au passé, elle perpétue la mémoire et transmet des savoirs. Cette contribution a pour objet de définir les facteurs déterminants dans la conception de ce patrimoine bâti qui tend à disparaître. Basée sur une étude urbaine, architecturale et anthropologique, elle confirme l’importance du matériau de construction (toub) dans la constitution du modèle culturel. Le matériau donne forme à une architecture populaire faite à la mesure de l’homme, pour l’homme, à travers laquelle se transcrit matériellement la culture d’un peuple (d’une société). Adapté aux exigences du climat, souvent reproduction réduite de l’ordre cosmique, l’habitat traditionnel saharien établit l’équilibre entre l’homme, l’environnement et sa culture.

Mots-clés: Patrimoine; Environnement; Toub; Modèle; Transmission

Abstract

Algerian Saharan society is fundamentally conceived as a traditional society where architecture stems from a crystallization of social values. With reference to the past, it perpetuates memory and transmits knowledge. This contribution aims to define the determining factors in the design of this built heritage which tends to disappear. Based on an urban, architectural, and anthropological study, it confirms the importance of the building material (toub) in the constitution of the cultural model. The material gives shape to popular architecture custom made to man, for man, through which the culture of a people (of a society) is materially transcribed. Environmental built, often a reduced reproduction of the cosmic order, the traditional Saharan habitat establishes a balance between man, the environment, and his culture.

Keywords: Heritage; Environment; Toub; Model; Transmission

1. Introduction

La société algérienne saharienne est conçue fondamentalement comme une société traditionnelle. Elle se présente comme un télescopage d’une carte physique moderne et d’une carte mentale traditionnelle. L’utilisation humaine de l’espace et les relations que la société tisse à travers cet espace montre que l’architecture est le résultat d’une cristallisation des valeurs sociales. En fait, la forme de l’habitation est fortement influencée par des facteurs physiques (le territoire, le climat, la topographie, l’environnement…) et des facteurs socioculturels (la religion, la tradition, les pratiques, l’organisation sociale, le symbolisme, l’économie, le savoir-faire…).

Du toub (matériau utilisé localement) et de ses techniques de mise en œuvre vont aussi dépendre la forme. De son utilisation résulte une architecture populaire emprunte du souci de transmettre une tradition. C’est une construction faite à la mesure de l’homme, pour l’homme, à travers laquelle se transcrit matériellement la culture d’un peuple (d’une société). Adapté aux exigences du climat, souvent reproduction réduite de l’ordre cosmique, à travers des formes diverses, l’habitat traditionnel saharien établit l’équilibre entre l’homme, l’environnement et sa culture. Il représente un modèle culturel, qui, en référence au passé, perpétue la mémoire. De fait, le patrimoine culturel est un bien commun qui représente un pan d’une histoire, d’une ville, d’une société. Il est un élément de stabilité dans un monde en évolution rapide (Barillet, Joffroy et Longuet, 2006).

Cette contribution a pour objet de définir les facteurs déterminants dans la conception de ce patrimoine bâti qui tend à disparaître. Basée sur une étude urbaine et architecturale, elle confirme l’influence du matériau de construction, le toub, sur sa spécificité et son rôle dans la constitution du modèle. On ne peut, par ailleurs, traiter de l’habitat traditionnel saharien sans aborder l’aspect bioclimatique et durable de la construction. L’observation du processus de construction, appuyé par les données contextuelles climatiques et culturelles de la région, a montré une habitation bioclimatique conçue pour s’adapter au micro-climat de la ville, aux modes et rythmes de vie de ses habitants.

D’un point de vue anthropologique, l’objet s’impose avant tout comme une forme de réponse aux besoins de ses habitants et de ce qu’ils considèrent comme étant leur « bien-habiter ». Ce produit de l’auto-construction reflète totalement ce à quoi ils s’identifient. Interprétation de valeurs culturelles acquises et immuables soumises à la tradition, l’habiter est le résultat d’une organisation spatiale élaborée en référence à des modèles culturels où le facteur symbolique est omniprésent.

Ce patrimoine culturel est menacé non seulement par l’action de la nature, mais aussi par l’aspect social que représente la perte des techniques de construction traditionnelles. Il ne faut pas minimiser l’importance de ce savoir et la nécessité de le sauvegarder et de le promouvoir pour le transmettre aux générations futures. Dans une logique de développement durable de la société moderne, elles pourraient s’avérer être de précieux outils et solutions pour apporter des réponses à des problèmes qui se posent aujourd’hui.

Nous avons eu recours à diverses méthodes afin de cerner le rapport entre patrimoine bâti, savoir et société. Cette étude est en premier lieu, le résultat d’une lecture s’appuyant sur des données empiriques (recueillies sur la base d’observations sur terrain) couplées à une expertise de la tradition orale. L’aspect morphologique urbain et architectural a nécessité l’utilisation de l’analyse typo-morphologique. Elle a mis à jour les principes d’organisation de l’espace de la maison dans son mode d’agencement et des éléments susceptibles d’élaborer une typologie des constructions.

Parallèlement à l’analyse de la forme, la recherche est orientée vers l’anthropologie spatio-symbolique (symbolic anthropology) et interprétative comme moyen pour étudier des pratiques comportementales d’un fragment de la société algérienne (saharienne, située dans le Sud Ouest algérien), imprégné de la tradition culturelle musulmane. En appliquant une approche interprétative, les symboles sont étudiés dans leur contexte social et culturel (Turner, 1981). Ils sont généralement partagés publiquement et reconnus par beaucoup et peuvent être de différentes natures.

Dans notre cas, il s’agit d’une architecture authentique représentative d’une identité régionale, culturelle et mémorielle. Récemment, les recherches et les préoccupations théoriques de nombreux anthropologues ont de nouveau porté sur le rôle des symboles - religieux, mythiques, esthétiques, politiques et même économiques - dans les processus sociaux et culturels. Ces symboles rituels sont censés être les principaux outils par lesquels l’ordre social est renouvelé (Turner, 1967). À travers de cette démarche, nous tenterons de voir, au-delà de cette imbrication entre la forme spatiale et sociale, les rapports symboliques qu’entretiennent les habitants avec ce bâti traditionnel en toub.

2. Une approche patrimoniale

Le patrimoine historique concerne une diversité d’objets reconnus d’après leur commune appartenance au passé, parmi lesquels les travaux et produits de tous les savoirs et savoir-faire des humains (Choay, 1992). Parmi les nombreuses significations et dérivés de ce concept, il y a le patrimoine bâti qui fût dans le passé limité aux édifices dits monuments historiques. De nos jours, l’expression recouvre l’ensemble des formes de l’art de bâtir : savantes et populaires, urbaines et rurales ; toutes les catégories d’édifices, publics et privés, somptuaires et utilitaires (Merlin et Choay, 1988). Parmi eux, l’architecture vernaculaire reconnue en tant que patrimoine urbain historique.

Aujourd’hui, la thématique de la valorisation du patrimoine culturel occupe une place majeure. Elle prend en considération l’importance des patrimoines et des traces culturelles dans la représentation des territoires. Le patrimoine reflète l’identité d’un territoire à travers son histoire, sa culture, ses modes de vie, ses structures traditionnelles architecturales et urbaines et ses ressources naturelles. C’est un héritage culturel collectif qui reflète et transmet les identités locales. À la lumière de ce qui vient d’être dit, l’élargissement du concept de patrimoine et l’apparition de la nouvelle valeur d’usage permettent de lui accorder une autre signification. Si à l’origine, il apparaît comme un symbole de l’unité nationale, il concerne aujourd’hui une diversité d’objets mobilisés par différents outils de l’aménagement et du développement du territoire tels les plans de sauvegarde, les périmètres et zones de protection du patrimoine architectural et urbain… D’ailleurs, en quelques décennies, le patrimoine a acquis une fonction de développement, un statut de ressource (François, Hirczak et Senil, 2006).

Cependant, au-delà de son intérêt économique, l’acceptation du concept patrimoine comme ressource des territoires ne peut se faire sans prendre en considération la dimension socioculturelle qu’il véhicule. La prise en considération de cette ressource permet la pérennité de la mémoire des lieux (Nora, 1984). Sa reconnaissance au-delà du statut de ressource crée la personnalité du territoire (Guérin, 2001), alors que négligence engendre une perte d’identité.

Ce sont les éléments patrimoniaux matériels ou immatériels présents dans un territoire qui contribuent fortement à la cohésion sociale (Peron, 2001) et à cette reconnaissance identitaire. Cette dynamique se déroulant sur le long terme, patrimoine et territoire font tous deux références au temps et donc à la mémoire. En fait, tous deux n’existent que s’ils sont pris dans « un rapport social de communication » (Raffestin, 2019). Ils sont l’objet d’une construction sociale, édifiée par l’usage qui les charge de sens (Greffe, 2003). Ceci implique que l’objet seul, ne pouvait être objet de patrimoine par nature. Sa relation à son univers d’origine a été socialement construite et en a fait un opérateur symbolique (Davallon, 2006).

La patrimonialisation se définit comme le processus de reconnaissance par une communauté d’une valeur patrimoniale aux productions de sa culture, héritage du passé ou productions actuelles, jugées dignes d’être transmises aux générations futures (Conférence Européenne..., 2003). En d’autres termes, il signifie la procédure par laquelle on a donné du sens, à un moment donné de l’histoire des sociétés, à un ensemble de biens et savoirs. Il devient alors essentiel de les sauvegarder, de les revaloriser et de les mettre en valeur au profit des générations actuelles et transmis aux générations futures (Skounti, 2010).

La patrimonialisation d’un objet est plus liée à ce processus de reconnaissance et de transmission qu’au statut intrinsèque de l’objet lui-même. Aussi, tout objet peut potentiellement acquérir le statut de patrimoine, même si tous ne le deviennent pas. Parfois, le processus de revalorisation s’applique à des espaces oubliés et désaffectés jusqu’ici (Gravari-Barbas et Veschambre, 2000-1).

Diverses recherches ont montré que l’étude du processus de patrimonialisation revêt autant d’importance que l’étude des éléments contribuant à sa genèse (Skounti, 2010, p. 19). Cela veut dire que la notion de patrimoine s’insère dans une logique de valorisation au-delà de sa dimension matérielle et immatérielle. Aux origines de l’intérêt porté à l’étude du concept patrimoine, pour des auteurs tels que Choay (1992) et Bourdin (1992), toute revendication patrimoniale est sensée s’appuyer sur ces principales valeurs : l’historicité, l’exemplarité, la beauté, l’identité, la valeur économique et la valeur d’usage. Selon Aloïs Riegl (2001), ancienneté, beauté et authenticité sont les principales valeurs qui se conjuguent, à des degrés divers, dans toute logique patrimoniale. Dans sa contribution il définit trois valeurs majeures : la valeur d’ancienneté, la valeur d’historicité et la valeur de remémoration intentionnelle. Les valeurs du temps sont primordiales dans l’architecture traditionnelle. La valeur de remémoration confère à l’édifice son caractère patrimonial, du fait qu’il appartient au passé.

Il y a une autre valeur qui est à l’origine de l’attachement que beaucoup d’entre nous portent au patrimoine. Elle n’a été identifiée que récemment par des spécialistes de la question patrimoniale, comme Xavier Greffe. Il s’agit de la valeur sociale. Les édifices patrimoniaux renforcent l’identité sociale des habitants d’une commune, leur apportent la fierté de résider dans leur quartier. La population locale peut trouver des sources de rassemblement dans un environnement bâti riche et chargé d’histoire. Tenir compte du passé permet de créer une identité commune. Ce qui s’avère être plus favorable dans un milieu marqué par des signes patrimoniaux forts. Par leur valeur sociale, des objets participent à l’affirmation d’un sentiment d’appartenance à la même structure sociale : sentiment local (appartenance à une commune) ou bien national (appartenance à un pays).

L’Algérie dispose d’un patrimoine archéologique, urbain et architectural riche et varié. Présent à travers l’héritage du bâti précolonial et la particularité de sa configuration spatiale représenté par les structures traditionnelles (casbah, médinas, ksours…). Ce cadre bâti et les pratiques qui lui sont liées sont signifiants. Ces villes historiques le sont tant d’un point de vue bâti que par rapport aux modes de vie, aux pratiques sociales et économiques dont elles sont le support.

La loi 98-04 du 15 juin 1998 sur le patrimoine a pour objet de définir le patrimoine culturel de la nation, d’édicter les règles générales de sa protection, sa sauvegarde et sa mise en valeur, et de fixer les conditions de leur mise en œuvre. Aux termes de la présente loi, ont été considérés comme patrimoine culturel de la nation : les biens culturels immobiliers, les biens culturels mobiliers et les biens culturels immatériels.

Parmi les biens immobiliers définis par l’article 8, les ensembles urbains ou ruraux qui peuvent être soumis à l’un des régimes de protection comprenant le classement ou la création en « secteurs sauvegardés ». Il est stipulé qu’ « un site historique peut comprendre tout ou partie de villes, de villages, d’espaces bâtis ou non bâtis présentant l’intérêt national » (Loi nº 98-04, 1998). Ce regain d’intérêt pour le patrimoine reste néanmoins restrictif. Le texte de la reconnaissance des ensembles urbains signifiants comme patrimoine ne stipulent que des mesures de classement en « secteurs sauvegardés », selon une vision passive de protection et de préservation des sites patrimoniaux.

3. La construction de toub, un patrimoine à sauvegarder

L’espace urbain est un « produit social » (Segaud, 1972, p. 36), un espace de représentation socialement et idéologiquement marqué. Il est l’objet de pratiques sociales et idéologiques qui différencient et caractérisent ses lieux. Ces pratiques et contenus véhiculées à travers les générations d’habitants font son histoire et son passé survit dans ce que les groupes ont cherché ou non, à conserver, à utiliser ou réutiliser, à mettre en valeur, à oublier ou à commémorer. L’architecture traditionnelle, dans son intégrité, fait ces contenus à sauvegarder. Ils constituent ce lieu de vie qui devient, alors, représentatif de l’identité personnelle et collective et dont les relations sociales sont le centre de la mémoire. Cet espace de partage est non seulement une réalité matérielle, caractérisée par ses propriétés physiques, par ses dimensions topographiques et par ses coordonnées cosmographiques, mais aussi une réalité sémantique (Monnet, 1998).

En tant que réceptacle de la mémoire urbaine construite par les éléments de sa mémoire collective (Haas, 2002), l’espace de la ville constitue le lieu symbolique qui assure l’union et l’adhésion des membres du groupe à une histoire commune. Dans la société moderne, la culture est visitée à travers un passé figé dans des « lieux de mémoire ». Le passé y est sujet à la contemplation et enterré sous forme de signes dans des musées. Contrairement aux sociétés traditionnelles qui ne comptent que des acteurs. L’homme n’est pas spectateur de son passé. La mémoire est vécue quotidiennement à travers la tradition et le passé est glorifié par un mode de vie élaboré en référence à des modèles culturels qui impliquent à la fois pratique et symbolique qui concernent de nombreux aspects de la vie au quotidien.

La mémoire est vécue dans les attitudes, les comportements de la vie matérielle, morale et spirituelle et la culture est vécue dans les milieux de mémoire collective. Les matériaux auraient eux aussi une mémoire qui permet de les situer dans ces expériences spatio-temporelles. Dans le sens où ils sont porteurs de messages et d’histoires. En fonction de notre vécu, ils vont nous stimuler des sensibilités différentes. On pourrait qualifiait ça, de manière métaphorique, à un phénomène de « fossilisation des expériences par les matériaux ». Le souvenir reste figé dans le matériau comme dans un processus de fossilisation (Lavernhe, 2005).

La construction saharienne traditionnelle présente un intérêt majeur pour la connaissance. Elle est source de savoir, d’histoire, de valeurs socioculturelles indéniables. Garante autant de valeur d’ancienneté, mémorielle, culturelle, identitaire, cognitive qu’économique, elle constitue un potentiel à exploiter dans de nombreux domaines. Citons parmi elles, la valeur cognitive qui est primordiale dans la reconnaissance du type architectural et du savoir constructif qu’il véhicule. C’est à dire qu’elle implique que l’objet doit nous enseigner quelque chose. Le patrimoine bâti est un support pour beaucoup d’enseignements sur l’histoire, la sociologie, l‘ethnographie, l’anthropologie… Conséquemment, il peut être considéré comme un vecteur de connaissances, un statut qui lui vaut cette valeur cognitive. D’un point de vue économique, il représente un atout majeur. Que ce soit d’un point de vue touristique ou culturel, c’est un potentiel à exploiter pour redynamiser économiquement la localité et faire revivre une mémoire oubliée.

4. Une approche environnementale

Les habitations étudiées se situent dans l’extension urbaine du Ksar, qui constitue le principal témoignage d’une civilisation. Il reflète l’expression d’une culture et d’une organisation sociale et spatiale, porteur de traditions et modèle d’une économie durable. A l’image de cette structure vernaculaire, porteuse de tant de significations, les habitations qui en sont l’inspiration, reflètent fidèlement le degré de culture et d’autonomie culturelle ainsi que la cohérence sociale d’une population à un moment de son histoire (Hensens, 1969).

L’architecture de terre présente de nombreux avantages tant sur un plan écologique qu’économique et social. D’un point de vue environnemental, l’utilisation de ce matériau nous situe dans une démarche de construction durable. Le matériau terre ne générant pas d’émission de carbone lors de sa production (Kur, 2005), étant biodégradable et réutilisable (Little et Morton, 2001), il ne nuit pas à l’environnement. Il s’agit d’une structure massive et ses murs massifs bénéficient d’une bonne inertie thermique et d’une isolation phonique. La terre garantit également un confort naturel hygrothermique et acoustique.

D’un point de vue économique et social, la terre présente de nombreux avantages : c’est un matériau naturel, abondamment et localement disponible et recyclable. La production et l’extraction locale du matériau entraîne des avantages tels que la transmission locale des savoirs et techniques à travers la formation des bâtisseurs. Cette revalorisation de l’architecture de terre contribue à valoriser la diversité des cultures constructives et à encourager le développement local. Les constructions en toub sont respectueuses de l’environnement : sites, paysages naturels et urbains. Elles s’intègrent parfaitement et leur aspect extérieur général (la couleur, texture, hauteur…) se fond dans leur environnement naturel et bâti.

Le savoir technique traditionnel de la construction en toub porte sur ses principes de mise en œuvre ainsi que sur la répartition des tâches entre les intervenants. C’est un savoir-faire régional (à l’échelle du Sud algérien) qui constitue un patrimoine identitaire, culturel et social. La maison traditionnelle est construite à l’aide de matériaux localement disponibles dût à l’enclavement de la région saharienne et aux conditions de vie de populations défavorisées basées sur l’économie de subsistance. Des techniques simples et ancestrales, parfaitement maîtrisées par les populations locales sont utilisées pour contrer un climat particulièrement aride. Les fondations et soubassements des murs sont réalisés en pierre pour stabiliser la construction et la protéger contre les risques d’écroulement face aux intempéries caractéristiques de la région (pluies diluviennes, crues de l’oued et inondations). La terre est utilisée pour la plus grande partie de la maçonnerie et le bois de palmier pour les toitures.

Aujourd’hui, le système constructif de type traditionnel tend à disparaître. Les maisons anciennes en toub sont en très mauvais état et se délabrent. Elles sont occupées par des ménages à faible revenus n’ayant pas les moyens de les entretenir convenablement. En plus des facteurs climatologiques, la sur occupation s’ajoute comme un facteur de dégradation aggravant. D’où s’explique la tendance à réaliser les travaux de réhabilitation et de consolidement de la structure selon un système constructif mixte où le toub est remplacé par le béton et le fer. Employé fréquemment, ce type de système constructif combine le système traditionnel et le système poteau-poutre. Les murs n’y sont plus porteurs et les constructions sont renforcées par une structure en poteau-poutre. Le remplissage reste en toub au rez-de-chaussée, à l’étage, il est généralement remplacé par de la brique ou du parpaing.

La restauration des maisons anciennes ainsi que leur consolidation se fait dorénavant avec des matériaux exogènes (fer, béton…). Leur utilisation aux espaces du Sud, se généralise. Depuis des générations, les populations sahariennes produisent avec un matériau local une architecture et un urbanisme vernaculaires authentiques. C’est aussi un savoir technique qui s’adapte parfaitement aux besoins de l’écosystème oasien. Aller à l’encontre de ces principes équivaudrait à perdre en partie cette identité locale et ce patrimoine culturel bâti.

5. Cas d’étude

La ville de Béchar est la plus grande wilaya du Sud-Ouest algérien. Située au Nord-Ouest du Sahara algérien et à 950 kilomètres au Sud-Ouest d’Alger, elle représente une commune d’une superficie qui dépasse les 2600 Ha, caractérisée par un climat de type désertique continental. L’aire d’étude (le quartier du Ksar) est située dans le cadre physique compris dans la coupure des deux plaines (appelées localement Bargas) sur un terrain plat à proximité de Oued Béchar. Agglomération traversée de part et d’autre par un important axe routier (la RN6), elle abrite divers types de tissus urbains. Dont le quartier du Ksar, extension de la première implantation sédentaire (le Ksar), qui fait partie des nouveaux secteurs autochtones naquit de l’urbanisme spontané.

Dans les années 1950, à l’image de l’ensemble des villes sahariennes à cette époque, Béchar a connu un urbanisme planifié par les autorités coloniales qui développent par la suite de nombreux quartiers et cités résidentielles. Après la deuxième guerre mondiale, un urbanisme spontané apparaît. Cette croissance urbaine s’explique non seulement par les conditions socioeconomiques rigoureuses dues au contexte économique mondial, mais aussi par la sédentarisation forcée des nomades suite à la promulgation de la loi de 1958, interdisant le nomadisme.

L’administration coloniale voulant se substituer au pouvoir exercé par des nomades sur les territoires sahariens, avait recouru très tôt à leur contrôle. Le nomadisme se rétrécit pour devenir pastoralisme. La circulation des nomades pasteurs fut encadrée par la loi de 1927 nécessitant d’octroyer une autorisation pour se déplacer avec leurs troupeaux vers le Tell, poussant de plus en plus les tribus nomades à parcourir les pâturages sahariens qui se sont à leur tour rétrécis en fonction des intérêts coloniaux dans la partie méridionale (Hadeid, 2008).

D’après Jean Bisson, « la croissance fulgurante des quartiers nomades relève d’un urbanisme spontané, à peine tempéré par le respect de la voirie… » (Bisson, 1986).

Béchar, l’agglomération urbaine la plus proche, accueille un exode transsaharien de populations nomades et ksouriennes. En quête d’emplois dans les domaines du chemin de fer, du bâtiment et de la houillère, et d’habitations stables, cette émigration donne lieu à des quartiers informels (Yousfi, 2015). Citons le cas de la création du quartier du Ksar (cas étudié) et celui de Debdaba où les Ouled Djerir, tribu nomade du Nord de Béchar, se sont sédentarisés sur les jardins aux abords de la rive gauche de l’oued, dont ils jouissaient de la propriété foncière (Hamidi, 2011). Par la suite, de nouvelles stratégies de développement ont été adoptées pour urbaniser les zones sahariennes ayant pour but de réduire les inégalités régionales et stimuler l’économie rurale (Mutin, 2004).

Le quartier du Ksar1 est né de l’extension de l’ancien Ksar de Béchar (conception vernaculaire). A l’époque, le Ksar se trouvant sous le contrôle de l’administration coloniale, les nomades venant se sédentariser ne sont autorisés à s’implanter qu’à ses abords. Leur implantation est réfléchie selon l’organisation nomade et en réponse aux principes de la structure vernaculaire. Le tissu urbain aux abords du Ksar et du cimetière est densifié et partagé entre des familles nomades et ksouriennes. D’autres fractions ethniques sont venues s’ajouter, aux nouveaux quartiers nés de l’action de l’État (Prenant et Semmoud, 2008). Les nouveaux arrivants se localisent selon leur groupe social restreint d’appartenance, en fonction des liens de sang en respectant la lignée.

A l’échelle urbaine, l’organisation est établie selon les principes du Ksar: une lecture élémentaire du tissu reflète un espace extérieur caractérisé par des ruelles étroites et sinueuses (z’guegs), des parcelles de jardins (djenens) et de grands vides urbains pour les emplacements occasionnels de la khaïma. Les maisons à patios ouverts ou couverts sont regroupées de manière compacte (accolées les unes aux autres). Elles sont de type introverti fermées au monde extérieur. La conception compacte horizontale expose le minimum de surface au soleil et au vent. La protection des façades contre le soleil se fait par des rues profondes et sinueuses qui diminuent le temps de l’ensoleillement direct des façades. Dans un environnement aussi dense, il y a très peu d’espaces pour le sable, l’éclat du soleil et les tourbillons de sable, préoccupations majeures du climat régional. Le tissu est constitué d’îlots hétérogènes, entièrement densifiés par le bâti (Figure 1).

Figure 1 Tissu du quartier du Ksar. À gauche, l' aspect du tissu, et à droite la localisation du cas étudié. Dessins de l’auteur. 

6. L’habitat traditionnel saharien : un modele aux multiples lectures

6.1. Une cosmoarchitecture

L’habitat traditionnel est le produit du type véhiculé par la tradition, c’est un habitat non spécialisé, ouvert, inachevé, dont la conception est le fruit d’une tâche commune. Il est le fruit d’un consensus des membres d’une communauté, traversant de nombreuses générations. La tradition ayant force de loi que tous respectent d’un commun accord. Il résulte de la traduction de nombreuses forces socioculturelles et répond aux exigences du milieu, aux conditions économiques et organise surtout les rapports sociaux. Le temps a en général très peu d’impact sur ce modèle d’habitation, puisque seuls quelques ajustements et variations sont à dénoter. En d’autres termes, le type véhiculé par la tradition n’est pas modifié, il traverse le temps.

La composante socioculturelle du genre de vie qui le définit est un facteur déterminant de la forme de l’habitation. D’un autre angle, elle est assimilée à un microcosme imago mundi (Norberg-Schulz, 1981, p. 18), retranscription d’un monde à l’échelle humaine où l’axe du monde virtuel, situé au milieu du « haouch » assure la communication avec les cieux. L’axis mundi (Eliade, 1965, p. 26) établit un dialogue entre la maison et l’homme dans ses dimensions ergonomiques, sociales et imaginaires. Elle représente à l’image de l’habitation négro-africaine, une cosmoarchitecture (Fassassi, 1978).

6.2. Une architecture bioclimatique durable

Des travaux en climatologie apportent un regard différent quant à la conception de l’habitation traditionnelle saharienne. Vu sous un angle climatique, on est en mesure d’affirmer qu’elle recèle de nombreuses potentialités bioclimatiques à l’échelle urbaine et architecturale (tissu compact, patio…). L’approche bioclimatique vise à obtenir un confort d’ambiance optimal pour les usagers en tirant profit des caractéristiques et particularités du lieu d’implantation tout en limitant les besoins énergétiques extérieures au site. L’habitation en toub est une habitation bioclimatique, dont l’enveloppe est adaptée au microclimat de la ville de Béchar et aux rythmes de la vie de ses habitants. C’est une habitation conçue dans un souci de confort, protégeant de l’aridité du climat tout en s’adaptant aux conditions de vie de ses usagers. Elle a su s’adapter au climat par des techniques traditionnelles de construction qui ont influé sur l’organisation de l’habitation et sa forme mais qui ne sont pas les seuls principes déterminants.

6.3. Un patrimoine culturel

Les sociétés traditionnelles sont régies par un rapport trilogique entre l’aspect spatial, l’aspect temporel et l’aspect symbolique qui gère les relations humaines par le biais de la proximité spatiale. Au territoire est associé un patrimoine culturel qui a été légué de génération en génération. Il permet aux peuples de se situer dans un continuum temporel et il confère à ce territoire des particularités distinctives, base de constitution des identités collectives (Barillet, Joffroy et Longuet, 2006). La société observée s’identifie à ces particularités culturelles distinctives (matériels et immatériels) significatives de son territoire. Parmi eux, des lieux sacralisés tels que les mausolées, dont le plus influent, le tombeau de Sidi Mohamed Ben Bouziane à Kenadsa, un paysage particulier, des dunes de sable, des oasis dont certaines de renommée internationale (Taghit, Boukais…) et une architecture typique. L’architecture en tant que système de communication cognitive assure à l’espace domestique de devenir à son tour réceptacle de ces mêmes valeurs qui constituent l’arrière-plan de la conscience collective (Durkheim, 2003).

6.4. Une architecture de toub

L’architecture saharienne est le résultat d’un consensus tacite entre l’homme et la nature. A l’image du toub, matériau naturel qui est un des concepts fondamentaux dans la conception de l’habitation saharienne. Il reflète l’expression d’une architecture locale identifiable qui permet de perpétuer un mode de vie local. On accorde le terme traditionnel à l’habitation du simple fait qu’elle soit construite en terre. Cette tendance se réfère au matériau utilisé dans l’habitation et aux méthodes de construction qu’impliquent son utilisation. D’ailleurs, le « génie de terre » est attribué à la tradition conservée et perpétuée et au savoir-faire des peuples (Mullender, 1981). C’est une « architecture du vécu » s’adaptant aux conditions particulières du milieu social, économique, géographique et climatique.

Le toub est un matériau mondialement utilisé. C’est un mot berbéro-arabe (assimilé en espagnol il signifie adobe) qui désigne des briques de terre crue séchées au soleil. Les techniques utilisées différent selon les régions et les savoirs-faire qui se transmettent depuis des millénaires. Après l’extraction de la terre à l’aide d’outils rudimentaires elle ne demande aucun outillage particulier. La terre constituée de sable, limon et argile est transformée en matériau de construction selon un mode vernaculaire. Après vient l’étape de la préparation du mélange (la boue) où la fabrication de l’argile nécessite un taux d’argile dans la terre compris entre 20 et 30%. La mise en forme par le moulage en briques s’effectue manuellement. Le processus s’achève par le séchage des briques (Figure 2).

Figure 2 Détail de construction d’un mur de toub. Dessin de l’auteur. 

7. Impact de la religion, la culture et la tradition sur le modele

L’identité de l’homme arabo-musulman est façonnée dès sa naissance dans un contexte social et culturel dictés par son groupe d’appartenance. L’homme laisse transparaître à travers son comportement et sa manière d’être le tatouage culturel dont l’a fortement imprégné le conditionnement social de type traditionnel dans lequel il a de tout temps évolué (Khatibi, 1972). Nous nous trouvons en présence d’une société où l’homme n’existe pas en tant qu’individu à part entière et dispose de peu d’autonomie. Il y a des interactions constantes de l’individu sur le groupe et du groupe sur l’individu (Boas, 1920). De par ces expériences sociales, l’homme ne dispose que de peu de liberté face à la maîtrise de son espace de vie. C’est le groupe qui dispose de normes de fonctionnement, de représentations (mythes) et pratiques culturelles que chacun a intériorisées différemment selon qu’il les conçoit comme des « modèles culturels », des « schémas internes acquis » ou des « habitus » (Pinson, 1993, p. 160).

Il faut savoir que l’Islam est une religion qui guide l’ensemble des conduites individuelles et familiales. Il prône la solidarité familiale et la cohérence sociale. Cette idéologie se calque sur la structure de l’habitation, son organisation et ses pratiques sociales. Mais, outre, la religion, la tradition a une grande place dans la structure de l’espace de la société arabe. Elle organise le rapport entre les espaces intérieurs et extérieurs, elle impose la « sexualisation » des espaces et régit les codes des comportements vis-à-vis des différents espaces (Pinson, 1992, p. 38).

Dans le contexte traditionnel, l’identité de l’homme présuppose l’identité du lieu. L’homme s’identifie fortement à l’espace dans lequel il évolue. Nous habitons selon notre manière d’être (Heidegger, 1996, p. 84) et la relation de l’homme et de l’espace n’est rien d’autre que l’habitation pensée dans son être (Honoré, 1996, p. 85). D’ailleurs, le lieu représente un « habiter ensemble » caractérisé par une langue, un mode de vie, des mythes et des rites, une culture, fondant une coappartenance, source d’identité (Honoré, 1996, p. 95). Ce qui explique le processus selon lequel l’homme en habitant reproduit sur son « habité » tout ce qu’il a acquit à travers son apprentissage de l’environnement social et spatial.

L’habitat traditionnel Bécharois présente des spécificités qui suscitent l’intérêt tant sur le plan urbain qu’architectural. Ces caractéristiques morphologiques font l’authenticité de cette architecture en structurant une typologie propre à la région. Cette étude consiste en la mise en évidence de ce modèle architectural afin d’éviter la perte de son identité, de l’inspiration et de la mémoire qu’il représente et assurer la transmission d’un savoir. Ce type architectural est la réplique d’une structure spatiale conditionnée par le milieu, les facteurs culturels, l’organisation sociale et le symbolisme. Il abrite des pratiques domestiques qui correspondent à un mode de vie spécifique et sont la réplique d’une organisation spatiale structurée et ordonnée par des principes tels que l’introversion, la polarité (bipolarisation de l’espace), la centralité spatiale... C’est un mode d’agencement conçu en fonction des comportements et des besoins spécifiques dictés par la culture saharienne.

8. L’espace de la maison dans son mode d’agencement

Les maisons occupent de petites surfaces calquées sur la taille des parcelles de jardins. Elles sont de type introverti et les murs extérieurs sont généralement aveugles percés de petites ouvertures. Les habitations se présentent sous quatre formes d’occupation variant autour de deux éléments structurants de l’habitation qui font partie intégrante du vécu des usagers. Elles possèdent un « haouch » couvert percé d’un trou « aïn ed dar » recouvert d’un grillage pour assurer l’aération et l’éclairage de l’espace central. Leur invariabilité et leur répétition nous autorise à les considérer comme des éléments typiques de l’habitation traditionnelle urbaine saharienne.

L’espace de centralité « el haouch » (Cheriguen, 1993, p. 96)2 est un élément commun à la majorité des habitations, il se présente sous diverses formes et positionnements dans la parcelle. En fait, ce ne sont ni sa configuration ni son emplacement qui lui confèrent son appellation, mais sa fonction déterminante dans l’agencement de l’habitation. Endroit très apprécié des femmes, il bénéficie d’un courant d’air permanent leur assurant le confort de vaquer à leurs occupations quotidiennes dans la fraîcheur. C’est un espace multifonctionnel ouvert à un grand nombre de pratiques domestiques. Le deuxième élément typique, l’oeil de la maison, « aïn ed dar ». Il s’agit d’une ouverture zénithale carrée (<1 m2) localisée dans le plafond de l’espace de centralité qui fait office de conduit d’aération et d’éclairage mais qui occupe aussi une fonction symbolique. Littéralement traduit par « œil de la maison », cet orifice est garant de la protection contre les forces maléfiques. C’est une fenêtre sur le ciel qui symbolise la relation entre la terre et le ciel (Figure 3).

Figure 3 Relevé d’une habitation traditionnelle type. Dessins de l’auteur. 

En se basant sur l’hypothèse que l’espace intérieur a trois fonctions : vie familiale, activité économique et réception des hôtes (Pezeu-Massabuau, 1983), l’observation des pratiques sociales (pratiques d’usage et d’appropriation de l’espace vécu quotidien) consiste à comprendre les principes d’organisation spatiaux et fonctionnels des différents espaces et leur mode d’agencement. Dans la maison bécharoise, l’homme a tendance à reproduire en petite version sa vision du monde. Une vision chargée de concepts fondamentaux, profondément enracinés dans son inconscient arabo-musulman, vont être reproduits sur son « habité ». Tous ces concepts deviennent des valeurs sociales qui régissent sa vie quotidienne : la centralité, l’introversion, les dualités structurales…

La maison saharienne est conçue traditionnellement à l’image d’un microcosme, elle équivaut « à la création du monde ». En construisant son « habité », l’homme saharien crée son propre monde (son cosmos), basé sur sa propre représentation. Tout au long de son expérience sociale, il acquiert un savoir et des connaissances qu’il utilise pour créer un imago mundi ou son propre microcosme (Norberg-Schulz, 1981, p. 18). Afin de protéger ce microcosme de l’influence néfaste des forces extérieures, il a recours à l’introversion. Elle se traduit spatialement par un processus complexe d’introduction de l’espace extérieur (public) à la sphère intime (privée) de la maison. L’habitation est protégée par des filtres spatiaux de protection contre l’extérieur. Pour y accéder il faut traverser des espaces de différentes natures auxquels correspondent différents degrés de privatisation, zenga, derb, el’atba, skiffa et el haouch, la maison. L’introversion est justifiée en réponse au souci de protection des agressions de l’environnement (aridité du climat, vents de sable, pluies torrentielles…). Mais elle vient aussi en réponse à l’un des préceptes de la religion (l’Islam), à savoir le regroupement, le repli sur soi (kitman).

La centralité ou la circularité est l’un des autres concepts fondamentaux de l’espace arabo-musulman. La circularité est considérée comme étant le premier aspect de l’espace arabe. Cette manière de concevoir la maison selon une organisation circulaire en Orient est très différente de l’organisation linéaire que l’on retrouve souvent en Occident (couloir..., etc.). Le modèle saharien ne dérogeant pas à la règle, l’ensemble des habitations sont organisés autour d’un espace de centralité, le « haouch » : espace ouvert ou couvert autour duquel s’articulent et s’ouvrent toutes les pièces majeures de la maison.

En plus de l’introversion et de la centralité, l’étude des pratiques sociales a révélé la présence d’une logique d’organisation spatiale « cachée » régit par des polarités. Ce qui implique que l’habitation Bécharoise soit organisée selon une série d’oppositions : espace public/espace privé, espace extérieur/espace intérieur, espace pour la famille/espace pour les étrangers, espace masculin/espace féminin, espace diurne/espace nocturne, espace hivernal/espace estival, espace central/espace périphérique, espace sacré/espace profane, espace ouvert/espace fermé.

Ce principe de polarité structurale engendre la multifonctionnalité des espaces, leur polyvalence ainsi qu’une hiérarchisation spatiale, selon laquelle, les usagers attribuent des valeurs différentes aux espaces selon les circonstances.

9. Conclusion

L’homme est le premier responsable de la déperdition de son patrimoine. Les facteurs naturels (pluies, vents, aridité du climat) et techniques liées aux aspects de la construction (matériau de construction) ne sont pas les seuls mis en cause dans la dégradation des sites et de leurs aspects architecturaux. Le facteur humain a un impact fondamental dans cette mise en danger. Les transformations que les individus apportent aux habitations sous l’influence des modèles exogènes, symboles de modernité et d’ascension sociale, ont un effet déterminant sur le devenir du cadre bâti. La tendance à la modernité fait que les villes sont davantage exposées aux risques d’effacement de leur passé sous toutes ses formes (Barillet, Joffroy et Longuet, 2006).

On assiste à l’émergence d’un nouveau type de maison « contemporain ». Les transformations, sans toucher la conception initiale dans son mode d’organisation interne, concernent beaucoup plus le nombre d’étages, les matériaux, les ouvertures sur l’extérieur (balcons, fenêtres…), le revêtement extérieur des façades, l’ajout de pièces… Ces transformations apparentes constituent des signes ostentatoires de « modernité ». Le modèle en lui-même étant rarement modifié dans ses fondements.

Ce phénomène transcrit nettement le conflit permanent que subit l’individu partagé entre tradition et modernité. Eternel dilemme qui se traduit spatialement par « un habitat dans lequel les habitants construisent l’espace à l’image qu’ils se font de l’urbanité » (Côte, 1993, p. 267). Le besoin d’être conforme à l’image qu’ils se font de leur « temps » efface leur identité et renie leur appartenance à une culture et à un territoire. L’architecture traditionnelle, qui reflète et transmet les identités locales, doit absolument être préservée. Peut-être pas dans sa totalité, mais certains facteurs déterminants tels que le matériau toub qui en est le garant de l’authenticité. Représentatif de cette mémoire des lieux, il devrait être réfléchi autrement et réadapté au gré des besoins des usagers et du temps.

Références bibliographiques

Études

BARILLET, Christian; JOFFROY, Thierry; LONGUET, Isabelle - Patrimoine culturel et développement local : un guide à l’usage des collectivités locales africaines [En ligne]. Grenoble : CRAterre ; UNESCO, 2006. Disponible sur Internet : https://craterre.hypotheses.org/197.Links ]

BISSON, Jean - De la zaouia à la ville : el ABiodh Sidi Cheikh, ou la naissance d’une ville nomade. In Petites villes et villes moyennes dans le monde arabe. Tours : URBAMA, 1986. tome 1, p. 145. (Fascicules de recherches ; nº 16-17). [ Links ]

BOAS, Franz - The methods of ethnology. American Anthropologist. V. 22 N. 4 (1920), p. 311-321. [ Links ]

BOURDIN, Alain - Patrimoine et demande sociale. In NEYRET, Régis, dir. - Le patrimoine, atout du développement. Lyon : PUL, 1992. p. 21-26. [ Links ]

CHERIGUEN, Foudil - Toponymie algérienne des lieux habités. Alger : Epigraphe, 1993. [ Links ]

CHOAY, Françoise - L’allégorie du patrimoine. Paris: Editions du Seuil, 1992. [ Links ]

CONFÉRENCE EUROPÉENNE DES MINISTRES RESPONSABLES DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, 13, Ljubljana, 2003 - Documents de la Conférence. Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe, 2005. (Série Territoire et paysage ; nº 1) [ Links ]

CÔTE, Marc - L’Algérie ou l’espace retourné. Constantine : Editions Media Plus, 1993. [ Links ]

DAVALLON, Jean Paul - Le don du patrimoine : une approche communicationnelle de la patrimonialisation. Paris : Hermes Science-Lavoisier, 2006. [ Links ]

DURKHEIM, Emile - Les formes élémentaires de la vie religieuses. Paris : Presses Universitaires de France, 2003. [ Links ]

ELIADE, Mircea - Le sacré et le profane. Paris : Editions Gallimard, 1965. [ Links ]

FASSASSI, Masudi Alabi - L’architecture en Afrique noire. Paris : François Maspero, 1978. [ Links ]

FRANÇOIS, Hugues ; HIRCZAK, Maud ; SENIL, Nicolas - Territoire et patrimoine : la co-construction d’une dynamique et de ses ressources. Revue d’Economie Régionale et Urbaine. V. 5 (2006), p. 683-700. [ Links ]

GRAVARI-BARBAS, Maria ; VESCHAMBRE, Vincent - Introduction. Norois. Nº 185 (2000-2001), p. 3-5. [ Links ]

GREFFE, Xavier - La valorisation économique du patrimoine. Paris : La Documentation Française, 2003. [ Links ]

GUÉRIN, Jean Paul - Patrimoine, patrimonialisation, enjeux géographiques. In FOURNIER, Jean Michel, dir. - Faire la géographie sociale aujourd’hui. Caen : Presses Universitaires Caen, 2001. p. 41-48. (Documents de la MRSH ; vol. 14). [ Links ]

HAAS, Valérie - Approche psycho sociale d’une reconstruction historique : le cas vichyssois. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale. V. 53 (2002), p. 32-45. [ Links ]

HADEID, Mohamed - Approche anthropique du phénomène de désertification dans un espace steppique : le cas des hautes plaines occidentales algériennes. VertigO : La Revue Électronique en Sciences de L’Environnement [En ligne]. V. 8 Nº 1 (2008). [Consulté : 18/12/2020)]. Disponible sur Internet : Disponible sur Internet : http://journals.openedition.org/vertigo/5368 . DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.448. [ Links ]

HAMIDI, Abdelkader - L’évolution d’un quartier périphérique en centre d’animation : Debdaba (Béchar). Insaniyat [En ligne]. Nº 51-52 (2011), p. 185-196. [Consulté : 06/12/2020]. Disponible sur Internet : Disponible sur Internet : http://journals.openedition.org/insaniyat/12647 . DOI : https://doi.org/10.4000/insaniyat.12647. [ Links ]

HEIDEGGER, Martin - Essais et conférences. In HONORE, Bernard - En chemin avec Heidegger sur la pensée de l’espace-lieu : le sens du lieu. Bruxelles : Editions OUSIA, 1996. [ Links ]

HENSENS, Jean - Habitat rural traditionnel des oasis présahariennes : le Qsar : problèmes de rénovation. Bulletin Économique et Social du Maroc [En ligne]. Nº 114 (1969). Disponible sur Internet : http://besm.mmsh.univ-aix.fr/n/Pages/114-03.aspx.Links ]

HONORÉ, Bernard - En chemin avec Heidegger sur la pensée de l’espace-lieu: le sens du lieu. Bruxelles : Editions OUSIA, 1996. [ Links ]

KHATIBI, Abdelkebir - La mémoire tatouée : autobiographie d’un décolonisé. Paris : Les Lettres Nouvelles Denoël, 1972. [ Links ]

KUR, Friedrich - L’habitat écologique quels matériaux choisir. Edition: Terre vivante, 2005. [ Links ]

LAVERNHE, Audrey - Les effets poétiques des matériaux. Toulouse : ENSAT, 2005. (Mémoire AMC). [ Links ]

LITTLE, Becky ; MORTON, Tom - Building with earth in Scotland : innovative design and sustainability. Edinburgh : Editions Scottish Executive Central Research Unit, 2001. [ Links ]

Loi nº 98 - 04 du 15 juin 1998. Journal Officiel de la République Algérienne. 44 (98/06/17), p. 3-15. Article 20. [ Links ]

MERLIN, Pierre ; CHOAY, Françoise - Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. Paris : PUF, 1988. [ Links ]

MONNET, Jérôme - La symbolique des lieux : pour une géographie des relations entre espace, pouvoir et identité. Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne]. (1998). (Politique, Culture, Représentations; doc. 56). Disponible sur Internet : http://cybergeo.revues.org/5316 ; DOI : 10.4000/cybergeo.5316. [ Links ]

MULLENDER, Jacques - Des architectures de terre. Paris : Centre Georges Pompidou, 1981. [ Links ]

MUTIN, Georges - Compte rendu du livre de BISSON, Jean - Mythes et réalités d’un désert convoité : le Sahara. Paris : L’Harmattan, 2003. Annales de Géographie [En ligne]. T. 113 Nº 640 (2004), p. 652. Disponible sur Internet : www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_2004_num_113_640_1965. [ Links ]

NORA, Pierre - Entre mémoire et histoire, la problématique des lieux. In Nora, Pierre, dir. - Les lieux de mémoire. Paris : Gallimard, 1984. tome I - La République. [ Links ]

NORBERG-SCHULZ, Christian - Génius-loci, paysage, ambiance, architecture. Bruxelles : Editions Pierre Mardaga, 1981. [ Links ]

PERON, François - Patrimoine culturel et géographie sociale. In FOURNIER, Jean Michel, dir. - Faire la géographie sociale aujourd’hui. Caen : Presses Universitaires de Caen, 2001. p. 19-30. (Documents de la MRSH ; vol. 14). [ Links ]

PEZEU-MASSABUAU, Jacques - La maison, espace social. Paris : PUF, 1983. [ Links ]

PINSON, Daniel - Modèles d’habitat et contre-types domestiques au Maroc. Tours : Université de Tours, 1992. (Fascicule de recherches ; nº 23). [ Links ]

PINSON, Daniel - Usage et architecture. Paris : Editions L’ Harmattan, 1993. [ Links ]

PRENANT, André ; SEMMOUD, Bouziane - Analyse des rapports entre l’évolution de la réalité géographique de l’Algérie et celle de son appréhension par la recherche. In BENGHABRIT-REMAOUN, Nouria ; HADDAB, Mustapha, dir. - L’Algérie 50 ans après : état des savoirs en sciences sociales et humaines. Bir El Djir, Oran : Éditions Crasc, 2008. p. 317-358. Disponible sur Internet : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00740076. [ Links ]

RAFFESTIN, Claude - Pour une géographie du pouvoir [En ligne]. Nouvelle édition. Lyon : ENS Éditions, 2019. Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/enseditions/7627. DOI : 10.4000/books.enseditions.7627. [ Links ]

RIEGL, Aloïs - Le culte moderne des monuments. Socio-Anthropologie [En ligne]. V. 9 (2001). [Consulté : 30/09/2016]. Disponible sur Internet : Disponible sur Internet : https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/4 . DOI : https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.5. [ Links ]

SEGAUD, Marion - Anthropologie de l’espace : catalogue ou projet ?. Espaces et Sociétés. Nº 9 (1972), p. 29-38. [ Links ]

SKOUNTI, Ahmed - De la patrimonialisation : comment et quand les choses deviennent-elles des patrimoines ?. Hesperis-Tamuda. V. XLV (2010), p. 19-34. [ Links ]

TURNER, Victor - The forest of symbols : aspects of Ndembu ritual. Ithaca [etc.] : Cornell University Press, 1967. [ Links ]

TURNER, Victor - Le phénomèn rituel : structure et contre-structure. Paris : PUF, 1981. [ Links ]

YOUSFI, Badreddine - Formation des nouveaux espaces urbanisés et recomposition socio-spatiale des villes sahariennes du Sud-ouest. In COLLOQUE LES MUTATIONS DE LA VILLE SAHARIENNE, Ouargla, 2015 - Les mutations de la ville saharienne : approches croisées sur le changement social et les pratiques urbaines. Ouargla, Algérie : Université Kasdi Merbah, Faculté des Sciences Sociales et Humaines, 2015. Disponible sur Internet : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01235679. [ Links ]

1Le mot ksar est emprunté à l’arabe qasr (« château », « village fortifié »), qui vient lui-même du latin castrum (« fort » ou « place forte »).

2Le vocable « haouch » signifie « enclos, maison de campagne ou ferme ». Par extension, « haouch » signifie « cour d’une maison » mais cet usage est restreint et demeure propre au monde urbain.

Recebido: 27 de Dezembro de 2020; Aceito: 19 de Fevereiro de 2021

Creative Commons License Este é um artigo publicado em acesso aberto sob uma licença Creative Commons